Pierre Kropotkine
Renaud Garcia (éd.)
De Darwin à Lamarck
Kropotkine biologiste (1910-1919)
ENS Éditions
L’action directe du milieu sur les plantes
The direct action of environment on plants
DOI : 10.4000/books.enseditions.5118
Éditeur : ENS Éditions
Lieu d'édition : Lyon
Année d'édition : 2015
Date de mise en ligne : 9 novembre 2015
Collection : La croisée des chemins
ISBN électronique : La croisée des chemins
http://books.openedition.org
Référence électronique
KROPOTKINE, Pierre. L’action directe du milieu sur les plantes In : De Darwin à Lamarck : Kropotkine
biologiste (1910-1919) [en ligne]. Lyon : ENS Éditions, 2015 (généré le 26 janvier 2017). Disponible sur
Internet : <http://books.openedition.org/enseditions/5118>. ISBN : 9782847886887. DOI : 10.4000/
books.enseditions.5118.
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L’action directe du milieu sur les
plantes
The direct action of environment on plants
NOTE DE LÉDITEUR
Publication originale : Pierre Kropotkine. « The direct action of environment on plants »,
July 1910, The Nineteenth Century and After, vol. LXVIII, nº CCCI, p. 58-77
1 La grande question qui intéresse les biologistes plus que toutes les autres et les divise en
deux camps est la question de l’importance relative de la sélection naturelle d’une part, et
de l’action directe du milieu d’autre part, dans le processus d’évolution de nouvelles
espèces. Nous connaissons la position de Darwin et sa conception du rôle dominant de la
sélection naturelle. Mais ses idées ne sont pas restées identiques, et nous avons vu dans
un précédent article1 comment Darwin lui-même, particulièrement lorsqu’il entra dans
les détails de la variation chez les plantes et les animaux à l’état domestique, fut amené à
faire certaines concessions. Il commença à douter de la pertinence de la seule sélection
naturelle, et à attribuer de plus en plus d’importance à l’action des circonstances
ambiantes, que ses précurseurs Buffon, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, et Erasmus
Darwini – avaient considérée comme le principal facteur de l’évolution. Ce sont également
ces idées-là qui prédominent résolument aujourd’hui parmi les biologistes.
2 « Suffit-il vraiment, se demandent-ils, que se manifeste chez une espèce de plantes ou
d’animaux un nombre infini de variations purement accidentelles et individuelles, dans
toutes les directions possibles ; et qu’à partir de cette masse de changements gers,
contradictoires et fluctuants, la sélection naturelle, au sein d’une âpre lutte pour la vie,
façonne de nouvelles variétés, et en définitive de nouvelles espèces, aussi parfaitement
adaptées à leurs milieux ambiants que si elles avaient été produites par ces milieux eux-
mes ? Prenons n’importe quelle espèce d’oiseaux – par exemple, les moineaux. Suffit-il
que naissent, par pur hasard, des moineaux à pattes courtes et des moineaux à pattes
longues, des oiseaux dotés de becs plus courts et d’autres de becs plus longs, avec des ailes
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plus petites et plus grandes, claires et foncées, ternes, brillantes, tachetées, et ainsi de
suite tous en nombre égal dans chaque direction, la variation étant censée être
accidentelle, indéterminée, i.e. dirigée par aucune cause particulière dans un sens ou dans
l’autre et que la lutte pour l’existence accorde précisément les longueurs des becs, des
pattes et des ailes, les couleurs et les instincts qui sont les mieux adaptés afin que les
moineaux se propagent dans un milieu donné ? Suffit-il vraiment que les marques et les
taches de toutes les couleurs et dimensions possibles apparaissent d’une façon aléatoire ?
que la taille, la forme, et la structure interne de chaque organe, de chaque muscle, chaque
vaisseau et nerf, chaque os, chaque tissu, varie chez tout individu dans toutes les
directions possibles d’une manière simplement accidentelle ; et qu’à partir de cette
loterie, qui n’offre que des possibilités infiniment petites de succès pour chaque caractère
séparé, la sélection naturelle trie et associe précisément les configurations de tissus,
vaisseaux, os et nerfs qui répondent le mieux aux besoins de l’adaptation ? Et si l’on peut
imaginer un tel processus, a-t-il vraiment lieu dans la nature ? Est-il vrai que la variation
n’est dirigée par aucune cause structurelle que ce soit, rapportée aux conditions de vie de
l’organisme - et qu’aucune de ses causes possibles ne prédomine sur les autres ? »
3 N’est-il pas plus cohérent avec l’observation et l’expérimentation moderne de reconnaître
que les variations qui apparaissent chez une espèce à un moment don en tant que
résultantes de possibilités de variation héritées (déterminées par toute l’évolution
antérieure de la branche des vivants en question) et des influences modificatrices d’un milieu
changeant se présentent et s’accumulent dans certaines directions définies ? Et n’avons-
nous pas raison d’affirmer qu’une telle variation définie constituerait déjà une
adaptation, tout comme, pour un arbre qui croît sur la côte, les vents dominants arrêtent
la croissance de ses branches d’un côté et la favorisent de l’autre côté ?
4 Mais si la variation n’est pas un simple accident à un brouillage aléatoire de cartes
représentant des milliers de caractères hérités, s’il s’agit du résultat de l’action du milieu,
alors c’est un fait physiologique. Elle relève de certaines causes finies de changements
dans l’alimentation de l’organisme, dans la composition de l’air, dans la température et
l’humidité, dans le degré d’exposition au soleil. Et chacune de ces causes a des effets
finis sur la composition du sang de l’animal ou de la sève de la plante, sur la texture des
différents tissus, sur la structure anatomique et les fonctions de chaque organe. La
variation, dans ce cas, perd son caractère accidentel et se dégage du voile de mystère qui
l’entourait. Elle devient un objet d’expérience, et beaucoup des difficultés qui étaient
placées sur la voie du partisan de la sélection disparaissent.ii
5 Pour commencer, il n’est pas nécessaire de supposer que les tout premiers
commencements de la variation de chaque organe sont déjà prononcés au point de
tenir une « valeur sélective » au point d’être utiles dans la lutte pour l’existence
–, comme nous sommes contraints de le supposer si la variation est accidentelle et n’est
pas renforcée graduellement par l’action du milieu. On écarte ainsi une difficul si
importante que les darwiniens les plus savants la reconnaissent, quand bien me ils
récusent les exagérations des critiques de Darwin.2
6 Nous comprenons, en outre, pourquoi la variation doit être cumulative. Si elle relève d’une
cause définie, elle est vouée à s’accumuler aussi longtemps que perdure cette cause ; alors
qu’il n’y aurait aucune raison de supposer qu’un caractère apparu par pur accident chez
une génération soit renforcé chez la suivante, étant don qu’il n’existe aucune cause
externe ou interne pour produire un tel effet. Une telle supposition est en réalité
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contraire à tout ce que nous connaissons des déviations accidentelles, et se trouve
contredite par la recherche dans cette nouvelle branche scientifique qu’est la biométrie.3
7 Et finalement, nous comprenons pourquoi la variation doit être corrélative : pourquoi
plusieurs organes varient en même temps, chacun soutenant la variation des autres – fait
absolument général dans la nature, et qui représente en définitive une des plus grandes
difficultés pour la théorie de la variation accidentelle. Ainsi, si les ailes d’un groupe
d’oiseaux augmentent légèrement en conséquence d’un accroissement d’exercice,
soutenu par une meilleure alimentation, nous constatons la cause physiologique de
l’augmentation ; et nous comprenons pourquoi tous les muscles, les os, les vaisseaux
sanguins et les nerfs reliés aux ailes doivent recevoir un veloppement corrélatif. Ou
bien, si les yeux d’un animal cavernicole, devenus inutiles dans l’obscuri d’une grotte,
commencent à s’atrophier, nous comprenons désormais de quelle manière, la fonction
des yeux n’étant plus exercée, une déficience physiologique des nerfs optiques, des
vaisseaux sanguins et des muscles leur étant reliés s’ensuit nécessairement. Nous n’avons
pas besoin de recourir à une hypothèse improbable et de soutenir que les animaux qui
survivent le mieux sont ceux qui économisent leurs forces vitales en se débarrassant
rapidement d’un organe inutile, et des muscles, nerfs, et vaisseaux sanguins afférents.
