Les maisons médicales:

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DOSSIER
Comment payer ceux qui nous soignent ?
Les maisons
médicales:
le modèle belge
Des médecins ont créé des centres de soins primaires, performants, en
collaboration avec d’autres professionnels et avec un paiement au forfait :
minoritaires mais pragmatiques, ils l’ont fait et ça marche.
Entretien avec Pierre Drielsma, médecin généraliste
Pierre Drielsma
exerçe à la maison
médicale Bautista van
Schowen 1, à Seraing
en Belgique.
Responsable du service
d’études de la Fédération
des maisons médicales
francophones.
Pratiques : Les maisons médicales belges semblent en
pleine expansion aujourd’hui, pourquoi ?
époque que nos collègues libéraux ont lancé une
grève des soins contre l’instauration d’un carnet
de santé. Grève que nous avons combattue de
toutes nos forces au côté des syndicats interprofessionnels (ouvriers). En guise de remerciements, l’INAMI, équivalent de votre CNAM, et les
mutuelles qui gèrent chez nous la Sécurité sociale ont décidé de nous soutenir. Nous avons négocié la mise en place d’un forfait, inscrit dans la loi
depuis 1963, mais qui n’avait jamais été appliqué
aux soins de première ligne.
Pierre Drielsma : Parce que nous croyons en ce
que nous faisons et que nous sommes économiquement viables. Nous sommes un mouvement
post-soixante-huitard, un des derniers vivaces en
Belgique. Les deux premières maisons ont ouvert
en 1972 à Tournai et Bruxelles, il en existe plus de
quatre-vingt aujourd’hui. Nous représentons 5 %
des médecins francophones (300/6 000). Nous
sommes surreprésentés comme maître de stage et
les jeunes médecins nous connaissent bien : ils
souhaitent de moins en moins travailler seuls. La
croissance du nombre de patients inscrits est régulière et tend à s’accélérer : une croissance encourageante qui ne donne pas envie de baisser les
bras.
En quoi consiste le forfait ?
Il prend en charge les soins de médecine générale, infirmiers et de kinésithérapie. Pour ces
trois disciplines, les patients qui s’engagent dans
le système, sauf exceptions (période de garde,
déplacement), sont obligés de s’adresser à la maison médicale. Si la maison fonctionne au forfait,
tous les patients sont obligés de s’inscrire dans le
dispositif. En contrepartie, les soins sont entièrement gratuits sans avance de frais, ce qui est une
vraie révolution.
Un arrêté du Conseil d’Etat interdisait aux prestataires de percevoir une participation personnelle
du patient (ticket modérateur) : cet inconvénient
apparent a fourni aux centres forfaitaires un avantage concurrentiel redoutable dans le contexte
social actuel (croissance du chômage et diminution de l’accès aux soins).
Le montant du forfait mensuel est variable pour
chaque patient selon son statut. Il a été calculé sur
la base des dépenses moyennes de santé dans le
pays Comme nous avons de relativement bonnes
pratiques médicales, nous dépensons moins en
Comment avez-vous survécu ?
www.vvgg.be/CDEP
Au début, nous avions un moyen de subsistance,
imparfait, mais qui avait le mérite d’exister : le
paiement à l’acte. Jusqu’au début des années
1980, la Belgique a vécu au-dessus de ses moyens
et les professionnels de la santé étaient bien
payés. Nous arrivions à financer nos structures
avec une partie de nos honoraires. Les honoraires étaient répartis en une masse commune : en
fait, les plus militants collectivisaient l’ensemble
de leur recette quand d’autres reversaient une
part proportionnelle de leurs revenus. Puis nos
revenus ont baissé et notre philosophie collective
a moins séduit nos jeunes collègues. Des camarades nous ont abandonnés, désenchantés par une
révolution qui n’arrivait pas. C’est peu après cette
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curatif. La réalisation de cette économie est
récompensée par une augmentation des forfaits
de 10 % : le forfait nous permet donc de financer,
en partie, nos actions sociales et de prévention. De
plus, depuis 1993, un décret reconnaît la spécificité de notre travail en nous allouant des subventions annuelles en contrepartie d’un travail épidémiologique, ainsi que le travail de coordination
interdisciplinaire. Nous recevons, en moyenne,
25,491 € par patient chaque mois.
soleil. Rien n’empêche cependant la « charité » au
forfait comme ailleurs. Mais ce n’est pas notre
modèle.
