SHS-95/CONF.805/4
PARIS, le 6 janvier 1995
Original espagnol
COLLOQUE INTERNATIONAL SUR LE DROIT
A LAIDE HUMAN-ITAlRE
Siège de lVNESCO
Paris, 25-27 janvier 1995
Thème 2
Les fondements juridiques du droit à laide humanitaire
Par
H. Gros Espiell
Les opinions exprimées par lauteur ne reflhent pas nécessairement celles de lUNESCO
(SHS-95KONF.805ILD.4)
SHS-95/CONF.805/4
1
1. Laide humanitaire, à léchelle mondiale, constitue aujourdhui une nécessité. Elle est
liée à ce que doit être impérativement la communauté internationale, à lidée que lhumanité
est une rt%.l.ite institutionnelle, morale, juridique et culturelle, fondée sur la solidarite entre
tous les hommes, tous les Etats et tous les peuples.
Cette aide humanitaire a naturellement sa source dans la morale.
Or, elle possède aussi, dans la communauté internationale actuelle, des fondements
juridiques. Ces fondements ne sopposent pas aux principes éthiques, mais les complètent. De
nos jours, le droit ne peut se concevoir sans la morale. Si leur contenu diffère, la cle de voûte
du droit est dordre éthique.
Les fondements éthiques, moraux, sont donc inséparables des fondements juridiques.
Dans le domaine de laide humanitaire, la règle morale et la règle de droit découlent de
la même conception de lhomme et de la dignité humaine, ainsi que des droits et devoirs de la
communauté, nationale ou internationale, chargée de les protéger et les garantir dans leur
intégralité, sans forme aucune de discrimination.
2. Si laide humanitaire est une exigence morale et legale, il convient de conclure sur le
plan politique, à ce stade dévolution de la civilisation, quelle constitue lobjet et la matière
dun droit individuel aussi bien que collectif, appartenant à tous les hommes et à tous les
peuples.
3. La reconnaissance de lexistence de ce droit est aujourdhui ineluctable. Il importe donc
den Pr&iser les termes.
Nous pouvons déjà affirmer que le droit à laide lhumanitaire est pour lessentiel,
compte tenu des idées et des besoins actuels, une norme impérative du droit international
général, reconnue comme telle par la communauté internationale des Etats dans son
ensemble, ainsi que le formule larticle 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traites
de 1969. Le droit à laide humanitaire constituerait donc, à lheure actuelle, un cas de jus
cogens, entraînant la nullité de tout traite - et de tout acte juridique international - en conflit
avec lessence de ce droit ou avec les mesures exigées par son application.
Lincorporation au droit international positif du jus cogens dans la Convention de 1969
reflète, ainsi que le reconnaît lensemble de la doctrine et que le montrent les travaux
préparatoires de cette convention, les preoccupations morales alors prkdominantes. Les
articles 53 et suivants de la Convention de Vienne intègrent lidée du fondement moral du
droit. Ils expriment un retour au droit naturel, refusant et condamnant le volontarisme exclusif
et sans frein dans la formation de la règle juridique.
Cette notion de jus
cogens
est particulièrement importante en termes de droit à laide
humanitaire. Ce droit, associé au principe moral de solidarité et à sa profonde signification
humaine et fraternelle, constitue en effet - et doit constituer -, dans le contexte actuel et au
degré de développement atteint par la civilisation humaine, lune des caractéristiques du droit
international.
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4. En dépit de tout ce qui vient dêtre dit, nous devons reconnaître que le droit à laide
humanitaire nest pas défini dans le droit international avec la prkision nécessaire. Si
lexistence dun tel droit est incontestable, son contenu reste flou, faute des normes
souhaitables.
Voici un droit qui se trouve en quelque sorte, pour user dune expression consacrée par
la doctrine dans dautres domaines, a Mat naissant, dont les Clements et les caractéristiques
sont encore en formation.
La première conclusion pr&ninaire de ce rapport concerne, par conséquent, la
nécessité dencourager la r6daction et ladoption dinstruments internationaux allant dans ce
sens.
