AU CŒUR DE LA FOI
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Ce terme se rencontre dans le Coran plus d’une cinquantaine de fois
et le plus souvent dans le sens juridique ; seulement dans trois cas il s’agit clairement
de « martyre ». Comment expliquer alors que la notion de « shahid » ait assumé
une telle importance ? Et qu’aujourd’hui elle soit utilisée si fréquemment pour des personnes
décédées
dans les situations
les plus différentes ?
P. Samir Khalil Samir
jésuite, est docteur
en théologie orientale
et en islamologie.
Il est fondateur
et directeur du CEDRAC
(Centre de documentation
et de recherches
arabes chrétiennes),
et professeur de sciences
religieuses à l’Université
Saint-Joseph de Beyrouth
et d’études islamo-
chrétiennes à l’Institut
Pontifical Oriental
à Rome. Fondateur
et directeur de différentes
collections arabo-
chrétiennes et de quelques
revues orientalistes,
il est l’auteur d’une
cinquantaine de livres
et d’articles scientifiques
sur les relations entre
le monde musulman
et l’Occident,
la pensée arabe
chrétienne et l’Islam.
Le martyre
dans
lIslam actuel
Samir Khalil Samir
E MOT SHAHÎD
, couramment utilisé de nos jours pour désigner le «martyr », avec son plu-
riel
shuhadâ’
, correspond étymologiquement au mot grec
martys
qui signifie « témoin ».
Nous le rencontrons 55 fois dans le Coran, le plus souvent dans le sens juridique d’un
témoin. Dans trois cas, il s’agit clairement des “martyrs”. Voici ces passages (d’après
la traduction de Muhammad Hamidullah ) :
[4, 69] : « Quiconque obéit à Allah et au Messager... ceux-là seront avec ceux qu’Al-
lah a comblés de Ses bienfaits : les prophètes (
nabiyyîn
), les véridiques (
siddîqîn
), les
martyrs (
shuhadâ’
) et les vertueux (sâlihîn). Et quels compagnons que ceux-là ! ».
[39, 69] : « Et la terre resplendira de la lumière de son Seigneur ; le Livre sera dé-
posé, et on fera venir les prophètes (
nabiyyîn
) et les témoins (al-shuhadâ’) ; on déci-
dera parmi eux en toute équité et ils ne seront point lésés ».
[57, 19] : « Ceux qui ont cru en Allah et en Ses messagers ceux-là sont les grands vé-
ridiques (
siddîqîn
) et les témoins (al-shuhadâ’) auprès d’Allah. Ils auront leur ré-
compense et leur lumière, tandis que ceux qui ont mécru et traité de mensonges Nos
signes, ceux-là seront les gens de la Fournaise ».
Je me bornerai à ce propos à trois remarques textuelles.
La première, c’est que le mot « martyr » ne se rencontre que deux fois dans tout le
Coran, dans la traduction de Muhammad Hamidullah: en [3, 140] et ici en [4, 69].
La seconde, c’est que nous avons dans les trois cas une énumération de “justes”, qui
rappelle certains passages du Nouveau Testament ; la succession étant ici :
nabî
,
sid-
dîq
,
shahîd
et sâlih.
La troisième, c’est que ces trois versets sont les seuls passages parmi les 55 oc-
currences de
shahîd
qui font une énumération de justes, ce qui correspond à des ca-
tégories. Je traduirais ces quatre termes par : prophètes, justes, martyrs et saints. Cet-
te dernière traduction peut surprendre, mais le Coran n’utilise jamais le mot
qiddîs
,
habituel chez les chrétiens pour désigner le saint. En revanche, le substantif pluriel
sâlihûn/în se rencontre 30 fois et correspond assez à ce sens.
Dans ces conditions à niveau du discours coranique, comment se fait-il que le mar-
tyre ait pris une telle importance en islam ? Et surtout, que le terme
shahîd
soit uti-
lisé si abondamment pour désigner toutes sortes de personnes décédées ?
1
L
Cette traduction a acquis
un caractère semi-officiel dans
la communauté musulmane
de langue française. A mon avis,
celle de Denise Masson est à la
fois plus fidèle et plus élégante.
