Article « Discours multilatéraliste, leadership réaliste : l'évolution de la conduite institutionnelle de sécurité des États-Unis sous Clinton » Martin Roy, Charles-Philippe David et Jean-Philippe Racicot Études internationales, vol. 30, n° 2, 1999, p. 233-256. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/704027ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Document téléchargé le 16 avril 2010 Discours multilatéraliste, leadership réaliste : révolution de la conduite institutionnelle de sécurité des États-Unis sous Clinton Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT* RÉSUMÉ: Cet article analyse le rôle et l'influence des institutions internationales de sécurité à travers l'étude du comportement des États-Unis envers la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, la consolidation de la paix en Bosnie, et l'élargissement de I'OTAN. L'analyse des trois cas démontre que l'administration Clinton a graduellement diminué l'importance accordée aux institutions internationales dans le maintien de la sécurité internationale. Les États-Unis ont accentué leur leadership au sein des institutions afin de définir l'agenda de sécurité en fonction de leurs intérêts. La poursuite des objectifs américains a été davantage influencée par les débats au sein du gouvernement et les demandes des acteurs extérieurs que par les institutions internationales. Celles-ci ont généralement servi de complément aux pratiques souhaitées par les États-Unis et ne se sont pas substituées au rôle que la superpuissance s'attribuait en sécurité internationale. ABSTRACT: This article assesses the rôle and influence of international security institutions through analysis of the United States' behavior towards the reform of the Security Councïl, peacebuilding in Bosnia, and NATO enlargement. The study demonstrates that the Clinton Administration gradually came to grant less importance to international institutions in ensuring the world's security. The United States intensified its leadership within the institutions in order to define the security agenda in terms of its interests. The pursuit of American interests was more influenced by debates within the government and demands from external actors than by international institutions. Institutions assisted the desired behavior of the us, and did not serve as a substitute for the rôle the superpower sawfor itselfin world politics. La fin de la guerre froide a permis aux États-Unis de concevoir de nouveaux engagements internationaux mais qui ont souvent été accompagnés par des problèmes épineux à résoudre. Ainsi, les conflits ethniques intraétatiques et les tragédies humaines qu'ils ont entraînées se sont répandus de façon importante. La fin de la présence militaire soviétique a créé un vide géopolitique en Europe qui a remis en question les missions de I'OTAN. En outre, la fin du conflit Est-Ouest a fourni aux grandes puissances la possibilité, * Respectivement chercheur postdoctoral au Centre d'étude des politiques étrangères et de sécurité (CÈPES), Université du Québec à Montréal ; professeur titulaire au Département de science politique, directeur de la Chaire Téléglobe Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, et professeur associé au CÈPES à l'Université du Québec à Montréal; étudiant à la maîtrise au Département de science politique et stagiaire à la Chaire Téléglobe Raoul-Dandurand, Montréal. Revue Études internationales, volume xxx, n° 2, juin 1999 233 234 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT impensable auparavant, de renforcer les Nations Unies et d'accorder au Conseil de sécurité un rôle accru dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, comme le prévoyait la Charte de I'ONU. Faut-il se surprendre si la fin de la guerre froide a suscité des débats de fond sur l'orientation de la politique étrangère américaine? Quelle voie les États-Unis devaient-ils adopter dans un environnement international qui ne posait plus une menace directe à leur sécurité, et où les considérations de politique étrangère n'étaient plus dictées par l'opposition stratégique et idéologique à I'URSS? Sur cette grande question et au sein de ces débats, très peu d'études se sont penchées sur le lien entre la politique étrangère américaine et le rôle des institutions internationales 1 . Cet article veut ainsi contribuer à une analyse et à une évaluation nouvelles du rôle et de l'influence des institutions internationales de sécurité sur la conduite institutionnelle des États-Unis (et vice-versa), depuis le début des années 1990. Notre recherche pose la question suivante : les institutions de sécurité ont-elles modifié le comportement américain ou, au contraire, ontelles servi à promouvoir les objectifs et les intérêts américains? Notre analyse s'est penchée sur trois cas précis: la réforme du Conseil de sécurité, la consolidation de la paix en Bosnie et l'élargissement de I'OTAN. La première section démontre que le comportement des États-Unis dans la modification du mandat et de la structure du Conseil de sécurité s'est caractérisé par un manque d'intérêt à l'égard de la restructuration de la seule institution internationale de sécurité qui se veut universelle. Cette étude révèle que les débats internes sur les rôles respectifs des États-Unis et de I'ONU dans le maintien de la sécurité internationale ont défini l'enjeu de la réforme pour les États-Unis. La deuxième section de cet article souligne de quelle façon les États-Unis ont utilisé les institutions internationales de sécurité, en l'occurrence I'OTAN, pour rétablir puis consolider la paix en Bosnie. L'étude de ce cas souligne le rôle central de cette organisation dans les démarches américaines visant à imposer la paix dans une société dévastée par la guerre. La troisième section montre, avec l'élargissement de I'OTAN, de quelle manière les États-Unis ont voulu résoudre un problème géopolitique de première importance en amenant l'institution de sécurité euro-atlantique jusqu'aux portes de la Russie, tout en accommodant celle-ci. Notre article veut démontrer que la rhétorique multilatérale des premières années de l'administration Clinton, de même que l'importance du rôle des 1. Les recherches et débats théoriques sur la politique étrangère américaine n'ont pas analysé et comparé systématiquement le comportement américain envers les institutions internationales de sécurité. Voir notamment : Josef JOFFE, « « Bismarck » or « Britain » ? Toward an American Grand Strategy after Bipolarity», International Security, vol. 19, n° 4, printemps 1995, pp. 94-117 ; Barry POSEN et Andrew Ross, « Competing Visions for u.s. Grand Strategy », International Security, vol. 21, n° 3, hiver 1996/97, pp. 5-53; Robert J. LIEBER, dir., Eagle Adrift: American Foreign Policy at the End ojthe Century, New York, Longman, pp. 3-25. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 235 institutions dans le maintien de la sécurité internationale, se sont sensiblement atténuées au profit de l'affirmation du leadership américain. Le constat général à travers les trois études de cas est que les institutions internationales de sécurité ont été grandement influencées par les actions américaines mais ont très peu influé sur le comportement des États-Unis. L'exercice d'un leadership «réaliste 2 », à travers les institutions, a plutôt permis à la superpuissance américaine de définir l'agenda et de réaliser ses objectifs selon ses intérêts de politique étrangère. Ce réalisme se traduit dans le comportement des États-Unis par la promotion de ses intérêts nationaux et par le refus de laisser les institutions lui dicter l'agenda de sécurité internationale. I - La réforme du Conseil de sécurité Le comportement des États-Unis à l'égard de la réforme du Conseil de sécurité aura varié sensiblement au cours de la période étudiée. Alors qu'aux premiers moments de l'administration Clinton les États-Unis accueillaient favorablement tout effort pour consolider l'autorité et la capacité d'action du Conseil, le deuxième mandat de l'administration fut plutôt caractérisé par une critique éminemment scrupuleuse du rôle que le Conseil de sécurité doit jouer pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Réagissant aux pressions émanant du Congrès républicain, l'administration avança des projets de réforme qui équivalaient à faire jouer au Conseil un rôle complémentaire à celui que les États-Unis s'attribuaient en matière de sécurité internationale. Ainsi ce sont les débats internes sur le rôle du Conseil de sécurité face aux enjeux de sécurité internationale qui ont influencé l'évolution de la position américaine à propos de l'élargissement des sièges permanents et non permanents. A — Multilatéralisme engagé et sécurité collective Déjà, l'administration Bush voyait d'un bon œil la possibilité de revitaliser les Nations Unies. Elle se montra toutefois prudente en ne cherchant pas à encourager une réforme radicale du mandat de l'Organisation, quoiqu'elle défendît par ailleurs le principe voulant que le Japon et l'Allemagne acquissent un siège permanent, mais en ne manquant pas de conseiller à ces États de ne pas trop en ébruiter le souhait. L'administration Bush craignit qu'une campagne pour un tel élargissement pût motiver les autres pays à militer en faveur de 2. Cet article n'explore pas en détail les différentes approches de l'école réaliste (nous reviendrons ultérieurement sur cette question dans notre recherche). Pour un survol initial de la théorie réaliste, voir Randall SCHWELLER and David PRIESS, « A Taie of Two Realisms : Expanding the Institutions Debate», Mershon International Studies Review, vol. 4 1 , pp. 1-32; John MEARSHEIMER, « The False Premise of International Institutions », International Security, vol. 19, n° 3, hiver 1994-95, pp. 5-49; David A. BALDWIN (dir.), Neorealism and Neolïberalism: The Contemporary Debate, New York, Columbia University Press. 