institutionnelle, mais son échec à tout remis en question.
On aurait pu, au lendemain de cet événement, se tourner délibérément vers d’autres formules et abandonner
la supranationalité au bénéfice d’un fédéralisme souple et progressif. On ne le fit point.
La « relance » inaugurée à Messine, porte, avec moins d’ostentation il est vrai, les mêmes marques que le
plan Schuman et que la CED. Elle a trouvé dans l’Euratom, son expression la plus forte et la plus
spectaculaire.
Je sais bien qu’on évite d’employer le terme « supranational » qui n’a aujourd’hui pour seul effet que
d’accentuer les oppositions. Mais ne pas prononcer le mot ne supprime pas la chose. On pense que les
projets atomiques en Europe fourniraient une occasion exceptionnelle de faire triompher, malgré les échecs
précédents et malgré les réticences actuelles, la formule d’un pouvoir supranational. Ce qu’on n’avait pas pu
réaliser au départ du charbon ni de l’armée européenne, on espère pouvoir le réaliser au départ de l’atome.
Mais d’autres plans ont été dressés, dont on regrette qu’ils ne soient pas aussi bien connus et qu’ils ne
bénéficient pas d’une aussi large publicité que l’Euratom. L’Organisation européenne de coopération
économique, dont une des grandes supériorités est de grouper seize pays et non pas six, a élaboré un projet
qui paraît excellent et qui, partiellement au moins, est l’œuvre d’un de nos compatriotes. Ce plan est
beaucoup plus souple et pour aller moins vite, il nous permettrait sans doute d’avancer plus sûrement, en
tenant mieux compte des situations différentes des pays européens.
D’autre formes d’associations européennes pourraient encore être envisagées dont il n’est pas possible de
parler ici. Mais il importe d’indiquer clairement que l’Euratom, tel qu’on nous le propose et tel qu’il est
projeté dans le cadre de la relance européenne, est loin d’être la seule formule possible. L’Europe peut fort
bien joindre ses efforts dans le domaine atomique sans adopter l’Euratom.
Pour la Belgique, le problème est infiniment complexe. Nos accords avec les États-Unis et notre
prédominance mondiale, grâce au Congo, dans les livraisons de minerais uranifères, nous mettent dans une
situation tout à fait exceptionnelle. Nous avons en mains des éléments particulièrement favorables, mais
pour en tirer tout le parti possible, nous devons, dans une large mesure, compter sur la coopération
internationale. Malgré les atouts que nous possédons, nous ne pourrions faire cavalier seul. Une
collaboration internationale — et spécialement européenne — nous est indispensable. Nous ne pouvons
compter, en Belgique, ni sur suffisamment de physiciens, ni sur assez de techniciens spécialisés et, surtout, il
nous manque les vaste débouchés qui seuls pourraient justifier la création d’industrie nucléaires importantes.
Notre gouvernement a donc raison de pousser à un régime de collaboration atomique en Europe. Il peut
avoir, dans cette tâche, l’appui le plus complet de l’opinion publique belge, pour autant qu’il ne s’accroche
pas à certaines positions doctrinales qui divisent jusqu’aux partisans les plus résolus de l’union européenne.
Qu’il recoure plutôt à un pragmatisme éclairé qui, dans une matière aussi mouvante, est le seul moyen de
faire vraiment de la grande politique.
L’Europe se fera peut-être avec l’atome, mais l’atome ne fera pas l’Europe. La lente formation d’un marché
commun par la disparition progressive de tous les obstacles au libre mouvement des hommes, des
marchandises et des capitaux, demeure le seul moyen de créer une entité suffisamment large et puissante
pour qu’elle soit capable, dans le domaine atomique comme dans les autres, d’apporter une contribution
importante au progrès international. Aux yeux de l’opinion publique, cet effort continu et lent n’est pas
nimbé par l’auréole qui entoure tout ce qui touche à l’atome. Mais c’est de ce travail obscur et souvent ingrat
que surgira en fin de compte, une association de fait d’autant plus solide qu’elle aura été éprouvée par le
temps.
La collaboration atomique peut être fort utile dans cette formation ; elle ne sera pas la baguette magique qui
ferait surgir l’Europe des décisions souveraines d’une nouvelle technocratie.