Si la facilitation de l’accès aux soins est à l’évidence un succès, qu’en est-il de la capacité de vos patients à mieux gérer
leurs problèmes de santé ?
L’autonomisation reste le projet long terme des
maisons médicales. À propos du rôle actif et positif assigné aux patients, le politologue Pascal
Delwit 3 déclare : « Volontairement, la plupart de
ces centres se sont implantés dans les quartiers les
plus défavorisés. Pour les initiateurs des maisons
médicales, la clientèle prioritaire devait être la
classe ouvrière et les éléments inférieurs de la
couche moyenne de la population. En vérité, ce ne
sont pas les ouvriers qui sont venus, mais des personnes à très faibles revenus, des habitants émargeant au Centre Public d’Aide Social, municipal,
parfois qualifiés de LUMPEN, et des gens du 3e et
du 4e âge peu enclins au dynamisme. Il s’agit du
public le plus désarmé culturellement pour suivre
une éducation sanitaire, se prendre en charge et
participer à une médecine préventive. »
Tout cela est en partie vrai, mais nos observations
ne confirment pas entièrement ce pessimisme, le
patient même très paumé, qui est reçu avec
dignité à la maison médicale, finit par se respecter
lui-même. Et dès ce moment, sa propre prise en
charge s’améliore, comme sa santé. Par exemple,
des patients diabétiques, peu autonomes sur des
critères externes 4, peuvent très correctement
suivre leur régime et leur traitement et obtenir des
résultats de contrôle sanguin excellents.
Qu’est-ce qui a changé au niveau de votre pratique et des
pratiques des usagers, lors du passage au forfait ?
Les pratiques ont changé. L’inscription des
patients permet de faire de la micro-épidémiologie, donc de connaître ses patients. Par exemple à
Bautista Von Schowen, nous comptons 200 diabétiques (sur 4 000 inscrits), la moitié ont un bon
équilibre évalué par le taux d’hémoglobine glyquée ; nous pouvons alors concentrer nos efforts
sur les cas les plus difficiles. D’une manière générale, nous pouvons défendre en haut lieu nos pratiques, ce qui est confortable, même si ce n’est
qu’un début.
Par ailleurs, la « gratuité » permet aux défavorisés
de se fixer sur un médecin, ce qui favorise confiance et soins. Si les patients n’étaient pas contents, ils
résilieraient leur inscription. Au moins le rapport
qualité-prix est satisfaisant.
Mais, pas d’angélisme, les forfaits ont toujours
tendance à diminuer le nombre d’actes : tant
qu’il s’agit d’actes inutiles ou mal orientés (médicalisation du social, soins de luxe ou sans efficacité prouvée), ce n’est pas grave, c’est de la mauvaise graisse. Mais il ne faut pas toucher au muscle
(l’utilité concrète des services de santé) : le paiement à l’objectif permet au moins en partie d’éviter cet abandon d’actes utiles, mais aussi la présence de représentants des patients dans nos
instances qui veillent au grain. Aucun mode de
paiement n’est parfait ! Evans disait qu’il fallait
changer de système tous les cinq ans pour prévenir les effets pervers.
Je ne suis pas entièrement d’accord, mais nous
préférons un paiement mixte : la capitation pour
le suivi longitudinal, l’acte pour les actes ennuyeux
et/ou sous prestés, un forfait d’infrastructure
pour un bon cabinet, un paiement à l’objectif
pour stimuler la santé publique (vaccins, dépistage, pathologies chroniques).
Pierre Drielsma, quel avenir voyez-vous ?
L’avenir c’est le changement social ; quand
l’Europe aura fini de ronger son os néolibéral et
aura compris qu’il n’y a plus rien dessus, on pourra repartir de plus belle. Les Maisons Médicales
sont une arme de ce changement social : elles
démontrent qu’on peut avancer sans se soumettre au diktat de l’argent. À condition d’être pragmatique.
1. Médecin chilien, membre du MIR (mouvement de la gauche
révolutionnaire), arrêté, torturé et assassiné par les sbires de
Pinochet.
2. Ce qui est semblable à la moyenne belge (à l’acte).
3. Université Libre de Bruxelles.
4. QI, handicap sociaux.
Ce que vous gagnez avec le forfait vous permet-il de prendre
le temps de travailler ?
La durée des consultations est de quinze à vingt
minutes en moyenne 2, mais il est clair qu’il serait
suicidaire de rester une heure avec chaque
patient, la rémunération fondrait comme neige au
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DOSSIER
comment ça se passe ailleurs
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