236 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT changements institutionnels substantiels3. Aux yeux de son administration, I'ONU demeure un forum de concertation pour les grandes puissances et un lieu privilégié où ces dernières peuvent lancer des actions concertées à l'instar de celles de la guerre du Golfe. Le renforcement institutionnel extensif de l'Organisation ne se pose donc pas à ce moment 4 . La position de l'administration Bush évolua néanmoins lorsque parut VAgenda pour la paix du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992. Accueillant favorablement le programme d'action esquissé par le Secrétaire général, Bush se prononça en faveur du renforcement des opérations de maintien de la paix, même s'il rejeta la création de troupes de réaction rapide mobilisables pour des opérations de cette sorte. Toutefois, la vision de Bush, peu précise, n'entra pas en vigueur avant qu'il ne quitte la Maison-Blanche5. L'avènement de Bill Clinton à la présidence marqua une rupture avec la prudence de son prédécesseur. Tout d'abord, les États-Unis se prononcèrent clairement en faveur de la promotion du Japon et de l'Allemagne au rang de membre permanent du Conseil de sécurité, sans toutefois spécifier si celle-ci allait aussi les munir d'un droit de veto. L'administration Clinton estimait que la reconnaissance d'un tel statut avait pour «... corollaire l'obligation déjouer un rôle actif dans les opérations relatives à la paix et à la sécurité mondiales 6 ». Pour les États-Unis, tout élargissement du Conseil devait également respecter les réalités politiques et économiques. La position américaine stipulait que le statut des membres permanents actuels ne devait pas être modifié, mais que les États-Unis étaient disposés à étudier la possibilité « d'élargir davantage le Conseil en y ajoutant un petit nombre de sièges supplémentaires 7 ». Pour les États-Unis, la réforme du Conseil de sécurité n'avait pas pour enjeu l'accroissement de sa transparence ou de sa légitimité mais plutôt la sauvegarde de son efficacité, que l'administration estimait menacée par une expansion mal contrôlée8. Malgré sa position plutôt conservatrice sur l'expansion du Conseil de sécurité, l'administration Clinton voulut donner au Conseil un rôle actif pour le maintien de la sécurité internationale. La Représentante permanente des 3. « Germany Tells the U.N. It Wants a Permanent Seat on the Council», New York Times (dorénavant NYT), 24 septembre 1992 ; Geoff SIMONS, UN Malaise ; Power, Problem, and RealPolitik, New York, St. Martin's Press, 1995, pp. 178-186. 4. George BUSH, « The United Nations in a New Era », Discours devant l'Assemblée générale des Nations Unies, New York, 23 septembre 1991, us Department of State Dispatch [dorénavant Dispatch], 30 septembre 1991, pp. 718-721. 5. « The UN Assembly : Bush in Address to UN Urges More Vigor in Keeping the Peace », NYT, 22 septembre 1992 ; Ivo DAADLER, « Knowing When to Say No : The Development of us Policy for Peacekeeping », dans UN Peacekeeping, American Politics and the UN Civil Wars of the 1990s, W J . DURCH (dir.), New York, St.Martin's Press, 1996, pp. 35-65. 6. ONU. Assemblée générale. Question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l'augmentation du nombre de ses membres, Rapport du Secrétaire général, soumission des ÉtatsUnis d'Amérique, A/48/264, p. 40. 7. Ibid.,p.41. 8. A/48/264, p. 40 ; « u.s. to Push Germany and Japan for U.N. Council », NYT, 13 juin 1993. DISCOURS MULTÏLATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 237 États-Unis à I'ONU, Madeleine Albright, et le secrétaire d'État, Warren Christopher, appuyèrent la création d'une force de déploiement rapide onusienne vouée à intervenir lors de situations de crise9. Pour Albright, « les Nations Unies [étaient] au centre des efforts destinés à guider et sauvegarder un monde qui fait soudainement face au chaos 10 ». L'administration justifiait les opérations de secours humanitaire en évoquant les intérêts nationaux américains et les valeurs humanitaires. Le renforcement du rôle du Conseil, en ce qui a trait surtout aux opérations de maintien de la paix et à la diplomatie préventive, s'inscrivait alors dans la perspective d'un multilatéralisme engagé et du développement de la sécurité collective, d'autant plus que les États-Unis s'estimaient démunis de moyens de jouer le rôle de « policier planétaire11 ». C'est dans cette perspective qu'au cours de l'année 1993 l'administration Clinton élabora une politique (PRD-13) sur le statut de troupes américaines appelées à intervenir dans des opérations de maintien de la paix, sous commandement étranger12. Bien que cette nouvelle politique reçût l'appui du Secrétariat d'État, du Département de la Défense, du Conseil national de sécurité, et de Madeleine Albright, la signature présidentielle fut différée13. B — L'ONU et les principes multilatéraux reconsidérés Suite à la perte de soldats américains en Somalie, en août et septembre, les critiques du Congrès destinées à l'administration s'intensifièrent en raison de l'appui de celle-ci au nouveau rôle de I'ONU dans les opérations de maintien de la paix. Les revers en Somalie incitèrent l'ensemble des Congressistes, et non uniquement ceux de la minorité républicaine, à remettre en question les coûts des opérations du maintien de la paix ainsi que la pertinence de confier des troupes américaines à un commandement étranger. Confrontée à ces critiques, l'administration reporta la publication de cette directive et procéda à sa révision. À l'Assemblée générale de septembre 1993, Clinton indiqua que les États-Unis ne participeraient aux opérations de maintien de la paix que si I'ONU devenait plus circonspecte dans le choix et la définition de ses missions. En outre, se référant aux opérations onusiennes en Bosnie, le Président soumit la participation américaine aux opérations multilatérales de maintien de la paix à une série de critères : la définition d'objectifs 9. David CALLAHAN, «Fall Back, Troops; Clinton's New U.N. Policy», Foreign Service Journal, May 1994, pp. 20-28; Carroll J. DOHERTY, «United Nations' Newfound Muscle Relieves, Worries Washington », Congressional Quarterly (dorénavant CQ), 6 mars 1993, pp. 525-529. 10. Madeleine ALBRIGHT, «A Strong United Nations Serves u.s. Security Interests», Discours devant le Council of Foreign Relations, New York, 11 juin 1993, Dispatch, 28 juin 1993, p. 461. 11. Peter TARNOFF, « Discours devant le Senate Foreign Relations Committee », Washington DC, 29 juillet 1993, Dispatch, 9 août 1993, pp. 567-568 ; Madeleine ALBRIGHT, « Myths of Peacekeeping», 24 juin 1993, Dispatch, 28 juin 1993, pp. 464-467. 12. « Clinton May Let u.s. Troops Serve Under U.N. Chiefs », NYT, 18 août 1993. 13. «Administration Is Divided on Rôle for u.s. in Peacekeeping Efforts», NYT, 22 septembre 1993 ; Ivo DAADLER, op. cit. 238 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT politiques et d'une stratégie militaire clairs; la possibilité de confier le commandement militaire à I'OTAN; le droit de surseoir, au besoin, à l'engagement militaire américain avant une échéance convenue ; l'appui du Congrès américain et la délimitation des responsabilités financières14. Après la perte de 18 soldats au combat, dans un quartier de Mogadishu, en octobre 1993, le Congrès américain intensifia ses pressions sur l'administration15. Tirant des leçons de l'expérience somalienne, celle-ci émit finalement la directive présidentielle PDD-25 (Policy on Reforming Multilatéral Peace Opérations). Signée le 5 mai 1994, la directive préconisait l'amélioration des opérations en corrigeant les problèmes qui étaient apparus lors des opérations somaliennes, plutôt que d'étendre et de renforcer les opérations16. Ce changement d'approche reflétait davantage le scepticisme du Pentagone envers l'utilité des opérations de maintien de la paix17. La directive prévoyait également que les États-Unis devaient chercher à réduire leur contribution financière aux opérations de maintien de la paix de 31,7 % à 25 %18. La directive ne contenait aucune allusion à la création d'une force onusienne de réaction rapide, relevant de l'article 43 de la Charte de I'ONU. À maints égards, la directive coïncidait avec l'orientation de politique étrangère que l'administration Clinton s'était affairée à définir, dès l'automne 1993. Lors d'une série de discours, les hauts responsables de l'administration délaissaient le multilatéralisme engagé et la sécurité collective pour plutôt insister sur les approches d'élargissement et d'engagement démocratique nécessaire pour accomplir la libéralisation politique et économique des sociétés à travers le monde 19 . La politique étrangère américaine n'était plus basée sur le postulat qu'une réduction de la capacité américaine exigeait que les responsabilités de sécurité internationale soient partagées plus équitablement entre les États-Unis et les autres acteurs. La nouvelle approche indiquait clairement que les États-Unis devaient faire preuve de leadership et que le multilatéralisme et l'unilatéralisme étaient deux options permettant d'atteindre les objectifs de l'élargissement. La nouvelle approche indique également que les États-Unis ne participeront aux opérations de maintien de la paix que s'il est démontré qu'elles font la 14. William J. CLINTON, « Confronting the Challenges of a Broader World », Dispatch, 27 septembre 1993, pp. 649-653. 