1
01 attualita FR 3-06-2008 19:38 Pagina 39
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1. Toute personne tuée violemment est appelée «martyr».Ainsi, les 168 militaires liba-
nais qui sont morts entre le 20 mai et le 2 septembre 2007, au nord du Liban, lors des af-
frontements avec les “combattants” (= terroristes) de
Fath al-Islâm
, dans le camp de ré-
fugiés palestiniens de Nahr al-Bared, sont unanimement appelés
shuhadâ’
. Faut-il appeler
aussi “martyrs” les civils palestiniens ou libanais qui ont été tués par erreur lors de ces
affrontements ? De même, les personnes qui sont mortes à la fin janvier 2008, lors de la
manifestation de protestation des chiites, ont été appelées “martyrs” par la foule comme
par la presse. Il en est ainsi pour tous les hommes d’Etat, journalistes et autres person-
nes qui ont été tuées dans les attentats des dernières années au Liban. Ils sont unani-
mement appelés «martyrs» et reçoivent donc les honneurs dus aux martyrs. Cela a été par-
ticulièrement tangible pour le président Rafic al-Hariri, mais également pour bien d’au-
tres. En somme, toute personne tuée violemment, le plus souvent pour des motifs poli-
tiques, ou tout simplement suite à une émeute politique, est affublée du titre de martyr.
2. Autres exemples : morts par accident ou par maladie. Au mois de novembre 2007, les
corps de 26 Egyptiens ont été repêchés au large des côtes italiennes et leurs dépouilles
rapatriées en Egypte. Ces immigrés essayaient de pénétrer illégalement en Europe.
L’Université islamique d’al-Azhar, la plus haute instance de l'islam sunnite, a déclaré
« martyrs » ces Egyptiens morts noyés en tentant de rejoindre clandestinement l’Europe
et a présenté « ses sincères condoléances aux familles de ces
martyrs
morts pendant qu'ils
voyageaient à la recherche d'un gagne-pain licite ». Le 13 novembre, le grand mufti
d’Egypte, le cheikh Ali Gomaa, s’est opposé à cette appellation, qui, selon la foi musul-
mane, donne un accès direct au paradis : « Je ne peux pas dire qu'ils sont des martyrs.
Ils se sont jetés à la mort, le but de leur voyage n'était pas de servir Dieu. […] L'avidité et
la quête de l'argent étaient leurs motifs ». Au Maroc, le mufti-député Abdelabari Zemzmi
a réagi outré : « Je ne comprends pas qu’une éminence grise comme le Cheikh Joumaâ
puisse tenir des propos aussi graves. Sa sortie a manifestement un caractère politique ».
Pour lui, « les clandestins se noient parce qu’ils cherchent une vie meilleure et
sont, de
ce fait, des martyrs
». Et le quotidien marocain
Tel Quel
de commenter : « A trop écou-
ter Zemzmi, tout le monde ira se noyer en haute mer pour aller au paradis ». Récemment,
le 3 décembre 2007, le directeur général de l’orientation religieuse du ministère des waqfs
en Egypte, le cheikh Ahmad Abu Yussuf, a émis une fatwa affirmant que le malade du
SIDA devait être considéré comme un martyr. Il justifiait cela par le hadith bien connu :
« Quiconque meurt d’un mal de ventre (
mabtûn
) est un martyr ». Il ajouta que 90 % de
ceux qui meurent du SIDA « reviennent à Dieu à la fin de leur vie ».
3. Saddam Hussein est-il martyr ? Un évènement qui suscita bien des polémiques est l’exé-
cution de Saddam Hussein avec la question inhérente de savoir s’il est ou pas un martyr.
