-1- O. PETITJEAN NOTES HISTORIQUES sur FLAWINNE ANCIEN ET MODERNE Publiées par l'Administration Communale de Flawinne Imprimerie « Vers l'Avenir », 10-12, Boulevard E. Mélot, Namur 1952 -2- -3- NOTES HISTORIQUES sur FLAWINNE ANCIEN ET MODERNE CHAPITRE I Le nom de Flawinne -- La situation géographique Dans les documents d'archives qui sont parvenus jusqu'à nous et dont aucun ne mentionne la localité avant la fin du XIIe siècle de notre ère, le nom de Flawinne se rencontre latinisé en « Flovanna » ou en « Flawinna » par les clercs qui ont transcrit les actes du Chapitre liégeois de Saint-Lambert. Dans les textes, liégeois et namurois, rédigés en vieux français, ce nom est le plus souvent écrit, du XIIe au XVe siècle, tel qu'il se prononçait et se prononce encore en wallon. Une charte du Chapitre de Saint-Lambert emploie, en 1187, la forme « Flawenne ». En 1231, on relève « Flauuenne », mais il semble bien que les u successifs avaient la valeur du double v. En 1236, on trouve « Flawen » et en 1257, « Flawaine ». A partir du XVIe siècle, l'orthographe correspondant à la prononciation française apparaît. On lit « Flavines » en 1537; « Flawinnes » en 1542 et « Flawynes » en 1558. Dans la suite, l'orthographe s'est fixée à « Flawinne » ou à « Flawinnes ». Cependant les greffiers qui transcrivaient les actes continuèrent d'employer fréquemment le nom wallon écrit « Flawenne » ou « Flawaine ». Le nom a ainsi, au cours des siècles, une remarquable fixité. La prononciation était constante en wallon ou en français du temps. Les différences orthographiques proviennent uniquement de la façon dont le scribe notait cette prononciation. -4- Aucune étymologie n'a encore été proposée, même par le chanoine Roland, savant toponymiste namurois décédé il y a une quarantaine d'années, pour expliquer cette appellation. Il n'y a pas lieu de s'en étonner. Il est établi comme nous le verrons ci-après, que plusieurs milliers d'années avant notre ère, des populations primitives vivaient, chassaient et s'approvisionnaient en noisettes pour l'hiver (1) sur le territoire de Flawinne. Il n'est pas concevable que les peuplades du temps n'aient pas donné, à un endroit qu'elles habitaient ou fréquentaient, une dénomination leur permettant de préciser, dans leurs conversations, leurs allées et venues. Ce nom avait certainement un sens dans la langue de ces premiers habitants. Mais nous ignorons tout de cette langue, qui a disparu quand de nouvelles peuplades prirent la place de ces premiers habitants. Mais les noms de lieux se conservèrent, bien que les nouveaux venus n'en connurent pas ou en oublièrent la signification. Il est donc vain de rechercher cette signification dans la nuit des temps. Cette remarque s'applique vraisemblablement aussi à d'autres noms de lieux flawinnois, comme Ronet, Jaumaux et peut-être la Leuchère. La fixité du nom de Flawinne s'explique par l'isolement géographique du village primitif. Jusqu'à l'établissement, à la fin du XVIIe siècle, de la grande chaussée de Namur à Nivelles, au long de laquelle Belgrade ne tarda pas à se former, Flawinne n'avait, pour ses communications avec Namur, qu'un mauvais sentier, aujourd'hui transformé en belles et larges routes, sauf dans sa partie caractéristique, la descente raide entre La Haube et Salzinnes-les-Moulins. Vers Suarlée et Floriffoux, il n'y avait que des sentiers dans les bois, comme aujourd'hui encore. Et, au sud, la Sambre formait une barrière entre le village et Malonne. Les noisettes constituaient en partie les provisions que les peuplades anciennes faisaient pour la mauvaise saison. On sait que si, dans le pays wallon, les hommes primitifs se mettaient en sûreté dans des cavernes naturelles ou creusées par eux, dans la Basse-Belgique, où la roche est absente du sol, ils se bâtissaient sur pilotis, au milieu des pièces d'eau, des huttes inaccessibles donc aux bêtes féroces. Or, dans le quartier malinois du Neckerspoel, des travaux de terrassement ont fait découvrir sous les alluvions qui ont comblé un ancien étang, entre les restes des pilotis, une couche de coquilles de noisettes. Ce fait établi que les habitants de cette cité lacustre se nourrissaient, l'hiver, de ce fruit facile à conserver et toujours abondant dans nos bois et nos forêts. (1) -5- Le vieux Flawinne ne comprenait guère que le quartier avoisinant l'église. Ses habitants devaient vivre entre eux du produit de leurs cultures et de leur élevage. Le sol, schisteux et caillouteux, était de maigre rapport. On n'avait rien à envoyer au marché de Namur. Les jardins actuels ne sont devenus fertiles que grâce aux améliorations apportées à cette terre, pendant des siècles de culture, de fumure et d'enlèvement des cailloux. Et cet isolement géographique explique le fait que le village de Flawinne ne fut pas rattaché à la division administrative dont Namur, bien proche cependant, était le centre. Flawinne faisait partie du baillage (2) de Fleurus. Cependant, ainsi que l'établit un document du Conseil provincial de Namur, en date de 1697, Ronet faisait partie de la mairie de Namur (3). Il est même dit dans ce texte que « Ronet s'étend sur les deux côtés de la Sambre ». On peut croire que le quartier actuel des « Balances », de Namur, faisait partie de Ronet. En raison de cette situation administrative, Ronet eut sous l'ancien régime un statut distinct de celui de Flawinne, une « Cour foncière » disait-on à l'époque. Le baillage, à la tête duquel se trouvait un fonctionnaire, souvent membre de la noblesse, le bailli, correspondait vaguement à notre actuel arrondissement administratif. (3) Quand le chef-lieu était une ville importante, le baillage prenait le nom de « mairie ». (2) -6- -7- CHAPITRE II L'Histoire de Flawinne avant le XIIe siècle Il est incontestable que, pendant la période préhistorique antérieure à l'ère chrétienne, il y eut des habitants sur le territoire de Flawinne, du moins tel qu'il s'étendait avant l'érection de Belgrade en commune, il y a un peu plus de cinquante ans. Il existe encore auprès du petit hameau du Fond Tillois, à l'orée des grands bois d'Arthet, sous la plaine des manoeuvres, deux cavernes manifestement creusées de la main de l'homme dans une roche friable et très sèche et ayant donc servi d'habitation à l'époque fort reculée - plusieurs milliers d'années avant Jésus-Christ - où l'art de bâtir n'était pas encore connu. Tout à côté, on montrait encore une autre caverne, peut-être naturelle celle-là, dont la voûte était éboulée et que les gens de l'endroit appelait « le Trou MarieBarbe », en souvenir d'une dernière occupante, vraisemblablement. On appelait ces excavations des « Trous de Nutons ». La légende des Nutons est connue dans tout le pays wallon. Ces petits hommes habiles et industrieux vivaient en des demeures souterraines, dit cette légende. Pour subsister, ils s'occupaient de divers travaux, réparation de linges, de vêtements, de chaussures. Les habitants des villages voisins venaient déposer les objets à réparer ou à confectionner, à l'entrée de leurs cavernes avec, en guise de paiement, des provisions alimentaires en quantité proportionnée à l'importance du travail demandé. Le lendemain, ils retrouvaient, dûment remis à neuf, à l'entrée de la demeure souterraine, ce qu'ils y avaient déposé. Seules les provisions avaient disparu. Ceux qui rapportaient cette légende ne manquaient pas d'affirmer : « La grand-mère de ma grand-mère a encore connu les Nutons ». La vérité est que les premiers habitants de nos régions wallonnes vivaient dans des cavernes. C'était des hommes de petite taille, ainsi que le prouve le peu de hauteur de la voûte aux Trous de Nutons du Fond Tillois. Ces premières populations, du reste clairsemées, disparurent lors de l'arrivée, par suite des migrations humaines, d'une autre race humaine -8- de grande taille, les Celtes probablement. Ceux-ci connaissaient la bâtisse. Les derniers Nutons continuèrent à vivre en troglodytes et, pour subsister, mirent leur adresse manuelle au service des nouveaux venus. Après un certain temps - un siècle, peut-être - les derniers Nutons disparurent, soit qu'ils fussent sortis de leurs résidences souterraines, soit qu'ils se soient fondus par mariage dans les nouvelles peuplades. Leur souvenir s'est transmis d'âge en âge jusqu'à nos jours. Il est donc incontestable qu'il y eut, au Fond Tillois, des habitants plusieurs milliers d'années avant notre ère. Ces populations primitives ne connaissaient pas le travail des métaux. Leurs outils et leurs armes étaient en pierre, en silex habilement taillé d'abord, bien poli plus tard. Il existe, au Musée archéologique de Namur, deux haches en silex découvertes l'une à Flawinne, l'autre à Belgrade. L'auteur de ces pages a trouvé lui-même, dans sa jeunesse, parmi les cailloux que la herse du cultivateur avait rassemblés à la lisière d'un champ, dans la grande campagne qui s'étend derrière les actuelles casernes, une hachette en silex taillé de la plus belle facture. Ces trois armes ont indiscutablement été perdues par des chasseurs de l'âge de la pierre, peut-être parce que leur propriétaire fut tué par la bête féroce, ours, aurochs, loup contre laquelle il luttait (1). Nous ne savons rien de plus des premiers habitants du territoire de Flawinne. Il est néanmoins certain que la localité ne cessa pas d'être habitée. Lors de la colonisation romaine, après la conquête de Jules César - vers 50 ans avant Jésus-Christ -, Flawinne était toujours habité et, cette fois, dans le quartier autour de l'église. On a trouvé, au siècle dernier, dans le jardin de la cure, une monnaie en argent, à l'effigie de Trajan, qui fut empereur à Rome de 98 à 117 de notre ère. Dans un jardin, au lieu dit « La Hollande », on a aussi découvert une monnaie en bronze, à l'effigie de Lucilla, laquelle était la fille de l'empereur romain Marc-Aurèle, lequel mourut en l'an 180. Le grand-père de l'auteur de ces notes avait trouvé dans son jardin - qui s'étendait, à cette époque, le long de la « ruelle du Buc » - une grande médaille en bronze, dont les lettres avaient disparu, mais qui portait encore, très nette et très caractéristique, la tête d'un empereur romain. Une note figurant au Tome II des Annales de la Société Archéologique de Namur, page 137, dit qu'on a trouvé, à la Boverie, une hache celtique en silex gris. (1) -9- Charte émanant de la Cour foncière de Flawinne et constatant le remboursement d’une rente en 1667. -10- Enfin, Flawinne n'avait de relations avec la rive droite de la Sambre que par l'intermédiaire d'un passage d'eau, établi au bout d'un chemin qui, de la gare, aboutit à la Sambre, quelques dizaines de mètres en aval de l'écluse de Bauce. Lors de la canalisation de la Sambre, sous le régime hollandais, entre 1820 et 1826, il fallut approfondir le lit de la rivière à l'entrée du canal de Bauce. La drague ramena, entre autres objets perdus par les passeurs et tombés dans la Sambre : 1°) une grande monnaie en bronze de l'empereur Hadrien, fils et successeur de Trajan, qui régna de 117 à 138; 2°) une petite pièce de Constantius (empereur de 305 à 306); 3°) 3 piécettes de Licinius (empereur de 307 à 324); 4°) 5 piécettes de Constantin le Grand, qui fut empereur de 305 à 337. Il est ainsi prouvé qu'on allait et venait, entre Flawinne et Malonne, pendant les siècles de l'occupation romaine. Le savant président de la Société d'Archéologie de Namur, feu Alfred Bequet, assure (2) qu'il y avait, à Flawinne, une villa romaine dont il subsiste des vestiges. Nous ne connaissons pas ces vestiges. Rappelons qu'une villa romaine - ce mot a donné dans la suite le nom « village » - n'était pas, comme c'est sa signification actuelle, une maison d'habitation d'un certain cachet. C'était tout un domaine comprenant de grandes étendues de terres avec demeure du maître, des maisons pour les serviteurs, des dépendances pour engranger les récoltes et des ateliers pour les artisans indispensables à une population assez nombreuse. Il y avait même parfois une brasserie. En fait, la villa romaine était un véritable village dont les habitants furent d'abord les esclaves du maître, ensuite ses serviteurs et enfin, à l'époque féodale, ses serfs. Quand les Francs envahirent nos régions, leurs leudes s'installèrent dans les demeures, les meubles et les terres des grands propriétaires romains de villa. Les villas se maintinrent ainsi souvent pendant des siècles, après la fin de l'empire romain. Ce fut le cas à Flawinne. A la fin du VIIe siècle, quelques décades après Clovis (qui mourut en 511), la villa romaine de Flawinne avait pour propriétaire une dame appelée Roga. Les terres faisant partie de cette villa s'étendaient sur la Annales de la Société d'Archéologie de Namur, Tome XIV, page 9. Une note postérieure de la même publication dit, Tome 33, p. 1, qu'il y avait à Flawinne une opulente villa romaine. (2) -11- rive droite de la Sambre, jusque et y compris le vallon de Malonne. Ce fut Roga qui fit donation à saint Berthuin du terrain sur lequel celui-ci construisit l'abbaye de Malonne, aujourd'hui Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes (3). Une question se pose ici. Où se trouvait la demeure de cette dame Roga, au centre donc du domaine ? L'examen des lieux, qui n'ont guère été modifiés depuis des siècles aux environs de l'église de Flawinne, suggère la seule réponse possible à cette question. Il est certain que les propriétaires de la villa romaine de Flawinne avaient entouré leur habitation d'un assez vaste ensemble de terres, jardins et bois pour leur usage personnel. Un tel ensemble ne pouvait guère avoir été autre que l'actuelle propriété du bourgmestre de Flawinne d'aujourd'hui, M. A. Ladry. Le domaine primitif a peut-être été rogné sur ses bords par des aliénations au cours des siècles. Mais tel qu'il existe encore aujourd'hui, d'un seul tenant de plusieurs hectares, il semble un témoin permanent de l'histoire de Flawinne depuis l'époque romaine. En ce qui concerne encore la période romaine, notons enfin qu'on a retrouvé à Jaumaux des tuiles de l'époque des Césars. Il y avait donc dans ce hameau de Flawinne, aujourd'hui réduit à quelques maisons, un établissement romain d'une certaine importance avec habitations en pierres et couvertures en tuiles. Il est même possible qu'il y eût à Jaumaux une fabrique de tuiles. L'argile nécessaire à la confection de celles-ci se trouve en abondance dans les terrains voisins, et Jaumaux était à l'orée d'une forêt permettant la fabrication du charbon de bois servant à la cuisson des poteries. De plus, Jaumaux, nous aurons à en reparler, se trouvait sur un chemin rudimentaire permettant d'aller à Namur et à Suarlée et à Temploux. Les tuiles fabriquées à cet endroit pouvaient donc être expédiées à Namur. Notons encore que, pendant cette période historique, allant de la conquête romaine au XIIe siècle, il y eut incontestablement une certaine Le fait est rapporté par le premier historien de Malonne, un moine qui écrivait avant la fin du VIIIe siècle et qui donc avait recueilli des souvenirs encore vivaces : La villa romaine de Roga ne disposait à Flawinne même que de terres de maigre rapport. C'est la raison pour laquelle les propriétaires avaient acquis les terres de Bauce et Malonne. (3) -12- industrie sur le territoire de Flawinne. Outre la très probable fabrique de tuiles romaines à Jaumaux, il faut signaler une installation sidérurgique rudimentaire dans les bois couvrant la colline entre Flawinne et Floriffoux. On y a retrouvé et l'on y voit encore de grosses scories que le populaire appelle des “crayats de Sarrasins” (4) et qui sont les résidus de l'extraction du fer dans des “bas-fourneaux” à l'aide du charbon de bois. Celui-ci était fabriqué sur place. Les Maures d'Espagne avaient découvert des procédés de fabrication de l'acier et perfectionné, par la « méthode catalane », l'extraction du fer en traitant les minerais. Leurs spécialistes passèrent les Pyrénées et enseignèrent hors de leur pays les nouveaux procédés. Et ainsi on donna au moyen-âge le nom de « Sarrazins » aux spécialistes de la sidérurgique, qu'ils fussent chrétiens ou musulmans, et même pas Espagnols. On appela « crayat de Sarrasins » les mâchefers retirés des bas-fourneaux et datant même de la période romaine. Il y avait à Namur un « quartier des Sarrazins », habité par les travailleurs des bas fourneaux. Le nom est encore employé de nos jours. Ceux qui fabriquaient le charbon de bois étaient parfois dits des Sarrazins. (4) -13- CHAPITRE III L'administration à Flawinne au XIIIe siècle Lors de l'établissement de la féodalité dans le siècle qui suivit la dissolution de l'empire de Charlemagne, nombreuses sont les villas romaines qui se transformèrent en fiefs féodaux. Ce ne fut pas le cas à Flawinne. Aucun grand de ce monde ne fut peut-être tenté par ce domaine, isolé, entouré de grands bois, dont le sol ingrat était d'assez faible rapport. Le village naissant de Flawinne ne fut donc jamais détaché, par concession féodale, du domaine propre du comte de Namur, lequel était, dans la région, le successeur des rois et empereurs carolingiens. Le comte de Namur était ainsi le souverain direct des habitants de Flawinne. Il exerçait ses pouvoirs politiques par l'intermédiaire d'un officier - qui était presque toujours un membre de la noblesse féodale -, le Bailli de Fleurus. Flawinne faisait ainsi partie du Baillage de Fleurus, division administrative du comté. On peut s'étonner de ce que Flawinne, dont le territoire confinait à la ville de Namur, n'ait été rattaché à cette autre division administrative, qui portait à l'époque le nom de “Mairie de Namur” et comprenait la plupart des localités avoisinant le chef-lieu : Ronet, par exemple, faisait partie de cette mairie. Il est probable que, par suite de son isolement et la difficulté des communications avec Namur, Flawinne, très peu peuplé, du reste, ne fut pas inclus dans la banlieue namuroise. On ne sait rien de ce qui advint à Flawinne entre l'époque de la dame Roga, la donatrice de Saint-Berthuin - vers 675 donc - et la fin du XIIe siècle, moment où apparaissent les premiers documents écrits. Il faut donc se reporter à l'histoire générale de notre pays pour éclairer un peu cette nuit historique. Souverain de son petit Etat, le comte de Namur n'était, bien entendu, nullement le propriétaire foncier de Flawinne. Une charte du Chapitre des chanoines de Saint-Lambert à Liège, datée de 1187, apprend que ce Chapitre est propriétaire de grands biens à Flawinne et qu'il constitue une rente viagère à percevoir en partie sur les revenus de -14- ces biens, en faveur d'un de ses membres, Henri de Marbais, en retour de certaine générosité de celui-ci en faveur desdits chanoines. Il est dès lors indiqué de croire qu'à Flawinne, comme en de nombreuses localités du diocèse de Liège, le propriétaire foncier de la villa romaine de Flawinne fit donation de son domaine audit Chapitre liégeois, par le même geste pieux, fréquent en ces siècles, que celui de la dame Roga, dotant l'abbaye naissante de Saint-Berthuin à Malonne. Les chanoines liégeois étaient trop loin pour s'occuper eux-mêmes de l'administration de ces biens. Ils en chargèrent le comte de Namur, en donnant à celui-ci, de bon ou de mauvais gré, la charge qu'à l'époque on disait d'“avoué” pour Flawinne. Ils constituèrent d'autre part un organisme local composé d'un maïeur et d'échevins, chargé d'enregistrer et d'approuver les mutations de propriétés par vente, donation ou héritage, de gérer les parties du domaine de l'ancienne villa qui n'avaient pas été aliénées à des particuliers et restaient propriétés de la communauté : “Les Comognes”. La Cour foncière s'occupait aussi de la voirie publique; elle consignait dans des registres, toujours régulièrement tenus, les décisions prises par la Communauté, c'est-à-dire les assemblées générales des chefs de famille, réunis annuellement à la Saint-Remi (1er octobre). Ces assemblées s'appelaient “Plaids de la Saint-Remi”. La Cour foncière de Flawinne dépendant donc du chapitre liégeois s'appelait officiellement “Cour Foncière de Saint-Lambert”. Une vingtaine de registres aux actes de cette Cour sont conservés aux Archives de l'Etat à Namur. Ils se suivent sans interruption apparente. Le premier contient les actes passés du 15 mai 1537 au 13 octobre 1541. Le dernier de la série mentionne comme dernier enregistrement un acte du 12 novembre 1794; on sait que ce fut à peu près à cette époque que le régime français annexa la Belgique et lui imposa des institutions nouvelles. Une mention consignée dans un des premiers registres dit que les documents antérieurs à 1537 ont disparu dans un incendie survenu à Suarlée. Il est vraisemblable que les registres étaient conservés au domicile du greffier qui, à cette époque d'instruction publique rudimentaire et de raretés des compétences, cumulait les fonctions de greffier pour Flawinne et Suarlée et dont la demeure fut détruite par le feu avec les archives. -15- Il y avait une “Cour foncière” spéciale pour Ronet, qui ne faisait pas partie de la communauté de Flawinne, bien que ce hameau fut compris dans la paroisse. En sa qualité de souverain, le Comte de Namur administrait la justice à Flawinne par l'intermédiaire d'une sorte de tribunal dit “La Haute Cour de Flawinne” dont il nommait, par l'intermédiaire du bailli de Fleurus, le maïeur et les échevins. De fait, on rencontre dans les actes de cette Cour conservés aux Archives de Namur deux procès suivis de condamnation à mort. L'exécution des condamnés n'avait lieu qu'après confirmation de la part du Comte de Namur ou du Conseil qui le remplaçait. Dans les deux cas signalés ci-dessus, les exécutions eurent lieu sur la place de Flawinne. Du point de vue ecclésiastique, tout le comté de Namur - et donc la paroisse de Flawinne - fit partie du diocèse de Liège jusqu'à la création, au milieu du XVIe siècle, de l'évêché de Namur. L'Evêque de Liège nommait parfois, par l'intermédiaire de son Conseil administratif, le chapitre des chanoines de Saint-Lambert, le curé de Flawinne. Il faut noter cependant que, pendant le moyen-âge, l'attribution des charges ecclésiastiques appartenaient souvent à des personnalités ou des institutions étrangères à la hiérarchie ecclésiastique. Il va de soi que cette organisation politique, administrative, judiciaire et religieuse, qui du reste n'était pas spéciale à la localité de Flawinne, ne se constitua que lentement, par modifications ou innovations successives dues d'ordinaire aux circonstances. Nous la trouvons en place telle qu'elle vient d'être décrite ci-dessus quand, à la fin du XIIe siècle, apparaissent les premiers documents écrits. Parmi ceux-ci il y a surtout les chartes émanant du Chapitre de Saint-Lambert, à Liège. Elles sont d'ordre religieux d'ordinaire. Il en sera question au chapitre qui traite de l'histoire de la cure de Flawinne. Remarquons seulement ici que les redevances dues pour rentes ou loyers sont stipulées en mesure d'épeautre ou d'avoine. Il semble donc bien que les terres cultivées à Flawinne à cette époque n'étaient pas assez fertiles pour produire la céréale de haute valeur, le froment. Le Comte de Namur avait, nous l'avons dit déjà, la charge, moyennant certaines rétributions, de protéger et défendre ces propriétés ecclésiastiques de Flawinne, en langage du temps, on disait qu'il était « l'avoué » du Chapitre de Saint-Lambert à Flawinne et à Ronet. -16- Un relevé des cens, rentes et revenus du Comte de Namur, daté de 1265, contient une section concernant, y est-il dit : « Flawaine et Rosneis ki sont d'une parroche ». (1) Il y avait donc à cette date une paroisse de Flawinne englobant Ronet. Le document spécifie les diverses taxes et contributions que le Comte de Namur levaient des habitants de Flawinne. Ces redevances étaient de deux catégories : l'une comprenait ce qui était dû au Comte en sa qualité d'avoué, pour Flawinne, du chapitre liégeois de Saint-Lambert. L'autre catégorie se composait des droits féodaux ordinaires dus au souverain et au suzerain. Il y est dit aussi que le comte avait à Flawinne « toute justice pleinement ». On y lit encore qu'en 1265, il y avait, à Flawinne et à Ronet, 46 « feux », c'est-à-dire quarante-six maisons ou quarante-six ménages. On peut ainsi estimer à un peu moins de deux cents le nombre des habitants à cette époque. (1) Publié par l'archiviste Brouwers, « L'administration des finances des comtes de Namur, du VIIIe au XVIe siècle ». Tome I, p. 51. -17- CHAPITRE IV Flawinne après le XIIIe siècle On se doute bien qu'un village de quarante-six maisons ne connut pas d'événements mémorables dans sa vie intérieure de plusieurs siècles. Les quelques chartes conservées sont relatives à la période allant du début du XIIIe siècle au XIVe siècle. Ces documents enregistrent des transactions immobilières; ils établissent cependant certaines données historiques. Ainsi, le 23 septembre 1246, une charte émanant de l'Evêché de Liège donne « en rendage » (contrat de location de durée illimitée) à un prêtre nommé Jean et à ses successeurs, cinq bonniers de terre situés à Flawinne, touchant la forêt dite Chanois. Jean est qualifié de « notre vicaire à Flawinne ». Ce terme vicaire n'avait pas à l'époque le même sens que celui qu'il a dans la hiérarchie ecclésiastique moderne. Il signifie que ce prêtre Jean était le desservant du culte à Flawinne, en remplacement et par commission de l'Evêque de Liège. La redevance fixée pour cette cession était d'un muid d'épeautre et un denier par bonnier. Il semble bien que, par cette charte, fut fondée la paroisse de Flawinne et que la dotation faite était destinée à assurer la subsistance de celui que, plus tard, on appela le curé. Le relevé des cens et rentes du Comte de Namur à Flawinne constate en 1265, soit à peu près vingt ans plus tard, cette érection de la paroisse quand il insère la mention déjà citée : « Flawaine et Rosneis qui sont d'une parroche. » On enregistrait ainsi en somme une nouveauté récente. Le premier curé de Flawinne s'appelait donc Jean, si l'on admet notre hypothèse. Il faut noter qu'à cette époque les noms de famille n'étaient pas encore établis. Les personnes étaient désignées par leur prénom avec une détermination quelconque disant l'origine, la profession ou simplement le nom du père. Par une charte datée du 2 novembre 1251, Henri, évêque élu de Liège - c'est-à-dire évêque nommé mais non encore consacré - cède aux -18- chanoines du chapitre de Saint-Lambert les revenus de l'église de Flawinne. L'Evêque renonce donc, en faveur de ses chanoines, à sa propriété concernant les lieux de Flawinne appartenant jusque là à l'évêché même. Mais pareille cession, qui restreignait les droits du diocèse, dépassait les pouvoirs de l'Evêque. Aussi, le 3 octobre 1257, par un bref donné à Viterbe, le pape Alexandre IV confirma les mesures prises pour augmenter les prébendes des chanoines par Henri, évêque de Liège, en leur affectant les revenus notamment de « Flawaine ». Il fallait de longs mois pour aller de Liège à Rome; de là, le délai de sept ans écoulés entre la cession et la confirmation pontificale. A partir de cette époque, l'Evêque de Liège n'intervient plus dans la gestion du lieu de Flawinne. Tout est fait et décidé par le Chapitre de Saint-Lambert. Il n'y a rien d'autre à signaler pour la période des deux siècles et demis suivants. La population ne cessa pas de croître car on voit des cessions « par rendage » se multiplier, avec toujours des redevances en épeautre et en avoine. Manifestement, le Chapitre cédait des bois que les habitants défrichaient pour mettre le terrain en culture. Les anciens champs labourés devenaient insuffisants. Le premier registre de la Cour foncière de Flawinne porte le titre suivant inscrit en première page par le greffier : « Registre servant aux plais, oeuvres et transports fais par devant la Court Messeigneurs de StLambert à Flawynes ». Les chanoines liégeois avaient donc toujours, à la date où s'ouvre ce registre, le 15 mai 1537, ce qui restait en ce temps de la propriété foncière originelle, c'est-à-dire la perception de certaines redevances. En fait, les manants étaient devenus les propriétaires des maisons et terres qu'ils exploitaient. Le registre suivant - actes du 9 janvier 1542 au 11 décembre 1549 - nous apprend incidemment que le curé de Flawinne se nommait, en 1542, Jehan Guduffe. Celui-ci est encore cité comme curé en 1562. En 1573, son successeur se nomme Jan Warnier. La situation changea considérablement en ce milieu du XVIe siècle. En 1554, le pape Paul IV, à la demande du roi d'Espagne, souverain des Pays-Bas et donc, à ce titre, comte de Namur, érigeait en Belgique de nouveaux évêchés dont le territoire diocésain était prélevé sur les anciens évêchés. Parmi ces nouveaux évêchés, se trouvait celui de Namur, dont la juridiction s'étendait à peu près exclusivement sur des régions -19- Vue du village de Flawinne en 1740. -20- détachées du diocèse de Liège. Flawinne fit ainsi partie du diocèse de Namur. Il est probable que ce changement occasionna des difficultés entre Liège et Namur. Le Chapitre de Saint-Lambert assurait, en vertu de la décision du 23 septembre 1246, l'entretien du curé de Flawinne, alors que, désormais, ce dernier relevait de l'évêque de Namur. Aussi, après une quarantaine d'années de discussions, une heureuse solution fut trouvée. Le 16 mars 1600, le Chapitre liégeois louait à l'abbé prélat de Malonne, la ferme qu'il possédait à Flawinne. Cette location était vraisemblablement faite pour permettre au prélat de traiter définitivement en connaissance de cause, car, trois ans plus tard, le 20 juin 1603, l'abbé de Malonne demande à acheter la dite ferme. La vente fut enregistrée le 12 mars 1605; l'abbaye payait le prix de 20.000 florins. Le même jour, le Chapitre liégeois vendait à l'abbé de Malonne le patronage de l'Eglise de Flawinne, sauf le bois dit des Quatre Seigneurs, et une rente de 24 muids d'épeautre dûe par les religieuses du Val-SaintGeorges à Salzinnes. Le prix était de 18.000 florins. L'approbation du Souverain Pontife était nécessaire pour la validité de ces transactions. Le Pape Paul V chargea l'archidiacre de Namur de donner cette autorisation en son nom s'il juge cette aliénation avantageuse. En 1616, l'archidiacre de Namur rend la vente définitive. De nouvelles difficultés surgirent. L'abbé de Malonne avait acquis le patronage de l'église de Flawinne, ce qui impliquait le droit de nommer le curé et de contrôler la gestion temporelle de celui-ci. En fait l'Evêque de Namur ne pouvait exercer pleinement sa juridiction épiscopale sur cette paroisse de son diocèse. Un nouvel accord intervint, probablement à l'occasion du changement de titulaire de la cure de Flawinne. Jean de Wachtendonck, évêque de Namur, par actes datés des 1er février et 1er mars 1659, rendit « régulière » la cure de Flawinne. Ce terme « régulière » s'oppose ici à l'expression « séculière ». Il signifie que le curé de Flawinne, qui était auparavant un prêtre séculier, serait à l'avenir un moine régulier - c'est-à-dire soumis à la règle de son ordre et relevant non plus de l'évêque même, mais de l'abbé de son monastère. L'abbé de Malonne cède en contrepartie plusieurs « bénéfices » c'est-à-dire des rentes - au Grand Séminaire de Namur. On peut donc croire que les difficultés étaient survenues entre l'Evêque et le Prélat parce qu'après avoir acquis en 1605 le patronage de -21- l'église de Flawinne, l'Abbé de Malonne nommait comme curé un de ses moines, lequel ne tombait pas sous la juridiction de l'Evêque. A partir de cette époque donc et jusqu'à la Révolution française, la paroisse de Flawinne se trouva incorporée en fait dans le domaine de l'abbaye de Malonne. Elle passa sous la juridiction de l'Abbé et fut en dehors de celle de l'Evêque de Namur. La situation était assez compliquée, car Malonne et son abbaye faisaient partie de la principauté de Liège et, de ce chef, relevait, au pont de vue spirituel, du Prince Evêque. Dans la suite, le curé de Flawinne fut toujours un moine de Malonne; ce curé, cependant, devait résider à Flawinne, hors de son monastère donc, parce qu'un canon du Concile de Trente (1545-1563) oblige le curé à résider dans sa paroisse. En 1777, le curé, qui s'appelle Castiaux, passa un contrat pour l'agrandissement et la réparation de son presbytère. Un procès s'ouvrit à ce propos entre l'Abbé de Malonne, qui était le bénéficiaire des droits de dîme de Flawinne et le curé-moine Castiaux, qui probablement avait fait des dépenses jugées excessives. L'affaire ne se réglait pas et peut-être que le curé Castiaux avait été suspendu par l'Abbé, car le 22 octobre 1788, l'assemblée de la communauté de Flawinne, réunie en « Plaid de Saint-Remi », demanda à la pluralité des voix un vicaire à l'abbé décimateur. Le curé Castiaux mourut peu après et l'Abbé de Malonne intenta à ce propos, en 1790, un procès aux héritiers de ce curé. Celui-ci fut remplacé par un autre moine nommé Desgrange, qui dut suspendre son pastorat au début du régime républicain français, mais reprit, à titre de prêtre séculier relevant de l'Evêque de Namur, ses fonctions après le concordat conclu en 1801 entre le Pape et la France de Napoléon Bonaparte. Un acte daté de 1787 énumère les redevances qui étaient dues pour sa subsistance au curé de Flawinne. C'était, annuellement : 1°) Le tiers de la grande dîme de Saint-Lambert à Flawinne, dont une partie était perçue à Suarlée et une autre à Ronet et valant 300 florins; 2°) Les mêmes dîmes à Flawinne pour une valeur de 200 florins; 3°) La dîme des pois, fèves, vesces et trèfle rapportant 200 florins; 4°) La même dîme sur la basse-cour du château estimée 50 florins. Au total, avec d'autres petites dîmes et rentes, le curé recevait 1.349 florins, 2 sous, 16 deniers. -22- Il avait comme fait d'entretien : 1°) Trois domestiques, soit 400 florins; 2°) Un cheval, aide à payer, école, bâtiment et rentes dûes, soit des sommes qui portaient les frais annuels au total de 1.786 florins 90 deniers. Les revenus de la fabrique d'église - il s'agit sans doute des messes s'élevaient à 108 florins 20 deniers. Au cours du XVIIe siècle, les registres apprennent que des travaux de réparations ont été effectués à l'église vers 1710; qu'en 1712 on construisit la flèche du clocher et qu'on refondit une cloche. A nouveau, vers 1758, on procéda à la refonte de deux cloches et à des travaux d'aménagements au cimetière. Ces frais sont notés au registre de la Haute Cour de Flawinne. On lit aussi à ce registre, sous la date du 3 janvier 1713, la relation du procès intenté à un nommé Ernest Dusart, accusé d'avoir tué sa femme, Jacqueline Ladry. Dusart fut condamné à mort et exécuté. A titre d'exemple, citons ici les décisions prises au Plaid tenu le 14 novembre 1769 : Défense est faite, par l'assemblée de la Communauté, « de tenir jeu public, de tirer pour mariage ou autrement, de tendre des lacets aux grives, d'aller cueillir du bois sec ou des herbes à la main dans les bois, de tenir des fusils chargés de dragées, de laisser courir les chiens dans le village si ce n'est ceux des bergers; de chasser ou de pêcher; de fréquenter les cabarets pendant les offices divins et après les heures défendues; d'avoir des engins pour tendre au gibier; de prendre lièvre et lapins, etc., en battant les haies, sur la neige ou autrement, avec des bourses ou autrement; de tenir des chiens de chasse; de détruire les oeufs et nids de perdrix. Ordonnance est faite de mettre à chaque chien, pendant toute l'année, un bilot d'un pied et demi de long; d'entretenir les chemins, de tondre les haies, saules et autres; de faire exactement les patrouilles. » Pour l'élection des « Commis » (administrateurs de la Communauté) le seigneur a trois voix pour trois charrues; l'Abbé de Malonne, trois voix pour trois charrues; M. Moreau, deux voix pour deux charrues (1) ; M. La charrue était l'étendue de terre présumée labourable à l'aide d'une charrue attelée de trois chevaux. Cette étendue était de 30 bonniers. Le bonnier valait un peu plus de 87 ares. (1) -23- Chantraine, 1 voix pour 15 bonniers de terre; Pierre Delahaut, une voix pour 15 bonniers. Les autres ne comptent que pour une voix pour cinq personnes. Nous avons omis, pour les exposer dans un chapitre spécial, les événements qui, à partir de la fin du XVIIe siècle, firent sortir Flawinne de son isolement géographique et politique et ainsi subir les répercussions de faits ressortissant à l'histoire générale. -24- -25- CHAPITRE V Les grands événements Une profonde transformation s'opéra à partir de la fin du XVIIe siècle dans la vie du petit village, jusque là fort isolé, de Flawinne. Elle eut pour origine et pour cause la construction de la grande chaussée qui relie Namur à Nivelles en passant par le carrefour des Quatre-Bras, célèbre par les furieux combats que livra le maréchal Ney, commandant une partie des forces de Napoléon, contre les Prussiens de Blucher, l'avant-veille de Waterloo (16 juin 1815). En 1683, le magistrat de Namur décida l'établissement de cette belle route. A cette époque il n'existait, en haut du territoire de Flawinne, qu'une ferme déjà ancienne; les toitures en tuiles qui surplombaient les rares maisons du village, étagées sur le versant de la vallée, avaient valu à ces bâtiments agricoles le nom populaire, aujourd'hui encore conservé, de « Rouge Cense » (1). Le tracé de la nouvelle chaussée passait à quelques centaines de mètres au nord-est de la ferme rouge. Messire Jean-Jacques d'Hinslin, seigneur et maître de Maibe, receveur général de la province et bourgmestre (2) de Namur, avança à la ville une somme de 4.000 florins de Brabant pour subvenir aux besoins urgents de cette entreprise considérable. Ses fonctions de bourgmestre amenaient messire d'Hinslin à suivre de près les travaux. Sans doute remarqua-t-il la Rouge Cense et s'intéressa-t-il à ce site remarquable. Il se rendit acquéreur de la ferme. Trois ans plus tard, en 1686, il achetait également, “du domaine”, la Seigneurie de Flawinne. Le « domaine » c'était à cette époque tout ce qu'avaient possédé en terres, châteaux, droits et taxes, les Comtes de Namur. On sait qu'en unifiant nos provinces, Philippe-le-Bon avait réuni sur sa personne les titres et droits des ducs; comtes et marquis de chacune de ces provinces. Et qu'en 1686, par transmission de l'héritage En wallon : « Li Rotge Cinse ». A Namur, le titre de bourgmestre désignait, non pas le chef de l'administration de la ville - qu'on appelait le « Maïeur » - mais le préposé à l'administration des finances : recettes et dépenses. (1) (2) -26- des ducs de Bourgogne à Charles-Quint et après celui-ci à la couronne d'Espagne, le roi de ce dernier pays était le comte de Namur. Messire Jean-Jacques d'Hinslin paya 3.000 florins cette seigneurie qui donc lui attribuait les droits et impôts que nous avons signalés cidessus, d'après le relevé fait en 1265. Il va de soi qu'au cours des quatre siècles qui s'étaient écoulés, ces droits seigneuriaux avaient été modifiés et réduits. La nouvelle chaussée faisait sortir Flawinne de son isolement géographique. Les habitants du village frayèrent bien vite, probablement en utilisant des chemins d'exploitation agricole, une route reliant Flawinne à la chaussée. Cette route, souvent modernisée depuis, est encore aujourd'hui la voie la plus pratique pour aller du centre de Flawinne à Namur (3). Elle porte encore aujourd'hui le nom qu'on lui donna anciennement, nous ignorons pourquoi, de « Djon Bréart ». Elle part des casernes actuelles pour aboutir en haut de Belgrade, en face du chemin qui mène au champ des manoeuvres. Les Flawinnois purent, dès lors, mener aisément au marché de Namur les légumes de leurs jardins, les productions de leurs champs. Les propriétaires de vaches se mirent à distribuer chaque matin leur lait dans la ville voisine. De nombreux Flawinnois s'en allèrent travailler de leur métier pour un patron namurois. La situation économique de Flawinne s'améliora de beaucoup, en quelques années. L'ouverture de la chaussée eut, sans retard, une conséquence imprévue. En 1692, le roi de France Louis XIV, qui tentait d'annexer à son royaume les riches provinces des Pays-Bas, menait une grande guerre contre le Souverain espagnol; comme toujours, nos provinces étaient le théâtre des hostilités. Et comme toujours l'Angleterre défendait la neutralité des provinces belges, d'autant plus que son souverain, Guillaume III, était un prince de la maison hollandaise d'Orange et qu'en prenant parti pour l'Espagne, ce prince retenait loin des provinces néerlandaises le conquérant français. Les grands généraux de Louis XIV gagnaient de retentissantes batailles, mais ne parvenaient pas à une victoire décisive. La route de la Basse Sambre, de création toute récente, a cependant, ces dernières années, détourné une bonne partie de la circulation. C'est par elle, notamment, que se fait le service des autobus entre