15. Carroll J. DOHERTY, «Lawmakers Pummel Christopher Over Peacekeeping Setbacks», CQ, 6 novembre 1993, pp. 3059-3061 ; Gregory J. BOWENS, « New Pentagon Post Uncovers Old Wars, Fresh Disputes», CQ, 18 septembre 1993, pp. 2476-2477. 16. Madeleine ALBRIGHT, «Discours devant le Subcommittee on Foreign Opérations, Export Financing and Related Programs of the House Appropriations Committee, Washington DC, 5 mai 1994 », Dispatch, 16 mai 1994, pp. 315-318. 17. Ivo DAADLER, op. cit., pp. 57-59. 18. Anthony LAKE and Lt. Gen. Wesley CLARK, « Discours devant la presse, Washington, 5 mai 1994 », Dispatch, 16 mai 1994, pp. 318-321. 19. Anthony LAKE, « From Containment to Enlargement », Dispatch, 27 septembre 1997, pp. 658664. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 239 promotion des intérêts américains et qu'il y a menace à la sécurité internationale20. Ainsi, les thèmes du multilatéralisme engagé et de la sécurité collective n'étaient plus au centre de la politique étrangère de Clinton ; le recours aux Nations Unies devenait soumis à des critères limités21. C — La marginalisation de I'ONU L'élection d'une majorité républicaine au Congrès, en novembre 1994, signala l'arrivée d'une nouvelle génération de représentants qui cherchait avant tout à réduire les prérogatives de l'État fédéral. Pour peu qu'elle se préoccupât de politique étrangère, elle mettait davantage l'accent sur l'unilatéralisme. Elle attaqua le financement des programmes internationaux, particulièrement les contributions à I'ONU et le principe même des opérations de maintien de la paix. Elle prétendit qu'à travers l'application de l'article 43 de la Charte, I'ONU pouvait usurper les droits du Congrès à déclarer la guerre. Dès janvier 1995, le sénateur Bob Dole introduisit une nouvelle version de son projet de loi, le Peace Powers Act, qui visait à imposer au Président des restrictions strictes sur son pouvoir de placer des troupes sous commandement onusien de même qu'à réduire la contribution financière américaine à I'ONU22. Sous l'emprise républicaine, le Congrès amena l'administration à adopter un discours qui marginalisa le rôle de I'ONU. À l'Assemblée générale de 1995, Christopher demanda à I'ONU d'adopter les réformes nécessaires afin de mettre un terme à la lourdeur bureaucratique et au gaspillage financier. Les réformes devaient maintenant s'accélérer, déclarait le secrétaire d'État, afin de justifier l'appui du peuple américain aux activités de I'ONU23. Le rôle de I'ONU consistait à s'attaquer désormais aux « nouveaux défis de sécurité internationale » : la prolifération nucléaire, la dégradation environnementale, le terrorisme, le crime et le trafic international de drogue. Le programme de réforme américain 20. Anthony LAKE et Lt.-Gen. Wesley CLARK, « Discours devant la presse », op. cit. 21. William J. CLINTON, « Building a Secure Future on the Foundation of Democracy », Dispatch, 26 septembre 1994, pp. 633-636 ; Madeleine ALBRIGHT, «Use of Force in a Post-Cold War World», Dispatch, 27 septembre 1993, pp. 665-668; Warren CHRISTOPHER, «Remaking American Diplomacy in the Post-Cold War World », Dispatch, 18 octobre 1993 ; William J. CLINTON, «American Engagement in a Changing World: A Vital Commitment», Dispatch, 2 mai 1994, p. 249. 22. Le Peace Powers Act aurait empêché le Président de placer des troupes américaines sous commandement étranger dans le cadre d'opérations onusiennes de maintien de la paix. Le projet de loi ne prévoyait toutefois pas de restrictions aux prérogatives de l'Exécutif lors d'opérations militaires dirigées par les États-Unis, qui auraient reçu l'aval du Conseil de sécurité. Voir Carroll J. DOHERTY, « Dole's Blueprint Takes Aim At Relationship with U.N. », CQ, 7 janvier 1995, pp. 44-45. 23. Warren CHRISTOPHER, « The United Nations : The Momentum for Reform Must Accelerate », Dispatch, 2 octobre 1995, pp. 711-714. 240 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT de I'ONU ne ressemblait plus à celui de YAgenda pour la paix, mais plutôt à la réforme institutionnelle que prônait le Congrès républicain24. L'administration continua d'accorder son discours avec celui du Congrès républicain tout au long des années 1996 et 1997. Ainsi, le président Clinton décida, en mars 1996, d'utiliser le veto américain afin d'empêcher la réélection de Boutros Boutros-Ghali pour contrecarrer les attaques républicaines lors de la campagne électorale25. L'ONU n'occupait qu'une place mineure dans les principaux énoncés et discours de la politique étrangère26. L'exécutif américain continuait toutefois de tenter de convaincre le Congrès américain de payer les sommes dues aux Nations Unies en rappelant que l'organisation servait les intérêts américains, car elle facilitait l'exercice du leadership américain. Toutefois, malgré les plaidoiries de Madeleine Albright, l'administration américaine s'en tint à la stratégie du Congrès et crut bon que le paiement des sommes dues à I'ONU ne se fît qu'avec la mise en place de réformes administratives et budgétaires27. L'expansion du Conseil de sécurité était donc balisée dans ce climat nettement défavorable pour les Nations Unies. Graduellement, les États-Unis ajoutaient toujours plus de conditions à l'élargissement du Conseil. En août 1995, Madeleine Albright envoya une lettre aux gouvernements étrangers pour leur dire que les États-Unis estimaient nécessaire d'imposer une limite de 20 membres afin de sauvegarder l'efficacité du Conseil. De son côté, le représentant américain au Groupe de travail sur l'expansion du Conseil de sécurité, Karl Indenfurth, menaça en septembre 1995 de recourir au veto afin de défaire toute proposition qui n'inclurait pas le statut de membre permanent pour le Japon et l'Allemagne28. Sans procéder à des consultations avec les intervenants internationaux et non gouvernementaux du pays, les États-Unis annoncèrent en juillet 1997 qu'ils étaient en mesure d'accepter que trois pays en développement obtiennent un siège permanent au Conseil de sécurité. Mais ils s'abstinrent d'expliquer de quelle manière devait s'effectuer la sélection de ces pays, et se bornaient à indiquer qu'ils devaient être nommés par leurs régions respectives. Le nouveau représentant permanent à I'ONU, Bill Richardson, réitéra que les États24. « The UN at 50 », NYT, 23 octobre 1995 ; Bill CLINTON, « Focus on the UN », Dispatch, 19 février 1996, pp. 57-58. 25. «us Will Oppose Move to Re-Elect Top UN Officiai», NYT, 20 juin 1996; «Choosing the World's Top Diplomat », NYT, 14 novembre 1996. 26. Bill CLINTON, «The Legacy of America's Leadership As We Enter the 21st Century», Dispatch, 21 octobre 1996, pp. 517-521; Warren CHRISTOPHER, «Leadership for the Next American Century», Dispatch, 22 janvier 1996, pp. 9-12; Bill CLINTON, «America's Mission in the 2lst Century: Building on the Achievements of the Past», Dispatch, 10 juin 1996, pp. 293-296. 27. Madeleine ALBRIGHT, «The UN, the us, and the World», Dispatch, 23 septembre 1996, pp. 474-477 ; Juliana GRUENWALD, « GOP Warns Richardson on UN Overhaul», CQ, 1er février 1997, p. 3 0 0 ; Judy AITA, «US Délégation Pushing Ahead with UN Reform Agenda», us Information Agency, 17 novembre 1997. 28. « The UN at 50 : The Challenges », NYT, 22 octobre 1995. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 241 Unis allaient s'opposer à toute proposition prévoyant un Conseil œuvrant audelà de 20 ou tout au plus 21 membres 29 . Les États-Unis refusèrent alors de spécifier si les nouveaux membres permanents devaient obtenir un droit de veto. De plus, l'administration américaine continuait de développer ses propres critères de sélection ou de nomination des nouveaux membres permanents. Ainsi, la déclaration politique nippo-américaine, émise en avril 1996, lie l'attribution d'un siège permanent au Japon au succès de la réforme administrative et budgétaire de I'ONU. De plus, le président indiqua lui-même devant l'Assemblée générale de 1997 que les nouveaux membres permanents devaient souscrire aux régimes de contrôle des armements nucléaires et de libéralisation du commerce30, alors que Albright associait les sièges permanents du Japon et de l'Allemagne à l'augmentation de leur contribution financière31. Les États-Unis défendirent par ailleurs le principe du droit de veto pour tout membre permanent actuel. Aussi, le représentant américain à I'ONU s'opposa-t-il, en mai 1996, à la proposition du groupe des pays non-alignés cherchant à restreindre le droit de veto aux articles du chapitre vu de la Charte. Les États-Unis estimaient que la question du droit de veto ne faisait pas partie du mandat du groupe de travail de l'Assemblée générale sur l'expansion du Conseil de sécurité32. La stratégie américaine consistait à faire adopter d'abord l'élargissement à de nouveaux membres, pour étudier ultérieurement la question du veto33. La politique américaine à l'égard de la réforme du Conseil de sécurité aura évolué de manière substantielle et rapide au cours de la période étudiée. Au départ, l'administration Clinton, inspirée par les idéaux wilsoniens de sécurité collective, s'engagea à augmenter le rôle du Conseil de sécurité afin de mettre fin aux conflits intra-étatiques et aux tragédies humanitaires qui les accompagnaient. Graduellement, toutefois, l'administration Clinton adoucit la rhétorique multilatérale et surtout réduisit le rôle des institutions dans le maintien de la sécurité internationale. Lors du deuxième mandat de Clinton, les États-Unis estimaient que le renforcement de la capacité exécutoire du Conseil portait atteinte à l'exercice du leadership américain. 