Les Plastiqueurs du Mont du Temple
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Analyses Les Plastiqueurs du
Mont du Temple
Uri Avnery
jeudi 23 septembre 2004
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Les Plastiqueurs du Mont du Temple
Une religion au message universel est devenue un culte tribal. Une religion de principes
éthiques est devenue une religion de lieux saints. Le nouveau culte du temple est le
paroxysme de ce processus.
Les Services de sécurité sont hantés par une peur terrible : qu'un second Premier ministre israélien
soit assassiné. L'extrême droite, qui ne cache pas son admiration pour Yigal Amir et son geste,
comprend en son sein des personnes qui rêvent de faire la même chose. Après tout, si Amir a réussi
à liquider le processus d'Oslo, pourquoi un autre Amir ne réussirait-il pas à liquider le processus de
démantèlement des colonies dans la Bande de Gaza ?
Mais les Services de sécurité nourrissent une peur encore plus grande : qu'un groupe terroriste juif
bombarde les mosquées construites sur le Mont du Temple.
Il y a des années, une organisation clandestine juive se préparait à faire exactement cela. Elle a été
découverte avant qu'elle puisse mener à bien ses plans. Maintenant des complots de même nature
se trament.
Les Services de sécurité croient qu'une telle action entendrait mettre fin au plan de désengagement
d'Ariel Sharon. Bombarder la mosquée Al-Aksa et/ou le Dôme du Rocher enflammerait tout le monde
arabe et musulman. Elle engendrerait de violents soulèvements, ferait tomber des régimes arabes,
allumerait peut-être une révolution fondamentaliste dans toute la région. Dans une telle situation, qui
penserait à évacuer les colonies ?
Tout cela est vrai mais ne va pas aux racines de la conspiration. La destruction des mosquées de
Haram al-Sharif (Esplanade des Mosquées) est une entreprise qui va bien au-delà des questions
d'actualité - ce serait un acte révolutionnaire qui changerait la religion juive elle-même. Du point de
vue des plastiqueurs potentiels, c'est le principal.
En Israël, l'histoire juive est divisée en trois « maisons », ce qui signifie trois temples :
Le Premier Temple est supposé avoir été bâti par le roi Salomon au Xe siècle avant JC et détruit par
le roi babylonien Nabuchodonosor en l'an 568 avant JC. Le peuple de Judée a été capturé et
emmené à Babylone et il a fallu environ 50 ans avant qu'il soit autorisé à retourner à Jérusalem et à
reconstruire le temple.
La construction du Second Temple a été terminée en 516 avant JC. Il a été rénové et agrandi par le
roi Hérode environ 20 ans avant JC et détruit par le général romain Titus en 70 après JC.
Le Troisième Temple n'existe pas, mais la nouvelle communauté juive qui a commencé à s'établir en
Palestine en 1882 l'appelle souvent la « Troisième Maison ». (Quand Moshe Dayan est devenu
hystérique au début de la guerre de Yom Kippour, il a commencé par pleurer la « destruction de la
Troisième Maison »). Mais ce n'est qu'une expression symbolique - aucun des Pères fondateurs du
mouvement sioniste ni aucun des fondateurs de l'Etat d'Israël n'a imaginé construire un nouveau
temple.
La cause profonde de cela remonte aux événements d'il y a 1934 ans. Quand les Romains ont
assiégé Jérusalem, avant que la ville tombe et soit détruite, un rabbin important, Yokhanan Ben
Zakkai, en est sorti caché dans un cercueil. Il a rencontré le commandant romain et a réussi à
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obtenir de lui l'autorisation d'établir un centre juif religieux à Yavneh, entre Jaffa et Asdod.
Cet épisode a marqué le début d'une révolution dans la religion juive.
La « Première Maison » était plutôt un édifice insignifiant. Il n'y a aucune preuve historique que
l'empire de David et Salomon raconté par la Bible ait existé. Jérusalem était un simple hameau, la
Judée une entité négligeable. La religion juive telle que nous la connaissons a vu le jour seulement
au cours de l'exil babylonien. Et depuis lors les deux tiers des Juifs (comme on les a appelés à partir
de cette époque) ont vécu hors de la Palestine.
La « Seconde Maison » aussi a commencé comme quelque chose de plutôt insignifiant, comme cela
est attesté par un prophète de cette époque, mais elle s'est étendue au cours du temps. Le roi
Hérode, un grand bâtisseur, a tenté de gagner le coeur de ses détracteurs en faisant du Temple une
magnifique structure.
Avant même cela, une aristocratie sacerdotale s'était développée autour du Temple et avait établi sa
position dans la communauté juive de Judée. Son expression politique était le parti sadducéen. Un
parti d'opposition s'est formé contre lui, les Pharisiens. Ils ont permis une plus large interprétation
des écritures saintes et croyaient en un autre monde. A l'époque de cette lutte, la créativité religieuse
juive s'est épanouie et la Bible a été écrite. Depuis l'époque où l'establishment sacerdotal était au
pouvoir, le Temple joue un rôle central dans la Bible. Le sacrifice rituel des animaux accompagnait
d'autres pratiques liées au Temple, l'habitation symbolique du Tout-Puissant.
