Un genou instable

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CONCOURS➔ FORMATION
DIAGNOSTIC
Un genou
instable
Mohamed EL MOUHADDAB, Laurent MATHIEU,
Sébastien MVOGO, Gilbert VERSIER
Serv. chirurgie orthopédique, HIA Begin, Saint-Mandé
OBSERVATION
Un patient de 35 ans, d’une taille de 1,91 m pour un poids
de 90 kg, sportif de loisirs (handball), consulte pour des
dérobements et déboîtements du genou droit à répétition.
Il a été victime, il y a dix mois, d’une entorse grave du
genou droit lors d’un accident de sport, avec un mécanisme en valgus, flexion et rotation externe. La classique
triade, douleur initiale vive, craquement audible et gonflement immédiat, était réunie. Le patient a été traité par
immobilisation pendant trois semaines, suivie d’une
rééducation, et, depuis, il se plaint d’une instabilité du
genou droit avec dérobement, suivi de douleurs. Il rapporte aussi des blocages et des épisodes d’épanchement
également à répétition. Ces dérobements deviennent de
plus en plus fréquents, gênant le patient dans la vie quotidienne et interdisant toute activité sportive.
L’examen clinique du genou montre la présence d’une
laxité articulaire antérieure pathologique avec, lors du
test de Trillat-Lackman, la perception d’un arrêt mou, la
présence d’un tiroir antérieur en flexion à 90 ° et d’un ressaut rotatoire franc en valgus-extension : le Dejour-test
est positif. L’examen loco-régional trouve des axes normaux, une mobilité articulaire normale et complète, une
douleur sur l’interligne interne, un épanchement intraarticulaire, une absence de laxité frontale et ne trouve pas
d’avalement de la tubérosité tibiale antérieure ni de tiroir
postérieur.
L’imagerie comprend des radiographies du genou de face
en appui monopodal et de profil sans anomalie.
DISCUSSION
L’instabilité du genou peut avoir plusieurs origines :
• Une origine ligamentaire, qui donne une impression
de déboîtement, de lâchage et de dérobement de genou.
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Parfois, il peut s’agir d’une simple douleur (névrome
intra- ligamentaire). L’examen clinique confirme le diagnostic.
• Une origine rotulienne : le tableau clinique peut être fait
d’épisodes d’instabilité à répétition pouvant aller jusqu’à
une luxation vraie de la rotule. Cette instabilité donne
l’impression d’un mauvais engagement de la rotule dès
le début de la flexion, contrairement à l’instabilité ligamentaire, qui donne celle d’un déboîtement ou d’un ressaut du genou. L’examen clinique élimine cette instabilité en l’absence d’appréhension à la manœuvre de Smilie,
qui pousse la rotule en dehors d’une position d’extension
vers une position de flexion.
• Une origine méniscale : cette instabilité peut être en rapport avec l’existence d’une languette libre qui, à tout
moment de la marche, peut s’interposer entre les surfaces
articulaires, à l’origine d’une douleur aiguë. C’est l’impression de dérangement interne de Trillat-Lackman.
L’examen clinique trouve un point douloureux sur la partie postérieure des interlignes, un cri méniscal d’Oudard
lors de l’extension active et une douleur à la compression
axiale selon le Grinding test d’Appley et lors de la
manœuvre de MacMurray. Il s’agit le plus souvent d’une
atteinte du ménisque interne.
• Une origine ostéo-chondrale, avec présence de corps
étrangers cartilagineux s’interposant entre les surfaces
articulaires.
• Une instabilité par rupture de l’appareil extenseur, insuffisance du quadriceps par hypotrophie ou fatigabilité.
L’examen clinique et l’IRM permettent de déterminer le
plus souvent la cause d’instabilité. Cette instabilité peut
être aiguë (entorse du ligament croisé antérieur, épisode
aigu d’instabilité sur laxité chronique) ou chronique à
répétition.
L’IRM confirme la rupture du ligament croisé antérieur
et retrouve également une lésion de la corne postérieure
et du segment moyen du ménisque interne droit. Au
terme de l’examen clinique et paraclinique, on retient une
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— les signes fonctionnels à la phase
chronique : l’instabilité, qui est le
maître-symptôme ; la douleur fugace
et contemporaine des déboîtements ;
l’épanchement permanent ou après
effort ; les blocages avec impossibilité
d’étendre le genou, évocateurs d’une
lésion méniscale associée (à différenFig. 1. Fracture
cier des pseudo-blocages fugaces, en
de Segond.
