Talbot Imlay, Martin Horn, The Politics of Industrial

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Francia­Recensio 2015/4
19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine
Talbot Imlay, Martin Horn, The Politics of Industrial Collaboration during World War II. Ford France, Vichy and Nazi Germany, Cambridge (Cambridge University Press) 2104, X–291 p., ISBN 978­1­107­01636­1, GBP 65,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Fabrice Grenard, Montreuil
L’Histoire est parfois pleine de paradoxes, comme le montre l’étude de l’implantation en France de la filiale de Ford, Ford SAF et son évolution entre 1929 et 1953. Implantée par la maison mère de Dearborn pour tenter de conquérir le marché français de l’automobile, Ford SAF, connaît des débuts particulièrement difficiles tout au long des années 1930, ne parvenant guère à s’imposer aux côtés des grandes entreprises françaises de la filière (Renault, Citroën, Peugeot). En réalité, c’est le contexte particulier de la guerre et de l’occupation allemande qui a permis à Ford SAF d’étendre ses activités et de devenir l’une des principales entreprises automobiles en France, grâce aux commandes d’armement passées par l’État français lors de la »drôle de guerre« tout d’abord, et surtout, grâce à la collaboration économique avec l’occupant allemand à partir de l’été 1940. En 1942, après l’entrée en guerre des États­Unis contre les forces de l’Axe, Ford SAF présente ainsi cette particularité d’être une entreprise américaine (même si dans les faits elle est devenue indépendante de la maison mère) travaillant pour les Allemands et constituant à plusieurs reprises la cible de bombardements anglais (le 8 mars et le 3 avril 1942 notamment). Deux ans plus tard, à la Libération, cette entreprise bénéficie de son image américaine pour échapper à toute mesure d’épuration économique, alors même que celle­ci apparaît particulièrement sévère à l’égard de la filière automobile (comme le montrent les exemples de Renault et Berliet) et que Ford SAF fut l’une des entreprises qui livra le plus de matériel (des camions notamment) aux Allemands entre 1940 et 1944. Bien qu’arrêté en septembre 1944 pour collaboration, son directeur, Maurice Dollfuss, fut rapidement libéré et Ford SAF fut l’une des deux seules »majors« de l’industrie automobile en France (avec Citroën) à ne connaître aucune sanction de la part des autorités françaises.
L’ouvrage de Talbot Imlay et de Martin Horn consacré à cette évolution de Ford SAF des années 1930 jusqu’à la fin des années 1940 (créée en 1929, l’entreprise voit sa principale usine, celle de Poissy, rachetée en 1953 par Simca) permet de comprendre ce que les auteurs eux­mêmes présentent comme des »ironies« de l’Histoire, notamment le fait que ce soit la collaboration avec l’Allemagne nazie qui ait permis à cette entreprise américaine d’étendre ses activités et de s’imposer en France alors qu’elle apparaissait tout à fait marginale à la veille de la guerre. Comme le montre son titre, »The Politics of Industrial Collaboration during Wordl War II«, Ford France, Vichy and Nazi Germany, l’ouvrage se lit en réalité à deux niveaux, conformément à la volonté des auteurs, qui ont souhaité Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
croiser systématiquement une monographie d’entreprise, celle de Ford SAF, avec une histoire plus globale de la collaboration industrielle en France. Chaque chapitre correspond à une période (la crise des années 1930; les débuts de l’occupation allemande en 1940–1941; l’année 1942, année »transitoire« dans la guerre; la première moitié de l’année 1943, caractérisée par les conséquences de la défaite de Stalingrad et le passage à la »guerre totale«; la dernière année de guerre; la Libération et la reconstruction enfin) qui fait l’objet d’une très large contextualisation permettant d’expliquer les logiques à »l’œuvre« du côté des différents acteurs concernés (les Allemands, les autorités de Vichy, les entrepreneurs français pour la période 1940–1944) et de comprendre ainsi les différentes marges de manœuvres qui ont pu se poser pour Ford SAF et son directeur Dollfuss ainsi que les choix effectués.