Jésus, un révolutionnaire juif, s'est rebellé contre la commercialisation du Temple, comme le
faisaient de nombreux Pharisiens. La dynastie asmonéenne, qui était basée sur l'aristocratie
sacerdotale, considérait les Pharisiens comme ses ennemis et en a exécuté beaucoup.
Tout cela a changé quand le Temple a été détruit. La structure a disparu, en même temps que le
culte des sacrifices. L'aristocratie jérusalémite a été éliminée, les prêtres ont tout perdu. Le cours de
la religion juive a changé.
A partir de là, les rabbins, successeurs des Pharisiens, ont dominé la communauté juive et sa
religion. Longtemps avant la destruction du Second Temple, la grande majorité des Juifs vivaient
hors de Palestine. Après la destruction (et la vaine rébellion de Bar-Kokhba de 135 après JC), la
communauté juive de Palestine s'est réduite. Jérusalem est devenue un rêve, et tous les
événements significatifs dans le développement de la religion juive se sont produits très loin d'elle.
Après la destruction du temple, la religion juive est devenue une affaire de lois et de
commandements sans connexion avec un territoire particulier. La Terre d'Israël et Jérusalem sont
devenues plus des symboles qu'une réalité territoriale. Le judaïsme ne demandait même pas que
ses fidèles fassent un pèlerinage à Jérusalem, comme l'Islam prescrit à ses fidèles d'aller à La
Mecque au moins une fois dans leur vie.
Jusqu'à l'avènement du sionisme moderne, les Juifs n'ont jamais essayé de revenir en masse en
Palestine - en fait, c'était explicitement interdit par leur religion. Quand un demi-million de Juifs ont
été expulsés de l'Espagne catholique en 1492, ils se sont dispersés à travers l'Empire Ottoman
musulman, mais seul un petit nombre d'entre eux sont allés en Palestine qui était également une
province ottomane. L'appel de Napoléon aux Juifs pour qu'ils établissent un Etat juif en Palestine est
tombé dans l'oreille d'un sourd. Les premiers adeptes de l'idée du sionisme moderne, bien avant
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Théodore Herzl, étaient des Anglais et des Américains animés par des motivations religieuses
chrétiennes.
Durant les quelques derniers siècles, le judaïsme européo-américain est devenu de plus en plus une
religion imprégnée d'un message moral universel. Des penseurs juifs croyaient que les Juifs avaient
pour « mission » d'apporter une éthique universelle aux nations du monde, considérant cela comme
la substance réelle du judaïsme.
Le sionisme est né lors de la révolution nationaliste en Europe comme une réaction à son caractère
généralement antisémite. Il a donné naissance à la théorie selon laquelle les Juifs sont une nation au
même titre que les autres nations européennes, et que cette nation doit établir son propre Etat dans
le pays alors appelé Palestine. Ce n'est pas un hasard si les enseignements de Herzl ont soulevé
l'opposition violente et verbale de presque tous les grands rabbins de son époque, qu'ils soient
Hassidim ou leurs opposants, les Mitnagdim, orthodoxes ou réformistes.
Mais quand la communauté sioniste en Palestine a établi un Etat, quelque chose s'est passé pour le
judaïsme à cet endroit. Le rapport au territoire, au sol, a changé le visage de la religion, comme celui
des autres aspects de la vie nationale. Il n'est pas exagéré de dire que la religion juive en Israël a
subi une mutation, de plus en plus radicale ces dernières années.
Une religion au message universel est devenue un culte tribal. Une religion de principes éthiques est
devenue une religion de lieux saints. Yeshayahou Leibowitz, un juif à l'ancienne, a défini la religion
des colons comme un culte païen, idolâtre.
Le nouveau culte du temple est le paroxysme de ce processus. Les préparations pratiques pour la
destruction des mosquées et la reconstruction du temple, de même que les sacrifices animaux et
autres cultes du temple, constituent une rupture avec les deux derniers millénaires de religion juive.
C'est une révolution religieuse de dimension historique.
Si cette tendance devient dominante dans l'Etat d'Israël, elle ne conduira pas, je crois, à la
construction du Troisième Temple mais à la destruction de la « Troisième Maison ». Le Second
Temple, ainsi que le peuple juif présent dans ce pays, ont connu une fin violente à cause d'une petite
minorité de Zélotes qui ressemblaient beaucoup aux colons extrémistes d'aujourd'hui, ils ont pris le
pouvoir dans la communauté juive et ont entraîné celle-ci dans une guerre folle, sans espoir. Cela
peut arriver de nouveau.
A la veille de Yom Kippour, voilà un sujet de méditation.
Article publié le 18 septembre 2004 sur le site de Gush-Shalom - Traduit de l'anglais "The Temple Mount Bombers" : RM/SW
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