nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/14 18:32 Page107 Nouvelles techniques de soins Mucites radioet chimio-induites : actualités sur la prise en charge R.J. Bensadoun, E. Caillot Service de Radiothérapie, CHU de Poitiers, 2, rue de Milétrie, 86000 Poitiers, France La mucite est une complication majeure induite par la radiothérapie et/ou la chimiothérapie dans le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures. Cette toxicité a un fort retentissement sur la qualité de vie des patients ainsi que sur la réalisation optimale des traitements qui leur sont proposés. La physiopathologie, les facteurs de risque, l’incidence et les conséquences de la mucite seront abordés dans cette revue. Si sa prise en charge est avant tout symptomatique (prescription d’un traitement antalgique et support nutritionnel), depuis quelques années, plusieurs études révèlent que l’utilisation du laser basse énergie est particulièrement intéressante dans la prévention et le traitement des mucites radio- et/ou chimio-induites. L a radiothérapie, exclusive ou postopératoire, occupe une place fondamentale dans le traitement des cancers des voies aérodigestives supérieures. La tendance actuelle est à une intensification thérapeutique avec l’association de chimio- et/ou biothérapies de façon concomitante à la radiothérapie. Ces nouvelles stratégies, dans une optique curative, s’accompagnent d’une amélioration de la survie globale, mais aussi d’une augmentation significative de la toxicité aiguë, en particulier de mucites oropharyngées [1]. La mucite oropharyngée est une complication fréquente des traitements par radiothérapie et/ou chimiothérapie des cancers oropharyngés (36 à 100 % en cas de traitement combiné [2]). Son impact est majeur en termes de morbidité liée au traitement. Cette toxicité altère significativement la qualité de vie des patients et constitue un motif fréquent de recours aux antalgiques opioïdes, d’hospitalisation et de support nutritionnel par sonde. À son paroxysme, elle peut constituer un motif Bulletin Infirmier du Cancer d’interruption des traitements altérant de façon majeure les résultats en terme de contrôle tumoral [3] grevant le pronostic vital des patients. La prise en charge de la mucite, dans un souci d’optimisation thérapeutique, est une préoccupation majeure des professionnels qui fait l’objet de recommandations internationales comme celles du groupe Mucites MASCC/ISOO (Multinational Association of Supportive Care in Cancer/International Society for Oral Oncology) [4]. L’intensification des traitements oncologiques proposés dans un but d’amélioration de la survie des patients atteints de cancers ORL avancés [5] doit s’accompagner de mesures préventives et thérapeutiques pour pallier aux effets délétères des mucites aiguës. Dans ce contexte, le développement de l’usage du laser basse énergie pourrait apporter une aide précieuse pour soulager cette toxicité aiguë et mener le traitement à son terme [6]. 107 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page108 Nouvelles techniques de soins Définition Potentialisation et production de médiateurs actifs La mucite radio-induite (comme la mucite chimioinduite) est définie comme l’altération non seulement de l’épithélium, mais aussi de l’ensemble de la muqueuse et du tissu conjonctif sous-jacent, se traduisant par l’apparition d’une ulcération. La phase de cicatrisation est caractérisée par l’apparition d’un infiltrat de cellules inflammatoires, avec exsudat interstitiel, fibrine et débris cellulaires, produisant une pseudomembrane qui, lorsqu’elle est hydratée par la salive, peut prendre une couleur blanche ou opalescente, alors qu’une infection en surface peut la faire apparaître jaune ou verdâtre. Il est facile, dans ce cas, de la confondre avec une infection à Candida, d’autant qu’un ulcère dû à une mucite radio-induite peut être surinfecté à Candida [7]. Alors que l’ulcère s’élargit, il se connecte aux ulcères adjacents, produisant un aspect de pseudomembranes confluentes. La régénération des cellules entraîne une ré-épithélialisation et la résolution de l’ulcère ; mais les processus de cicatrisation seront d’autant plus longs et difficiles qu’il existe une surinfection et que l’ulcère est large et profond. Lorsque l’ulcère est très profond, la cicatrisation peut se faire en un tissu de granulome. En fonction de la gravité de la mucite précoce, la muqueuse résultante, à distance de la radiothérapie, peut apparaître quasiment normale, mais le plus souvent, elle est plus pâle, atrophique ; parfois même, la cicatrisation ne se fait pas, ce qui peut entraîner une radionécrose muqueuse. L’apoptose cellulaire est déclenchée directement par les ROS du fait des dommages à l’ADN qu’ils entraînent. D’autre part, l’activation indirecte de facteurs de transcription tels que le NFκb déclenche une cascade de réactions cellulaires. En effet, NFκb est responsable de l’activation de nombreux gènes qui produisent le TNFα, l’IL1b, l’IL6. Ces cytokines entraînent des dommages tissulaires et l’apoptose. NFκb active également la voie cyclo-oxygénase 2 (COX 2) et donc l’angiogenèse. NFκb n’est pas la seule voie de destruction cellulaire ; les ROS activent aussi la sphingomyélinase et la céramide synthase, entraînant l’apoptose. Par ailleurs, la lyse de fibronectine provenant du tissu conjonctif entraîne une activation macrophagique induisant la production d’une métalloprotéinase de la matrice et donc des dommages cellulaires, puis à nouveau l’activation du TNFα. Tous ces phénomènes aboutissent à une formation et à une potentialisation de médiateurs à l’origine de dommages tissulaires complexes à tous les niveaux de la muqueuse. Signal et amplification Une série de rétrocontrôles positifs médiés par les cytokines telles que le TNFα active de nombreuses voies telles que les voies de la céramide et de la caspase, entretenant la production de TNFα, d’IL1b et d’IL6. Il se produit par conséquent une véritable accélération et amplification du processus biologique au sein du tissu conduisant à l’ulcération. Physiopathologie En raison de leur pouvoir mitotique rapide, les cellules de la muqueuse buccale sont des cibles naturelles des agents cytotoxiques produits par les traitements anticancéreux. Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans la compréhension de la physiopathologie conduisant aux mucites. L’American Cancer Society (Sonis) a proposé un schéma d’évolution de la radiomucite en cinq phases : initialisation, potentialisation, amplification du signal, ulcération avec inflammation, et enfin cicatrisation [8]. Ulcération La colonisation bactérienne du tissu ulcéré et l’activation macrophagique qui en résulte augmentent la production de TNFα, d’IL1b et d’IL6. L’amplification de ces cytokines est responsable de l’inflammation et des douleurs. Les bactéries entraînent des dommages directs sur les cellules, et chez les patients immunodéprimés ou en cours de chimiothérapie concomitante augmentent le risque infectieux et le risque de septicémie. La modification de la composition et de la quantité de salive semble potentialiser la cytotoxicité et diminuer la capacité des tissus à cicatriser. Initialisation Les traitements oncologiques chimiothérapie et radiothérapie génèrent des radicaux libres (i ou ROS). Les ROS ont deux actions : directe par dommage direct sur les cellules, tissus et vaisseaux, indirecte par l’activation de facteurs de transcription. Bulletin Infirmier du Cancer 108 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page109 Nouvelles techniques de soins partie déterminé par l’âge, l’indice de masse corporelle, le genre [13], l’altération de la production salivaire. La tumeur elle-même comme les comorbidités (diabète, insuffisance rénale) ont un impact sur le risque de mucite. Le tabagisme associé à une radiothérapie augmente significativement l’intensité des mucites radioinduites [14]. Il semble de plus en plus clair qu’il existe des déterminants génétiques à l’apparition de mucites. En effet, des polymorphismes génétiques ont été identifiés associés au métabolisme de certains agents cytotoxiques. Un polymorphisme du gène codant un médiateur inflammatoire tel que TNFα est impliqué dans le risque de mucite chez les patients receveurs d’une greffe de cellules souches [15]. Par conséquent, l’étude du rôle des cytokines impliquées dans les mucites peut être d’un grand intérêt en thérapeutique. La flore buccale est considérée comme jouant un rôle secondaire dans la physiopathologie des mucites. Toutefois, la colonisation bactérienne augmente la sévérité des mucites et retarde la cicatrisation. Cicatrisation Les phénomènes de cicatrisation semblent débuter par un signal venant de la matrice extracellulaire entraînant une prolifération, une différenciation épithéliale et le rétablissement de la flore microbienne locale. Après la phase de cicatrisation, la muqueuse apparaît normale, mais ce n’est qu’une apparence : elle a été altérée de façon significative et il persiste une néovascularisation résiduelle ; elle est plus fragile et sensible aux agressions cytotoxiques, elle est donc à risque plus élevé de mucite grave pour des épisodes futurs. Prévalence et facteurs de risque Selon le Radiation Therapy Oncology Group (RTOG) et le National Cancer Institute (NCI), les toxicités aiguës de la radiothérapie apparaissent dans les 90 jours suivant le début de l’irradiation [9]. Le développement des mucites dépend de plusieurs facteurs liés aux thérapeutiques et aux caractéristiques du patient. La prévalence peut aller jusqu’à 100 % en cas de traitement par radio- et chimiothérapie concomitante [10]. Certains facteurs ont été identifiés quand d’autres restent obscurs [11]. La nature des traitements systémiques associés à l’irradiation, leur dose et le programme d’administration conditionnent le risque de mucite. Les modalités d’irradiation, le volume irradié, la dose par séance et la dose totale, et l’utilisation de chimiothérapies concomitantes influencent aussi le risque de toxicité [12]. Les études suggèrent que le risque de toxicité est en Évaluation L’évaluation clinique de la sévérité des mucites est réalisée par des classifications validées [16]. Il est nécessaire, en effet, pour pouvoir mener des études cliniques fiables et comparables, de classer en différents stades de sévérité l’atteinte tissulaire observable cliniquement et de créer des échelles reproductibles, adaptées à l’évolution de cette complication. Deux classifications apparaissent comme les plus utilisées par les professionnels (tableau 1) : Tableau 1. Classification des mucites radio-induites Classification du NCI-CTC (et du RTOG) Classification de l’OMS Grade 0 Pas de mucite Pas de mucite Grade 1 Érythème de la muqueuse Érythème, sensation désagréable (douleur) Grade 2 Plaques pseudo-membraneuses < 1,5 cm et non-confluentes Érythème, ulcères, alimentation solide possible Grade 3 Plaques pseudo-membraneuses confluentes > 1,5 cm Ulcères, alimentation liquide uniquement possible Grade 4 Ulcération avec nécrose Alimentation per os impossible, alimentation entérale ou parentérale obligatoire Bulletin Infirmier du Cancer 109 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page110 Nouvelles techniques de soins – la classification du National Cancer Institute -Common Toxicity Criteria (NCI-CTC)- validée par le RTOG ; – la classification de l’Organisation mondiale de la Santé. Économiques Une mucite de grade 3-4 augmente significativement le risque de douleur sévère (54 % vs 6 % ; p < 0,001) et la perte de poids de plus de 5 kg (60 % vs 17 % ; p < 0,001) par rapport à une mucite grade 1-2 [20]. L’altération du statut OMS et les difficultés alimentaires significativement diminuées dans les stades sévères sont à l’origine d’hospitalisations. Ces soins de support augmentent le coût de la prise en charge globale du patient, et ce de manière proportionnelle à la sévérité de la mucite. Conséquences La mucite a des conséquences cliniques et économiques [17]. Cliniques Les symptômes de la mucite sont multiples : douleurs, brûlures, gêne gingivale, difficultés d’alimentation, altération du goût [18]. La mucite détruit l’épithélium buccal et inhibe son renouvellement aboutissant à une atrophie épithéliale qui facilite l’adhésion et l’invasion de Candida albicans [19]. Associée à cela, la radiothérapie externe est responsable d’une hyposialie, voire d’une asialie débutante aux alentours de la troisième semaine de traitement. Or, le flux salivaire et la composition même de la salive jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre la candidose oropharyngée. La radiothérapie externe est également fréquemment associée à la chimiothérapie qui peut être responsable d’une baisse de l’immunité et qui est souvent source d’une antibiothérapie, cette dernière peut être la cause d’une destruction de la flore buccale et donc faciliter la colonisation par Candida albicans. Il existe un risque d’extension systémique de la levure alors responsable d’une septicémie pouvant conduire à un sepsis sévère voire à un choc septique et aboutir au décès. Prise en charge Traitement préventif Différentes interventions thérapeutiques ont montré un bénéfice dans la prévention et le contrôle de la sévérité des mucites associés aux traitements oncologiques [21]. Leur niveau de preuve variable implique que le bénéfice pourrait être spécifique selon le type de cancer et le type de traitement. D’autres études avec un nombre suffisant de patients sont nécessaires afin d’établir des recommandations selon la pathologie et le traitement. En pratique, la cryothérapie et les facteurs de croissance kératinocytaires ont fait la preuve de leur efficacité dans la prévention des mucites. La cryothérapie est indiquée chez les patients qui reçoivent un bolus de chimiothérapie à courte demi-vie (5FU ou melphalan) [22]. Le palifermin (Kepivance®), une protéine analogue au facteur de croissance des kératinocytes naturels (KGF), obtenue par biotechnologie, a fourni des résultats intéressants dans la prise en charge des mucites sévères liées aux traitements de conditionnement réalisés avant les greffes de cellules souches hématopoïétiques [23] ainsi que chez les patients traités par 5-fluorouracile pour un cancer colo-rectal métastatique [24]. Ce produit injectable est en cours d’évaluation pour les mucites liées aux traitements des cancers buccaux. Le niveau de preuve est plus faible quant au bénéfice de l’aloe vera, de l’amifostine, de la supplémentation en glutamine intraveineuse, des facteurs de croissance granulocytaires, du miel, du laser, des antibiotiques [25] et du sucralfate. Il n’y a pas de preuve que la chlorhexidine soit plus efficace qu’un placebo, celle-ci ne doit pas être utilisée comme traitement préventif [26]. Figure 1. Mucite buccale radio-induite de grade 3 NCICTC (ulcérations confluentes, fausses membranes). Bulletin Infirmier du Cancer 110 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page111 Nouvelles techniques de soins Modalité de la radiothérapie L’accélération, l’hyper-fractionnement [27] et la dose totale élevée (80 Gy) augmentent significativement la toxicité muqueuse, donnant 50-60 % de mucite de grade 3. L’irradiation conformationelle, avec ou sans modulation d’intensité, éventuellement guidée par l’image, assure une meilleure définition des volumes cibles et permet par conséquent de réduire le volume des tissus sains irradiés à fortes doses [12]. Les caches focalisés et cache cervical médian (en RC3D] permettent l’épargne muqueuse des régions saines. misées ont observé une diminution significative des mucites de grade 3 et 4 chez les patients traités par laser après chimiothérapie aplasiante, pendant le traitement de conditionnement avant les greffes de cellules souches hématopoïétiques dans le cadre du traitement des hémopathies malignes. Ainsi dès 1997, Cowen et al. avaient observé dans une étude randomisée en double aveugle une diminution significative de l’incidence (p = 0,01) et de la durée (p = 0,01) des mucites de grade 3 dans le groupe de patients traités par laser He-Ne (632,8 nm), par rapport au groupe contrôle [30]. En 2007, Antunes et al. et Schubert et al. ont observé, dans des études randomisées en double aveugle, les effets préventifs du laser diode. Antunes et al. rapportent ainsi que 94,7 % des patients traités avec laser n’ont pas dépassé la mucite de grade 2, 63,2 % étant au grade 0 ou 1 (sans ulcérations), comparativement à 31,5 % des patients pour le groupe contrôle (P < 0,001) [31]. L’intérêt du laser de basse énergie a été démontré plus récemment dans le traitement préventif et curatif des mucites radio-induites chez des patients traités pour un cancer des voies aéro-digestives supérieures. Une première étude multicentrique randomisée, publiée en 1999 par Bensadoun et al, a étudié l’effet du laser He/Ne sur 30 patients. Conformément à ce qui a été décrit avec les mucites lors des greffes de cellules souches hématopoïétiques, l’incidence des mucites de grade 3 était de 7,6 % dans le groupe laser contre 35,2 % dans le groupe contrôle (P < 0,01) [32]. Par la suite, plusieurs types de lasers de basse énergie ont été évalués dans cette indication. Ainsi, Arora et al. [2008] ont étudié l’effet du laser He/Ne sur 24 patients traités par radiochimiothérapie pour des cancers des VADS [33]. Simoes et al. ont com- Les soins locaux Un bilan et une mise en état dentaire sont indispensables avant toute chimiothérapie ou radiothérapie au niveau de la sphère oropharyngée. L’éducation des patients sur l’hygiène buccale est primordiale. La prescription de bains de bouches au bicarbonate 14/1000 doit être systématique, il est de plus essentiel de prodiguer des conseils au patient quant à leur application. Des associations d’agents thérapeutiques en bains de bouche ont démontré des résultats significatifs en termes de réduction du risque infectieux local [28]. Toutefois, la prescription à titre préventif d’antifongiques ou d’antiseptiques n’est pas recommandée, leur utilisation systématique serait responsable de l’émergence de souches résistantes. Le laser de basse énergie Le laser de basse énergie (Low-level laser therapy [LLLT]) correspond à l’application simple et atraumatique d’une source de lumière monochromatique constituée de photons de haute densité. Ce terme regroupe les lasers hélium-néon d’une puissance de 5 à 200 mW (He/Ne, longueur d’ondes 632,8 nm) et à diode (longueur d’ondes 650 à 905 nm) qui sont les plus fréquemment utilisés. Les données expérimentales ont montré que des faibles doses (10 à 10 3W/m2) sur une courte période (10 à 100 secondes) délivrent un effet macroscopique durable dans le temps. Depuis 2007, le groupe « Mucites MASCC/ISOO » recommande le LLLT [16]. L’intérêt de la photothérapie au laser dans le traitement préventif et curatif des mucites buccales chimio et/ou radio-induites a été mis en évidence dans plusieurs études de bonne qualité [29]. Plusieurs études randoBulletin Infirmier du Cancer Figure 2. Low-level laser therapy [LLLT] ou laser de basse énergie par voie directe, endo-buccale. 111 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page112 Nouvelles techniques de soins paré l’effet de deux types de lasers et de deux protocoles d’administration (1 fois/semaine et 3 fois/semaine) sur 39 patients, He/Ne laser (660 nm, 40 mW/cm) versus He/Ne laser (808 nm, 1 W/cm). Ils rapportent un meilleur contrôle de l’intensité de la douleur avec le laser de plus faible énergie avec un protocole de 3 fois/semaine [34]. Zanin et al. ont obtenu des résultats similaires avec un laser diode 660 nm utilisé 2 fois/semaine, dans une étude portant sur 72 patients (groupe laser versus groupe contrôle (n = 36) [35]. Les lasers hélium-néon (He/Ne, longueur d’ondes 632,8 nm) et à diode (longueur d’ondes 650 à 905 nm) sont les plus fréquemment rapportés dans ces indications, comme le laser He/Ne de 660 nm et 685 nm et le LLLT de 830 nm [36]. Bien que l’intérêt du laser dans les mucites soit maintenant incontestable, la question de la puissance utilisée et du protocole fait actuellement débat. Il semble que les protocoles sur 2 à 3 jours/semaine soient plus efficaces que les protocoles proposant une utilisation par semaine. Simoes et al. ont obtenu de meilleurs résultats avec le laser de plus faible énergie [34]. Ces résultats restent à confirmer et des études supplémentaires devront préciser les paramètres suivant : le type de laser et sa longueur d’onde, la puissance et l’énergie administrée par cm2. Une méta-analyse de 11 études randomisant le LLLT versus placebo entre 1997 et 2009 (415 patients) révèle que le LLLT réduit le risque de mucite de 2,45 (CI 1,853,18), réduit la durée (4,38 jours, p = 0,0009) et la sévérité de celle-ci [37]. Traitement curatif Prise en charge de la douleur et des difficultés nutritionnelles La prise en charge de la douleur est bien entendu un élément majeur. Un traitement antalgique adapté aux paliers OMS de la douleur doit être systématiquement prescrit ; les dérivés morphiniques étant fréquemment le traitement de choix. L’emploi de médicaments antiinflammatoires est également préconisé. En cas de douleurs locales, l’utilisation de topiques anesthésiants, du type lidocaïne en gel, peut être nécessaire. La prise en charge nutritionnelle, au mieux par voie entérale avec gastrostomie doit être anticipée [38], c’est un impératif dans le cadre de l’optimisation thérapeutique. L’objectif est de maintenir des apports hydriques et caloriques satisfaisants. Place du laser de basse énergie Les recherches in vitro [39] et in vivo ont montré que le LLLT possède trois propriétés photo-biologiques principales : antalgique, anti-inflammatoire et cicatrisante [40]. Analgésie et inflammation Le LLLT entraîne une transmission d’électrons responsable de réactions d’oxydoréduction au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale des cellules. Il en résulte une augmentation de la production d’énergie (ATP) par les cytochromes des mitochondries. Le métabolisme de la cellule et ses capacités de prolifération sont ainsi accélérés. Au décours des traitements oncologiques, radiothérapie et chimiothérapie des radicaux libres oxygénés sont créées. Les ROS générés par les traitements anticancéreux agissent, d’une part, directement sur la muqueuse et les vaisseaux et, d’autre part, indirectement en déclenchant une réaction inflammatoire locale par l’activation de facteurs de transcription, comme le NF B qui représente la voie centrale d’activation de nombreux gènes des médiateurs de la réaction inflammatoire Figure 3. Low-level laser therapy [LLLT] ou laser de basse énergie par voie externe (pour mucite buccale). Bulletin Infirmier du Cancer 112 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page113 Nouvelles techniques de soins (TNFα, IL1 ou IL6) à l’origine de dommages tissulaires complexes survenant dans la muqueuse. Des études, comme celle de Mafra de Lima, démontrent que le laser diode (GaAs) diminue l’expression des transcrits du TNFα via le NFκB, dans un modèle expérimental d’inflammation respiratoire induite par les lipopolysaccharides bactériens chez le rat [41]. Il a été démontré que le laser diode de faible puissance à GaAs (904 nm) réduit de manière significative la migration cellulaire des polynucléaires neutrophiles dans un modèle expérimental de péritonite induit par les lipopolysaccharides bactériens. Dans l’étude de Lim et al. (2007), l’irradiation par le laser 635 nm a permis de mettre en évidence une inhibition du relargage des prostaglandines inflammatoires (PGE2) et des deux isoformes (1 et 2) de la cyclo-oxygénase. Les lasers de faible puissance ont par ailleurs une action antalgique [42] en augmentant la synthèse et le relargage des endorphines, ainsi qu’en diminuant le relargage de récepteurs nociceptifs comme la bradykinine et la sérotonine. mandé pour la prévention des mucites lors de la greffe de cellules hématopoïétiques [16]. Plusieurs revues systématiques de la littérature attribuent un niveau de preuve élevé au LLLT dans la prévention traitement des mucites radio-induites. L’application de doses de 1 à 6J par point sur la muqueuse oropharyngée prévient l’apparition des mucites lors des traitements des cancers oropharyngés. Le LLLT diminue significativement la douleur, la sévérité et la durée de l’ulcère en favorisant la cicatrisation des lésions. Si des essais contrôlés randomisés avec de plus gros effectifs de patients sont encore attendus pour établir des protocoles préventifs et curatifs (dose, temps d’application, nombre de séances), la laserthérapie, dénué d’effets indésirables connus est un soin de support oncologique très prometteur des mucites radio et chimioinduites. Cicatrisation Pour le potentiel cicatrisant, França et al. [43] ont étudié l’aspect histologique des effets préventifs et thérapeutiques du laser diode (GaAs) dans des mucites chimio-induites chez le hamster : ils ont observé une augmentation de l’angiogenèse, du nombre de fibres de collagène, et de l’organisation du tissu de granulation dans les groupes traités avec le laser [43], et ce, de manière plus importante. Ces effets sont plus marqués dans le groupe thérapeutique que dans le groupe préventif. Il a été en outre montré in vitro un effet du laser de faible puissance sur la prolifération cellulaire. Au niveau des cellules de la muqueuse buccale, le laser augmente ainsi la production de collagène des cellules épithéliales de la muqueuse orale et permet une régénération rapide des fibroblastes en myofibroblastes. 1. Calais G, Alfonsi M, Bardet E, et al. [Stage III and IV cancers of the oropharynx : results of a randomized study of Gortec comparing radiotherapy alone with concomitant chemotherapy]. Bull Cancer 2000 ; 87 (N° Spec) : 48-53. 2. Trotti A, Bellm LA, Epstein JB, et al. Mucositis incidence, severity and associated outcomes in patients with head and neck cancer receiving radiotherapy with or without chemotherap y : a systematic literature review. Radiother Oncol 2003 ; 66 : 253-62. 3. Van den Bogaert W, Van der Leest A, Rijnders A, Delaere P, Thames H, van der Schueren E. Does tumor control decrease by prolonging overall treatment time or interrupting treatment in laryngeal cancer ? Radiother Oncol 1995 ; 36 : 177-82. 4. Bensadoun R-J, Le Page F, Darcourt V, et al. 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Int J Radiat Oncol Biol Phys [Internet] 2011 nov 19 [cité 2012 févr 2013] ; Available de : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22104358 Références Conclusion La mucite qui complique les traitements anti-cancéreux est une cause importante d’inconfort, de douleurs, de mauvaise nutrition, parfois d’infections, d’hospitalisations et de retard de prise en charge. Son traitement est un challenge pour parvenir au bout des traitements oncologiques. En 2007, le groupe MASCC-ISOO a actualisé ses recommandations, le LLLT est depuis recomBulletin Infirmier du Cancer 113 Vol.13-n°4-octobre-novembre-décembre 2013 nouvelle-technite-mucites n-4-2013:nouvelles AFIC n°1vol5 04/03/14 18:55 Page114 Nouvelles techniques de soins 13. Vokurka S, Bystrická E, Koza V, et al. Higher incidence of chemotherapy induced oral mucositis in femal es : a supplement of multivariate analysis to a randomized multicentre study. Support Care Cancer 2006 ; 14 : 974-6. 14. Trotti A. 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