Érudit
est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
Érudit
offre des services d'édition numérique de documents
scientifiques depuis 1998.
Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]
Article
Martin Roy, Charles-Philippe David et Jean-Philippe Racicot
Études internationales
, vol. 30, n° 2, 1999, p. 233-256.
Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante :
http://id.erudit.org/iderudit/704027ar
Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.
Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf
Document téléchargé le 16 avril 2010
«Discours multilatéraliste, leadership réaliste: l'évolution de la conduite institutionnelle de
sécurité des États-Unis sous Clinton»
Discours multilatéraliste,
leadership réaliste
:
révolution
de la
conduite
institutionnelle
de
sécurité
des États-Unis sous Clinton
Martin
ROY,
Charles-Philippe
DAVID
et Jean-Philippe
RACICOT*
RÉSUMÉ: Cet article analyse
le
rôle
et
l'influence des institutions internationales
de
sécurité
à
travers l'étude du comportement
des
États-Unis envers la réforme du
Conseil
de sécurité des Nations Unies,
la
consolidation de la paix
en
Bosnie,
et
l'élargissement
de
I'OTAN.
L'analyse
des trois cas
démontre que l'administration Clinton a graduellement
diminué l'importance accordée
aux
institutions internationales dans
le
maintien
de la
sécurité internationale. Les États-Unis ont accentué leur leadership au sein des institu-
tions afin de définir l'agenda de sécurité en fonction de leurs intérêts. La poursuite des
objectifs
américains
a
été davantage influencée par
les
débats au sein du gouvernement
et les demandes des acteurs extérieurs
que
par
les
institutions internationales. Celles-ci
ont
généralement servi
de
complément aux pratiques
souhaitées
par
les
États-Unis et ne
se
sont pas
substituées
au
rôle que la superpuissance
s'attribuait
en sécurité
internationale.
ABSTRACT: This article assesses
the
rôle
and
influence
of
international security
institutions through analysis
of
the United States' behavior towards
the
reform
of
the
Security
Councïl,
peacebuilding in
Bosnia,
and
NATO
enlargement.
The
study demonstrates
that the
Clinton
Administration gradually came
to
grant less importance to internatio-
nal institutions
in
ensuring
the
world's security.
The
United States intensified
its
leadership within the institutions
in
order
to
define the security agenda
in
terms
of
its
interests. The pursuit of American interests was more influenced by debates within
the
government
and
demands from external actors than
by
international institutions.
Institutions assisted the desired behavior
of
the us, and did not serve as
a
substitute for
the rôle the superpower sawfor itselfin world politics.
La fin de la guerre froide a permis aux États-Unis de concevoir de
nouveaux engagements internationaux mais qui ont souvent été accompagnés
par des problèmes épineux à résoudre. Ainsi, les conflits ethniques intra-
étatiques et les tragédies humaines qu'ils ont entraînées se sont répandus de
façon importante. La fin de la présence militaire soviétique a créé un vide
géopolitique en Europe qui a remis en question les missions de
I'OTAN.
En
outre, la fin du conflit Est-Ouest a fourni aux grandes puissances la possibilité,
*
Respectivement chercheur postdoctoral
au
Centre
d'étude
des
politiques étrangères
et de
sécurité
(CÈPES),
Université
du
Québec
à
Montréal
;
professeur titulaire
au
Département
de
science
politique,
directeur
de la
Chaire Téléglobe Raoul-Dandurand
en
études stratégiques
et
diplomatiques,
et
professeur associé
au
CÈPES
à
l'Université
du
Québec
à
Montréal;
étudiant
à la
maîtrise
au
Département
de
science politique
et
stagiaire
à la
Chaire Téléglobe
Raoul-Dandurand,
Montréal.
Revue Études internationales, volume
xxx,
2, juin
1999
233
234 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT
impensable auparavant, de renforcer les Nations Unies et d'accorder au Con-
seil de sécurité un rôle accru dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, comme le prévoyait la Charte de I'ONU.
Faut-il se surprendre si la fin de la guerre froide a suscité des débats de
fond sur l'orientation de la politique étrangère américaine? Quelle voie les
États-Unis devaient-ils adopter dans un environnement international qui ne
posait plus une menace directe à leur sécurité, et où les considérations de
politique étrangère n'étaient plus dictées par l'opposition stratégique et
idéologique à I'URSS? Sur cette grande question et au sein de ces débats, très
peu d'études se sont penchées sur le lien entre la politique étrangère améri-
caine et le rôle des institutions internationales1.