Pour un nombre considérable de musulmans sunnites, Saddam est devenu un martyr. Son
attitude courageuse et noble face à la mort, en opposition au traitement infligé par les Amé-
ricains et jugé indigne d’un président, et le fait qu’avant de mourir, il ait distinctement
prononcé par deux fois la double
shahâda
(témoignage, profession de foi), en ont fait un
shahîd
, un martyr. Mais ce qui contribua pour beaucoup à le «canoniser», c’est qu’il ait été
pendu le premier de la “Grande Fête”, (al-‘Îd al-kabîr, ou ‘Îd al-Adhà, l’Aïd comme l’ap-
pellent les musulmans d’Afrique du Nord). Le président égyptien Hosni Moubarak a dé-
claré : « Personne n’oubliera les circonstances dans lesquelles Saddam a été exécuté. Ils en
ont fait un martyr ». Il ajoutait : « J’ai adressé un message au président George W. Bush
pour lui dire qu’il ne fallait pas faire cela justement le premier jour de l’Aïd, car cela le trans-
formerait en martyr ». Le tunisien M. Ben Yahia considère que « l’application de cette sen-
tence est une grave atteinte aux sentiments des peuples musulmans, au moment où ils cé-
lèbrent une fête religieuse sacrée ». L’Algérie aussi déplore que la pendaison ait eu lieu un
jour « dont l’esprit originel, évocateur de sacrifices, s’est sublimé dans les valeurs du par-
don, de la clémence et de la générosité pour tout le monde arabo-musulman ». Une inter-
Hommes d’Etat, victimes d’attentats,
immigrés clandestins, naufragés, malades du Sida :
l’appellation de « martyr »
est utilisée dans beaucoup de ces cas
01 attualita FR 3-06-2008 19:38 Pagina 40
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view télévisée avec l’imam jordanien Salâh Ibn Fawzân présente Saddam en pécheur repen-
ti ayant atteint le degré de martyr par sa mort le jour de la fête du sacrifice d’Abraham. On
peut écouter l’interview en arabe sur le site YouTube : le clip vidéo dure six minutes. Sur
ce site, des dizaines de personnes ont réagi aux propos de l’imam. La plupart sont chiites
et expriment leur haine à l’égard de Saddam, de cet imam, des sunnites en général et des
wahhabites en particulier, dans le style le plus injurieux qui soit, à tel point qu’il est im-
possible de transcrire ou de traduire ces textes tant ils sont grossiers. Quelques sunnites y
répondent également et toujours dans le même style. De nombreuses autres vidéos, en ara-
be classique ou en dialecte, reproduisent les chansons, oraisons funèbres, éloges, poèmes ,
élégies de ses admirateurs qui tous le considèrent comme martyr. Bien plus, des centai-
nes de sites, notamment jordaniens et irakiens sunnites, exaltent Saddam, « le martyr de
la nation » (
shahîd al-umma
). D’autres vidéos viennent de chiites qui ne manquent pas
d’exprimer leur haine à son égard. De son côté, un célèbre juriste (
faqîh
) saoudien a émis
une fatwa déclarant Saddam «mécréant» (
kâfir
) expliquant que le fait qu’il ait prononcé
la double profession de foi (
shahâda
) n’en fait pas pour autant un musulman . L’imam shii-
te Fâlih al-Harbî s’est prononcé dans le même sens, l’accusant d’impiété ou d’athéisme (
zan-
daqa
), à l’instar des hypocrites (
munâfiqûn
) du temps de Muhammad . Face à ces fatwas
contradictoires, beaucoup de musulmans ne savent plus quoi penser. Significative est la
réaction d’une internaute qui prend le nom de la célèbre poétesse pré-islamique Al-Khan-
sâ’ al-Saghîra. Elle écrit : « Je souhaite que ceux qui ne le considèrent pas martyr (
sha-
hîd
), malgré le fait qu’il soit resté ferme (murâbata) dans un pays en guerre alors qu’il avait
la possibilité de fuir et de sauver sa peau, je souhaite d’eux qu’ils n’affirment pas pé-
remptoirement qu’il fait partie des gens de la géhenne... Ce sont les mêmes personnes qui
ont émis les fatwas anathématisant le parti
Ba’ath
qui m’ont enseigné que “quiconque
meurt pour défendre son honneur (
‘ird
) ou son avoir ou sa vie est martyr (
shahîd
)”[...] ».
« En toute naïveté je dis : - Par Dieu, je ne sais plus où est la vérité et où est l’erreur !