29. Bill RICHARDSON, Statements in the Open-Ended Working Group of the General Assembly on the Question of Equitable Représentation on Increase in the Membership of the Security Council, Communiqués de presse, Mission permanente des États-Unis à I'ONU, 12 juin et 17 juillet 1997. 30. Bill CLINTON, « Remarks by the Président to the 52nd Session of the United Nations General Assembly », White House, Office of the Press Secretary, 22 septembre 1997. L'énoncé de ces critères fut perçu, en Inde, comme un refus à l'accession du pays: Calcutta Telegraph, «Perilous Siège», 30 septembre 1997, dans FBIS-NES-97-273. 31. « Kinkel Discusses UN General Assembly, Clinton Speech », Cologne Dçutschlandfunk Network, 23 septembre 1997, dans FBIS-WEU-97-266. 32. us Mission at the UN, Statement by Cameron R. Hume, Minister Counselor jor Political Ajfairs, to the Open-Ended Working Group, 23 mai 1996. 33. USIA, « Nomination of Bill Richardson, to Be the us Représentative to the United Nations », 11 février 1997. 242 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT II - La consolidation de la paix en Bosnie Signé le 21 novembre 1995, l'Accord de Dayton stipulait une trêve ainsi que la mise en oeuvre d'une série d'arrangements territoriaux, constitutionnels et légaux en Bosnie. L'application de ces engagements se traduisit, le 14 décembre 1995, par l'envoi de forces armées des alliés de I'OTAN et de membres du Partenariat pour la paix (PpP). Cet accord de même que les termes de son application permettaient d'espérer une fin du conflit armé et la reconstruction de la société bosniaque dévastée par la guerre. Sans entrer dans une analyse exhaustive des voies menant à la signature de ces accords, il importe d'en rappeler quelques faits saillants. Il y eut d'abord l'approvisionnement d'armes des forces armées bosniaques par l'Iran via la Croatie à partir de 1994, qui contrevenait à l'embargo placé par I'ONU et que respectait du reste la diplomatie américaine ; le vote par le Sénat, en juillet 1995, en faveur de la levée de l'embargo sur les armes envoyées à la Bosnie ; l'offensive croate à l'été 1995 contre les positions serbes en Croatie doublée des bombardements des forces aériennes de I'OTAN, en août et septembre 1995, contre des positions serbes en Bosnie ; la complète déconfiture de I'ONU présente en Bosnie et en Croatie et la nécessité de la remplacer par une présence musclée de I'OTAN; le dernier point mais non le moindre: l'engagement soutenu de la diplomatie américaine pour mettre fin non seulement à une guerre dévastatrice mais aussi aux hésitations qui avaient caractérisé la pratique des États-Unis et de ses alliés entre 1992 et 1995 34 . L'engagement américain découlant de l'accord de Dayton s'est traduit par la participation militaire des États-Unis au déploiement d'une force armée multilatérale en Bosnie, mandatée pour appliquer les termes de cet accord. Cet engagement était à la fois multilatéral, puisque plus d'une trentaine de nations offrirent de contribuer à la Force d'interposition (IFOR), et institutionnel, dans la mesure où I'OTAN était appelée à superviser, à décider et à mettre en oeuvre le mandat de cette force d'interposition. La conduite institutionnelle de sécurité américaine dans le traitement de ce conflit aura connu deux étapes majeures. Ainsi, du 14 décembre 1995 au 20 décembre 1996, le contingent américain de l'opération Joint Endeavour de I'OTAN avait pour mandat d'appliquer les aspects militaires de l'accord de Dayton : le retrait des troupes serbes, croates et bosniaques vers les territoires désignés ; le retrait des forces onusiennes (FORPRONU) ; l'établissement des conditions de sécurité afin de rendre possible la reconstruction et la réconciliation. La deuxième période, qui tenait entre le 34. Une présentation de la politique américaine d'avant-Dayton a été effectuée par CharlesPhilippe DAVID, « Du contournement à l'engagement : les virages de la diplomatie américaine », dans Alex MACLEOD et Stéphane ROUSSEL, Intérêt national et responsabilités internationales, Montréal, Guérin, 1996, pp. 107-120. La période de l'été-automne 1995 est particulièrement bien analysée par Reneo LUKIC et Allen LYNCH, « La paix américaine pour les Balkans», Études internationales, vol. 27, septembre 1996, pp. 560-569; Léonard COHEN, «Bosnia and Herzegovina: Fragile Peace in a Segmented State», Current History, vol. 95, mars 1996, pp. 103-112. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 243 20 décembre 1996 et le 30 juin 1998, fut caractérisée par les activités de la Force de stabilisation (SFOR). Remplaçant I'IFOR, le mandat de la SFOR était d'empêcher la reprise des hostilités, de consolider les réalisations de la mission précédente, de promouvoir la reconstruction et d'assister les organisations civiles internationales dans ce domaine. Si donc l'objectif central de la mission de I'IFOR était de séparer les forces belligérantes en Bosnie, la SFOR visait davantage le rétablissement de la paix et le redressement des institutions politiques, économiques et sociales de la Bosnie. A — L'expérience de I'IFOR Quatre étapes auront marqué la conduite institutionnelle américaine au cours de la première période. Premièrement, par souci d'établir un échéancier précis pour le déploiement des troupes américaines en Bosnie et de susciter un consensus national sur cette mission somme toute périlleuse, l'administration Clinton déclara que la mission allait rencontrer ses objectifs au plus tard le 20 décembre 1996, date à laquelle les troupes devaient se retirer35. Clinton défendit cet échéancier malgré les critiques d'un Congrès qui tentait de faire valoir ses prérogatives dans le déploiement des troupes et émettait ses doutes quant à l'exécution de ce calendrier. Deuxièmement, les critères de succès de la mission de I'IFOR furent subtilement modifiés durant la première moitié de 1996, au point d'impliquer I'OTAN dans une nouvelle entreprise qui ne pouvait que changer non seulement ses objectifs de mission, mais aussi ses mandats institutionnels traditionnels. Au départ, la vision américaine était d'entreprendre une opération classique de maintien de la paix, dont l'objectif était de séparer les factions rivales armées36. La stratégie de sortie (exit strategy) des forces américaines était conçue uniquement sous l'angle militaire et ne tenait pas compte de la réalisation d'objectifs politiques. Effectivement, avec l'absence de réconciliation politique entre les factions durant les premiers mois de la mission, l'administration se rendit compte que le conflit pouvait bien reprendre même si les combattants avaient été séparés. Elle reconnaissait que la mission de 37 I'IFOR relevait plus de la consolidation de la paix que d'une simple séparation des forces belligérantes. Ainsi, face aux insuccès de la reconstruction 38 , l'administration conclut qu'il fallait maintenir I'IFOR jusqu'à la réalisation effective de ses objectifs civils. 35. Thomas FRIEDMAN, « Foreign Policy Work », NYT, 14 avril 1996, p. D-19 ; Chris HEDGE5, « U.S. and Allies Fail to Strip Top Bosnia Serbs of Power », NYT, 24 mai 1996, p. A-l. 36. Thomas FRIEDMAN, «Exit Strategy», NYT, 24 avril 1996, p. A-21. 37. Barbara CROSSETTE, «U.N. Officiai Urges a Rebuilding Rôle for Peacekeeping Forces», NYT, 22mail996,p.A-ll. 38. Steven ERLANGER, « u.s. Report Says Bosnia Peace is Fragile », NYT, 17 mai 1996, p. A-6. 244 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT Troisièmement, la tenue des élections nationales en Bosnie attira l'attention de l'administration durant l'été 1996. Étant donné que ces élections représentaient pour elle un indicateur de progrès dans la réalisation des objectifs de I'IFOR, l'administration décida d'exercer des pressions en juin sur I'OSCE pour qu'elle se hâte de réunir les conditions nécessaires à la tenue d'un scrutin en septembre, contre l'avis de ses observateurs en Bosnie qui considérèrent cet échéancier trop serré eu égard aux conditions défavorables qu'ils observaient sur le terrain39. Pour Washington, ces élections rendues possibles grâce à la présence des troupes confirmaient les progrès accomplis depuis Dayton, démontraient en outre le succès du processus électoral et autoriseraient par conséquent le retrait des troupes conformément aux délais de l'échéancier établi. Les élections du 14 septembre confirmèrent la victoire démocratique d'Izetbegovic et semblèrent justifier, pour un moment, le retrait annoncé des troupes de I'IFOR. En outre, elles permettaient à Clinton, à la veille de sa réélection possible à la présidence, d'user de fins arguments pour proclamer le succès de sa politique en Bosnie. Quatrièmement, l'administration Clinton admit que les troupes pouvaient rester au-delà du 20 décembre, en raison des insuffisances et des risques observés dans le processus de reconstruction. Cette possibilité de prolonger la mission était en partie due aux représentations alliées, qui n'hésitaient pas à annoncer leur intention de quitter la Bosnie si les États-Unis se retiraient de I'IFOR40. Ainsi, à l'automne, I'OTAN se mit à l'étude des plans de prolongation. Aucune déclaration toutefois ne fut émise avant l'élection présidentielle du 8 novembre. Personne ne se surprit le lendemain lorsque Clinton, réélu à la présidence, déclara vouloir dépêcher un nouveau contingent au sein des effectifs chargés de remplacer I'IFOR, après le 20 décembre41. Lors de l'annonce officielle, le 15 novembre, le Président expliqua que cette nouvelle mission avait pour but de prévenir la reprise des hostilités, de permettre la réconciliation politique et la reconstruction économique. La fin de la nouvelle mission était prévue pour juin 1998. B — L'expérience de la SFOR Lors des audiences de confirmation de Madeleine Albright, à titre de secrétaire d'État, et de William Cohen, en tant que secrétaire à la Défense, le débat reprit sur la stratégie de sortie. Face aux interrogations des sénateurs, Cohen promit que les forces terrestres ne demeureraient pas en Bosnie au-delà de la moitié de 1998 42 . Appuyant les recommandations de son propre secrétaire d'État, qui souhaitait le maintien de la présence américaine, le président 39. Anthony LEWIS, « Bosnia Betrayed Again », NYT, 3 juin 1996, p. A-15. 