241 a 243/CM05_diagnostc 31/01/06 13:50 LE Page 1 CONCOURS➔ FORMATION DIAGNOSTIC Un genou instable Mohamed EL MOUHADDAB, Laurent MATHIEU, Sébastien MVOGO, Gilbert VERSIER Serv. chirurgie orthopédique, HIA Begin, Saint-Mandé OBSERVATION Un patient de 35 ans, d’une taille de 1,91 m pour un poids de 90 kg, sportif de loisirs (handball), consulte pour des dérobements et déboîtements du genou droit à répétition. Il a été victime, il y a dix mois, d’une entorse grave du genou droit lors d’un accident de sport, avec un mécanisme en valgus, flexion et rotation externe. La classique triade, douleur initiale vive, craquement audible et gonflement immédiat, était réunie. Le patient a été traité par immobilisation pendant trois semaines, suivie d’une rééducation, et, depuis, il se plaint d’une instabilité du genou droit avec dérobement, suivi de douleurs. Il rapporte aussi des blocages et des épisodes d’épanchement également à répétition. Ces dérobements deviennent de plus en plus fréquents, gênant le patient dans la vie quotidienne et interdisant toute activité sportive. L’examen clinique du genou montre la présence d’une laxité articulaire antérieure pathologique avec, lors du test de Trillat-Lackman, la perception d’un arrêt mou, la présence d’un tiroir antérieur en flexion à 90 ° et d’un ressaut rotatoire franc en valgus-extension : le Dejour-test est positif. L’examen loco-régional trouve des axes normaux, une mobilité articulaire normale et complète, une douleur sur l’interligne interne, un épanchement intraarticulaire, une absence de laxité frontale et ne trouve pas d’avalement de la tubérosité tibiale antérieure ni de tiroir postérieur. L’imagerie comprend des radiographies du genou de face en appui monopodal et de profil sans anomalie. DISCUSSION L’instabilité du genou peut avoir plusieurs origines : • Une origine ligamentaire, qui donne une impression de déboîtement, de lâchage et de dérobement de genou. Tome 128-05 Parfois, il peut s’agir d’une simple douleur (névrome intra- ligamentaire). L’examen clinique confirme le diagnostic. • Une origine rotulienne : le tableau clinique peut être fait d’épisodes d’instabilité à répétition pouvant aller jusqu’à une luxation vraie de la rotule. Cette instabilité donne l’impression d’un mauvais engagement de la rotule dès le début de la flexion, contrairement à l’instabilité ligamentaire, qui donne celle d’un déboîtement ou d’un ressaut du genou. L’examen clinique élimine cette instabilité en l’absence d’appréhension à la manœuvre de Smilie, qui pousse la rotule en dehors d’une position d’extension vers une position de flexion. • Une origine méniscale : cette instabilité peut être en rapport avec l’existence d’une languette libre qui, à tout moment de la marche, peut s’interposer entre les surfaces articulaires, à l’origine d’une douleur aiguë. C’est l’impression de dérangement interne de Trillat-Lackman. L’examen clinique trouve un point douloureux sur la partie postérieure des interlignes, un cri méniscal d’Oudard lors de l’extension active et une douleur à la compression axiale selon le Grinding test d’Appley et lors de la manœuvre de MacMurray. Il s’agit le plus souvent d’une atteinte du ménisque interne. • Une origine ostéo-chondrale, avec présence de corps étrangers cartilagineux s’interposant entre les surfaces articulaires. • Une instabilité par rupture de l’appareil extenseur, insuffisance du quadriceps par hypotrophie ou fatigabilité. L’examen clinique et l’IRM permettent de déterminer le plus souvent la cause d’instabilité. Cette instabilité peut être aiguë (entorse du ligament croisé antérieur, épisode aigu d’instabilité sur laxité chronique) ou chronique à répétition. L’IRM confirme la rupture du ligament croisé antérieur et retrouve également une lésion de la corne postérieure et du segment moyen du ménisque interne droit. Au terme de l’examen clinique et paraclinique, on retient une 241 08-02-2006 241 a 243/CM05_diagnostc 31/01/06 13:50 LE Page 2 CONCOURS➔ FORMATION DIAGNOSTIC Un genou instable — les signes fonctionnels à la phase chronique : l’instabilité, qui est le maître-symptôme ; la douleur fugace et contemporaine des déboîtements ; l’épanchement permanent ou après effort ; les blocages avec impossibilité d’étendre le genou, évocateurs d’une lésion méniscale associée (à différenFig. 