L’ouvrage constitue ainsi une contribution essentielle à un double champ historiographique – celui de l’histoire économique du régime nazi et de la collaboration économique franco­allemande – qui a connu d’importantes évolutions ces dernières années, que ce soit à l’initiative des historiens allemands (Marcel Boldorf, Arne Radtke­Delacor), français (à travers notamment les travaux du GDR »Les entreprises françaises sous l’Occupation« dirigé par Hervé Joly) ou anglo­saxon (Adam Tooze). Outre ses nombreux apports sur l’histoire méconnue, et passionnante du fait des nombreuses contradictions qu’elle soulève, de la filiale française de Ford, cette étude permet également d’éclairer le comportement des entrepreneurs sous l’occupation allemande, leurs marges de manœuvre et leurs stratégies. Confirmant la plupart des travaux menés sur cette question, Imlay et Horn montrent que les comportements patronaux ont d’abord répondu à une »logique d’entreprise« avant toute autre considération (politique et idéologique). La collaboration économique avec l’Allemagne à partir de l’été 1940 apparaissait comme le seul choix permettant de maintenir une activité industrielle dès lors que les conditions de l’occupation faisaient des Allemands les seuls clients potentiels importants. Dans le cas particulier de Ford SAF, le fait d’accepter de manière volontaire cette collaboration était également une stratégie permettant de maintenir l’indépendance de l’entreprise et d’éviter sa réquisition par l’occupant ou son absorption par la filiale allemande de Ford (Ford­Werke, Cologne). Imlay et Horn expliquent notamment comment le directeur de Ford SAF, Dollfuss, afin d’éviter toute prise de contrôle de son entreprise par les Allemands, a su trouver un allié précieux en François Lehideux, secrétaire d’État à la Production industrielle (juillet 1941–avril 1942) puis directeur du COA (Comité d’organisation de l’automobile), soucieux de défendre l’indépendance institutionnelle des entreprises françaises dans le cadre d’une politique de collaboration économique qui permettrait à la France de trouver sa place dans l’Europe allemande. L’ouvrage montre également comment au cours de la période les intérêts français et allemands en matière de collaboration ont en réalité évolué de façon opposée en fonction du contexte militaire. En Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
1940–1941, alors qu’une victoire allemande semble inéluctable, les entrepreneurs Français apparaissent particulièrement demandeurs de la collaboration économique, qui apparaît comme un moyen de sauvegarder leur activité, de trouver des contrats et d’obtenir les matières premières que détiennent les Allemands. L’occupant de son côté n’adopte pas de position cohérente du fait des nombreuses institutions concurrentes au sein du régime nazi. Les choses se renversent ensuite à partir de 1942 et surtout en 1943: ce sont désormais les Allemands qui cherchent à développer le plus cette collaboration économique, car ils ont besoin de mobiliser l’économie française en faveur de leur effort de guerre. Du côté des dirigeants français en revanche, si l’on continue officiellement à toujours accepter cette collaboration, on cherche à en freiner son application pour essayer de sauvegarder l’avenir dès lors que le cours de la guerre semble avoir changé de camp. Il est ainsi tout à fait évident selon Imlay et Horn qu’une logique de »sous production« et de »freinage« ait été à l’œuvre du côté de Ford SAF à partir de 1943, notamment dans le cadre du plan de production de camion européen dirigé par Ford­Werke. Cette logique répondant davantage à des motivations entrepreneuriales que politiques et n’étant pas totalement contradictoire avec l’acceptation du principe de collaboration, il apparaît toutefois impossible de la qualifier de »résistante« selon ces deux auteurs, contrairement aux arguments de nombreux chefs d’entreprise qui tentèrent de faire passer le »freinage« pour de la Résistance à la fin de la guerre afin d’effacer quatre années de collaboration économique avec les Allemands.
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