40. Philip SHENON, « Défense Secretary Says u.s. Troops May Hâve to Remain in Bosnia Well Into Next Year », NYT, 13 juin 1996, p. A-10. 41. Steve ERLANGER, «Président Makes It Officiai: He May Send More Troops to Bosnia Next Year», NYT, 9 novembre 1996, p. A - I l . 42. Pat TOWELL, « Cohen, in Confirmation Hearing, Vows Timely Bosnia Pullout », CQ, 25 janvier 1997, pp. 247-248. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 245 Clinton régla la question, le 10 juin 1997, en affirmant que « les États-Unis ne peuvent tout simplement pas flâner en Bosnie pour disparaître ensuite dans un an43 ». En termes clairs, les États-Unis pensaient prolonger encore une fois la présence de leurs contingents pour une durée supplémentaire. Réalisant que les progrès dans la recherche et la parution des criminels de guerre devant le tribunal international demeuraient somme toute minimes, l'administration suspendit, le 23 mai, les prêts internationaux et la participation aux organisations régionales des gouvernements serbe et croate aussi longtemps qu'ils ne contribuèrent pas à l'arrestation des personnes inculpées par le tribunal. Malgré les réserves du parti républicain44 au Congrès, l'administration recourut à des institutions internationales (OTAN, FMI, Banque mondiale) pour exercer des pressions sur Milosevic et Tudjman, question de les amener à arrêter les criminels recherchés par les procureurs internationaux. Mais après avoir évalué la complexité du problème de l'arrestation des criminels, surtout celle de Karadzij, les Américains conclurent qu'il serait peu probable que la SFOR pût atteindre les objectifs de sa mission avant juin 199845. Entre-temps, le Congrès fit connaître son point de vue sur le retrait éventuel des troupes américaines. Ainsi, le 25 juin, la Chambre vota, par une majorité de 304 voix contre 120, en faveur d'un retrait formel avant le 30 juin 199846 alors que le Sénat prônait, de son côté, le retrait de troupes bien avant l'expiration du mandat 47 . Mais dans un discours à la fin de septembre 1997, le conseiller pour la sécurité nationale, Sandy Berger, fut le premier de son administration à révéler que les troupes américaines pouvaient être appelées à demeurer en Bosnie au-delà de cette date48. Cette déclaration ne fut en fait qu'un préliminaire, car le Président, à la fin de décembre, émit lui-même des doutes sur la possibilité de voir les troupes se retirer avant la fin de son mandat, c'est-à-dire le 20 janvier 200V9 ! Remarquant que l'effort pour la stabilisation politique en Bosnie devait être accru, les États-Unis firent adopter par I'OTAN des mesures pro-actives dont le but était de renforcer la faction modérée serbe, dirigée par Biljana Plavsic, devenue présidente de la république serbe de Bosnie, pour contrer les activités déstabilisatrices de Karadzij et de ses alliés politiques. Les États-Unis 43. Steve ERLANGER, « H O W Bosnia Policy Set Stage for Albright-Cohen Conflict», NYT, 12 juin 1997, p. A-l. 44. Pat TOWELL, «Senate Boosts Some Arms Programs, Sticks to Clinton's Basic Policies», CQ, 19 juillet 1997, pp. 1719-1722. 45. Mike O'CONNOR, « Bosnians Back Home, With Quiet u.s. Help », NYT, 29 juillet 1997, p. A-3. 46. Pat TOWELL, «Pentagon Backers in House Settle for Modest Budget Increase», CQ, 28 juin 1997, pp. 1533-1535. 47. Lizette ALVAREZ, « Senate is Cool to G.I. Mission in Bosnia but Doesn't Cut Off Funds », NYT, 12 juillet 1997, p. A-3 ; Pat TOWELL, « Backers of Tough Stand in Bosnia Urge Clinton tO Rally Public», CQ, 6 septembre 1997, pp. 2087-2088. 48. James KITFIELD, «Getting Out May be the Hard Part», National Journal, 18 octobre 1997, pp. 2096-2097. 49. Pat TOWELL, «Hill Unlikely to Block Extension of Bosnia Deployment», CQ, 20 décembre 1997, p. 3134. 246 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT et leurs alliés prirent en main des installations policières, confisquèrent des stocks d'armes, interdirent des réseaux de télévision incitant à la haine, et démantelèrent des groupes para-militaires serbes afin de diminuer l'influence de la faction menée par Karadzij. Ils augmentèrent l'importance de la faction de Plavsic à travers le renforcement de la sécurité policière et de la protection des médias, de même que l'augmentation de l'aide économique 50 . En raison de plusieurs objectifs que la SFOR n'avait pas encore atteints, les alliés de I'OTAN se rendirent à l'évidence: la mission du SFOR, désormais orientée vers la consolidation de la paix, devait être encore une fois prolongée. Son renouvellement semblait chose acquise parmi les membres de I'OTAN, en dépit du fait que le secrétaire Gohen tenta, en décembre 1997, de les convaincre d'attribuer certaines fonctions de la SFOR à une force de police internationale51. Mais cette proposition ne fut pas retenue. En effet, le 18 février 1998, I'OTAN décida formellement de reconduire au-delà du 30 juin la mission de la SFOR, sans pour autant lui assigner une nouvelle date-butoir, lui précisant par contre qu'elle devait s'appuyer davantage sur l'autorité bosniaque pour atteindre ses objectifs52. C — Discours multilatéral et leadership réaliste Au terme de ce court exposé, il importe de définir la conduite institutionnelle américaine. En premier lieu, Washington s'est efforcé de faire valoir la nécessité du leadership américain afin de justifier l'engagement américain en Bosnie. Pour l'administration Clinton, ce leadership excluait le chevauchement d'institutions internationales dans la prise de décision, dont l'expérience bicéphale ONU-OTAN démontra les effets néfastes, de 1992 à 1995 53 . Après la signature de l'accord de Dayton et au cours de l'exécution du projet de la consolidation de la paix, Clinton consacra une partie importante de ses interventions publiques à démontrer la nécessité de ce leadership dans une entreprise risquée et nouvelle54. La revendication de cette nécessité a suivi, en deuxième lieu, deux motifs dont l'administration Clinton s'est réclamée pour justifier l'intervention américaine. D'une part, la stabilité de l'Europe et la vision libérale ont été deux principes cardinaux qui ont servi de fondement à ces motifs. Pour l'administration Clinton, le chaos et la violence en Bosnie menaçaient la stabilité 50. Chris HEDGES, «Bosnia Jitters: West Fearful of Having to Use Force», NYT, 11 septembre 1997, p. A-6. 51. Steven LEE-MYERS, «ILS. Links Staying in Bosnia to NATO'S Rôle», NYT, 3 décembre 1997, p. A-10. 52. Madeleine ALBRIGHT, «Supporting American Leadership for the 21st Centttry», Dispatch, 26 février 1998, p. 6. 53. Ambassadeur Alexander VERSHBOW, « NATO'S Rôle in Bosnia : Past, Présent, and Future », USIA, Electronic Journal, vol. 3, n° 2, avril 1998. 54. Craig WHITNEY, «NATO Looks to Peacekeeping by Europeans on their Own», NYT, 3 mars 1996, p. A-6. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 247 européenne en raison des flux de réfugiés et de l'exemple fâcheux que la victoire du nationalisme agressif constituait pour les nouvelles démocraties de l'Europe centrale et orientale55. D'autre part, l'avenir de I'OTAN est venu occuper une place centrale dans les considérations politiques de Clinton. Comme certains sénateurs démocrates se plaisaient à le répéter, un échec en Bosnie pouvait sonner le glas du projet de l'élargissement de I'OTAN56. En troisième lieu, le leadership américain s'est exercé à travers les instances institutionnelles multilatérales de I'OTAN présidées de façon prépondérante par les États-Unis. Elles permirent aux Américains de réclamer des Européens qu'ils fissent davantage en Bosnie57. Mais les modalités de l'engagement des États-Unis ont aussi été soumises à des pressions provenant de l'alliance. Ainsi, des pressions indirectes ont été exercées sur les États-Unis à I'OTAN afin de maintenir les forces américaines en Bosnie aussi longtemps que les principaux buts n'avaient pas été atteints58. La France et la Grande-Bretagne, notamment, ont indiqué clairement que la paix en Bosnie serait durement mise à l'épreuve si l'administration Clinton décidait de retirer les troupes américaines59. En outre, les institutions multilatérales ont permis de recourir à l'expérience de I'IFOR et de la SFOR pour renforcer la cohésion de l'alliance dans une entreprise où il fallait allouer des ressources considérables aux fronts sécuritaire, politique et économique 60 . Le multilatéralisme à I'OTAN a notamment servi à mobiliser les pays membres du Partenariat pour la paix, dont la Russie, afin qu'ils s'engagent dans I'IFOR et la SFOR61. L'Alliance atlantique n'était plus le fruit de souhaits et de résolutions, mais le résultat d'une expérience concrète. La primauté de I'OTAN sur I'OSCE OU sur I'ONU semblait acquise. Tandis que l'efficacité dont a fait preuve I'OTAN justifiait aux Américains les ressources investies pour ces expériences, le succès relatif de la présence de I'OTAN rendait encore plus légitime l'engagement armé des États-Unis en vue de rétablir la paix dans un pays où des crimes contre l'humanité étaient commis dans l'impunité. 55. Strobe TALBOTT, «American Leadership and the New Europe: Implementing the Dayton Peace Agreement», Dispatch, 14 décembre 1995, p. 9 1 9 ; Strobe TALBOTT, «The European Answer to the Balkan Question », Dispatch, 17 mars 1998, p. 26. 