Roubaix mon amour

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Roubaix mon amour
Même si comme moi vous n’êtes pas de la génération du film du
dimanche soir, il est tout de même très probable que vous ayez
déjà rencontré François de Roubaix au détour d’un morceau de
techno ou d’une composition pop. Daft Punk, Air, Sébastien
Tellier… Tous utilisent les synthétiseurs sur lesquels
expérimentait De Roubaix. L’influence de sa décennie
d’expérimentation est si forte qu’il en faudrait presque se
demander si la French Touch, ne serait pas simplement son
héritage. Sa méthode de composition imprègne aussi toute une
génération de chanteurs et chanteuses français, « Avec
François de Roubaix dans le dos ». Vincent Delerm, Florent
Marchet, Emilie Simon, mais aussi Julien Doré (à qui je
subtilise ici le titre de l’article, Roubaix mon amour)…
Jusqu’aux Etats-Unis, on lui envie sa touche si particulière,
ainsi, vous le retrouverez dans les morceaux de Kid Cudi,
Kendrick Lamar, Lil Wayne ou encore Lana Del Rey qui ont tous
samplé Dernier Domicile Connu, titre de la bande originale du
film éponyme.
François de Roubaix est le fils de Paul de Roubaix,
réalisateur de films institutionnels et de publicités. C’est
en 1959, avant qu’il n’ait le temps d’hésiter entre le choix
de la musique ou du cinéma, que son père lui offre une chance
inespérée: celle de composer la musique d’un court-métrage
dont il est producteur, L’Or de la Durance, réalisé par Robert
Enrico, encore jeune metteur en scène. Alors musicien de jazz
autodidacte, François ne connait rien du solfège ou de
l’harmonie. En revanche, il s’est initié de lui-même au
trombone, à la guitare et au piano et dispose d’un talent
notable pour l’improvisation, à une époque où le monde de la
publicité laisse encore la part belle à l’expérimentation
joyeuse.
« Le jour de l’enregistrement, il a débarqué au studio avec
sa guitare et une valise pleine de verres en cristal
empruntés à sa mère! Il les a installés devant le micro, les
a remplis d’eau et, en les frottant, a obtenu des vibrations
insolites et originales. Après le mixage, on avait
l’impression, grâce notamment à ces sonorités, de voir un
film de science-fiction! Dès ce deuxième court-métrage, j’ai
compris que François était un compositeur avec une
personnalité et des idées hors du commun. »
Robert Enrico à Stéphane Lerouge pour La Mélopée des
Profondeurs
François de Roubaix
Ce premier contact avec Robert Enrico donnera lieu à de
nombreuses autres collaborations pour des courts métrages,
puis finalement en 1964 une première composition pour le
cinéma sur le film « Contre point ». C’est là que malgré son
remarquable sens de la mélodie, le surdoué doit alors aborder
plus sérieusement l’écriture musicale en lisant des traités
d’instrumentation et de solfège.
« Je suis avant tout un musicien de film. Pour cela, il faut
être plus technicien qu’un compositeur de musique pure. »
Francois de Roubaix
Peu à peu, son appartement parisien de la rue de Courcelles se
transforme, jusqu’à devenir l’un des premiers home studio, en
1972. Son séquenceur 8 pistes côtoie de nombreux
synthétiseurs, de Roubaix est alors l’un des premiers à les
utiliser dans la musique de film, mais aussi de nombreux
instruments exotiques qu’il collectionne lors de ses voyages.
Là, il travaille, expérimente les mariages entres instruments
et sonorités tirés d’objets du quotidien. Comme il le dit luimême, il crée un « pont entre le folklore et la recherche »
qu’il consolide ensuite avec l’aide de son fidèle ingénieur du
son et ami, Jean-Pierre Pellissier.
Compositeur,
musicien,
technicien…
François
de
Roubaix
maitrise du début à la fin le processus de création. Sorte
d’orfèvre musical, en simplement dix ans, il devient l’auteur
de la bande son d’une époque, celle du film et de la
télévision des années 60. On le retrouve derrière la
silhouette noire d’Alain Delon dans Le Samouraï de Jean-Pierre
Melville, dans la profondeur des Secrets de la Mer Rouge
(série de Claude Guillemot), ou encore dans l’extravagance du
générique de Chapi Chapo…
Si François de Roubaix est resté peu connu en raison d’une
très courte carrière, il est néanmoins une sorte de mythe pour
toute une génération de musiciens. Ainsi, son décès, lors d’un
accident de plongée survenu dans des circonstances encore
mystérieuses, ne semble être que l’aboutissement d’une
histoire extraordinaire. Passionné de plongé, il travaillait
encore sur la conception d’un ouvrage rassemblant ses photos
sous-marines, La Nuit Sous La Mer.
Il y écrivait: « J’ai voulu me perdre dans la nuit et je m’y
suis retrouvé. J’ai cru m’enfoncer dans l’eau noire et j’ai
plané plus libre que dans l’air. Je n’avais imaginé que les
monstres féroces, noirs comme les ténèbres, et j’ai vu des
bijoux étincelants, fragiles, lumineux. »
Beau, sportif, mélomane, de longs cheveux blonds dans le vent,
cet homme à la personnalité « solaire » avait tout du chanteur
pop. Il semble qu’il n’aurait pas dépareillé au milieu de l’un
de ces groupes qu’il admirait tant pour leur habileté à
comprendre la musique contemporaine.
(Notez que si la musique de François de Roubaix vous
passionne, Monte Le Son est à l’origine d’un très bon
documentaire sur le personnage. Vous y retrouverez notamment
des interviews d’un grand nombre des artistes contemporains
français cités plus haut, ainsi qu’un Pierre Richard
magnifiquement habité par la musique de son ancien ami.)
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