Par Dieu, je ne sais plus qui est le bourreau et qui est la victime. … Tout le monde est, en
même temps, musulman et mécréant (kâfir). Tout le monde a raison et tout le monde a
tort. Les
murâbitûn
pratiquant le
jihâd
sont des terroristes, les défaitistes lâches sont des
démocrates... Le premier d’entre nous anathématise (
yukaffir
) le dernier d’entre nous, et
qui est au milieu est partagé, ne sachant plus dans quelle direction aller ».
Militants Palestiniens
D’où vient ce développement inouï du thème du martyre, alors que le Coran est tellement
discret à ce sujet ? Tout d’abord, des savants musulmans (
oulémas
) ont cherché et trou-
vé dans le Coran d’autres versets qui encouragent les guerriers à donner leur vie sur le
chemin de Dieu. De plus, parmi les paroles attribuées au prophète de l’islam, les
hadiths
,
il y en a plusieurs qui promettent le paradis à ces mêmes guerriers. Enfin, il ne fait pas
de doute que la situation politique du monde musulman, qui se sent agressé de toutes parts
(tout en étant lui-même souvent agresseur), ait poussé une large tranche de la communau-
té musulmane à développer une spiritualité du martyre basée sur la mort volontaire pour
combattre « l’ennemi ». Ainsi s’est développée une véritable mystique du
jihâd
et des
mu-
jâhidîn
(les combattants au nom de l’islam). Cette spiritualité est présente notamment chez
les militants palestiniens (ou autres) pour défendre la Palestine contre Israël.
L’idéologie du
Fath
, le Mouvement de Libération de la Palestine, était laïque car son
but était de libérer la Palestine de l’occupation israélienne. Elle ne faisait pas appel à la
religion, mais bien au droit des peuples à se gouverner eux-mêmes et au droit interna-
tional. Les années septante voient la montée du mouvement islamique partout dans le
monde accompagnée de l’idéologie islamique. La Palestine devenait ainsi une « terre is-
lamique » et c’était le devoir de toute la communauté musulmane (et non plus des seuls
palestiniens) de la défendre contre ses agresseurs et envahisseurs.
6
5
4
3
2
Les savants musulmans ont cherché
des versets et des hadiths
qui encouragent les guerriers
à donner leur vie pour la foi
http://fr.youtube.com/
watch?v=1GCqVETlD9M.
En particulier, le long poème
(10 minutes) du célèbre poète
populaire irakien ‘Abbâs Jîjân,
«O toi l’aurore du jour de la
Fête», dans lequel il compare
Saddam au lion blessé,
immolé comme le mouton
de la Fête du Sacrifice.
Voir le site http://www.
kinguae.net/vb/showthread.
php?t=4751.
Voir le site http://www.
aljazeeratalk.net/forum/
archive/index.php/
t-31925.html.
Voir le site http://www.
swalflail.net/forum/
showthread.
php?t=11998&page=2.
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6
01 attualita FR 4-06-2008 15:57 Pagina 41
ACTUALITÉ
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Ainsi s’est développée progressivement une guerre fondée sur la terreur pour répondre
à l’agression et à l’occupation israélienne, et au terrorisme d’État d’Israël. C’est ainsi
qu’apparurent les
mujâhidîn
de Dieu, porteurs des noms les plus variés qui tous se réfè-
rent à des personnages musulmans du premier siècle de l’islam.
