qu'il appelle un travail particulier de notre esprit livré au temps. L'essentiel travail spirituel suppose une
ouverture à l'invisible Réalité qui se tient "au-delà" du réel habituel. N'est-il pas nécessaire de cultiver
en nous la transcendance d'un Dieu vivant qui se révèle en l'homme ? Un long apprentissage élargit
l'esprit humain à la dimension du ciel. L'exemple de l’antiquité chrétienne laisse entendre plusieurs
années d'initiation pour des catéchumènes, adultes, chercheurs de Dieu.
L'évangile de Jean revient plusieurs fois sur la Réalité du Père qui est aux cieux, qui habite au-delà de
notre existence. Jésus le dit pour lui-même : Le Père est en moi, et je suis dans le Père (Jn 10,38).
L'homme, qu'est d'évidence le fils de Marie, entend le Père en lui, et il ajoute la réciproque : "Je suis
dans le Père". Jésus habite ce Père. La Réalité divine qu'il perçoit en lui, qu'il entend dans la prière,
existe donc hors de lui. Dieu n'est pas une émotion religieuse passagère d'ordre psychique, il est la
Réalité fondamentale, appelée aussi vie éternelle. Et la recherche de cette vie éternelle semble être la
visée principale des évangiles, voire leur principe fondamental (Mc 10,17; Jn 3,15; Lc 10,25).
Jésus ne s'arrête pas là. Dans sa prière, juste avant sa mort, le Seigneur élargit à ses disciples la
réciprocité "Père-Fils" qui l'habite. Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient
"un" en nous [...] pour qu'ils soient "un" comme nous sommes "un" : moi en eux et toi en moi [...] Que
là où je suis, je veux qu'ils soient avec moi (Jn 17,21-24). Jésus paraît déjà habiter la vie éternelle, il
réside dans cette Réalité invisible qui est l'unicité de Dieu. Dieu est UN ! L'unique Père embrasse toute
l'humanité de ses deux bras. Il nous entoure, nous accompagne, et nous entrerons tous en Lui après
avoir traversé la mort et être passés dans l'éternité. Nous avons l'aide du Fils visible en son humanité et
celle de l'Esprit que le croyant demande au Père en priorité (Lc 11,13; Mt 12, 31-32).
Les disciples de Jésus, qui acceptent, chaque jour, de prendre le chemin très risqué du temps, se
retrouvent avec leur Seigneur dans le même et unique "lieu" spirituel : la Réalité éternelle de justice et
d'amour. Celui qui aime et vit en vérité ne craint pas la mort naturelle qui vient de toutes façons.
En revanche, les païens, qui habitent tous les pays de notre monde (le mot n'est pas péjoratif), ignorent
la Réalité de l'Alliance et sa verticalité, ils ignorent Dieu. Et si jamais ils lisent la Bible, ils la prennent
au ras du texte et la comprennent comme un texte du passé puisqu'ils ne voient pas Dieu dans le texte,
mais seulement un mot qui ne leur dit rien. Les païens ne sont donc pas en mesure de quitter leur
ignorance.
Dans les Actes des Apôtres5, Luc esquisse le portrait du païen de son époque. Cet athée ignore tout du
Dieu vivant, il est incapable de concevoir la pratique priante de la sainte Écriture. Vu par l'évangéliste
qui désirerait lui confier l’Évangile, le païen semble inatteignable car il s'en tient au monde extérieur, à
la nature. Attaché au cosmos, il est tenté par la magie, la drogue et l'attrait de l'argent. Comment
pourrait-il avoir l'idée d'une Réalité invisible qui habiterait le temps de sa vie ? Il peut tout juste
imaginer Dieu dans la religion, dans les lieux de culte, mais que Dieu puisse être si près de lui sans
qu'il le sache, est de l'ordre de l'impossible. Un tel état d'esprit commande à la fois la religion
extérieure, et l'athéisme qui habite la même extériorité. Les missionnaires qui évangélisèrent le monde
pour la première fois avaient bien conscience de cet obstacle mental.
4. C'est par le Fils que le croyant va au Père.
La première évangélisation, lancée par Pierre et Paul en Asie Mineure et en Grèce, semble avoir voulu
5Les communautés juives chrétiennes disparaissent vers la fin du premier siècle. Deux facteurs s'ajoutent. Une
persécution systématique de l'administration romaine depuis la révolte juive (66-70). Les juifs sont traités de barbares.
Par ailleurs, sous la direction du judaïsme rabbinique, toutes les synagogues ont fermé leurs portes aux chrétiens, même
autour du lac de Tibériade, le berceau de l’Église (Lc 10,13-15).
19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 5/20