
Revue européenne des sciences sociales 229
langue un degré de sacralité équivalent à celui des textes religieux eux-mêmes.
Aussi bien, la majorité des docteurs musulmans considère que les liturgies, les
prêches et les homélies ne sauraient être accomplis autrement qu’en langue
arabe sous peine de leur invalidité. Ces constats conduiront d’ailleurs certains
chercheurs à conclure que le texte coranique s’adressait à l’origine aux tribus
païennes d’Arabie (Chabbi, , p. ). L’opinion occidentale semble par
ailleurs elle-même déjà convaincue de la réalité de ce fait puisque selon un
sondage réalisé en par l’agence CSA au compte du journal Le Monde et
LaVie, on constate que % des catholiques pratiquants interrogés considèrent
Mohammed comme un prophète certes, mais pensent en même temps que son
Ministère se limite aux seules populations arabes. De ces diérents points de
vue, la négation de la vocation universaliste de l’Islam devient patente.
Pourtant et en supposant que la religion musulmane soit eectivement
limitée au cadre culturel étroit du monde arabe ainsi que semble le suggérer la
majorité des chercheurs occidentaux, comment pourrait-on alors expliquer que
sur les , milliards de musulmans qui vivent aujourd’hui dans le monde, plus
de % d’entre eux ne sont nullement d’origine arabe ? On sait, en eet, que la
majorité des musulmans se trouve localisée dans les pays d’Asie comme l’Indo-
nésie, le Pakistan, l’Inde ou le Bangladesh. Ou encore dans les Balkans, l’Iran ou
même l’Afrique noire. Ceci d’une part. D’autre part, nous avons connaissance
d’une multitude de versets et de dits du Prophète qui arment clairement le
caractère universel de l’Islam : « Nous ne t’avons envoyé qu’en guise de miséri-
corde pour les mondes » (Coran s v) ; « Nous ne t’avons envoyé qu’en tant
qu’annonciateur et avertisseur pour toute l’humanité » (Coran s v) ; « J’ai
été envoyé pour tous les hommes » (al-Bukhârî, ) ; « Je suis un Envoyé
pour les Arabes et pour les non-arabes » ; « Transmettez mes enseignements
[au monde] ne serait-ce que sous la forme d’un verset ! » (al-Bukhârî, ),
disait le Prophète de l’Islam. Ces propos ne nous rappellent-ils pas singulière-
3 Bien que les théologiens musulmans soient unanimes pour attribuer à la religion musulmane
une vocation universelle, ces derniers ne parvinrent cependant jamais à concevoir l’Islam en
dehors du cadre arabe. Les propos du théologien égyptien pourtant modéré Yûsuf al-Qa-
radâwî sont révélateurs à ce sujet : « Vouloir dissocier entre l’Islam et l’arabité serait comme
vouloir dissocier un corps de son esprit » (cité par ‘Asîd, 2010, paragr. 4, l. 21).