ILM – L’enseignement de l’islam au Maroc, XVIIIe-XXe siècles
Résumé du projet
Au Maroc comme ailleurs, la transmission du savoir (‘ilm) en islam est un élément majeur pour la
compréhension de cette religion. Elle participe à l’élaboration des doctrines, des normes, de la
« tradition » et, donc, de la mise en place d’orthodoxies concurrentes, dans l’espace clos de la
madrasa et au sein du groupe des clercs (oulémas, cheikhs soufis, imams, etc.), mais aussi en dialogue
avec le pouvoir et avec la société. L’étudier nous renseigne sur les modalités d’inscription du religieux
dans la société, sur son lien avec l’économie et sur son rapport au politique. Les relations
internationales en sont imprégnées : depuis les pérégrinations des clercs dans leur quête du savoir
(talab al-‘ilm) jusqu’au transnationalisme actuel, l’enseignement de l’islam s’ancre profondément
dans le local, qu’il soit rural ou urbain, tout en se projetant dans une communauté des croyants (umma)
aujourd’hui globalisée.
Après les observations des administrateurs coloniaux et des orientalistes, puis des travaux de
références sur le modèle classique de l’enseignement en islam, un regain d’attention fut porté au sujet
dans les années 2000 mais le Maghreb, et le Maroc en particulier, furent négligés. Le projet ILM vise
à pallier ce manque au moment où l’enseignement de l’islam en Europe comme dans les pays
pourvoyeurs d’immigration est considérée comme cruciale.
L’objectif du programme est d’explorer le terrain de l’enseignement de l’islam au Maroc depuis le
XVIIIe siècle, de l’apprentissage du Coran des « simples croyants » à la formation des oulémas et du
personnel religieux. On croisera les disciplines et les périodes, on conjuguera islamologie/philologie et
sciences sociales (histoire, géographie, anthropologie, sociologie, science politique), en faisant
dialoguer les chercheurs marocains et internationaux, afin de décloisonner le champ.
L’enseignement de l’islam recouvre ici des réalités très diverses - d’autant que la démarche est à la
fois diachronique et synchronique - que seul un programme d’une telle ampleur, regroupant une
trentaine de participants peut parvenir à saisir. L’ambition est de renouveler les connaissances en
mettant au jour de nouvelles sources et en menant des enquêtes sur des terrains méconnus.
Le projet questionnera d’abord le savoir religieux lui-même pour déterminer comment s’articulent
toutes ses formes, entre enseignement soufi, sciences religieuses islamiques, sciences humaines
« annexes », savoir encyclopédique, etc. Les modalités de la transmission de ce savoir constituent la
seconde thématique : des enquêtes seront menées dans différentes régions sur les écoles traditionnelles
(madrasa ‘atîqa, mhadara) comme sur les grands centres de savoir, puis les universités modernes,
mais aussi des confréries soufies, des associations ou mouvements religieux. La troisième thématique
s’articulera autour de la sécularisation du savoir et de son enseignement qui, au Maroc, commença
sous le protectorat, impulsée par l’État colonial mais aussi par les nationalistes marocains, et se
poursuivit après 1956. L’État indépendant échafauda un dispositif organisant l’enseignement
religieux, au fil de ses besoins, qui a constitué un outil de l’exercice du pouvoir et s’intègre dans ses
politiques publiques comme dans le soft power vers l’étranger. La quatrième thématique envisage
l’État marocain comme un producteur et un exportateur de savoir, mais aussi comme le récepteur d’un
savoir importé. Malgré le discours prônant le « modèle marocain », un islam malékite-soufi-tolérant, il
existe des offres diverses qui véhiculent des orthodoxies concurrentes. Du 18e siècle jusqu’à nos jours,
le Maroc a reçu des influences venues d’Orient (wahhâbisme, « salafisme ») qui seront documentées et
discutées.
Trois corpus de textes seront publiés pour documenter ce projet : une anthologie de textes de la
période coloniale, en français ; une anthologie de textes arabes écrits par les acteurs de la réforme de
l’enseignement ; des manuscrits en arabe.