éclair, dus à un accrochage rotulien).
L’examen clinique a pour but de
confirmer la rupture du ligament
croisé antérieur, d’identifier d’éventuelles lésions associées ligamentaires, méniscales ou ostéo-chondrales.
Il doit être programmé, systématique,
bilatéral et comparatif. Il précise :
• À l’inspection :
Fig. 2. IRM : rupture du ligament croisé antérieur.
Fig. 3. Orthèse articulée.
— en position debout : le morphotype
du genou dans le plan frontal (genu
laxité peu évoluée avec instabilité compliquée sur le plan
varum, genu valgum), une hypotrophie du quadriceps
ménisco-chondral, évoluant sur un membre axé et sur
quantifiable au mètre ruban ;
un terrain psychologique favorable.
— en position couchée : un gros genou, un flexum fin.
Sur le plan thérapeutique, le patient bénéficie d’une liga• À La palpation :
mentoplastie du ligament croisé antérieur sous arthro— un choc rotulien, qui signe un épanchement intra-artiscopie par transplant libre réalisé par les tendons du droit
culaire (hydarthrose, hémarthrose lors des épisodes
interne et du demi-tendineux, associé à une méniscectoaigus) ;
mie partielle du ménisque interne. Les suites sont
— la mobilité articulaire en actif et en passif, qu’on notera
simples. Après rééducation, le patient est satisfait, il n’a
dans le sens recurvatum/extension/ flexion, le plus souni douleur, ni instabilité du genou et la récupération de
vent normale (normale : 10-0-140).
la mobilité est totale. La reprise du sport s’est effectuée
• L’évaluation de la laxité dans tous les plans : sagittal (test
sans restriction au dixième mois postopératoire et, à deux
de Trillat-Lackman), frontal (lésion des formations périans de recul, le résultat fonctionnel et anatomique s’est
phériques associée) et horizontal.
maintenu.
• L’intégrité des autres ligaments et des ménisques doit
Conclusion : laxité antérieure chronique du genou
être également précisée.
d’origine ligamentaire
Bilan paraclinique
• Les radiographies standard, avec radiographie du genou
COMMENTAIRE
de face et de profil, défilé fémoro-patellaire à 30° de
La lésion du ligament croisé antérieur est fréquente et
flexion, recherchent :
évolutive ; elle occupe une place de premier plan dans la
— des signes indirects de rupture du ligament croisé antépathologie du genou et touche par excellence une popurieur : fracture des épines tibiales, ou fracture de Segond
lation jeune et sportive, essentiellement masculine. La
(fig. 1), qui correspond à un arrachement capsulaire
laxité qu’elle entraîne peut s’associer à une instabilité
antéro-externe ;
plus ou moins invalidante et expose, à la longue, à des
— le retentissement cartilagineux par la présence d’une
complications dégénératives, ménisco-chondrales en
arthrose fémoro-tibiale ;
tache d’huile, aboutissant à la gonarthrose à moyen
— une autre fracture ou un corps étranger intra-articulaire.
terme.
• Les radiographies dynamiques vont quantifier la laxité de
Diagnostic clinique
façon objective sur des clichés comparatifs en appui monoL’interrogatoire recherche :
podal de profil strict à 30° de flexion et des clichés en posi— le mécanisme de l’accident initial, la symptomatologie
tion de Lachman actif ou passif par la mesure de la transinitiale (recherche de signes de gravité : triade) ; il prélation tibiale antérieure différentielle, qui est un excellent
cise le caractère appuyé ou non du traumatisme sympmoyen diagnostique de rupture unilatérale du ligament
tomatique initial.
croisé antérieur, si sa valeur est supérieure à 2 mm (3).
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L’essentiel
Cette rupture est dite évoluée ou associée si la translation
tibiale antérieure différentielle est supérieure à 5 mm.
• L’IRM (fig. 2), non systématique et moins performante
en situation chronique, avec une sensibilité de 80 %
versus 100 % en situation aiguë (5), montre :
— un ligament croisé antérieur rompu en plein corps ou
couché en nourrice sur le ligament croisé postérieur ;
— elle permet également de détecter des lésions associées
méniscales ligamentaires et ostéo-chondrales.