56. Pat TOWELL, «Backers of Tough Stand in Bosnia Urge Clinton to Rally Public», op.cit., p. 2088. 57. « Mr. Gohen's Caution in Bosnia », Éditorial, NYT, 8 décembre 1997, p. A-24. 58. Steven ERLANGER, «U.S. Held Likely to Keep Troops in Bosnia», NYT, 14 novembre 1996, p. A-10. 59. Chris EDGES, «NATO Drafts Plan to Extend its Mission in Bosnia by Two Years», NYT, 11 septembre 1996, p. A-7. 60. Madeleine ALBRIGHT, « Finding the Path to Lasting Peace in Bosnia », Dispatch, 22 mai 1997, p. 3. 61. Alexander VERSHBOW, op.cit. ; William CLINTON, «The President's News Conférence with Président Chirac of France », Presidential Documents Online, vol. 32, 5 février 1996, pp. 138144. 248 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT III - L'élargissement de POTAN La conduite des États-Unis à l'égard de POTAN prit forme peu à peu à la suite du putsch raté de 1991 en Union soviétique. La possibilité du retour d'un gouvernement ultra-conservateur à Moscou amena la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie à exprimer le souhait de participer aux activités de I'OTAN. Soucieuse de combler le vide géopolitique en Europe de l'Est, l'administration Bush, conjointement avec l'Allemagne, décidèrent alors d'amorcer l'institutionnalisation des liens entre les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) et I'OTAN en appuyant la création du Conseil de coopération Nord Atlantique en 1991, puis en invitant, en 1992, les PECO à participer aux opérations du maintien de la paix menées par I'OTAN en ex-Yougoslavie62. Avec l'administration Clinton, les États-Unis allèrent au-delà du simple rapprochement entre I'OTAN et les PECO. La volonté de Clinton d'appuyer les démocraties naissantes de l'Est, amenèrent par la suite Anthony Lake, le Conseiller national de sécurité et ensuite le Département d'État, à croire en l'adhésion des anciens pays communistes pour assurer la stabilité de l'État de droit et du respect des normes internationales par la diffusion des valeurs démocratiques. Sous l'impulsion déterminante de ces bureaucrates, les ÉtatsUnis délaissèrent la politique du rapprochement, à partir de 1993-94, au profit de celle de l'élargissement. L'élargissement de l'Alliance fut aussi pensé pour servir d'instrument de coordination des relations avec Moscou. Le processus d'élargissement, grâce surtout au Département de la Défense et à certaines factions du Département d'État, fut ainsi assorti de nouveaux liens institutionnels avec la Russie, qui permirent à Moscou de sauver l'honneur et de minimiser la perte afférente de prestige, en obtenant un statut particulier. A — L'intensification des actions américaines À partir de 1993, l'administration Clinton décida de ne plus se limiter à un rapprochement avec les PECO et fit résolument du dossier de l'élargissement une priorité politique. Ce fut des plus hauts échelons de l'administration que vint l'impulsion nécessaire à l'élaboration de la politique américaine de l'élargissement. En effet, en avril 1993, Bill Clinton rencontra Lech Walesa et Vaclav Havel à Washington. Le Président américain fut impressionné par la conviction des deux leaders est-européens qui lui rappelèrent que la priorité pour leurs nations respectives étaient l'adhésion à I'OTAN. Le Président fit part 62. Le CCNA, qui regroupait les seize pays membres de I'OTAN, les PECO, les États baltes et tous les membres de la Communauté des États indépendants (CEI), avait pour tâche de superviser l'établissement de liens institutionnels plus étroits et les relations informelles entre les pays membres, sans toutefois permettre aux pays non membres de I'OTAN de bénéficier de la clause de sécurité mutuelle du Traité de l'Atlantique Nord. Voir Gerald B. SOLOMON, The NATO Enlargement Debate, 1990-1997, Washington D.C, Praeger et csis, 1998, p.13 ; Elaine SCIOLINO, «Clinton Urges Stronger u.s. Stand on Enforcing Bosnia Flight Ban», New York Times, 12 décembre 1992, p.A-1. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 249 de ses impressions favorables à Anthony Lake et un premier tandem très favorable à l'élargissement de l'Alliance prit alors forme63. La première réponse formelle pour calmer les inquiétudes des PECO provint toutefois de l'entourage du Pentagone. Le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le général John Shalikashvili, avança l'idée d'un partenariat pour la paix (PpP)64 en avril 1993. Le PpP cherchait à intensifier la coopération militaire entre les PECO, les États de l'ex-imss et I'OTAN. Plus qu'un simple instrument de consultation tel que le CCNA, le PpP mettait en relation des forces militaires sur le terrain par la création de programmes de planification de défense et d'exercices conjoints65. Pour les promoteurs du projet au Département de la Défense, le PpP devait contribuer à assurer la sécurité du continent par la présence stabilisatrice de la puissance militaire américaine. Il devait aussi servir à répondre aux inquiétudes des PECO et ainsi à contenir les demandes de ces pays pour une expansion de l'Alliance66. Lors de la réunion du Conseil Nord Atlantique de juin 1993, Warren Christopher exprima le désir américain d'aborder la question de l'élargissement lors d'un sommet des chefs d'État à Bruxelles en janvier 1994. Cette annonce donna le coup de départ, au sein du gouvernement américain, à un processus d'évaluation interdépartementale sur la question de l'élargissement afin de recommander au Président une série de mesures à prendre lors de la rencontre de janvier 1994 à Bruxelles. Pour le Département de la Défense, l'expansion comportait plusieurs risques et la continuation du PpP, qui renforçait et rendait opérationnel le CCNA, paraissait préférable. Le Pentagone craignait qu'une expansion ne provoquât le désaveu de la Russie et n'instaurât une nouvelle ligne de démarcation en Europe, cette fois entre pays membres et non membres, tout en diluant l'efficacité de l'Alliance par l'intégration de forces militaires nationales inadéquates 67 . Les opinions émanant du Département d'État étaient alors divergentes. Plusieurs craignaient qu'une expansion n'exaspérât la Russie et n'augmentât l'influence des nationalistes et communistes dans ce pays68. Ces craintes semblèrent se confirmer à la mi-septembre 1993, lorsque Boris Eltsine fit parvenir une lettre secrète aux chefs d'État du Royaume-Uni, de la France, de 63. James M. GOLDGEIER, « NATO Expansion : The Anatomy of a Décision », Washington Quarterly, hiver 1998, vol. 21, n° 1, pp. 86-87. 64. L'idée du PpP fut initialement proposée par Jeffrey Simon, un chercheur de l'Institute for National Stratégie Studies de la National Défense University à la fin de 1992. Le concept sera ensuite développé par le commandement américain en Europe, le Département de la Défense et, finalement, par le Département d'État. Voir Gerald SOLOMON, op.cit. 65. OTAN, Manuel de I'OTAN, Bruxelles, OTAN, Bureau de l'information et de la presse, juin 1996, pp. 54-57. 66. Elaine SCIOLINO, « u.s. to Offer Plan on a Rôle in NATO for Ex-Soviet Bloc », NYT, 21 octobre 1993, p. A-l ; Stephen KINZER, « NATO favors u.s. Plan for Ties with the East, But Timing Is Vague », NYT, 22 octobre 1993, p. A-l. 67. James GOLDGEIER, op. cit., pp. 87-88. 68. Ibid., p. 88. 250 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT l'Allemagne et des États-Unis. Le Président russe y indiquait que l'élargissement de I'OTAN à l'Est compromettrait gravement l'esprit de l'accord conclu entre les puissances sur la réunification allemande. Eltsine préférait que I'OTAN et la Russie offrent des garanties de sécurité aux PECO dans le cadre d'une déclaration politique ou d'un traité de coopération entre I'OTAN et la Russie69. Malgré ces avertissements et les craintes de certains pans de la bureaucratie envers les répercussions de l'expansion sur la Russie, le Conseil national de sécurité indiqua aux hauts responsables du Département d'État et du Pentagone que le Président et Anthony Lake étaient intéressés à épouser la voie de l'élargissement. Pour Lake, particulièrement, le choix était clair: I'OTAN devait accueillir les PECO afin d'agrandir la sphère démocratique à travers la diffusion des valeurs libérales et l'appui à la libéralisation économique et politique70. À partir de la fin septembre et du début d'octobre 1993, alors que la situation politique en Russie paraissait se détériorer, les débats entre factions au Département d'État prirent de l'ampleur. Le secrétaire d'État restait à convaincre. Les promoteurs de l'élargissement rapide 71 croyaient que les anciens pays de l'Est s'écarteraient du chemin de la réforme politique et économique s'ils n'étaient pas ancrés dans une institution de l'Ouest. Pour cette faction, la perspective d'une adhésion à I'OTAN devait servir d'incitation à la poursuite de réformes72. Une deuxième faction, menée par Strobe Talbott, alors ambassadeur spécial pour les Nouveaux États Indépendants, prônait plutôt une approche prudente et graduelle73. Cette faction craignait que l'expansion ne crée des frictions au sein de l'Alliance et ne compromette les efforts de réforme en Russie. Talbott et Nicholas Burns indiquèrent à Warren Christopher que la Russie ne pourrait accepter une expansion rapide car elle l'aurait perçue comme une provocation74. Le 18 octobre, Christopher adopta un compromis entre les positions de Lake et celles d'Aspin et Shalikashvili. Il entreprit donc de proposer la présentation du PpP à Bruxelles tout en demeurant équivoque quant à l'élargissement, sans toutefois l'exclure. Clinton souscrit à ce compromis et les États-Unis 69. Gerald SOLOMON, op.cit., pp. 23-24. 