1. Fracture cier des pseudo-blocages fugaces, en de Segond. éclair, dus à un accrochage rotulien). L’examen clinique a pour but de confirmer la rupture du ligament croisé antérieur, d’identifier d’éventuelles lésions associées ligamentaires, méniscales ou ostéo-chondrales. Il doit être programmé, systématique, bilatéral et comparatif. Il précise : • À l’inspection : Fig. 2. IRM : rupture du ligament croisé antérieur. Fig. 3. Orthèse articulée. — en position debout : le morphotype du genou dans le plan frontal (genu laxité peu évoluée avec instabilité compliquée sur le plan varum, genu valgum), une hypotrophie du quadriceps ménisco-chondral, évoluant sur un membre axé et sur quantifiable au mètre ruban ; un terrain psychologique favorable. — en position couchée : un gros genou, un flexum fin. Sur le plan thérapeutique, le patient bénéficie d’une liga• À La palpation : mentoplastie du ligament croisé antérieur sous arthro— un choc rotulien, qui signe un épanchement intra-artiscopie par transplant libre réalisé par les tendons du droit culaire (hydarthrose, hémarthrose lors des épisodes interne et du demi-tendineux, associé à une méniscectoaigus) ; mie partielle du ménisque interne. Les suites sont — la mobilité articulaire en actif et en passif, qu’on notera simples. Après rééducation, le patient est satisfait, il n’a dans le sens recurvatum/extension/ flexion, le plus souni douleur, ni instabilité du genou et la récupération de vent normale (normale : 10-0-140). la mobilité est totale. La reprise du sport s’est effectuée • L’évaluation de la laxité dans tous les plans : sagittal (test sans restriction au dixième mois postopératoire et, à deux de Trillat-Lackman), frontal (lésion des formations périans de recul, le résultat fonctionnel et anatomique s’est phériques associée) et horizontal. maintenu. • L’intégrité des autres ligaments et des ménisques doit Conclusion : laxité antérieure chronique du genou être également précisée. d’origine ligamentaire Bilan paraclinique • Les radiographies standard, avec radiographie du genou COMMENTAIRE de face et de profil, défilé fémoro-patellaire à 30° de La lésion du ligament croisé antérieur est fréquente et flexion, recherchent : évolutive ; elle occupe une place de premier plan dans la — des signes indirects de rupture du ligament croisé antépathologie du genou et touche par excellence une popurieur : fracture des épines tibiales, ou fracture de Segond lation jeune et sportive, essentiellement masculine. La (fig. 1), qui correspond à un arrachement capsulaire laxité qu’elle entraîne peut s’associer à une instabilité antéro-externe ; plus ou moins invalidante et expose, à la longue, à des — le retentissement cartilagineux par la présence d’une complications dégénératives, ménisco-chondrales en arthrose fémoro-tibiale ; tache d’huile, aboutissant à la gonarthrose à moyen — une autre fracture ou un corps étranger intra-articulaire. terme. • Les radiographies dynamiques vont quantifier la laxité de Diagnostic clinique façon objective sur des clichés comparatifs en appui monoL’interrogatoire recherche : podal de profil strict à 30° de flexion et des clichés en posi— le mécanisme de l’accident initial, la symptomatologie tion de Lachman actif ou passif par la mesure de la transinitiale (recherche de signes de gravité : triade) ; il prélation tibiale antérieure différentielle, qui est un excellent cise le caractère appuyé ou non du traumatisme sympmoyen diagnostique de rupture unilatérale du ligament tomatique initial. croisé antérieur, si sa valeur est supérieure à 2 mm (3). Tome 128-05 242 08-02-2006 241 a 243/CM05_diagnostc 31/01/06 13:50 Page 3 LE CONCOURS➔ FORMATION DIAGNOSTIC Un genou instable L’essentiel Cette rupture est dite évoluée ou associée si la translation tibiale antérieure différentielle est supérieure à 5 mm. • L’IRM (fig. 2), non systématique et moins performante en situation chronique, avec une sensibilité de 80 % versus 100 % en situation aiguë (5), montre : — un ligament croisé antérieur rompu en plein corps ou couché en nourrice sur le ligament croisé postérieur ; — elle permet également de détecter des lésions associées méniscales ligamentaires et ostéo-chondrales. Évolution L’histoire naturelle de la rupture du ligament croisé antérieur se fait inexorablement vers l’arthrose. Le ligament croisé antérieur peut, exceptionnellement, cicatriser en bonne place (avulsion osseuse au pied), sans laxité ni