Cet article veut ainsi contribuer à une analyse et à une évaluation nouvelles
du rôle et de l'influence des institutions internationales de sécurité sur la
conduite institutionnelle des États-Unis (et vice-versa), depuis le début des
années 1990. Notre recherche pose la question suivante
:
les institutions de
sécurité ont-elles modifié le comportement américain ou, au contraire, ont-
elles servi à promouvoir les objectifs et les intérêts américains? Notre analyse
s'est
penchée sur trois cas précis: la réforme du Conseil de sécurité, la
consolidation de la paix en Bosnie et l'élargissement de I'OTAN.
La première section démontre que le comportement des États-Unis dans
la modification du mandat et de la structure du Conseil de sécurité
s'est
caractérisé par un manque d'intérêt à l'égard de la restructuration de la seule
institution internationale de sécurité qui se veut universelle. Cette étude
révèle que les débats internes sur les rôles respectifs des États-Unis et de
I'ONU
dans le maintien de la sécurité internationale ont défini l'enjeu de la réforme
pour les États-Unis. La deuxième section de cet article souligne de quelle
façon les États-Unis ont utilisé les institutions internationales de sécurité, en
l'occurrence I'OTAN, pour rétablir puis consolider la paix en Bosnie. L'étude de
ce cas souligne le rôle central de cette organisation dans les démarches
américaines visant à imposer la paix dans une société dévastée par la guerre.
La troisième section montre, avec l'élargissement de I'OTAN, de quelle manière
les États-Unis ont voulu résoudre un problème géopolitique de première
importance en amenant l'institution de sécurité euro-atlantique jusqu'aux
portes de la Russie, tout en accommodant celle-ci.
Notre article veut démontrer que la rhétorique multilatérale des premiè-
res années de l'administration Clinton, de même que l'importance du rôle des
1.
Les recherches et débats théoriques sur la politique étrangère américaine n'ont pas analysé et
comparé systématiquement le comportement américain envers les institutions internationa-
les de sécurité. Voir notamment
:
Josef
JOFFE, « «
Bismarck
»
or
«
Britain
» ?
Toward an
American Grand Strategy after Bipolarity»,
International
Security,
vol. 19, n° 4, printemps
1995,
pp. 94-117
;
Barry
POSEN
et Andrew
Ross,
«
Competing
Visions
for
u.s.
Grand Strategy
»,
International
Security,
vol. 21, n° 3, hiver 1996/97, pp. 5-53; Robert J.
LIEBER,
dir.,
Eagle
Adrift:
American Foreign Policy
at
the End
ojthe
Century,
New York, Longman, pp. 3-25.
DISCOURS
MULTILATÉRALISTE,
LEADERSHIP
RÉALISTE... 235
institutions dans le maintien de la sécurité internationale, se sont sensible-
ment atténuées au profit de l'affirmation du leadership américain. Le constat
général à travers les trois études de cas est que les institutions internationales
de sécurité ont été grandement influencées par les actions américaines mais
ont très peu influé sur le comportement des États-Unis. L'exercice d'un
leadership «réaliste2», à travers les institutions, a plutôt permis à la super-
puissance américaine de définir l'agenda et de réaliser ses objectifs selon ses
intérêts de politique étrangère. Ce réalisme se traduit dans le comportement
des États-Unis par la promotion de ses intérêts nationaux et par le refus de
laisser les institutions lui dicter l'agenda de sécurité internationale.
I - La réforme du Conseil de sécurité
Le comportement des États-Unis à l'égard de la réforme du Conseil de
sécurité aura varié sensiblement au cours de la période étudiée. Alors qu'aux
premiers moments de l'administration Clinton les États-Unis accueillaient
favorablement tout effort pour consolider l'autorité et la capacité d'action du
Conseil, le deuxième mandat de l'administration fut plutôt caractérisé par une
critique éminemment scrupuleuse du rôle que le Conseil de sécurité doit jouer
pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Réagissant aux
pressions émanant du Congrès républicain, l'administration avança des pro-
jets de réforme qui équivalaient à faire jouer au Conseil un rôle complémen-
taire à celui que les États-Unis s'attribuaient en matière de sécurité internatio-
nale.
Ainsi ce sont les débats internes sur le rôle du Conseil de sécurité face
aux enjeux de sécurité internationale qui ont influencé l'évolution de la
position américaine à propos de l'élargissement des sièges permanents et non
permanents.
A Multilatéralisme engagé et sécurité collective
Déjà, l'administration Bush voyait d'un bon œil la possibilité de revitaliser
les Nations Unies. Elle se montra toutefois prudente en ne cherchant pas à
encourager une réforme radicale du mandat de l'Organisation, quoiqu'elle
défendît par ailleurs le principe voulant que le Japon et l'Allemagne acquissent
un siège permanent, mais en ne manquant pas de conseiller à ces États de ne
pas trop en ébruiter le souhait. L'administration Bush craignit qu'une campa-
gne pour un tel élargissementt motiver les autres pays à militer en faveur de
2.