70. Anthony LAKE, « From Containment to Enlargement», op.cit. Voir aussi Anthony LAKE, «A Strategy of Enlargement and the Developing World », Dispatch, 25 octobre 1993, pp. 748751. 71. Les promoteurs de cette option se regroupaient autour de Lynn Davis, secrétaire adjointe pour la sécurité internationale et le contrôle des armements, Steve Flanagan, du Groupe de la planification des politiques, Thomas Donilon, chef de cabinet, et de Dennis Ross, le coordonateur spécial du Président pour le Moyen-Orient. 72. James GOLDGEIER, op.cit, pp. 88-89. 73. Les promoteurs de cette approche incluaient les agents du Département d'État affectés à I'OTAN de même que ceux attachés aux directions géographiques de la Russie et de l'Europe de l'Est, ainsi que Nicholas Burns, directeur de la direction de la Russie, de l'Ukraine et des affaires eurasiennes au Conseil national de sécurité 74. Ibid., pp. 89-90. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 251 présentèrent le PpP à Bruxelles et annoncèrent leur intention de voir l'Alliance s'élargir éventuellement75. Lake perçut toutefois la déclaration du Président comme le signal d'un lancement des préparatifs à l'élargissement. Les promoteurs de l'expansion rapide, menés par Lake, réussirent à surmonter les résistances de Talbott en associant l'objectif d'élargissement à la nécessité de maintenir de bonnes relations avec Moscou. À partir de l'été 1994, le Département d'État et le Conseil national de sécurité adoptèrent une approche commune. L'élargissement de I'OTAN et le renforcement de la relation spéciale OTAN-Russie constitueraient dorénavant deux politiques à suivre. En dépit de son envie de procéder à l'élargissement, Clinton n'était pas insensible aux problèmes que la Russie éprouvait avec le projet76. Moscou ne rejeta pas le PpP, mais désirait négocier sur un même pied avec l'Alliance. La Russie cherchait encore à subordonner I'OTAN à I'OSCE et à empêcher tout élargissement à l'Est, mais elle signa néanmoins le document qui conclut son intégration au PpP, le 22 juin 199477. Pour Clinton, les efforts américains de démocratisation et de libéralisation en Russie ne devaient pas être vains78. Même si Clinton désirait que l'identification des pays qui accéderaient à l'Alliance ne se fasse qu'après les élections présidentielles russes et américaines de 1996, le Congrès américain insista pour que le Président soit plus spécifique79. Avec la victoire des Républicains au Congrès en novembre 1994, les pressions en faveur d'un élargissement rapide s'accentuèrent80. Par l'adoption du « NATO Expansion Act » et du « NATO Participation Act Amendments of 1995 » en février et mars 1995, le Congrès républicain identifia la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie comme éventuels membres de l'Alliance, en plus de faire miroiter cette possibilité à l'Albanie, aux pays Baltes, à l'Ukraine, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Slovénie81. Ces pressions du Congrès, ajoutées au penchant de Clinton pour l'élargissement et à la motivation de Lake, viendront finalement à bout des objections du Département de la Défense, par l'intermédiaire de Richard Holbrooke. Nommé secrétaire d'État adjoint pour les Affaires européennes à l'été de 1994, Holbrooke mit un terme aux objections du Département de la 75. William J. CLINTON, Public Papers, 1994, Livre 1, p. 40, cité dans GOLDGEIER, op.cit, p. 102. 76. Warsaw Gazeta Wyborcza, «Clinton Seeks Not to «Offend» Yeltsin», International Intelligence Report, 10 juillet 1994. 77. Gerald SOLOMON, op.cit, pp. 53-56. 78. James GOLDGEIER, op.cit, p. 97. 79. Le Sénat adopta le 15 juillet le « NATO Participation Act oj1994 » qui fournissait des fonds à la Pologne, la Hongrie et la République tchèque pour faciliter leur transition et devenir membres de I'OTAN. 80. «House GOP Offers Descriptions of Bills to Enact «Contract», CQ, 19 novembre 1994, p. 3374. 81. Pat TOWELL, «House Votes to Sharply Rein In u.s. Peacekeeping Expenses», CQ, 18 février 1995, p. 538; Carroll J. DOHERTY, «Contract» Proposais Survive in Altered Forms», CQ, 25 mars 1995, p. 878. 252 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT Défense à l'automne 1995 en faisant savoir qu'un refus de paver la voie à l'élargissement, malgré le souhait du Président, lui paraissait correspondre à de l'insubordination 82 . Une fois les résistances bureaucratiques vaincues, le secrétaire Christopher donna officiellement, à Bruxelles, le 5 décembre 1995, un nouvel élan au projet d'élargissement en spécifiant les premières modalités du processus. L'OTAN devait ainsi mener une série de réunions avec les pays qui avaient manifesté leur intérêt à devenir membres de l'Alliance. Cette série de rencontres devait permettre à I'OTAN de s'assurer que les partenaires intéressés seraient prêts à assumer les responsabilités militaires qu'impliquait l'adhésion à l'Alliance et de concevoir un mode d'élargissement qui ne porterait pas atteinte à l'efficacité militaire de l'Alliance83. Les appréhensions de la Russie face à ce développement furent apaisées partiellement dans les mois précédant l'annonce. Après que Eltsine eut déclaré que l'élargissement eût provoqué une guerre en Europe84, les États-Unis et les Alliés accédèrent aux demandes de Moscou à l'effet que le traité des forces conventionnelles en Europe devait être revu. L'OTAN indiqua également que l'Alliance ne déploierait pas de troupes alliées de manière permanente en temps de paix ni d'armes nucléaires sur le territoire d'éventuels nouveaux membres 85 . B — Discours multilatéral et leadership réaliste (bis !) À partir de 1996, l'administration se rapprocha de la position du Congrès en désignant les pays qui feraient partie de l'élargissement. Cette accélération du processus d'élargissement s'accompagna, par ailleurs, d'une importante institutionnalisation des liens avec la Russie, notamment afin d'apaiser les craintes du Département de la Défense et de certaines factions du Département d'État. À la veille des élections présidentielles, l'administration vanta les mérites du projet d'élargissement en le présentant comme un moyen d'assurer la stabilité du continent et de promouvoir la démocratie et l'économie de marché, mais aussi comme un outil et une réflexion du leadership américain86. Au même moment, le Congrès poursuivit ses pressions afin d'amener l'administration à spécifier l'identité des nouveaux membres ainsi que leur date d'adhésion. En juillet 1996, la Chambre des représentants et le Sénat adoptèrent 82. James M. GOLDGEIER, op.cit., pp. 97-99. 83. Warren CHRISTOPHER, « NATO : Reaching Out to New Partners and New Challenges », Dispatch, décembre 1995, p. 903 ; Jane PERLEZ, « Bosnia : Proving Ground for NATO Contendérs », NYT, 9 décembre 1995, p. A-5. 84. Steven ERLANGER, « In A New Attack Against NATO, Yeltsin Talks of « Conflagration of War », NYT, 9 septembre 1995, p. A-5. 85. Craig WHITNEY, « NATO Présents Plan to Expand Alliance », NYT, 29 septembre 1995, p. A-14. 86. Warren CHRISTOPHER, «Leadership for the Next American Century», Dispatch, 22 janvier 1996, pp. 9-12 ; Warren CHRISTOPHER, «A New Atlantic Community for the 21st Century», Dispatch, 9 septembre 1996, pp. 449-452. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 253 massivement le « NATO Enlargement Facilitation Act of 1996 ». Le projet de loi identifiait la Pologne, la Hongrie et la République tchèque comme étant les pays pouvant adhérer. 11 prévoyait l'octroi de 60 millions $ us à chaque pays pour faciliter la réalisation de cet objectif et signalait aussi que cette première vague d'élargissement ne devait pas être la dernière87. Le Président applaudit l'initiative bipartisane du Congrès et demanda, en septembre, qu'un Sommet de I'OTAN soit tenu en 1997 afin de déterminer l'identité des nouveaux membres. En octobre, Clinton annonça que le premier groupe de pays serait invité à joindre I'OTAN en 199988. Ce rapprochement de l'administration vers les positions du Congrès s'effectua toutefois en concordance avec l'évolution du dialogue avec Moscou. Le 4 septembre, le ministre des Affaires étrangères de Russie, Yvgeny Primakov, discuta à Bonn avec I'OTAN afin d'établir les bases d'un dialogue entre l'Alliance et Moscou. En réponse à cette ouverture, le secrétaire à la Défense, William Perry, présenta un programme de coopération entre I'OTAN et la Russie. Le programme comprenait l'établissement d'une liaison militaire permanente avec I'OTAN, des consultations pour le prolongement de I'IFOR, une planification russe dans la planification des Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), un mécanisme de consultation en temps de crise ainsi que la création d'un horaire précis de consultations entre autorités militaires russes et otaniennes 89 . La porte de la coopération avec Moscou ayant été entrouverte, le secrétaire Christopher annonça à la réunion du NAC à Bruxelles en décembre 1996 que le Sommet de Madrid de 1997 marquerait l'annonce des nouveaux membres pour 1999. Les États-Unis, par leurs actions à venir allaient veiller unilatéralement à ce que les craintes de Moscou soient apaisées afin de permettre au projet d'aller de l'avant. Le Sommet fut ainsi précédé de négociations intenses entre Moscou et les États-Unis. Lors du sommet bilatéral de mars 1997 à Helsinki, Clinton et Eltsine ne parvinrent pas à s'entendre à propos du processus d'élargissement mais acceptèrent de minimiser ces différences d'opinions. Alors que les États-Unis proposaient une Charte pour gouverner les relations entre I'OTAN et la Russie et la création d'un Conseil conjoint OTAN-Russie qui servirait de forum de discussions et de consultations, les Russes insistaient toujours pour que les activités de I'OTAN hors de sa zone propre fussent autorisées par I'OSCE OU I'ONU, deux institutions dont la Russie est membre à part entière et où elle peut disposer d'une influence déterminante 90 . 