Flawinne et Namur. (3) -27- Jean François d’Hinslin, seigneur de Maibes et de Saint-Germain, grand maïeur de Namur, mort en 1731, épousa Marie de Llano Velasco (peint par Maes). Ils eurent un fils (portrait du milieu), Jean-Baptiste d’Hinslin, qui hérita de son oncle, Nicolas d’Hinslin, époux de Marguerite Stapleaux, la Seigneurie de Flawinne (1755). Jean Baptiste d'’inslin épousa Hélène, fille du Baron de Ponty, Seigneur d’Hingeon. Sa veuve releva les Seigneuries de Flawinne et de Ronet en 1771. Ils eurent des fils, morts en bas âge, et six filles dont l’aînée épousa Messire van Huldenberg van der Borch. -28- Au printemps de 1692, les troupes françaises arrivèrent devant Namur, place forte de premier rang qu'elles devaient avant tout réduire. Louis XIV dirigeait en personne les opérations. Il arriva devant Namur par la nouvelle chaussée, le 26 mai 1692, et installa son quartier général sous une tente, aux environs de la Rouge Cense. De ce point culminant, on découvre fort bien Namur et sa citadelle. La ville de Namur n'avait pas une garnison suffisante pour assurer la défense de son enceinte fortifiée. Après quelques jours de siège, la ville se rendit aux Français et la garnison hispano-hollando-britannique se retira dans la citadelle, résolue de la défendre à outrance. Le siège du « château » de Namur commença dès lors sous la conduite de l'illustre officier du génie français, le maréchal Vauban. Louis XIV n'avait plus de raison de se tenir hors de portée des canons de Namur. Et la tente de la Rouge-Cense n'avait pas beaucoup de confort; le Roi, en effet, était, selon son habitude, accompagné, outre de ses officiers, de ce qu'on appelait à cette époque la « Maison du Roi », c'est-à-dire la Cour et ses fonctionnaires. Boileau et Racine étaient du nombre en leur qualité d' « historiographe du roi ». Racine date de Flawinne plusieurs lettres qu'il envoya à son épouse. Aussi dès la reddition de la ville et pour toute la durée du siège de la citadelle, Louis XIV alla résider dans le château dit « La Maison Blanche », situé aujourd'hui encore sur la rive opposée de la Sambre, dans la campagne de Bauce. Vauban mena à bonne fin le siège de la citadelle. Mais les revers ne tardèrent pas à survenir pour les armées françaises, qui furent peu à peu refoulées. En 1695, les Alliés, commandés par le roi d'Angleterre Guillaume d'Orange, arrivaient à leur tour devant Namur et assiégeaient la garnison française retirée dans la citadelle. A son tour, Guillaume III installa à la Rouge Cense son quartier général pour la durée du siège. Les combats qui se livrèrent devant Namur en mai 1692, avant l'ouverture du siège par Louis XIV, avaient causé des dégâts à Flawinne. Dès le 16 mai de cette année, les habitants adressèrent à l'Evêque de Namur la requête suivante : (4) La « Table des Pauvres » c'est-à-dire l'organisme qui, sous l'ancien régime, équivalait à notre moderne « Bureau de Bienfaisance » ou à l' « Assistance publique », relevait de l'autorité ecclésiastique. (4) -29- « A Monseigneur le Révérendissime et Illustrissime Evêque de Namur, remontrent humblement les pauvres du village de Flawinne que les maisons du village du dit lieu ayant esté brûlées, les habitans ont esté si réduits que les pauvres ne sçavent de quoi subsister, beaucoup moins payer leur contingent des contributions et rations exigées par la France. De tant plus que par le campement de l'armée commandée par le général Fleminghen et le comte T'Serclaes (5) pendant le mois de septembre dernier, l'espace de dix-sept jours, tout a esté entièrement consommé et ceux qui avaient commencé à rebastir sont en leurs maisons derechef démolies par l'asport (6) des matériaux si comme bois et ferrailles; cause que pour les secourir dans un besoing si grand, ils s'adressent à Votre Seigneurie Révérendissime et Illustrissime, la suppliant être servie de leur donner le pouvoir d'engager ou de vendre une prairie appartenant à la Table des Pauvres contenant trois journaux situé à Ronet, sur le bord de la Sambre. » Dans sa réponse donnée le même jour 16 mai 1692, l'évêque autorise le curé de Flawinne à engager les trois journaux de prairie, à condition de les désengager par l'épargne des revenus de la Table des Pauvres. Engager une propriété, c'était, dans l'ancien régime, ce que le droit moderne appelle « vendre à réméré ». Le vendeur se réserve le droit de racheter - « désengager » - dans un certain délai le bien vendu en remboursant à l'acheteur le prix payé et les frais d'acquisition. Nous verrons, dans la suite, d'autres faits d'ordre militaire qui survinrent à Flawinne, à l'occasion de l'utilisation par les armées de cette grande chaussée de Namur à Nivelles. Il s'agit de l'armée alliée opposée aux Français, laquelle se tenait aux abords de la nouvelle chaussée. (6) Asport signifie confiscation, saisie, réquisition. (5) -30- -31- CHAPITRE VI Le Château de Flawinne Messire Jean Jacques d'Hinslin était mort, en 1695, sans avoir eu le temps de construire, comme il en avait eu le projet, un château sur la propriété que constituait la Rouge Cense et les terres qui en dépendaient. Il avait laissé Flawinne à sa fille aînée, Jeanne Françoise, épouse d'Emmanuel de Fraula, colonel de cavalerie dans l'armée espagnole. Il avait probablement entrepris avant sa mort d'importants travaux et sans doute la construction de ce château. En effet, les époux de Fraula se déclarèrent incapables de faire face aux lourdes charges que leur imposait la seigneurie de Flawinne. Avec l'autorisation de l'autorité provinciale, ils cédèrent cette seigneurie et les biens afférents, le 14 février 1698, à leur frère et beau-frère respectif, Albert Nicolas d'Hinslin, bailli de Viesville, maire de Fleurus. Ce fut Messire Albert Nicolas qui acheva le château tel qu'il est encore aujourd'hui. Le 25 mai 1710, Sa Majesté - le roi d'Espagne agissant comme comte de Namur - lui octroya douze à quinze bonniers des communes (les Comognes) de Flawinne « pour l'embellissement de la maison seigneuriale qu'il a l'intention de bâtir ». En 1711, Albert Nicolas d'Hinslin obtint une autorisation spéciale du roi - le document figure aux archives du château de Flawinne - grâce à laquelle il put faire amener les terres provenant des déblais qu'on extrayait pour la modernisation de la Citadelle de Namur, qui était une des places fortes prévues pour le « Traité de la Barrière », constituant donc désormais une barrière contre les invasions françaises dans nos provinces. Ces terres servirent à l'aménagement des cinq splendides terrasses étagées au flanc de la colline, devant le château. La terrasse supérieure fut, à l'époque, plantée de marronniers qui, aujourd'hui plus de deux fois centenaires, font au clair château un majestueux écrin de verdure. Messire Albert Nicolas planta aussi la drève de tilleuls et créa le parc. -32- Il mourut en 1756, ayant donc eu le temps de voir la nature embellir son oeuvre. Il laissa Flawinne par testament à son neveu Jean-Baptiste d'Hinslin, bailli de Viesville, maïeur de Fleurus, époux d'Hélène Angélique, baronne de Ponty. Il fut le dernier seigneur de Flawinne de la ligne des Hinslin. Il mourut en 1783, laissant la seigneurie à sa fille Louise-Joseph, épouse de Th. de Prez de Barchon de Barcenal. LouiseJoseph mourut deux ou trois ans plus tard, sans postérité. Le château et la seigneurie de Flawinne passèrent dès lors à la seconde fille de Messire Jean-Baptiste d'Hinslin, Marie-Joseph, épouse du baron Huldenberghe van den Borcht, d'une maison qui donna des bourgmestres à Louvain sous l'ancien régime. Ce fut au château de Flawinne que, le 6 avril 1790, eut lieu la conférence entre les Belges révoltés contre l'empereur Joseph II. Les patriotes étaient partagés en deux fractions rivales, les « Statistes » de Van der Noot et les « Progressistes » de Vonck. Une petite armée de tendance vonckiste occupait Namur, sous les ordres du général Van der Mersch. Les Etats de Bruxelles envoyaient contre ces dissidents, une autre armée révolutionnaire - dite statiste parce qu'elle était aux ordres de ces Etats - sous le commandement du général Schoenfeld, d'origine prussienne. Schoenfeld arrivait, bien entendu, par la chaussée de Nivelles à Namur. Van der Mersch envoya, pour l'arrêter, des troupes par la même route. La rencontre se fit au-dessus du village de Belgrade. Il semble bien qu'il y eut combat, car, il y a trois quarts de siècle, on voyait encore, à l'orée d'un petit bois sis à l'angle de la grand-route et du chemin venant de Flawinne (1), dans une prairie, parfaitement dessinées par l'affaissement des remblais, deux ou trois excavations rectangulaires de quatre à cinq mètres de long sur deux mètres de large environ. Et les vieilles gens de Belgrade disaient : « C'est là dedans qu'on a enterré les morts de la Révolution ». Pour éviter une lutte fratricide, les chefs des deux partis se rencontrèrent au château de Flawinne et conclurent une convention que, du reste, le Prussien Schoenfeld s'empressa de violer, le soir même : une fois entré à Namur, il fit arrêter et emprisonner le général Van der Mersch et les officiers vonckistes. Ce bois a été défriché et des villas se sont construites sur les terrains lotis à cet endroit. (1) -33- Armoiries de Nicolas-Albert d'Hinslin, seigneur de Flawinne, et de son épouse, Marguerite Stapleaux. (Les Stapleaux étaient seigneurs de Boneffe.) Nicolas d'Hinslin et son épouse, Maguerite Stapleaux moururent sans postérité et laissèrent, en 1755, la seigneurie de Flawinne à leur neveu, Jean-Baptiste d'Hinslin. -34- Le 21 novembre 1792, le général Valence, qui commandait l'aile droite de l'armée française de Dumouriez, arriva devant Namur et établit son quartier général au château de Flawinne pendant le bref siège de la citadelle, dans laquelle une garnison autrichienne résistait. Le village de Flawinne fut occupé par les sans-culottes français. Le curé Desgranges dut se cacher, car, à son registre des actes de baptême, il avait consigné un peu plus tard une note disant : « Les troupes françaises étant parties du côté de Liège, j'ai repris les originaux des actes et les ai transcrits à ce registre ». Les époux Huldenberghe résidèrent à Flawinne pendant toute la tourmente révolutionnaire qui