Cet article n'explore pas en détail les différentes approches de l'école réaliste (nous revien-
drons ultérieurement sur cette question dans notre recherche). Pour un survol initial de la
théorie réaliste, voir Randall
SCHWELLER
and David
PRIESS, « A
Taie of Two Realisms
:
Expanding
the Institutions Debate», Mershon International Studies Review, vol. 41, pp. 1-32; John
MEARSHEIMER,
«
The False Premise of International Institutions », International Security, vol. 19,
n° 3, hiver 1994-95, pp. 5-49; David A.
BALDWIN
(dir.), Neorealism and Neolïberalism: The
Contemporary Debate, New York, Columbia University Press.
236
Martin
ROY,
Charles-Philippe DAVID
et
Jean-Philippe RACICOT
changements institutionnels substantiels3. Aux yeux de son administration,
I'ONU demeure un forum de concertation pour les grandes puissances et un
lieu privilégié où ces dernières peuvent lancer des actions concertées à l'instar
de celles de la guerre du Golfe. Le renforcement institutionnel extensif de
l'Organisation ne se pose donc pas à ce moment4.
La position de l'administration Bush évolua néanmoins lorsque parut
VAgenda pour la paix du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992.
Accueillant favorablement le programme d'action esquissé par le Secrétaire
général, Bush se prononça en faveur du renforcement des opérations de
maintien de la paix, même s'il rejeta la création de troupes de réaction rapide
mobilisables pour des opérations de cette sorte. Toutefois, la vision de Bush,
peu précise, n'entra pas en vigueur avant qu'il ne quitte la Maison-Blanche5.
L'avènement de Bill Clinton à la présidence marqua une rupture avec la
prudence de son prédécesseur. Tout d'abord, les États-Unis se prononcèrent
clairement en faveur de la promotion du Japon et de l'Allemagne au rang de
membre permanent du Conseil de sécurité, sans toutefois spécifier si celle-ci
allait aussi les munir d'un droit de veto. L'administration Clinton estimait que
la reconnaissance d'un tel statut avait pour «... corollaire l'obligation déjouer
un rôle actif dans les opérations relatives à la paix et à la sécurité mondiales6 ».
Pour les États-Unis, tout élargissement du Conseil devait également respecter
les réalités politiques et économiques. La position américaine stipulait que le
statut des membres permanents actuels ne devait pas être modifié, mais que
les États-Unis étaient disposés à étudier la possibilité
«
d'élargir davantage le
Conseil en y ajoutant un petit nombre de sièges supplémentaires7». Pour les
États-Unis, la réforme du Conseil de sécurité n'avait pas pour enjeu l'accrois-
sement de sa transparence ou de sa légitimité mais plutôt la sauvegarde de son
efficacité, que l'administration estimait menacée par une expansion mal con-
trôlée8.
Malgré sa position plutôt conservatrice sur l'expansion du Conseil de
sécurité, l'administration Clinton voulut donner au Conseil un rôle actif pour
le maintien de la sécurité internationale. La Représentante permanente des
3.
« Germany Tells the
U.N.
It Wants a Permanent Seat on the Council», New York Times
(dorénavant
NYT),
24 septembre 1992
;
Geoff
SIMONS,
UN
Malaise ;
Power,
Problem,
and RealPolitik,
New York, St. Martin's Press, 1995, pp. 178-186.
4.
George
BUSH, «
The United Nations in a New Era », Discours devant l'Assemblée générale des
Nations Unies, New York, 23 septembre 1991, us Department of State Dispatch [dorénavant
Dispatch], 30 septembre 1991, pp.
718-721.
5. «
The
UN
Assembly
:
Bush in Address to
UN
Urges More Vigor in Keeping the Peace »,
NYT,
22 septembre 1992
;
Ivo
DAADLER, «
Knowing When to Say No
:
The Development of us Policy
for Peacekeeping », dans
UN
Peacekeeping,
American
Politics
and the
UN
Civil Wars of the 1990s,
WJ.
DURCH
(dir.), New York, St.Martin's Press, 1996, pp. 35-65.
6.
ONU.
Assemblée générale. Question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de
l'augmentation du nombre de
ses
membres, Rapport du Secrétaire général, soumission des États-
Unis d'Amérique, A/48/264, p. 40.
7.
Ibid.,p.41.
8. A/48/264, p. 40
; «
u.s. to Push Germany and Japan for
U.N.
Council »,
NYT,
13 juin 1993.
1 / 25 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !