plus petites et plus grandes, claires et foncées, ternes, brillantes, tachetées, et ainsi de
suite – tous en nombre égal dans chaque direction, la variation étant censée être
accidentelle, indéterminée, i.e. dirigée par aucune cause particulière dans un sens ou dans
l’autre – et que la lutte pour l’existence accorde précisément les longueurs des becs, des
pattes et des ailes, les couleurs et les instincts qui sont les mieux adaptés afin que les
moineaux se propagent dans un milieu donné ? Suffit-il vraiment que les marques et les
taches de toutes les couleurs et dimensions possibles apparaissent d’une façon aléatoire ?
que la taille, la forme, et la structure interne de chaque organe, de chaque muscle, chaque
vaisseau et nerf, chaque os, chaque tissu, varie chez tout individu dans toutes les
directions possibles d’une manière simplement accidentelle ; et qu’à partir de cette
loterie, qui n’offre que des possibilités infiniment petites de succès pour chaque caractère
séparé, la sélection naturelle trie et associe précisément les configurations de tissus,
vaisseaux, os et nerfs qui répondent le mieux aux besoins de l’adaptation ? Et si l’on peut
imaginer un tel processus, a-t-il vraiment lieu dans la nature ? Est-il vrai que la variation
n’est dirigée par aucune cause structurelle que ce soit, rapportée aux conditions de vie de
l’organisme - et qu’aucune de ses causes possibles ne prédomine sur les autres ? »
3 N’est-il pas plus cohérent avec l’observation et l’expérimentation moderne de reconnaître
que les variations qui apparaissent chez une espèce à un moment donné – en tant que
résultantes de possibilités de variation héritées (déterminées par toute l’évolution
antérieure de la branche des vivants en question) et des influences modificatrices d’un milieu
changeant – se présentent et s’accumulent dans certaines directions définies ? Et n’avons-
nous pas raison d’affirmer qu’une telle variation définie constituerait déjà une
adaptation, tout comme, pour un arbre qui croît sur la côte, les vents dominants arrêtent
la croissance de ses branches d’un côté et la favorisent de l’autre côté ?
4 Mais si la variation n’est pas un simple accident dû à un brouillage aléatoire de cartes
représentant des milliers de caractères hérités, s’il s’agit du résultat de l’action du milieu,
alors c’est un fait physiologique. Elle relève de certaines causes définies – de changements
dans l’alimentation de l’organisme, dans la composition de l’air, dans la température et
l’humidité, dans le degré d’exposition au soleil. Et chacune de ces causes a des effets
définis sur la composition du sang de l’animal ou de la sève de la plante, sur la texture des
différents tissus, sur la structure anatomique et les fonctions de chaque organe. La
variation, dans ce cas, perd son caractère accidentel et se dégage du voile de mystère qui
l’entourait. Elle devient un objet d’expérience, et beaucoup des difficultés qui étaient
placées sur la voie du partisan de la sélection disparaissent.ii
5 Pour commencer, il n’est pas nécessaire de supposer que les tout premiers
commencements de la variation de chaque organe sont déjà prononcés au point de
détenir une « valeur sélective » – au point d’être déjà utiles dans la lutte pour l’existence
–, comme nous sommes contraints de le supposer si la variation est accidentelle et n’est
pas renforcée graduellement par l’action du milieu. On écarte ainsi une difficulté si
importante que les darwiniens les plus savants la reconnaissent, quand bien même ils
récusent les exagérations des critiques de Darwin.2
6 Nous comprenons, en outre, pourquoi la variation doit être cumulative. Si elle relève d’une
cause définie, elle est vouée à s’accumuler aussi longtemps que perdure cette cause ; alors
qu’il n’y aurait aucune raison de supposer qu’un caractère apparu par pur accident chez
une génération soit renforcé chez la suivante, étant donné qu’il n’existe aucune cause
externe ou interne pour produire un tel effet. Une telle supposition est en réalité
L’action directe du milieu sur les plantes
De Darwin à Lamarck
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