> Journal de bord n°7 Mission Crozet Antoine Joris Vétérinaire à Zoodyssée (Chizé - 79) L’archipel des îles Crozet se situe au sud de l’Océan Indien, à mi-chemin entre l’Afrique du Sud et l’Australie. Il se répartit en deux groupes : un occidental avec l’île des Apôtres, l’île des Pingouins et l’île aux Cochons, et un oriental, 100 km plus loin, avec l’île de la Possession et l’île de l’Est. Antoine Joris, vétérinaire à Zoodyssée, a été invité par le CNRS-CEBC de Chizé à participer à la « Mission Crozet - Biodiversité des océans », organisée en partenariat avec l’Institut Polaire Français Paul Emile Victor. Parti rejoindre ces Terres Australes et Antarctiques françaises à la mi janvier, il a intégré une équipe internationale et pluridisciplinaire de chercheurs, et intervient plus particulièrement sur les manchots royaux. Il sera de retour début avril. Chaque semaine, il nous fait partager son aventure du bout du monde. > Le carnet d’Antoine « Cette semaine je vais m’intéresser aux travaux de Carole Pusterla. Biologiste et botaniste, Carole passe un an sur l’île de la Possession où elle a intégré un programme d’étude de l’impact des végétaux et invertébrés introduits. Permanent sur Crozet, ce programme est dirigé par Marc Lebouvier de l’Université de Rennes. L’absence totale d’arbres et de buissons saute aux yeux en arrivant. L’île est très verte mais cette verdure n’est composée que d’une flore très basse faite de mousses, de graminées, de fougères naines, de lichens et de quelques plantes à fleurs. Le climat explique cette flore assez pauvre. Sur Crozet, on ne dénombre que quelques dizaines d’espèces de plantes vasculaires et autant de mousses et de lichens ; la plus grande est le superbe Chou de Kerguelen (Cf. Photo de la semaine). En examinant cette végétation, on remarque des massifs entiers de plantes familières en France (pissenlit, trèfle, etc.), involontairement introduites sur Crozet. Aujourd’hui, 65 espèces de végétaux ont été introduites, dont la majorité d’origine européenne. Parfois intrusives, elles dépassent le nombre d’espèces autochtones, ce qui pose des problèmes de conservation. Des programmes d’arrachage systématique sont en cours, notamment pour les 4 espèces de bruyères. Mais pour d’autres comme les pissenlits ou des graminées, il est probablement déjà trop tard. Or le pissenlit est un redoutable colonisateur et peut empêcher le développement de la végétation locale. Si les premières introductions ont sans doute eu lieu lors de la découverte des îles en 1772, l’installation des bases scientifiques explique la majorité des « importations » de végétaux et de leur dissémination. Les scientifiques sont d’involontaires semeurs de plantes : les fonds de poches, les ourlets, les sacs à dos sont autant de réservoirs de graines. Les études de distribution des végétaux introduits montrent clairement que les plus fortes densités de plantes invasives sont retrouvées autour des bases et le long des sentiers. Carole Pusterla récolte des pucerons sur des plantes invasives Associés à ces végétaux invasifs, on retrouve tout un cortège d’insectes introduits eux aussi. 6 espèces de pucerons venus via les fruits, les légumes ou les plantes d’ornement, de nombreux diptères, hémiptères, coléoptères, myriapodes et araignées. Le risque n’est pas négligeable pour la vingtaine d’espèces autochtones, qui sont essentiellement des décomposeurs et qui n’ont jamais eu de prédateurs. En introduire pourrait avoir des conséquences désastreuses. L’absence d’ailes est une caractéristique très répandue chez les insectes subantarctiques, soumis à des vents trop forts et trop constants pour leur permettre de voler. Les 3 espèces de papillons autochtones de l’île de la Possession sont toutes incapables de voler, leurs ailes s’étant atrophiées au cours de l’évolution. » Papillon aptère autochtone (Pringleophaga sp) > Journal de bord Mission Crozet > En direct Parole de scientifique Il reste beaucoup à découvrir sur les invertébrés subantarctiques. Ceux qui peuplent les rivières de l’île ont été très peu étudiés. Examiner les contenus stomacaux des deux seules espèces de poissons d’eau douce de l’île de la Possession, la Truite fario et l’Omble de fontaine, pourrait s’avérer précieux. Ces deux salmonidés ont eux aussi été introduits dans les années 60, volontairement cette fois, pour reconstituer un environnement familier au personnel des bases subantarctiques et faciliter leurs conditions de vie. Les truites permettaient de pêcher à la ligne et d’égayer une alimentation à base de conserves. L’impact négatif de cette introduction n’a pas encore été démontré, les poissons occupant une niche écologique laissée vacante par l’origine océanique des îles Crozet. Lors de certaines parties de pêches miraculeuses (en prendre plusieurs dizaines sur une matinée n’est pas un exploit), la plupart des poissons sont relâchés Omble de fontaine dans une rivière de Crozet et aucun plan d’éradication n’a été prévu. de la base Alfred Faure Une des plantes autochtones les plus répandues est l’Acaena (prononcer asséna), jolie petite rosacée formant des tapis de petits fruits épineux dressés. Cette plante s’est répandue sur toutes les îles subantarctiques grâce à son très fort pouvoir de fixation sur le plumage des oiseaux ou le pelage des mammifères (zoochorie). > Le chiffre du jour 1 : Les mollusques terrestres ne sont représentés que par une seule espèce d’escargot sur l’île de la Possession : Notodiscus hookerii. Cet escargot minuscule reçoit une attention particulière de la part de Carole qui gère un élevage dans une armoire climatisée de son bureau. Les adultes ne dépassent pas 7 mm de diamètre pour un poids de 0,02 gramme mais ils ont une particularité unique chez les escargots : leur coquille est majoritairement organique alors qu’elle est essentiellement minérale chez toutes les autres espèces. Un élevage a été mis sur pied afin de mieux comprendre la biologie générale de ce mollusque. Un élevage qui demande énormément de patience : il faut 7 mois aux œufs de cet escargot pour éclore (les grandes espèces d’escargots consommés en France éclosent en moins d’un mois). Acaena magellanica > Le saviez-vous ? L’azorelle (Azorella selago) vit plusieurs centaines d’années. Cette ombellifère naine formant de grands coussins vert tendre ponctués de petites fleurs jaunes ne supporte pas le piétinement humain. Un seul pas sur un coussin entraînerait sa mort en quelques semaines, en modifiant son hygrométrie interne et en provoquant son pourrissement. Or sa croissance est extrêmement lente : il lui faut 200 ans pour atteindre un mètre de diamètre. L’âge peut être déterminé en examinant les tiges qui s’allongent et ne produisent qu’une paire de feuilles par an. Comme les feuilles mortes ne tombent pas, il suffit de les compter. Exemple de zoochorie otarie couverte de graines > Photo de la semaine Notodiscus hookerii adulte Chou de Kerguelen Coussin d’Azorelle