Bientraitance et éthique du care...
SimilitudeS et différenceS autour d’une recenSion deS écritS ScientifiqueS.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 105 - JUIN 2011 7
personne d’autrui comme moi-même » selon la formule
chère à Emmanuel Kant ou bien à rencontrer « le visage de
l’autre qui m’oblige » en reprenant les mots d’Emmanuel
Lévinas ? Cette bientraitance là, nous oblige à
revenir sur les ouvrages théoriques fondamentaux au
carrefour de la philosophie, de l’herméneutique,
de la phénoménologie6. Même si le terme en soi de
bientraitance n’y est pas clairement apparent, ces
écrits fondateurs ouvrent des pistes de compréhension
propices à la réflexion.
Le bonheur et la sagesse pratique chez
Aristote
Aux yeux des grecs, les trois activités humaines
fondamentales étaient : le travail, l’œuvre (la poïèsis)
et l’action (la praxis). Cette distinction opérée entre
Science poïétique et Science pratique introduit dans
la pensée aristotélicienne la dimension éthique des
choses humaines. La « sagesse pratique » (la phronesis)
est tournée vers l’action. Pour Aristote, le bonheur
est le bien suprême recherché par les hommes. Ce
bonheur, parce qu’il est réalisation et accomplisse-
ment de soi, actualisation de ses puissances, résulte
de l’action. Le but ultime est la recherche du bon-
heur comme souverain Bien. Ce Bien n’est pas
unique, abstrait, habituel. Il s’agit avant tout d’un bien
réalisable qui peut être acquis par soi-même, dans
l’activité pratique. Il y aurait dans l’activité pratique
du soin, du prendre soin, de l’aide, du souci de
l’autre une conception aristotélicienne bientraitante
de la vie heureuse qui vise à l’autonomie voire à
l’accomplissement de soi.
Le respect inconditionnel de la dignité
humaine chez Kant
Dans la conception kantienne, la dignité de la personne
humaine procède du sentiment. Le sujet n’a pas
seulement un prix, une valeur, il a le sentiment de
dignité. Cette dignité est absolue, intrinsèque, inalié-
nable. Elle fait figure de « valeur intérieure absolue ».
Pour Kant, « les premiers devoirs de l’homme sont des
devoirs envers lui-même parce que c’est en lui-même que
l’homme découvre en premier lieu ce qu’est la personnalité
et l’humanité. Les devoirs envers soi sont le fondement
des devoirs envers autrui » (Theis, 2003). Pour Kant,
le respect est le sentiment moral par excellence. Le
respect oblige au dépassement de ses pré-notions, de
ses préjugés, de ses penchants spontanés et parfois
trop immédiats sur le genre humain. Le respect oblige
à envisager l’autre dans son humanité quelque soit sa
dégradation physique et / ou morale. L’autre, l’alter de
mon ego est digne de respect parce qu’il fait partie de
l’humanité. Kant distingue bien le sujet de la chose. Ce
qui élève le sujet au dessus de la matière, au dessus du
mécanisme de la nature, c’est bien son intériorité, sa
personnalité. L’impératif du respect se retrouve ainsi
dans la formule kantienne « agis de telle sorte que tu
traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la
personne de tout autre, toujours en même temps comme
une fin et jamais simplement comme un moyen ».7
La notion d’être-au-monde chez Martin
Heidegger
Dans l’analyse heideggérienne de l’existence humaine,
la notion d’être-au-monde est essentielle. Le souci de
Heidegger est ontologique. Il s’intéresse à « l’être »
unique en tant que distinct des « étants », c’est-à-
dire des choses. Il ne parle d’existence que pour cet
« être-là » (Dasein) que nous sommes nous-mêmes.
L’homme est pensé à travers sa manière d’exister,
en tant que « je » qui veut, qui s’efforce, qui est
nécessiteux, et mortel. Heidegger le pose dans
« l’être-dans-la-vie ».
Reprenons quelques expressions du langage d’Être
et temps (1927) particulièrement significatives :
« l’être-au-monde, l’être-jeté, l’être-ensemble,
l’être-offert-à-la-main, le pré-courir-vers-la-mort ».
Au lieu de « passé » et de « futur », c’est « l’ayant-
été » et l’ « à-venir » de l’être qu’il aborde. Tout
cela représente des concepts d’événements et
d’accomplissements humains, intégrés au comporte-
ment de l’individu. Ces termes ne désignent pas des
choses, mais des façons d’être. La substance disparaît.
Tout est pour ainsi dire en mouvement, en cours. Il
ne s’agit plus d’un sujet, mais d’un « être-là » dans
une mondanéité remplie de l’existence quotidienne.
Là où est écrit « être-là », nous pouvons introduire la
personne soignée en tant que « je » – ou sa relation
avec l’autre (le médecin, l’infirmier, le prestataire par
exemple) en tant que « tu », ou « il » ou « elle » –
dans l’accomplissement d’une manière d’être, dans la
précarité de l’existence. Cette pensée découvre un
agir professionnel dans le prendre soin non disjoint
d’une perspective de bientraitance centrée (dans ses
modalités pratiques) aux significations particulières
liées aux situations cliniques, aux acteurs en présence,
à la rationalité et à la subjectivité de chacun.
Le sens, le corps, la chair chez Maurice
Merleau-Ponty
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) a dans l’horizon
ouvert par La phénoménologie de la perception (1945),
développé une pensée du « corps » comme point de
référence de l’histoire perceptive du sujet. Pour cet
auteur, le monde se dispose en première intention
6 Nous précisons ici, qu’il ne s’agit pas de résumer la pensée des différents auteurs mais d’exposer en quoi leurs travaux et réflexions peuvent
être incontournables à la compréhension de la notion de bientraitance.
7 Kant, E., (1992). Fondements de la métaphysique des moeurs, Paris, Vrin, p. 105.