Au commencement du siècle dernier, un Allemand nommé Wachter crut
avoir trouvé, dans les ressemblances de certaines pratiques entre les esséniens et
les premiers chrétiens, la preuve de l’origine essénienne du christianisme. Cette
thèse fut reprise à la, fin du XVIIIe siècle par le moraliste Stæudlin dans son
Histoire de la morale de Jésus-Christ ; et cinquante ans plus tard, Pfrœrer décla-
rait dénué de tout sens historique quiconque n’admettait pas avec lui un lien
de parenté directe entre l’essénisme et le christianisme. Victorieusement com-
battue par de Wegnern, cette thèse a été reprise à nouveau de nos jours par
Lenormand, Cohen et Grœtz. Par des voies diverses, ces trois historiens abou-
tissent à la même conclusion, à savoir : l’essénisme est au christianisme ce que
la tige est à la fleur. Tout en combattant cette conclusion, Stapfer, dans son
récent ouvrage : Jésus-Christ avant son ministère, semble faire une très grande
part à l’essénisme dans la formation de la conscience religieuse de Jésus.
En face de cette prétention d’une certaine critique rationaliste d’expliquer
Jésus et sa religion par l’essénisme ; une double tâche incombe à l’apologiste :
rendre à la secte sa vraie physionomie, montrer, en mettant en face l’une de
l’autre les deux doctrines, qu’il y a, entre l’essénisme et le christianisme, toute
la distance qui sépare le divin de l’humain.
Un travail de cette étendue dépassait les limites de cette étude : nous nous
sommes borné à refaire la biographie de la secte. L’histoire, ordinairement ou-
blieuse des hommes qui ne jouent pas un rôle apparent sur la scène d’une na-
tion, a laissé dans l’ombre une secte étrangère aux luttes religieuses et poli-
tiques de sa patrie, et sans autre ambition que celle de réaliser, dans la solitude
et par la mortification des passions, l’idéal entrevu de la vertu. À la faveur de
cette demi-obscurité, une foule d’hypothèses se sont fait jour et ont altéré des
traits de la physionomie des esséniens.