Opinion rare : les auteurs d’attentats suicides ne sont pas des martyrs. Il y a cependant un
problème de droit islamique car le suicide est clairement interdit par le Coran [4, 29-30] :
« Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et
quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est
facile pour Allah ». Que faut-il donc penser des attentats suicides, ou des « suicides posi-
tifs » comme certains les appellent ? Cela entre-t-il dans la catégorie du
jihâd
? Ceux qui
les commettent sont-ils des martyrs, ou sont-ils des suicidaires à l’instar de tous les au-
tres qui s’ôtent leur propre vie ? L’opinion la plus commune et la plus répandue parmi les
musulmans est que ce sont des
mujâhidîn
, qui défendent l’islam contre ses agresseurs,
ils appartiennent donc à la catégorie des martyrs. Je présenterai ce point de vue un peu
plus loin. Cependant, j’ai trouvé une opinion qui va dans le sens contraire, reproduite sur
plusieurs sites. C’est celle du grand traditionaliste (
muhaddith
) l´imam Muhammad Nâ-
sir ad-Dîn Al-Albânî, maître albanais vénéré, qui vécut à Damas puis à Médine et mou-
rut le 3 octobre 1999 âgé de 85 ans. Elle mérite d’être reproduite :
« Nous tournons maintenant notre attention vers les missions suicides. Ces missions
suicides sont devenues célèbres [dans le monde entier] à cause de la pratique japonaise
des kamikazes. Un homme lançait son avion de guerre vers un navire américain, mourant
ainsi dans l'avion et tuant autant de soldats ennemis qu’il le pouvait ».
« Toutes les missions suicides de notre époque sont des actes impunis qui doivent tous
être considérés comme interdits (
harâm
). Les missions suicides peuvent être de celles qui
amènent celui qui le fait éternellement dans le Feu ou le mettre parmi ceux qui n’y rési-
deront pas éternellement, comme je viens de l’expliquer ».
« Mais voire ces missions suicides comme un moyen de se rapprocher d’Allah [acte
d'adoration digne d'éloges] en se tuant aujourd'hui pour sa terre ou son pays, nous disons
non ! Ces missions suicides ne sont pas islamiques ! ».
« En fait, je dis aujourd'hui ce qui représente la réalité islamique - pas la réalité re-
cherchée par une minorité d’activistes musulmans – qu’il n’y a aucun
Jihâd
dans les pays
islamiques. Sûrement, il y a des combats dans de nombreux pays musulmans, mais il n’y
a aucun
Jihâd
qui soit établi [uniquement] sous une bannière islamique et qui soit établi
sur des règles islamiques […] ».
« Qu’un jeune homme, aveugle [aux faits et complexités de la guerre] décide seul, – com-
me nous l’entendons souvent – d’escalader une montagne et d’entrer dans un emplace-
ment fortifié utilisé par les juifs et qu’il tue certains d'entre eux et soit tué par la même
occasion…quel est l’avantage d'un tel acte ? Ce sont seulement des actes individuels qui
n’ont pas de résultats positifs qui puissent profiter à l’Appel Islamique ».
« Donc nous disons aux jeunes musulmans : “Protégez vos vies, à condition que vous
l’employez à l’étude de votre
Dîn
[religion] et de votre Islâm. Soyez bien conscients de
cela et agissez au mieux de vos capacités” ».
« Ce type d’actions et d’actes, lents et ennuyeux comme il peut paraître, est l’acte qui por-
tera le fruit désiré qui est recherché par tous les musulmans, indépendamment de leurs dif-
férentes idéologies et méthodologies. Tous sont d’accord que l’islam doit être ce que [nous em-
ployons] pour gouverner, mais ils divergent dans le chemin à emprunter [vers cet objectif] ».
« Certes la meilleure guidée est la guidée de Muhammad ».