5. Une seconde conclusion pn%.minaire simpose dores et déjà.
Celle-ci a trait au danger de confondre laide humanitaire, et les droits et devoirs qui lui
sont liés, avec des n%litc% bien distinctes, telles que lintervention dont les conséquences
politiques peuvent être graves et négatives. Cette confusion risque de produire des effets
contraires, néfastes pour laide humanitaire et pour les fruits quelle doit porter.
II
Après ces considérations préliminaires, il convient de distinguer laide humanitaire de
ce quil est convenu dappeler intervention ou ingérence humanitaire.
On a beaucoup parle ces derniers temps de lintervention humanitaire, parfois qualifiée
de devoir dingérence humanitaire.
La situation tragique de lIrak, de la Somalie, dHaïti et de la Bosnie - exemples
d&hirants, mais pas uniques, des manques et des souffrances effroyables qui ébranlent la
conscience de lhumanité et touchent le sens moral et solidaire de tout être humain - ont
incite, pour soulager ces manques et ces souffrances violant les droits les plus élementaires
des hommes et de peuples, à fonder laide sur lexistence dun prétendu devoir dingérence
humanitaire, générateur dun droit dintervention pour raisons humanitaires.
Plusieurs résolutions rkcentes de 1Assemblee générale et du Conseil de sécurite
fournissent des éltsments importants et significatifs pour envisager la question et la situer
correctement dans le contexte actuel.
III
Souvenons-nous, tout dabord, que le fameux droit dintervention humanitaire, ou devoir
dingérence humanitaire, nest pas quelque chose de neuf. Ni les termes ni lidée nen sont
entièrement novateurs ; ils nont pas plus été créés pour lIrak, Haïti, la Bosnie ou la Somalie.
Bien au contraire, la notion dintervention humanitaire a été largement utilisée en droit
international au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle. Elle fut alleguée à
maintes reprises pour justifier la r&lite, en principe illegitime, de lintervention dun Etat dans
les affaires int&ieures dun ou de plusieurs autres. Les raisons humanitaires étaient toujours
invoquées par les grandes puissances coloniales pour intervenir par la force. On ne connaît
aucun exemple dEtat ni colonial ni puissant qui ait cherché à intervenir pour raisons
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humanitaires devant des violations des droits de lhomme, des massacres ou des famines
pourtant réels, dans les pays dit civilisés.
A cet égard, on a pu écrire à juste titre :
Lexclusion indéniable, des droits de lhomme, du domaine n%ervé des Etats, a conduit
certains auteurs et certains Etats à proposer la consécration dun devoir ou dun droit
dingerence ou dintervention humanitaire, en vertu duquel les Etats ou les ONG
pourraient apporter une aide urgente aux populations en état de misère ou de détresse.
Les incertitudes terminologiques, lambiguïté des objectifs, les doutes de nombreux
Etats devant les termes (ingérence ou intervention) qui leur apparaissent avec une
connotation négative, ont jusquà ce jour empêché cette notion de recevoir une
consécration juridique incontestable.(Nguyen Quoc Din, Patrick Dailler et Alain
Pellet,
Droit international public).
Iv
Que repr&entait, dans le droit international classique et dans la r&dité internationale de
lépoque, le terme de droit à lintervention humanitaire ?
Les raisons humanitaires furent un des motifs invoqués pour tenter de legitimer
lintervention ; sans cet argument, celle-ci était, en principe, illicite.
Ce motif humanitaire, propre, pour quelques auteurs des grandes puissances coloniales,
à faire dun acte contraire au droit international une intervention legale, na jamais été adopte
unanimement ni universellement.
Jamais la legalite dune telle intervention na été reconnue par ceux qui durent la subir,
et jamais la situation dun groupe humain ou dun peuple du passé na été améliorée par ces
interventions.
Comment se pose aujourdhui, en droit international, la question du devoir de non-
intervention dans les affaires interieures ou extérieures dun Etat ?