Évolution
L’histoire naturelle de la rupture du ligament croisé antérieur se fait inexorablement vers l’arthrose. Le ligament
croisé antérieur peut, exceptionnellement, cicatriser en
bonne place (avulsion osseuse au pied), sans laxité ni
instabilité résiduelle. Il peut cicatriser en nourrice sur le
ligament croisé postérieur si la lésion est haute, ce qui
limite la sensation d’instabilité. Il peut également se
nécroser, avec apparition d’une laxité ou d’une instabilité, source d’un véritable ressaut. Il s’ensuit, par l’existence de cette laxité et surtout du fait de la toxicité du ressaut réducteur, une dégradation progressive du ménisque
interne et du cartilage, qui va augmenter la laxité et l’instabilité (cercle vicieux) à l’origine de crises articulaires
Il faut distinguer l’instabilité de la laxité, qui
se définit comme l’augmentation objective de la
translation antérieure du tibia secondaire à une
rupture de ligament croisé antérieur.
Le diagnostic de l’instabilité antérieure chronique du genou est clinique. L’IRM a un intérêt pour le bilan lésionnel et la recherche de
lésions associées.
Le traitement nécessite une grande participation du patient, en particulier pour la rééducation, qui sera longue et intensive. Seules les plasties intra-articulaires corrigent l’instabilité et
la laxité et limitent les complications.
récidivantes, avec une évolution inéluctable vers l’arthrose (100 % des cas après vingt-cinq ans d’évolution).
Traitement
• Le but du traitement est de stabiliser le genou en supprimant le ressaut, limiter et contrôler la translation
tibiale antérieure pour éviter l’apparition de lésions
secondaires dégénératives.
• Les moyens
— médicaux : traitement symptomatique des épisodes
d’instabilité (antalgiques, AINS, héparines de bas poids
moléculaire en cas de décharge) ;
— fonctionnels : orthèse articulée sur mesure pour limiter l’instabilité (fig. 3) ; rééducation, qui aura pour objectif de compenser l’absence du ligament croisé antérieur
par l’amélioration du contrôle actif du genou, en insistant sur la proprioception et le renforcement des ischiojambiers ;
— chirurgicaux : la chirurgie reste le traitement de choix
pour les personnes actives et sportives.
• Reconstruction du pivot central par ligamentoplastie
par des transplants autologues prélevés aux dépens de
l’appareil extenseur ou des tendons de la patte d’oie.
• Traitement des lésions associées méniscales en privilégiant les techniques conservatrices (suture), cartilagineuses par, en particulier, le microfraturing, la mosaicplasty et les plasties des formations externes en cas de
lésion du poplité.
Résultats
L’évaluation des résultats des ligamentoplasties (selon le
score IKDC) est bon dans plus de 90 % des cas à deux ans
de recul (reprise du même sport au même niveau). Néanmoins, à moyen terme, la réduction de l’arthrose dépend
des lésions associées initiales ménisco-chondrales et de
la laxité résiduelle. En leur absence, le taux d’arthrose est
plus faible à vingt-cinq ans de recul. ■ 411935
A U T E U R S
M. el Mouhaddab, L. Marthieu, S. Mvogo : Ass. Hôp. des Armées
G. Versier, Pr agr. Val-de-Grâce
Service de chirurgie orthopédique, HIA Begin, 69, avenue de Paris
94160 Saint-Mandé
R
Summary
Instability of the knee must
be distinguished from laxity,
which is defined as an objective
increase in anterior tibial
translation caused by rupture of
the anterior cruciate ligament.
●
Diagnosis of chronic
anterior instability of the
knee is reached during clinical
examination. MRI is useful in
●
assessing the lesion and
checking for associated lesions.
Treatment requires a high
level of patient cooperation,
particularly during physical
therapy, which is both lengthy
and intensive. Only intraarticular surgical repair can
correct instability or laxity and
reduce the risk of complications.
●
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É
F
É
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E
N
C
E
S
1. Boerre NR, Ackpoyd CE. Assessment of the menici and cruciate
ligaments : an audit clinical practice. Injury 1991 ; 22 : 291-294.
2. Bousquet G. Diagnostic des laxités chroniques du genou :
Rev Chir Orthop Réparatrice Appar Mot 1972 ; 58 : 71-77.
3. Dejour H, Bonnin M. Tibial translation after anterior cruciate
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external rotational recurvatum test for posterolateral instability
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tears of the anterior cruciate ligament : differential features at
MR imaging. Radiology 1991 ; 181 : 251-253.
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