
BO, SA 2009, Sociologie des organisations  2
constater que les techniques polarisent les enjeux et les intérêts de manière autrement plus 
irréversible que le seul jeu social des acteurs entre eux. Ainsi, pour prendre un exemple, la 
différence de hauteur des tunnels et d’écartement des rails entre le métro parisien et le reste du 
réseau ferré a à voir avec les conflits fondateurs, à la fin du XIXe siècle, entre la municipalité et 
l’État –l’enjeu étant pour la vile de Paris de garder la maîtrise de son transport public en 
empêchant les trains de circuler sur ses voies. Il n’est toutefois pas certain que ces enjeux 
continuent à courir plusieurs décennies après. Quand bien même SNCF et RATP auraient intérêt 
à coopérer, les contraintes matérielles continuent à s’exercer, témoignant de luttes d’un autre 
temps, mais que les instruments entretiennent en quelque sorte, polarisant les enjeux et les 
intérêts des protagonistes pour des raisons que, parfois, tout le monde a oubliées. Pierre 
Lascoumes et Patrick Le Galès parlent, à ce propos, de l’effet d’inertie des instruments. C’est à ce 
titre qu’il y a un intérêt majeur à explorer leur dimension stratégique, précisément parce qu’il n’y 
a jamais de correspondance parfaite entre les intérêts des acteurs à un moment T et les outils de 
l’action publique qui ont leur propre dynamique. 
Une autre posture concerne ce qu’on pourrait appeler la dimension normative ou morale des 
instruments. Car ces derniers supposent une certaine manière de problématiser l’action publique, 
reposent sur une certaine façon de définir ce qui est bon ou mal de faire en matière publique, une 
certaine conception des enjeux et des objectifs à atteindre. Bref, ils révèlent une vision des 
choses. En s’intéressant aux dispositifs matériels de l’action publique, le chercheur s’efforce alors 
de restituer la théorie politique qu’ils contiennent, estimant qu’en les répertoriant, en en faisant la 
généalogie, il pourra rendre compte des processus de normalisation du réel : « Montrez-moi une 
carte d’identité biométrique ou un radar routier, et je vous dirai quel rapport gouvernants et 
gouvernés est en jeu, quelle définition de l’intérêt général et du bien public est activée, de quelle 
façon les individus sont appelés à se conduire et pourquoi ».2 
 
Il convient de ne pas se méprendre sur ces propos. Il n’est pas question ici de réduire les 
instruments de l’action publique à de pures et simples « constructions sociales », révélant des 
conceptions, des croyances, des représentations conçues ailleurs, sur d’autres scènes, de retourner 
                                                                                                                                                                                                                                               
1 JAMOUS H. & GREMION P., L’Ordinateur au pouvoir. Essai sur les projets de rationalisation du gouvernement et 
des hommes, Paris, Éditions du Seuil, 1978. 
2 WELLER J.M., « Prendre au sérieux les instruments ou quatre manières d’analyser l’action publique » in BUISSON-
FENET H. & LE NAOUR G. (éd.), Les Professionnels de l’action publique face à leurs instruments, Toulouse, Éditions 
Octarès, 2008, pp. 15-23.