La non-intervention reste un principe fondamental du droit international.
Il en est ainsi non seulement à léchelle mondiale, conformément à la Charte des
Nations Unies, mais en droit international régional, américain en ce qui nous concerne.
Légahte souveraine de tous les membres de lOrganisation (art. 2, alinéa premier),
linterdiction de recourir à la menace ou à lemploi de la force (...) contre lint&rite
territoriale ou lindependance politique de tout Etat(art. 2, alinéa 4) et celle faite aux Nations
Unies dintervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale
dun Etat(art. 2, alinéa 7) constituent des principes(art. 2) en vertu desquels lintervention
des Nations Unies dans les affaires intérieures dun Etat, de même que lintervention dun Etat
dans les affaires dun autre, est illicite. Par conséquent, le principe de non-intervention doit
être respecté.
LAssemblee générale des Nations Unies a condamné solennellement à plusieurs
reprises lintervention et lingerence dans les affaires intérieures des Etats, notamment dans les
résolutions 2131 XX de 1965 et 36/104 de 1981.
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Le 24 octobre 1970, à loccasion du vingt-cinquième anniversaire des Nations Unies,
dans le cadre de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations
Unies, la résolution 2625 (XXV) a défini comme un principele devoir de non-intervention
dans les affaires relevant de la compétence nationale dun Etat. Dans cette rksolution,
lAssemblée gén&ale affirmait :
Aucun Etat ni groupe dEtats na le droit dintervenir, directement ou indirectement,
pour quelque raison que ce soit, dans les affaires interieures ou extérieures dun autre
Etat. En conséquence, non seulement lintervention armée, mais aussi toute autre forme
dingérence ou toute menace, dirigées contre la personnalité dun Etat ou contre ses
éléments politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit international.
Cette définition, comme on le voit, sinspire directement des articles 16 et 17 de la
Charte des Nations Unies.
Ce principe, ainsi défini, est déclaré par 1Assemblee générale dans la résolution 2625
(XXV) comme étant lun des principes fondamentaux du droit international.
La Cour internationale de justice a affmé également le caractère non fondé de
lintervention, qualifiée de simple expression dune politique de la force. Elle déclarait en
1949 :
Le prétendu droit dintervention ne peut être envisagé par elle (la Cour) autrement que
comme lexpression dune politique de la force, politique qui a donné lieu dans le passé
aux abus les plus graves et qui ne possède, quelles que soient les différences présentes
de lorganisation internationale, aucune place dans le droit international.
Voyons maintenant ce quil en est en droit international am&icain.
La consécration politique et juridique de la non-intervention a représenté, en Amérique,
laboutissement dun long, profond et tenace effort latino-américain pour faire reconnaître ce
principe par les Etats-Unis. Après la douloureuse expérience des interventions armees nord-
américaines, notamment au Mexique, en Amérique centrale et dans les Caraïbes, menées
presque toujours pour des motifs humanitaires auxquels personne ne croyait et qui nen étaient
pas la vraie cause, lAmérique latine a concentré son effort international pour obtenir le
respect du principe de non-intervention par les Etats-Unis sur le plan politique et legak
moyennant sa reconnaissance officielle.
Ces efforts de lAmérique latine se sont heurtes pendant longtemps au refus repété des
Etats-Unis. En 1928, à la Conférence de La Havane, la tentative pour inclure expressément,
parmi les principes du panaméricanisme, celui de non-intervention, est un échec. En 1933, au
VIIe congrès panaméricain tenu à Montevideo, ce principe est accepte et inclus, avec
quelques réserves des Etats-Unis, dans larticle 8 de la Convention sur les droits et les devoirs
des Etats. En 1936, à la conférence sur la consolidation de la paix, à Buenos Aires, le principe
de non-intervention est r&ffirmé dans un Protocole additionnel, sans aucune n?serve de la
part des Etats-Unis. La conférence panaméricaine de Lima le reprend en 1938, dans la
Déclaration de Lima.
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