suivit la conquête des Pays-Bas autrichiens par les Français. S'ils perdirent leurs droits seigneuriaux abolis par la Révolution, il ne paraît pas qu'ils aient été inquiétés ni dans leurs personnes, ni dans leurs biens. En 1814 seulement, après la défaite de Napoléon à Leipzig, un détachement russe occupa la propriété et y commit de graves déprédations. On conserve, au château, légalisé par le maire de Flawinne, l'inventaire des dégâts causés par les Cosaques. Dans les jours qui suivirent la bataille de Waterloo (18 juin 1815), il se livra, aux abords du château, un vif engagement entre Français en retraite et poursuivants anglais et prussiens qui, les uns et les autres, suivaient la grande chaussée. On voit encore dans les bois, voisinant avec les tranchées allemandes de 1916, les fortifications de campagne établies alors par les combattants. En 1903, des travaux de terrassement, nécessités pour la construction de maisons, le long de la grand-route, à la sortie du chemin particulier venant du château, à l'endroit dit « Le Marronnier », on mit au jour les ossements d'un soldat, qui, grâce aux boutons de son uniforme, reconnus par la fabrique de Londres qui les avait confectionnés et qui existait toujours, fut identifié comme ayant appartenu au 13e régiment d'Infanterie britannique qui combattit à Waterloo. Des tilleuls centenaires de la drève portent, profondément encastrés dans leurs troncs, des boulets de canons tirés pendant ces combats. Marie-Joseph d'Hinslin mourut sans postérité et laissa le château à son mari, le baron Huldenberghe van den Borcht. Celui-ci se remaria. Après lui, la propriété qui jamais ne fut vendue depuis sa fondation, passa, par héritages successifs durant le XIXe siècle, dans les familles de -35- Vue du château de Flawinne prise du côté de la chaussée. - Comté de Namur. -36- Doetinghem, baron de Ville et baron de Lossy. Le mariage de la dernière héritière, Berthe de Lossy, avec Nicolas, Chevalier David, la fit entrer dans la famille de ce dernier. Berthe de Lossy survécut à son mari et à son fils, le Chevalier Edmond David. Depuis son décès en 1929, le beau domaine appartient à son petit-fils, le Chevalier Fernand David de Lossy, lequel, à son retour de la guerre de 1914-1918, qu'il fit comme volontaire, a épousé la châtelaine actuelle, née Claire de Béthune. L'intérieur du château a, sauf les appropriations nécessitées par le progrès moderne, gardé intact son cachet ancien. On y voit notamment un plafond de style, oeuvre des frères Moretti, artistes stucateurs italiens, qui vinrent, au XVIIIe siècle, exécuter la décoration intérieure de la cathédrale de Namur. (2) Ce qui est incomparable, c'est la vue que l'on a du haut de la grande terrasse, à l'ombre des marronniers. Le visiteur aperçoit, se déroulant à ses pieds en gradins étagés, le village de Flawinne, aux maisons éparpillées sur le flanc de la colline. Plus bas, à droite, on devine la sinueuse vallée dont jaillit le fut rigide et empanaché de fumée des dernières usines de la Basse-Sambre. Vers la gauche, embué dans la brume qui flotte sur l'horizon, au fond de la cuvette vers laquelle convergent, comme un dessin de perspective, toutes les lignes du paysage, le somptueux dôme de la cathédrale Saint-Aubain émerge des toits pointus de la ville de Namur. Lors de la construction de la cathédrale de Namur dont la première pierre fut posée le 21 juin 1750 et qui fut consacrée le 20 septembre 1772, les familles alliées d'Hinslin de Flawinne et de Zualart de Namur firent don de l'autel de marbre du transept de gauche. Le seigneur de Flawinne entra ainsi en relations avec l'architecte de la cathédrale, l'Italien Pizzoni, et les stucateurs que ce dernier avait fait venir de Milan, les frères Moretti. Ce fut ainsi que le Sire d'Hinslin chargea les Moretti de la décoration de plafonds au château de Flawinne. (2) -37- CHAPITRE VII Belgrade Il fallut quelque temps avant que ne se construisissent, au long de la chaussée de Namur à Nivelles, là où se trouve aujourd'hui l'important centre de la commune, les premières maisons de Belgrade. L'endroit était quasi inhabitable par suite de l'absence complète d'eau de source. L'unique puits creusé bien plus tard, au XIXe siècle, par la commune de Flawinne, n'a trouvé l'eau qu'après avoir percé une épaisse couche de pierre calcaire, à une trentaine de mètres de profondeur. Mais nécessité fait loi. En vertu du Traité de la Barrière, auquel il a été fait allusion ci-dessus, une garnison hollandaise occupait la ville de Namur, alors entourée d'une enceinte fortifiée, et la citadelle. Les militaires, surtout lorsqu'ils sont des occupants étrangers, se soucient fort peu des intérêts de la population civile. Pour réduire le plus possible la désagréable corvée de la garde aux portes de la cité, le commandant hollandais faisait fermer très tôt à la fin de la journée et ouvrir très tard chaque matin, les portes de Namur. Il en résultait de sérieux inconvénients pour les rouliers qui n'avaient pas tardé à utiliser la chaussée de Namur à Nivelles pour leurs transports entre la ville et les régions du Nord, Bruxelles et les grandes villes flamandes. Ces voituriers tenaient à se mettre en route à l'aube et ils prolongeaient la marche de leurs équipages aussi tard que possible. Ils prirent ainsi l'habitude de camper à deux bons kilomètres de la ville, là où Belgrade se bâtit dans la suite. Ils sortaient de la ville avant la fermeture des portes, le soir; bêtes et gens dormaient à Belgrade et pouvaient se mettre en route, pour une longue étape, aux premières heures du lendemain. Ou bien, ceux qui se dirigeaient vers Namur continuaient leur route le soir, s'arrêtaient à Belgrade et ainsi entraient à Namur dès l'ouverture matinale des portes, le lendemain. -38- Il se trouva bien vite un homme entreprenant pour construire, à cet endroit, une grande et accueillante auberge qui devint le rendez-vous des rouliers. Pour parer au manque d'eau, notre aubergiste creusa une grande fosse bien étanche, dans laquelle, à chaque averse, il dirigeait le débit du fossé de ruissellement, établi sur l'accotement de la chaussée. A cette époque, Belgrade, la capitale de la Serbie, attirait les regards de la chrétienté. Cette ville subit, de la part des Turcs ou des Autrichiens, des sièges mémorables en 1688, 1693 et 1717. Quelqu'un imagina d'appeler Belgrade l'endroit jusque là resté sans nom : le nom fit fortune à la façon, par exemple, du nom Katanga donné par un cheminot loustic, à un coin éloigné de la gare de formation de Ronet ; on sait que ce nom est passé dans le langage du chemin de fer. Bientôt, à côté de cette auberge, s'installa le forgeron qui réparait les véhicules, ferrait les chevaux ; d'autres artisans suivirent. Un cultivateur s'y établit pour vendre aux rouliers l'avoine, le foin et la paille ; l'agglomération de Belgrade était née. Les habitants prenaient soin de munir leurs demeures d'une citerne dont ils employaient l'eau. Vers le milieu du XVIIIe siècle, il y avait assez de population pour qu'on jugeât nécessaire d'y bâtir une chapelle où un prêtre de Namur venait, chaque dimanche, célébrer la messe. Cette chapelle existe encore, transformée en habitation particulière. Les campagnes environnantes furent défrichées et mises en culture et de petits hameaux - La Hiaube, La Boverie - se formèrent. Un siècle plus tard, il y avait à Belgrade une école fondée par la commune de Flawinne, une église nouvelle desservie par un vicaire dépendant du curé de Flawinne. On créa un cimetière, on ouvrit de bons chemins vers Flawinne et vers les fonds de Salzinnes-les-Moulins. Belgrade s'accroissait d'année en année et de nombreux travailleurs namurois y établirent leur domicile, de préférence aux appartements incommodes de la ville. On arriva ainsi à la fin du siècle dernier. Belgrade avait une population tout à fait distincte de celle de Flawinne. Plus proches de la ville, ses habitants étaient plus affinés. Bien peu d'intérêts étaient communs entre Flawinne et sa dépendance administrative. Le vicariat de Belgrade avait été érigé en paroisse, peu avant 1870. Les belgradois demandèrent à former une commune distincte. Une loi votée en 1898 leur donna satisfaction. Un partage attribua à la nouvelle commune une partie du bois des Comognes, qui était propriété communale. -39- Depuis lors, grâce à des communications faciles avec Namur, depuis l'établissement du tramway vicinal Namur-Onoz-Fleurus, électrifié plus tard entre Belgrade et Namur, la jeune commune a vu tripler sa population - elle était de 800 âmes environ, lors de l'érection en commune; elle dépasse actuellement 2.700 habitants. Nous n'avons pas à en dire davantage ici, dans un travail consacré exclusivement à la commune de Flawinne. Il suffit de constater en conclusion de ce court chapitre, que c'est encore la construction de la grand-route de Namur à Nivelles qui est l'origine et la cause de cette séparation. -40- -41- CHAPITRE VIII Le partage des Comognes Pendant la longue période de paix et de prospérité que fut le règne de la grande impératrice Marie-Thérèse et la bienfaisante administration des Pays-Bas autrichiens, par le bon duc Charles de Lorraine, beau-frère de l'impératrice et gouverneur général de nos provinces, la population s'accrut considérablement dans les Pays-Bas. C'était le cas tout particulièrement à Flawinne, depuis l'ouverture de la grand-route, ainsi qu'il a été dit ci-dessus. Marie-Thérèse, sur avis des autorités constituées, résolut d'obliger les communautés du pays - c'est-à-dire les administrations locales qui devaient devenir des communes plus tard - à partager, entre leurs ressortissants, les vastes étendues de terres, de bois et de landes, jusque là restées incultes, qui étaient propriétés de la communauté. On appelait ces terres d'un nom qui variait selon les régions du pays. Dans le Namurois, on disait « les Comognes ». Les documents les nomment « les Communes ». Un édit impérial de 1773 régla les choses. Il spécifiait que les propriétés communes susceptibles d'être mises en culture seraient divisées en autant de portions qu'il y avait de chefs de famille dans chaque communauté, les veuves comprises. Ces portions seraient d'au moins d'un demi-journal (1), mais