87. « House Panel Approves Bill on NATO Membership », CQ, 13 juillet 1996, p. 1984 ; Pat TOWELL, «Senate Backs NATO Expansion», Congressional Quarterly, 27 juillet 1996, p. 2132. 88. Bill CLINTON, « The Legacy of America's Leadership as We Enter the 21st Century », op.cit. 89. Gerald SOLOMON, op. cit., pp. 98-99. 90. Alison MITCHELL, «Summit Talks End with Agreements but not for NATO», NYT, 22 mars 1997, p. A-l ; Steven ERLANGER, « Clinton and Yeltsin Manage to Get Along», NYT, 23 mars 1997, p. D-2. 254 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT L'administration justifia les propositions de rapprochement entre I'OTAN et Moscou au Congrès et au public américain en cela que l'institutionnalisation des liens avec la Russie ne limitera pas le pouvoir d'action de l'Alliance91. Le 27 mai 1997, l'« Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre I'OTAN et la Fédération de Russie » fut signé. L'Acte définit les objectifs et les mécanismes de consultation, de coopération, de décision conjointe et d'action conjointe entre la Russie et I'OTAN. Pour les États-Unis, l'Acte fournissait un outil de plus pour gérer ses relations avec Moscou et leur permettait d'endiguer les réactions russes face à l'imminent élargissement92. Le Sommet de Madrid entérina la décision des Américains d'ouvrir les portes de 93 I'OTAN à la Pologne, à la République tchèque et à la Hongrie dès 1999 , même si Moscou s'opposa jusqu'à la fin à l'élargissement. En mars et avril 1998, le Sénat et la Chambre des représentants approuvèrent, sans controverse et sans débat d'envergure, l'élargissement proposé à Madrid. Ce consensus entre le législatif et l'exécutif aura permis à l'administration Clinton d'exercer un leadership fort au sein de l'Alliance tout au long du processus d'élargissement, surtout lors des années 1996 à 1998. Conclusion L'étude de ces trois cas nous permet d'identifier certaines similarités dans le comportement américain. L'analyse démontre que la rhétorique multilatérale des premiers mois de l'administration Clinton s'est graduellement adoucie au profit de l'affirmation réaliste du rôle des États-Unis dans le maintien de la sécurité internationale. Le leadership américain s'est exercé à travers les institutions, sans pour autant que celles-ci influencent grandement la définition et la réalisation des objectifs américains. Premièrement, dans les trois cas, les débats au sein du gouvernement ont grandement dicté le comportement américain. L'élaboration et l'évolution de la politique américaine envers l'intervention en Bosnie et l'élargissement de I'OTAN ont été marqués par les débats et la formation de coalitions au sein de l'Exécutif. Le Département d'État, mené par Albright, a ainsi tempéré les ardeurs du secrétaire à la Défense en demeurant farouchement partisane de l'engagement militaire en Bosnie, tel que souhaité par les Alliés. Dans le cas de I'OTAN, les débats et les compromis entre le Conseil national de sécurité, le Département de la Défense et le Département d'État ont engendré une politique qui, tout en prônant l'élargissement rapide, accommodait aussi la Russie. Dans ces deux cas, le rôle du Congrès, quoiqu'important, fut limité. L'admi91. Madeleine ALBRIGHT, « Statement before the Senate Foreign Relations Committee », 8 janvier 1997 ; Madeleine ALBRIGHT, « Speaking to Russian Opinion Leaders about NATO Enlargement », Dispatch, mai 1997, pp. 16-17. 92. Alison MITCHELL, « Clinton at West Point, Says Bigger NATO Lessens Chance of War », NYT, 1er juin 1997 ; Steven ERLANGER, « Yeltsin Balks at Summit ; Some Europeans Are Cool to the u.s. », NYT, 21 juin 1997. 93. Cette décision est contestée par les autres membres de rAlliance. Voir Gerald SOLOMON, op. cit., p. 132. DISCOURS MULTILATÉRALISTE, LEADERSHIP RÉALISTE... 255 nistration a eu les coudées franches pour mener sa politique tout en tenant compte des limites acceptées par le Congrès, soit la définition et la durée de l'engagement en Bosnie et la rapidité et l'ampleur de l'élargissement dans le cas de I'OTAN. Les facteurs internes ont aussi été déterminants dans le comportement américain face à la réforme du Conseil de sécurité. Dans ce cas, toutefois, le Congrès a joué un rôle déterminant. En s'opposant à la dotation d'un nouveau mandat et d'une plus grande capacité d'action au Conseil dans le maintien de la sécurité internationale, le Congrès aura étouffé les intentions initiales de l'administration Clinton de permettre à l'institution de répondre aux défis de l'après-guerre froide. Les attaques des congressistes quant au rôle du Conseil et leurs demandes de réforme financière et bureaucratique auront façonné l'enjeu de l'expansion du Conseil. Deuxièmement, nous notons que les acteurs externes ont eu plus d'influence sur le comportement des États-Unis que les acteurs non gouvernementaux du pays. Dans aucun des trois cas, l'opinion publique ou des groupes d'intérêts n'ont exercé une influence déterminante dans l'évolution de la conduite américaine. En revanche, dans les cas de la Bosnie, les Alliés ont exercé des pressions afin que les troupes américaines demeurent sur le territoire bosniaque. Les Européens ont ainsi fait savoir aux États-Unis qu'un retrait de leurs troupes compromettrait l'ensemble de la mission et minerait le processus de revitalisation de I'OTAN. Dans le cas de l'élargissement, la Russie a exercé une influence déterminante. Les récriminations de Eltsine à Clinton, associées aux préoccupations que les réactions russes provoquèrent au Département d'État, assurèrent que l'élargissement serait accompagné de nouveaux liens de I'OTAN avec la Russie. Troisièmement, les institutions internationales de sécurité ont peu limité les actions américaines. Les États-Unis ont réussi à remodeler (dans le cas de l'élargissement) ou prévenir le changement (dans le cas de I'ONU) des institutions, de même qu'à influencer leurs rôles et actions. Les institutions n'ont donc pas permis de donner une influence équivalente à ses différents membres. En général, les institutions internationales de sécurité ont servi de complément aux pratiques souhaitées par les États-Unis. Ainsi, l'impression, en 1992-1993, que le Conseil de sécurité pourrait plutôt servir de substitut aux pratiques américaines en intervenant massivement pour réagir aux tragédies humanitaires aura soulevé un tollé au Congrès. Quatrièmement, les questions de gains relatifs (répartition de la puissance) furent importantes. La volonté américaine de maintenir ses privilèges de membre permanent et de limiter l'expansion d'une telle influence à de nouveaux États aura amené les États-Unis à souhaiter une réforme du Conseil de sécurité qui se rapprochait du statu quo. En Bosnie, I'OTAN fut substituée à I'ONU comme instrument d'intervention largement en raison de l'influence plus grande dont y jouissaient les États-Unis. Dans le cas de l'élargissement de I'OTAN, les États-Unis constatèrent que la transformation de l'Alliance causerait des craintes et une perte de prestige pour la Russie. À travers la création de 256 Martin ROY, Charles-Philippe DAVID et Jean-Philippe RACICOT nouveaux liens entre l'institution et Moscou, les États-Unis parvinrent à doter la Russie d'un statut satisfaisant. Finalement, les stratégies institutionnelles poursuivies par les États-Unis ont été déterminées par le besoin de combler le vide géopolitique en Europe de même que par la nécessité de concilier les différents courants idéologiques nationaux par rapport au rôle des États-Unis à l'échelle internationale. Ces courants se reflétèrent, d'une part, dans le désir de propager les valeurs libérales et, d'autre part, dans le besoin de leadership américain. Les objectifs de sécurité des États-Unis demeuraient en partie inspirés des approches kantienne et wilsonienne par le postulat que la diffusion des valeurs libérales mènerait à une réduction des conflits. Les moyens utilisés pour atteindre ces objectifs, toutefois, relevaient davantage du réalisme. Les États-Unis ont exercé leur leadership à travers les institutions afin, d'une part, de définir l'agenda en fonction de leurs intérêts et, d'autre part, d'assurer la réalisation de leurs objectifs. Au Conseil de sécurité, les États-Unis ont redéfini l'enjeu de la réforme en fonction de leur volonté de circonscrire la capacité d'action du Conseil dans le maintien de la sécurité internationale et de préserver les prérogatives des membres permanents. En Bosnie, le leadership américain s'est notamment reflété par l'engagement de la diplomatie américaine à placer les opérations sous le contrôle exclusif de I'OTAN, de même qu'à demander une plus grande contribution aux Alliés, et à intégrer les membres du PpP aux opérations. Dans le cas de l'élargissement de I'OTAN, le leadership américain s'est manifesté le plus éloquemment à partir de 1996 alors que les États-Unis ont défini les modalités de l'élargissement sans céder aux demandes des Alliés et ont pris l'initiative de négocier directement avec la Russie afin d'apaiser les craintes de Moscou. Dans les trois cas, les institutions ont été utilisées par les États-Unis dans la mesure où elles ne limitaient pas l'exercice du leadership. Les institutions n'ont pas grandement influencé la définition des intérêts ou des objectifs américains. Elles n'ont pas non plus limité la capacité des États-Unis de poursuivre leurs objectifs.