Opinion commune : ce sont des martyrs. Cette opinion bien qu’elle soit remarquable reste as-
sez exceptionnelle. L’opinion commune aujourd’hui veut que les suicides volontaires soient
des actes de martyre. Voici, à titre d’exemple, la fatwa prononcée par l’Association des Ulé-
mas de Palestine, qui porte le titre de : « Les opérations de mort volontaire (
istishhâdiyya
)
Le Coran interdit clairement le suicide,
mais l’opinion est diffuse
que les auteurs d’attentats suicides
appartiennent à la catégorie des martyrs
01 attualita FR 3-06-2008 19:38 Pagina 42
AU CŒUR DE LA FOI
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sont parmi les formes les plus belles du
jihâd
sur la voie de Dieu ». Ils établissent cette opi-
nion à partir de trois versets coraniques, de plusieurs
hadiths
et des témoignages unanimes
(
ijmâ‘
) des savants du Moyen-Age (Abû Ayyûb al-Ansârî, Abû Mûsâ al-Ash‘arî, ‘Umar Ibn al-
Khattâb, Ibn Taymiyya, al-Ghazâlî, al-Nawawî) et de l’époque contemporaine, notamment
du Dr Yûsuf al-Qaradâwî et du shaikh al-Shu‘aybî. Après quoi, ils réfutent les arguments des
contemporains qui refusent de considérer ces acteurs comme des martyrs, en particulier
celui du shaikh ‘Abd al-‘Azîz Âl Shayk, le mufti d’Arabie Saoudite qui a émis une fatwa au
sujet de ces opérations disant : « Je ne leur connais pas de légitimation juridique et je ne les
considère pas comme un
jihâd
sur la voie de Dieu. Je crains qu’elles ne soient de simples opé-
rations suicidaires ». Ou encore la fatwa du Recteur d’al-Azhar, le shaykh Muhammad Sayyid
al-Tantawî, qui a déclaré : « Les opérations suicidaires (
intihariyya
) sont un martyre si
elles sont dirigées contre des soldats, non contre des enfants et des femmes ». Une longue
argumentation, basée sur l’opinion de nombreux
oulémas
, réfute ces deux opinions.
Martyre et Rédemption
Le point de vue musulman sur le phénomène du martyre semble assez peu clair sur le
plan juridique. Il semble bien que les motifs politiques y jouent aussi un rôle important :
soit pour soutenir le caractère licite des attentats suicides, soit pour le rejeter, comme c’est
le cas des autorités officielles d’Egypte et d’Arabie Saoudite. Une opinion purement spi-
rituelle et théologique comme celle du Shaykh Nâsir al-Dîn al-Albânî est rare. Le chiis-
me a développé une conception du martyre rédempteur, à travers notamment la célé-
bration de la mort violente d’al-Husayn, qui n’est pas sans rappeler ce que la spirituali-
té et la théologie chrétiennes attribuent à la mort du Christ.
En définitive, dans l’opinion commune, toute personne morte de mort violente pour-
ra être appelée « martyr », y compris des personnalités notoirement peu musulmanes com-
me Saddam Hussein ; ceux qui s’opposent à ce titre sont tous chiites, ce qui montre as-
sez bien la partialité de ces critères, chacun défendant sa propre politique.
Dans le christianisme, le premier martyr est le Christ. Sa mort ne comporte aucune for-
me de violence contre quiconque, bien au contraire : il accepte la violence d’autrui, la
prend sur lui, pour détruire la violence et la haine, comme l’a bien dit saint Paul dans ce
magnifique passage de l’épître aux Ephésiens [2, 13-19] :
« Or voici qu’à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus
proches, grâce au sang du Christ. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux
peuples n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair
la haine, cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux
en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un
seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine.
Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui
étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès au-
près du Père. Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens
des saints, vous êtes de la maison de Dieu ».
A sa suite, Etienne le « protomartyr » imitera le geste de Jésus jusque dans les moin-
dres détails [cf. Ac 7]. Quiconque utilise le glaive, fût-ce pour défendre le groupe ou la com-
munauté, périra par le glaive, comme le dit le Christ , et ne peut être considéré comme
martyr. Le martyr chrétien est un non-violent par nature, qui témoigne (
yashhad
) de
l’Amour de Dieu qui pardonne toujours dans un monde où règne la violence. Seul le non-
violent dont tous les actes sont animés par l’amour, peut prétendre au titre de martyr.
En définitive, nous avons affaire à deux visions assez différentes de l’amour pour Dieu :
une vision où je témoigne de l’amour pour Dieu en combattant jusqu’au sacrifice de moi
pour Son Nom ; et une autre où je témoigne de cet amour en renonçant à toute violence
pour chasser haine et violence de ce monde. Il appartient à chacun de faire son choix.
7
Le chiisme a développé
la conception du martyre rédempteur,
qui rappelle certains aspects
du rôle attribué à la mort du Christ
Matthieu 26,52:
«Remets ton glaive dans
le fourreau ; car tous ceux
qui prennent le glaive
périront par le glaive».
7
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