ne pouvaient excéder un bonnier. Chaque portion serait tirée au sort, en présence du commissaire impérial. S'il y avait du restant après l'assignation des portions, ce restant serait employé en pâturage commun pour le bétail. Il constituerait une réserve permettant d'établir dans la suite les chefs de famille nouveaux venus. (1) Le journal équivalait à 25 ares 65. Le bonnier valait 87 ares 17. -42- Le bénéficiaire d'une portion avait deux ans pour défricher et mettre en culture son lot. Les défricheurs seraient exemptés pendant trente ans des impôts et taxes, y compris le droit de dîme. Pendant trente nouvelles années, ils ne payeraient que la moitié des redevances ordinairement dues. Les « Communes » non cultivables devaient être converties en bois. Enfin, les bénéficiaires d'une portion ne pouvaient aliéner leur lot avant six années révolues. L'édit impérial fut appliqué à Flawinne. La communauté comptait cent et un chefs de ménage, ainsi qu'il est établi par un rôle nominatif dressé en 1758 pour la répartition entre eux d'une contribution extraordinaire de 141 florins levée pour subvenir aux frais de la refonte d'une cloche. Ce fut donc à cette époque qu'eut lieu le partage des Comognes flawinnoise. Il y eut un certain nombre d'habitants du fond qui, par fierté, se refusèrent de prendre part à ce lotissement. Il en résulta que la population qui s'installa aux Comognes, sur les lots, était plutôt la partie besogneuse des habitants. Une sorte de rivalité s'établit entre le « fond » et « les Comognes ». Il n'y a pas bien longtemps que cette situation pris fin. On pouvait encore, voici quelque cinquante ans, entendre un vieux Flawinnois du fond apostropher avec mépris son fils qui courtisait une jeune fille du haut du village : « Va-t-en dans les parts des Comognes ». Les bénéficiaires des lots durent bien construire leur maison au hasard du lotissement, en dehors des chemins dûment établis. Ceci implique l'étrange éparpillement qui jadis était la règle pour les maisons des Comognes. Des chemins ou des sentiers s'aménagèrent forcément et souvent de façon peu rationnelle. Des améliorations sérieuses ont été apportées, sous ce rapport, ces trente dernières années. Une bonne partie des anciennes Comognes fut convertie en bois. Celui-ci est toujours propriété communale : une partie, nous l'avons vu, en a été attribuée à la commune de Belgrade lors de la séparation de 1898. Selon l'édit de Marie-Thérèse de 1773, une partie des Comognes ne fut pas lotie, de façon à constituer la réserve pour les nouveaux chefs de famille. Certaines de ces portions n'avaient pas encore été attribuée quand s'établit, à l'époque de Napoléon, le régime communal actuel. -43- Avec les amateurs qui se présentèrent alors, l'administration communale, peut-être en raison de règlements établis par l'autorité supérieure, conclut des baux emphytéotiques (2) avec minime redevance. Beaucoup de ces redevances, sinon la plupart, ont été rachetées par les bénéficiaires du bail, qui sont ainsi devenus légalement des propriétaires. Il est vraisemblable qu'il n'y a plus aujourd'hui aucun de ces baux. Le bail emphytéotique a une durée de 90 ans. Il permet au locataire de vendre ou transmettre par héritage ses droits sur le bien. (2) -44- -45- CHAPITRE IX Flawinne moderne La commune de Flawinne, avec son régime actuel, a été constituée en 1806 sous l’empire français. Un acte de délimitation, conservé à la maison communale, fut passé à cette date entre les délégués des communes intéressées : Flawinne, Floriffoux, Suarlée, Rhisnes, SaintServais et Namur. (1) Depuis lors, l’administration communale a géré le village et, dans les cinquante dernières années, totalement transformé celui-ci. De plus, de grands travaux ont apporté à Flawinne des avantages remarquables, tout comme l’avait fait un siècle plus tôt l’ouverture de la chaussée de Namur à Nivelles. Nous ne pouvons qu’énumérer ici ces travaux, dont chacun peut constater autour de soi les bienfaisants résultats. Les dates qui sont ciaprès indiquées sont approximatives. Le régime français de 1794 à 1815, se soucia peu d’apporter des améliorations aux conditions économiques de nos provinces. L’administration française visait surtout à prélever le plus d’impôts possible et de dépenser le moins possible au profit des contribuables belges. Il n’y a donc rien à signaler pour cette période de rattachement de Flawinne à la France. Signalons seulement ici un épisode un peu oublié à Flawinne : Au cours du combat qui eut lieu peu après la bataille de Waterloo aux environs du château de Flawinne, un soldat français descendait en courant la route de terre appelée encore aujourd’hui le « Baty du Chêne ». Un grand et fort sergent prussien le poursuivait. Le Français, épuisé, se voyant près d’être rejoint et massacré, s’arrêta, épaula son fusil et abattit raide mort le Prussien. Depuis la séparation de Belgrade, il n’y a plus de contact entre les territoires de Flawinne, de Rhisnes et de Saint-Servais. (1) -46- Il y eut une certaine émotion au village, où l’on craignait les représailles. Aussi, en toute hâte, on cacha le soldat français et quand celui-ci fut restauré et reposé, on lui facilita le retour dans son pays. Quant au cadavre, on l’enterra au milieu du Baty du Chêne et l’on plaça sur la tombe, pour la dissimuler, un énorme quartier de roche. Celui-ci resta plus d’un siècle en place et le charroi agricole devait le contourner. Il a été déplacé ces dernières années, mais, vu son poids, on s’est borné à le repousser sur l’accotement, dans un fossé. Il y est encore. La présence à cet endroit de ce quartier de roc, de poids énorme, s’explique difficilement, car il n’y a dans les environs aucun banc rocheux dont on aurait pu le détacher. Peut-être cette pierre est-elle un vestige d’un monument druidique, menhir, dolmen ou cromlech comme on en voit encore beaucoup en Bretagne et comme on en rencontre çà et là en Belgique (dolmen de Weris, menhir de Gozée). Une tradition recueillie il y a longtemps, à Flawinne, rapportait que le Prussien avait été enterré par « le pèpère Misaure ». Flawinne a toujours donné des surnoms à certaines de ses familles, sans qu’on en comprenne la signification. Celui de Misaure était porté par une famille Defurnaux. Quels qu’aient pu être les torts politiques et religieux du roi Guillaume de Hollande entre 1815 et 1830, il faut reconnaître que le régime hollandais fit beaucoup pour l’équipement économique de la Belgique. Nos provinces avaient vu, pendant la période napoléonienne, se créer chez elles une multitude d’industries de toutes sortes et de toutes importances, surtout pour subvenir aux énormes besoins des armées du célèbre Empereur français. Après la chute de celui-ci, consécutive de sa défaite de Waterloo, il fallut bien convertir en fabrication de paix ces ateliers spécialisés dans les fournitures militaires. Le marché intérieur belge n’était pas suffisant pour absorber cette production industrielle. Il était donc nécessaire d’exporter une large partie de celle-ci. Mais pour exporter il faut transporter et les communications par la route étaient excessivement onéreuses. Pour résoudre ce problème des transports, les Hollandais, dont le pays est tout en rivières et canaux naviguables, songèrent avant tout aux voies d’eau. Et ainsi, de 1820 à 1830, de grands travaux furent exécutés pour créer des moyens de transports peu coûteux : la canalisation de rivières et le creusement de canaux. -47- Château de Flawinne : La Drève. -48- Ce fut ainsi que la Sambre fut canalisée entre 1820 et 1830. On creusa, pour y établir une écluse, un canal à Bauce selon la corde de l’arc décrit par une boucle de la Sambre. Un déversoir-barrage fut établi pour relever le niveau de la rivière dans le bief d’amont et, comme il a déjà été dit précédemment, des dragages approfondirent le lit de la Sambre dans le bief aval, vers Namur. Un pont carrossable fut aménagé sur les piles du barrage et un pont levis installé sur l’écluse du canal à Bauce. Depuis lors Flawinne a d’excellentes communications routières avec Malonne et les localités situées vers l’amont par la bonne route de Namur à Fosses qui passe dans le hameau de Bauce. Après 1830, le Gouvernement belge, sans abandonner l’aménagement des voies d’eau, recourut à une solution spécifiquement belge au problème des transports : les chemins de fer, dont la première ligne entre Bruxelles et Malines, fut ouverte à la circulation en 1835. Peu après 1840, on construisit la ligne de Namur à Charleroi, mais bien que traversée par celle-ci, la commune de Flawinne n’en bénéficia pas parce qu’aucune gare n’avait été aménagée sur son territoire. Cette gare ne fut décidée et établie qu’après 1870. Et, dès lors, l'essor de Flawinne commença. Une usine pour le traitement des sous-produits de la distillation du charbon - le goudron - fut établie avec raccordement à la station de Flawinne. Un chantier pour le créosotage et le sabotage des billes de chemin de fer fut installé sur un terrain touchant la gare. Des spécialistes pour la distillation du goudron vinrent, du pays flamand, s’installer à Flawinne. C’est là l’origine de plusieurs familles à noms nettement flamands, dont les descendants sont, à Flawinne, devenus de purs Wallons. En 1888, lors de la construction du fort de Malonne, les entrepreneurs de ces importants travaux, établirent sur les terrains bordant la Sambre, un bout de chemin venant de la gare, un vaste dépôt des graviers nécessaires à la confection du béton du fort. Ces graviers provenaient de dragages en Meuse namuroise. Ils étaient amenés à Flawinne par bateaux. Un raccordement à la gare de Flawinne assurait l’arrivage du ciment et du sable. Un chemin de fer aérien fut installé entre ce dépôt et le chantier du fort en haut de la Vecquée. On put ainsi transporter les énormes quantités de gravier, de sable et de ciment qui servirent à la construction du fort de Malonne et de celui de SaintHéribert, quelques kilomètres au sud du premier. -49- Quelques années plus tard, vers 1890, l’Etat Belge, qui exploitait directement alors le chemin de fer, créait la grande gare de formation de Ronet. Nombreux furent les cheminots étrangers à la commune : machinistes, chauffeurs, serre-freins, gardes-excentriques, annotateurs et trieurs qui, occupés à la gare de Ronet, vinrent s’établir à Flawinne, dont la population s’accrut d’autant. Une usine, toujours en activité, la fabrique de récipients en tôle emboutie de Ronet, s’établit auprès de la gare de Ronet, avec raccordement à celle-ci. D’autre part, grâce à la situation de Flawinne, où ils pouvaient s’embarquer au train matinal pour aller à leur besogne et débarquer le soir au retour du travail, de nombreux Flawinnois trouvèrent de lucratives occupations dans les usines de la Basse-Sambre, vers Floreffe, Moustier et Charleroi, ou dans la ville de Namur. Leurs gains étaient suffisants, grâce à l’esprit d’économie des ménagères, pour qu’en une trentaine d’années précédant la première guerre mondiale, de nombreuses maisons nouvelles furent construites au bénéfice de la loi sur les habitations ouvrières. Après cette guerre, dont matériellement Flawinne n’eut guère à souffrir, commença enfin la modernisation du village. Le grand mal était, à Flawinne, la contamination des fontaines. Le typhus faisait chaque année des victimes parmi la population. L’établissement de la distribution d’eau, peu après 1920, fit disparaître totalement ce fléau. Les chemins avaient déjà été notablement améliorés au début du siècle, sous l’active et intelligente direction du bourgmestre le Chevalier Edmond David. La modernisation fut poursuivie et les derniers travaux ont complètement transformé et embelli le centre de la commune, en 1950-1951. L’éclairage électrique fut installé en 1925, puis après fut créé le service d’autobus reliant le haut de Flawinne à Namur par la nouvelle route de la Basse-Sambre. Les habitants des Comognes, pour qui il était extrêmement pénible d’aller et venir entre leur domicile et la gare, furent heureux de ce progrès. Signalons encore, bien qu’il intéresse assez peu le village de Flawinne, l’établissement, à la fin du siècle dernier, de la ligne vicinale qui emprunte l’assiette de la chaussée de Namur à Nivelles. Ce fut Belgrade qui bénéficia surtout de ce moyen de communication. -50- -51- CHAPITRE X Flawinne moderne (Suite) Vers 1850, la commune fit construire l’église actuelle. L’école communale mixte était établie dans une maison qui existe toujours sur la place de l’Eglise, où elle est propriété de l’Association des oeuvres paroissiales. Elle était insuffisante. La commune construisit, vers 1860, les écoles actuelles avec local pour les services communaux. Il y eut une école à deux maîtres pour les filles et une autre pour les garçons. En 1907, il fallut agrandir ces écoles par la création d’une troisième classe pour chacun des deux sexes. Après la guerre, de nouveaux agrandissements eurent lieu. On bâtit alors aussi, au « Nourrit », l’école gardienne actuelle. L’église fut restaurée vers 1910. Les fenêtres furent garnies de vitraux, dons de paroissiens. Malheureusement ces vitraux ont été détruits pendant la dernière guerre par les effets terrifiants des bombardements aériens de la gare de Ronet. Le cimetière primitif de Flawinne ne comprenait que la partie actuelle sise entre l’église et la place, et peut être quelques mètres de l’autre côté du temple. C’était suffisant pour une population de quelques centaines d’âmes. Après la construction de l’église actuelle il fallut bien agrandir ce cimetière, en raison de l’accroissement de la population. La commune acheta donc du terrain du côté sud de l’église, vers la Sambre. A cette occasion se fit un aménagement assez rare du champ de repos. Quelques familles notables de Flawinne, les Pirot, dont le chef était bourgmestre, les Adam, les Malevez, achetèrent, en même temps que la commune, quelques mètres carrés de terrain pour s’y réserver une sépulture spéciale. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore quelques petites enclaves, en plein cimetière, sont des propriétés privées. Des caveaux y ont été aménagés. Le cimetière fut agrandi une deuxième fois vers 1900, -52- par emprise sur les propriétés vers le sud. Enfin, tout récemment, une nouvelle extension a été réalisée par de-là le chevet de l’église. Nous avons vu que l’abbaye de Malonne possédait de grandes étendues de terre à Flawinne. La plupart de ces champs étaient groupés en une « Grande Ferme » qui existe toujours, bien que fortement modernisée, en face du jardin de la cure. Une autre ferme, dite « La Petite Cense », se trouvait un peu plus bas vers le sud-est. Lors de l’invasion des Français à la fin du XVIIIe siècle, l’abbaye de Malonne dut se procurer les fonds nécessaires au payement d’une forte contribution de guerre exigée par les Français. Elle vendit alors la « Petite Cense ». L’acquéreur fut le fermier de l’époque nommé Delahaut, qui transforma en habitation le bâtiment qui jusque là servait de dépôt des droits de dîme en nature dus au Prélat de Malonne. Cette petite cense a été, dans la suite, partagée à plusieurs reprises entre des héritiers. Et lors de l’établissement du chemin qui descend par une courbe de l’église à la gare, vers 1880, une partie des bâtiments de cette ancienne « Petite Cense » durent être démolis pour faire place à la route. La « Grande Cense » fut déclarée par les Français bien national et vendue publiquement. Il se présenta peu d’amateurs, parce que cette expropriation de biens d’église était considérée comme une grave faute. Des moines de Malonne, sécularisés, rachetèrent à bas prix la Grande Cense. Après le rétablissement du culte en 1801, sous Napoléon Bonaparte, ces moines, qui avaient aussi racheté les bâtiments abbatiaux de Malonne, rentrèrent dans leur abbaye. Ils moururent les uns après les autres. Pour subsister, ils durent bien vendre, dans le premier quart du XIXe siècle, la Grande Cense, qui devint ainsi propriété particulière. Dans le milieu du XIXe siècle, une société obtint la concession pour l’exploitation du charbon sur le territoire de Flawinne. Un puits fut creusé dans le haut des Comognes. Mais l’exploitation fut déficitaire, surtout à cause de l’abondance des eaux envahissant la galerie. On rapporte que pour assurer l’exhaure de ce puits, la société concessionnaire se procura une forte machine à vapeur. Celle-ci, venant du pays de Charleroi par Malonne et Bauce, dut être hissée péniblement en haut de Flawinne. On raconte que pour gravir l’unique chemin qui, vers 1860, reliait le village au pont de Bauce - on l’appelle encore « le Tienne Tonton » et sa raideur donne une idée des difficultés qu’il fallut -53- vaincre - il fallut un attelage de vingt-trois chevaux pour tirer le lourd véhicule. L’exploitation fut du reste vite abandonnée. La concession périmée fut reprise, il y a moins de vingt ans, par la Société des Charbonnages Sainte-Rita, qui vainquit les difficultés en opérant l’extraction par galeries, ouvertes au niveau du chemin de fer, dans la colline. Le Château des Quatre Seigneurs, avec la ferme qui en dépend, est d’origine relativement récente. Il fut, si pas bâti, au moins agrandi vers 1880. Son nom provient de celui d’un bois, inclus dans le domaine, qui portait de temps immémorial le nom de « Bois des Quatre Seigneurs ». Il y eut, jusqu’au milieu du XIXe siècle, sur la hauteur de La Hiaube, un moulin à vent qui traitait les blés récoltés dans la commune. L’invention du moulin à vapeur et à cylindres en fit suspendre l’activité devenue peu rémunératrice. Un fabricant de robinets s’y installa et utilisa comme moteur les ailes de l’ancien moulin. Cette affaire disparut. Et le cône du moulin fut transformé en habitation qui existe encore. Pour terminer ces notes, signalons la belle pierre tombale aujourd’hui encastrée dans le mur sous le porche de l’église. Cette pierre, artistiquement sculptée, avait été placée, dit l’inscription qui y figure, sur la tombe de Jean Bovinisty, en son vivant mambour de l’église de Flawinne - c’est-à-dire membre et même président de la fabrique alfaire d’une compagnie de bourgeois de Namur (1) maître de l’hôpital Saint-Jacques à Namur, décédé le 22 juillet 1647, et de son épouse, Jeanne Stapiau. Ce Jean Bovinisty était donc un personnage considérable. On peut se demander pourquoi et comment ce bourgeois de Namur fut inhumé à Flawinne. Or, quelques années après ce décès, on rencontre comme curé de Flawinne Antoine Bovinisty (1674). D’après les registres paroissiaux des naissances de Namur, il y eut un Bovinisty Jean époux de Jeanne Stapeau; parmi leurs six enfants, il y en eut un auquel fut donné le prénom d’Antoine, né le 26 août 1639 et donc âgé de 35 ans en 1674. Il peut être ainsi le curé de Flawinne. Mais (1) L’alfaire ou alfère, en espagnol « Alferez », était, dans les armées espagnoles, l’officier porte-drapeau. Au XVIIe siècle, les Provinces belges étaient rattachées à l’Espagne. -54- son père n’est sûrement pas mort en 1647, car deux de ces enfants, des jumeaux, sont nés le 25 avril 1650. Toutes ces données concordent pour reconnaître dans Jean Bovinisty le père du curé de Flawinne, hormis la date de la mort en 1647. Il faut supposer une erreur du sculpteur de la pierre tombale, qui a peut-être gravé 1647 au lien de 1674. Le curé Bovinisty aurait dès lors fait exécuter pour ses parents cette remarquable tombe. -55- TABLE DES MATIÈRES Chapitre I: Le nom de Flawinne -- La situation géographique .......................3 Chapitre II: L'histoire de Flawinne avant le XIIe siècle ......................................7 Chapitre III : L'administration à Flawinne au XIIIe siècle...................................13 Chapitre IV : Flawinne après le XIIIe siècle........................................................17 Chapitre V : Les grands événements..................................................................25 Chapitre VI : Le château de Flawinne.................................................................31 Chapitre VII : Belgrade........................................................................................37 Chapitre VIII : Le partage des Comognes..............................................................41 Chapitre IX : Flawinne moderne.........................................................................45 Chapitre X : Flawinne moderne (suite) ..............................................................51