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À dix heures je sortis, la colonne de fumée était devenue plus large, elle s'étendait vers
l'hôpital et l'église ; on aurait dit un grand drapeau noir, qui se courbe de temps en temps, et
puis qui se relève jusqu'au ciel. (…)
Les obus des soixante pièces continuaient de monter dans les airs et de retomber dans
la fumée ; les bombes et les obus de la ville roulaient derrière les batteries des Prussiens ;
elles éclataient dans les champs. (…)
À quatre heures et demie, la moitié de la ville était en feu ; à cinq heures, l'incendie
paraissait s'étendre encore, et la tour de l'église, toute en pierres, restait debout, mais vide
comme une cage : les cloches étaient fondues, les poutres et le toit brûlés ; on voyait à
travers, de six kilomètres.
Vers six heures, les gens du village, devant leurs maisons, les mains jointes, virent tout
à coup la flamme monter jusqu'au haut de cette fumée, dans le ciel.
Le canon ne tonnait plus. Un parlementaire venait de partir, pour sommer encore la
place ; (…)
Le parlementaire revint à la nuit, et nous apprîmes qu'on ne se rendait pas. »
Strasbourg subira le même sort : la cathédrale est atteinte, l’église des Dominicains
dont le chœur abritait la bibliothèque, l’Aubette où venait d’être installé le musée de peinture
sont détruit par les flammes. Ces bombardements barbares étaient censés abattre le moral de
la population et la réduire en état d’exiger la reddition des autorités militaires. Le calcul était
faux et les populations gardèrent ces atrocités à l’esprit ; Strasbourg et Phalsbourg furent
annexées au Reich, mais restèrent françaises de cœur.
Après la signature de la paix et l’abandon par la République de l’Alsace-Moselle au
Reich allemand, la paroisse fut rattachée au diocèse de Metz. Il fallut s’occuper de la
construction d’une nouvelle église. Les troupes de l’empereur Guillaume Ier avaient détruit
l’église catholique. Cette action peu glorieuse devait être réparée au mieux : les travaux
commencèrent le 13 octobre 1873, la pose de la première pierre eut lieu le 1er mars 1874 et le
21 mai 1876, les offices purent recommencer dans la nouvelle église. Guillaume Ier offre
1500 kg sur les 2200 kg nécessaires pour la fonte des trois nouvelles cloches qui sortent des
ateliers Hamm de Kaiserslautern. Elles sont bénites le 7 juin 1876. De ce jour, les trois
cloches deviennent les « Kaiserglocken », les cloches de l’Empereur.
Début du XXe siècle, Guillaume II passe plusieurs fois à Phalsbourg, et « avait été
frappé par la beauté et l’harmonie de la sonnerie de l’église catholique ; il allait, disait-il en
commander une semblable pour l’église protestante de Donaueschingen (Bade), résidence de
son ami, le prince de Fürstenberg. » On lui attribue aussi l’exclamation que les plus belles
cloches qu’il a jamais entendues sont celles de Phalsbourg !
Arrive la première guerre mondiale…
VI La grande ordonnance du 1er mars 1917
Le besoin de matériaux à usage militaire pousse l’autorité militaire allemande à des
mesures très impopulaires en Alsace et peut être encore plus en Lorraine. Il s’agit, après la
saisie des tuyaux d’orgues en étain, de confisquer les cloches dans tout l’empire.
L’ordonnance citée en titre précise les modalités de cette réquisition. Sont concernées
les cloches dont le poids est au-dessus de 20 kg, sont exclues les cloches qui servent dans les
transports et celles qui ont une valeur spéciale d’un point de vue scientifique, historique ou
artistique. On classe ainsi en catégorie A, les cloches à saisir immédiatement, opération qui
devra être terminée le 30 juin 1917. En catégorie B, on classe les cloches considérées comme
indispensable au culte, en général, la plus petite cloche de l’église, enfin en catégorie C, on
groupe les cloches reconnues d’intérêt historique ou artistique par des experts nommés par les
autorités ; en cas de contestation, l’affaire serait tranchée à Berlin, sans recours possible.