Introduction : Pourquoi l`égalité et la justice maintenant

Introduction : Pourquoi l’égalité et la justice
maintenant ?
Zainah Anwar
L’égalité et la justice sont des valeurs intrinsèques de l’Islam. Alors pourquoi
les lois de la famille et les coutumes musulmanes considèrent-elles les
femmes comme inferieures aux hommes ?
Les articles de cet ouvrage de documentation publié pour Musawah,
le mouvement mondial pour l’égalité et la justice dans les familles
musulmanes, cherchent à comprendre la genèse des lois de la famille
musulmanes, la manière dont elles se sont agencées dans la tradition classique
du fiqh et comment l’abondance des mentions sur la justice, la compassion
et l’égalité dans le fiqh et les versets du Coran peut appuyer une réforme
visant à des relations familiales plus égalitaires. L’importance de ces articles
réside dans le fait qu’ils démontrent que les actuelles lois discriminatoires de
la famille musulmane ne sont pas divines, mais élaborées par des humains
dans des contextes sociopolitiques spécifiques. Les auteurs soutiennent
la thèse que l’égalité et la justice sont possibles et nécessaires au vu de la
tradition islamique ainsi que des normes internationales, constitutionnelles et
des droits humains et en considérant les réalités vécues par les femmes et les
hommes dans le monde musulman d’aujourd’hui.
L’intention de cet ouvrage n’est pas de fournir un modèle uniforme
d’une loi familiale applicable à tous les musulmans et dans tous les contextes,
mais d’élargir les horizons pour une pensée constructive sur le changement
et la réforme et pour se réapproprier la diversité et le dynamisme qui firent
jadis partie intégrante de la tradition juridique islamique.
Très souvent, les femmes musulmanes qui revendiquent la justice et
veulent changer les lois et coutumes discriminatoires se voient opposer une
fin de non recevoir sous prétexte que « ceci est la loi de Dieu » et qu’il n’y a
Avis de recherche : Égalité et justice dans les familles musulmanes
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donc pas lieu de les négocier ni de les amender. Les remettre en question,
les affronter ou demander de les réformer irait soi-disant à l’encontre de la
Charia, affaiblirait notre foi en Dieu et nous éloignerait du droit chemin.
Dans un monde où les droits des femmes sont considérés comme
faisant partie des droits humains, où les constitutions modernes de pays
musulmans consacrent l’égalité et la non-discrimination, où les femmes
sont, de par les réalités quotidiennes, des soutiens de famille et des
protectrices de celles-ci, le caractère discriminatoire des lois de la famille
d’une grande partie du monde musulman est de plus en plus inacceptable
et indéfendable.
Cela fait maintenant plusieurs décennies que, dans les sociétés
musulmanes, des militant(e)s et des groupes de défense des droits des
femmes se mobilisent pour une réforme de la loi qui reconnaisse l’égalité
entre hommes et femmes et protège les dispositions positives là où elles
existent. Beaucoup de ces groupes et coalitions se sont concentrés sur les
lois familiales parce que l’inégalité et les discriminations envers les femmes,
qui commencent souvent dans la sphère « privée » de la famille, ont des
conséquences sur leur engagement et leurs droits dans le domaine public.
Mais, dans la plupart des communautés et pays musulmans, il n’a
pas été facile pour les militant(e)s de réformer la loi et de protéger les droits
existants. L’opposition à cette lutte vient de forces très puissantes au nom de
la religion et d’un patriarcat approuvé par les Etats. Cependant, le succès du
mouvement des femmes au Maroc en 2004 qui a conduit à une réforme en
profondeur du code du statut de la personne, la Moudawana, dans l’optique
de l’égalité entre hommes et femmes, a donné dans d’autres pays un nouvel
élan aux militant(e)s qui ont repensé et restructuré leurs campagnes et leurs
revendications concernant les lois de la famille.
Pourquoi Musawah ?
L’idée de Musawah (« égalité », en arabe) a été proposée pour la première fois
en 2006 à Kuala Lumpur en Malaisie lors d’une consultation internationale de
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« Sisters in Islam » sur « les tendances de la réforme des lois de la famille dans
les pays musulmans ». Cette rencontre a réuni des militant(e)s musulman(e)s
et des intellectuel(le)s d’Asie du Sud-est, de Turquie et du Maroc (deux
pays majoritairement musulmans ayant récemment fait aboutir avec succès
des campagnes de plaidoyer en faveur de réforme des lois de la famille),
d’Iran, du Pakistan, du Royaume-Uni et des États-Unis pour partager leurs
expériences et leurs stratégies. Les participant(e)s à cette rencontre ont
ressenti le besoin impérieux de construire un réseau international reliant
les groupes de femmes du monde musulman qui travaillent depuis des
décennies sur les lois de la famille afin de partager leurs stratégies, leur
savoir et leurs meilleures pratiques. Cet échange développerait le discours
international, l’expression publique et un meilleur élan pour propulser les
efforts visant à protéger les droits existants et à promouvoir une réforme à
l’échelon national et régional.