instabilité résiduelle. Il peut cicatriser en nourrice sur le ligament croisé postérieur si la lésion est haute, ce qui limite la sensation d’instabilité. Il peut également se nécroser, avec apparition d’une laxité ou d’une instabilité, source d’un véritable ressaut. Il s’ensuit, par l’existence de cette laxité et surtout du fait de la toxicité du ressaut réducteur, une dégradation progressive du ménisque interne et du cartilage, qui va augmenter la laxité et l’instabilité (cercle vicieux) à l’origine de crises articulaires Il faut distinguer l’instabilité de la laxité, qui se définit comme l’augmentation objective de la translation antérieure du tibia secondaire à une rupture de ligament croisé antérieur. Le diagnostic de l’instabilité antérieure chronique du genou est clinique. L’IRM a un intérêt pour le bilan lésionnel et la recherche de lésions associées. Le traitement nécessite une grande participation du patient, en particulier pour la rééducation, qui sera longue et intensive. Seules les plasties intra-articulaires corrigent l’instabilité et la laxité et limitent les complications. récidivantes, avec une évolution inéluctable vers l’arthrose (100 % des cas après vingt-cinq ans d’évolution). Traitement • Le but du traitement est de stabiliser le genou en supprimant le ressaut, limiter et contrôler la translation tibiale antérieure pour éviter l’apparition de lésions secondaires dégénératives. • Les moyens — médicaux : traitement symptomatique des épisodes d’instabilité (antalgiques, AINS, héparines de bas poids moléculaire en cas de décharge) ; — fonctionnels : orthèse articulée sur mesure pour limiter l’instabilité (fig. 3) ; rééducation, qui aura pour objectif de compenser l’absence du ligament croisé antérieur par l’amélioration du contrôle actif du genou, en insistant sur la proprioception et le renforcement des ischiojambiers ; — chirurgicaux : la chirurgie reste le traitement de choix pour les personnes actives et sportives. • Reconstruction du pivot central par ligamentoplastie par des transplants autologues prélevés aux dépens de l’appareil extenseur ou des tendons de la patte d’oie. • Traitement des lésions associées méniscales en privilégiant les techniques conservatrices (suture), cartilagineuses par, en particulier, le microfraturing, la mosaicplasty et les plasties des formations externes en cas de lésion du poplité. Résultats L’évaluation des résultats des ligamentoplasties (selon le score IKDC) est bon dans plus de 90 % des cas à deux ans de recul (reprise du même sport au même niveau). Néanmoins, à moyen terme, la réduction de l’arthrose dépend des lésions associées initiales ménisco-chondrales et de la laxité résiduelle. En leur absence, le taux d’arthrose est plus faible à vingt-cinq ans de recul. ■ 411935 A U T E U R S M. el Mouhaddab, L. Marthieu, S. Mvogo : Ass. Hôp. des Armées G. Versier, Pr agr. Val-de-Grâce Service de chirurgie orthopédique, HIA Begin, 69, avenue de Paris 94160 Saint-Mandé R Summary Instability of the knee must be distinguished from laxity, which is defined as an objective increase in anterior tibial translation caused by rupture of the anterior cruciate ligament. ● Diagnosis of chronic anterior instability of the knee is reached during clinical examination. MRI is useful in ● assessing the lesion and checking for associated lesions. Treatment requires a high level of patient cooperation, particularly during physical therapy, which is both lengthy and intensive. Only intraarticular surgical repair can correct instability or laxity and reduce the risk of complications. ● Tome 128-05 É F É R E N C E S 1. Boerre NR, Ackpoyd CE. Assessment of the menici and cruciate ligaments : an audit clinical practice. Injury 1991 ; 22 : 291-294. 2. Bousquet G. Diagnostic des laxités chroniques du genou : Rev Chir Orthop Réparatrice Appar Mot 1972 ; 58 : 71-77. 3. Dejour H, Bonnin M. Tibial translation after anterior cruciate ligament rupture. Two radiological tests compared. J Bone Joint Surg Br 1994 ; 76 : 745-749. 4. Hughston JC, Norwood LA. The posterolateral drawer test and external rotational recurvatum test for posterolateral instability of the knee. Clin Orthop 1980 ; 147 : 82-87. 5. Vahey TN, Broome DR, Kayes KJ, Shelbourne KD. Acute and chronic tears of the anterior cruciate ligament : differential features at MR imaging. Radiology 1991 ; 181 : 251-253. 243 08-02-2006