L’économie est ordinairement trop petite pour impliquer un avantage pour la vie. La
me chose vaut en ce qui concerne le développement corrélatif de toutes les dents d’un
mammifère correspondant à un changement don dans sa nourriture ; ou pour la
générescence des orteils chez la race bovine et les chevaux, et pour tous les exemples
frappants indiqués par les paléontologues américains, Cope et Marshiii, montrant combien
il est difficile d’expliquer la variation corrélative de plusieurs organes, à la fois pour le
veloppement et la dégénérescence, tant que nous nous refusons à reconnaître que la
variation est due à l’action définie du milieu.4
8 Il va de soi que les biologistes qui reconnaissent l’influence de l’action directe du milieu
ne nient pas cessairement l’intervention de la lection naturelle. Au contraire, ils
reconnaissent pleinement son utilité en tant qu’auxiliaire. Ils se contentent de limiter ses
pouvoirs. Elle cesse d’être une sélection de variations aléatoires nécessairement
indifférenciées dans la plupart des cas lors de leurs phases liminaires pour devenir une
sélection physiologique des individus, des sociétés et des groupes qui sont les plus
capables de s’accorder aux nouveaux besoins par de nouvelles adaptations des tissus, des
organes et des habitudes. Il ne s’agit plus tant d’une lection d’individus que d’une
sélection de groupes d’individus, modifiés d’un seul coup, plus ou moins, dans une
direction donnée. Il s’agit également, dans le monde animal, d’une lection de ceux qui
exercent le mieux leur intelligence collective pour diminuer la compétition et la guerre
internes, et pour élever leurs rejetons par un effort conjoint.iv Et en définitive, puisqu’elle
ne dépend plus d’une lutte acérée entre tous les individus d’un groupe, elle ne requiert
pas, pour intervenir pleinement, les saisons exceptionnellement mauvaises, les
sécheresses et les périodes de désastres que Darwin considérait comme particulièrement
favorables à la sélection naturelle. Elle se déroule lors de périodes d’abondance comme
lors de riodes de rareté, et spécialement en période d’abondance et pendant les bonnes
saisons, lorsqu’une large quantité de nourriture et de vitalité favorise la variabilité, et elle
procure une certaine plastici aux organismes. L’évolution progressive devient ainsi
compréhensible, et nos hypothèses s’accordent avec ce que nous apprenons
véritablement de la variation et de l’évolution dans la nature.
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De Darwin à Lamarck
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9 En bref, beaucoup de difficultés importantes qui se dressent sur la route du partisan de la
sélection disparaissent, et nous ne sentons plus la cessité de beaucoup d’hypothèses
élaborées par les néo-darwinistes pour soutenir la sélection naturelle, une fois que nous
n’y voyons qu’un auxiliaire de l’action directe du milieu. Examinons ainsi jusqu’où une
telle position est défendue par la recherche moderne.
I
10 à l’époque de Darwin, ses propres recherches ainsi que celles auxquelles son œuvre
avait donné lieu l’avaient conduit à reconnaître l’importance de l’action directe du milieu.
Il ajoutait simplement et son excuse était, bien entendu, absolument vraie qu’à
l’époque il digea L’origine des espèces, les recherches prouvant l’importance de cette
cause n’existaient pas. Désormais, la quantité de travail déjà effectuée dans cette
direction est immense et sa masse augmente chaque année. Il existe désormais à Vienne
un laboratoire spécifique de physiologie destiné à l’étude des différents facteurs
nourriture, température, lumière, etc. – qui altèrent la structure interne et les formes des
êtres vivants ; et une revue spécifique a été créée en Allemagne dans le seul but de traiter
du même sujet.5 Deux nouvelles branches scientifiques, la morphologie expérimentale et
l’embryologie expérimentale, se sont récemment développées, et il paraît chaque année
un travail fondamental consacré à la situation nérale du darwinisme et du
lamarckisme.6
11 Un volume d’un format conséquent serait cessaire pour simplement résumer les
résultats des recherches expérimentales modernes concernant l’action directe du milieu
sur les plantes et les animaux. Par conséquent, débutant par les plantes, je ne
mentionnerai ici que les plus convaincantes de ces recherches. Qu’il me soit seulement
permis de remarquer tout de suite que le caractère de ces recherches a grandement
changé dernièrement. Auparavant, les expérimentateurs dirigeaient principalement leur
attention sur les changements dans les formes des organismes, que l’on pouvait obtenir
expérimentalement. Le biologiste, pour ainsi dire, poursuivait dans son laboratoire le
travail du cultivateur ou de l’éleveur. Mais la recherche va désormais plus avant. Elle
devient une investigation physiologique à propos de la substance et des causes de la
variation. La variation est traitée comme une branche de la physiologie et de l’histologie
de la plante ou de l’animal, et se trouve ainsi étudiée selon la seule façon adéquate pour
révéler ses causes et jeter quelque lumière sur la question hautement débattue de savoir
si la variation, acquise par une génération, se transmet à la suivante, et de quelle manière
se produit la transmission.
12 Il serait inutile de répéter ce qui a été dit dans les pages de cette revue dans mes
articles « Recent science » concernant cet important ensemble de recherches dans le
domaine de la physiologie des plantes.7 Je ne répéterai qu’un seul exemple les
expériences du Professeur Gaston Bonnierv ; et, avec deux ou trois exemples tirés de
travaux plus récents, cela contribuera à montrer le rapport de toutes les recherches
similaires avec la question que nous traitons. Je rappellerai simplement au lecteur que
nous possédons dans ce domaine des recherches aussi capitales que celles de Rauwenkof,
Koch et Batalinvi, concernant l’influence de la lumière sur la structure des cellules ; la
modification des tiges aériennes et de leur structure interne obtenue par Costantin en les
cultivant dans le sol ; et tout spécialement les recherches approfondies de Stahl, Dufour,
Pique, Surohz, Vesque et Vietvii, et beaucoup d’autres, dont certains seront ici
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