Nombreux sont les groupes qui n’ont pas réalisé les progrès espérés
dans leur lutte pour une réforme parce qu’ils travaillaient isolément – tant
au niveau national que transnational – et à cause de l’opposition des cercles
conservateurs au sein de la société et du manque de soutien de leur
gouvernement. Dans d’autres contextes, plus particulièrement dans les états
du Golfe et certains pays africains, essayer de réformer les lois de la famille
est relativement nouveau. Et dans d’autres pays encore, le développement
des politiques identitaires et des politiques d’islamisation menace de défaire
les acquis passés dans la réforme des lois familiales.
Alors que des groupes de défense des droits des femmes tels que
Sisters in Islam revendiquent, depuis plus de vingt ans, la réforme dans
le cadre de l’Islam, beaucoup d’autres féministes du monde musulman
hésitent à le faire, préférant améliorer les droits des femmes dans le
cadre des droits humains. Au cours des dix dernières années, les femmes
militantes ont de plus en plus demandé à ce que l’on aborde d’un point de
vue religieux les problèmes liés au droit des femmes musulmanes, tout en
restant dans une perspective liée aux droits. Ce besoin et cette demande
viennent de militantes qui croient en un paradigme entre justice et égalité et
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qui ont besoin de nouveaux outils efficaces pour faire face à la résistance,
l’opposition et la diabolisation de la par des groupes islamistes et de ceux
qui occupent des positions traditionnelles d’autorité religieuse.
Dans les pays tels que l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Indonésie et la
Malaisie, les groupes de femmes et d’hommes sympathisants ont commencé
à explorer un cadre plus large et davantage holistique qui argumente en
faveur d’une réforme à partir de perspectives multiples – la religion, les
droits humains internationaux, la garantie des droits constitutionnels et
fondamentaux et la réalité vécue par les femmes – et à mettre en avant
des pratiques positives et progressistes et des exemples de réformes. Ce
cadre holistique utilise des arguments de la doctrine musulmane mais est
ancré dans les réalités de la vie moderne dans les états démocratiques
constitutionnels et un monde uni par le droit international.
Musawah est constitué de telle manière qu’on puisse réunir des
intellectuel(le)s et des militant(e)s qui désirent travailler au sein d’un cadre
holistique afin que les femmes musulmanes soient traitées en tant qu’êtres
humains d’égale valeur et dignité au regard de la loi, de la famille et de la
communauté. Alors que bien des injustices envers les femmes musulmanes
et bien des résistances contre les réformes des lois sont justifiées au nom
de l’Islam, nous pensons qu’il est important que Musawah se concentre
sur l’acquisition de connaissances pour comprendre pourquoi l’égalité et le
changement sont possibles et nécessaires au sein de l’Islam.
C’est pourquoi le comité de pilotage international de Musawah a
passé près de deux ans à construire les fondations de cette initiative en
commanditant des études théoriques qui constitueront la base élémentaire
nécessaire pour comprendre pourquoi le changement est possible, à
développer une Plateforme d’action et de principes pour guider le travail
de Musawah, à consulter des intellectuel(e)s, des militant(e)s et des
professionnel(le)s de plus de vingt pays musulmans et à organiser une
rencontre mondiale afin de réunir tous ceux et celles qui demandent l’égalité
et la justice.
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Justifier l’égalité et la justice
Dans cet ouvrage, le travail révolutionnaire d’intellectuel(le)s tels que Ziba
Mir-Hosseini, Amina Wadud, Muhammad Khalid Masud et Khaled Abou El
Fadl révèle qu’il est possible de revendiquer et de légitimer l’égalité et la
justice au sein de l’Islam. La recherche de Mir-Hosseini sur la construction
du genre dans la théorie juridique islamique nous permet de comprendre
la logique des textes juridiques classiques discriminatoires. La conception
du mariage dans les premiers siècles de l’Islam, qui a produit les règles
ayant conduit au contrôle et à l’assujettissement des femmes, ne peut
plus constituer une base pour légiférer le mariage et le divorce au vingt
et unième siècle. Dans son article, Mir-Hosseini argumente le fait que
les lois de la famille musulmanes ne sont pas divines, mais sont des
constructions juridiques écrites par la « main de l’homme » et modelées
par les conditions sociales, culturelles et politiques sous lesquelles les
textes sacrés de l’Islam ont été compris et transformés en lois. Elle affirme
que la définition du mariage dans le fiqh classique (le mari soutien de
famille et protecteur d’une part, et l’épouse soumise d’autre part) a perdu
sa pertinence au regard des expériences contemporaines et des valeurs
éthiques des musulmans et qu’un « glissement de paradigme » est en
cours dans la loi et les politiques islamiques.
L’article de Masud se penche sur la portée de l’ikhtilaf, ou diversité
d’opinions parmi les juristes, et sur comment il est possible de se servir
de cette riche source d’informations pour comprendre le développement
de la tradition juridique islamique et réinterpréter les lois de la famille
musulmane. Il souligne la nécessité de comprendre que le fiqh n’est pas une
loi divine mais a été construit par l’homme pour gérer des époques et des
circonstances en évolution. Lorsqu’apparaissent de nouvelles époques et de
nouvelles circonstances, de nouvelles règles et compréhensions juridiques
doivent aussi être développées.
L’article d’Amina Wadud met le doigt sur les différentes références du
Coran où l’homme et la femme sont reconnus comme étant égaux et examine
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