L’ INTERDISCIPLINARITÉ Denyse DE VILLERMAY VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ* Il y a quarante ans, la génération d’infirmières dont je fais partie recevait un diplôme d’état d’infirmière polyvalente. Le dernier terme a disparu du vocabulaire infirmier depuis longtemps, je trouve cela dommage. Aujourd’hui, où nous allons parler d’une vision transdisciplinaire de soins, remarquons au passage que c’était l’infirmière qui était polyvalente et pas sa discipline. Polyvalent signifie qui a plusieurs fonctions. Cet aspect poly-fonctionnel inscrit dans la formation au Diplôme d’Etat Infirmier me semblait bien convenir, car il exprimait la capacité potentielle ou impliquée, conférée à l’infirmière pour intégrer et s’adapter harmonieusement à de nouvelles fonctions, ou de nouvelles activités dans le cadre de sa pratique de soins. Il rendait compte aussi de la nécessité pour le soignant, de sa capacité d’adaptation constante, d’un ajustement permanent aux évolutions et changements qui ne manquent pas de survenir dans son paysage professionnel et ce tout en restant fidèle à sa propre éthique de soins. En apparence la pratique a bien changé depuis 40 ans, si l’on prend pour seule référence le paysage de l’environnement technique des soins. Ce qui est sûr, polyvalent, le soignant l’est plus que jamais. Les soins font aujourd’hui l’objet d’une discipline universitaire, de plus en plus de responsabilité repose sur les soins infirmiers et ce à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle. La polydisciplinarité, la multidisciplinarité, l’interdisciplinarité invitent aujourd’hui à une association des connaissances de différentes disciplines autour d’un projet commun : la qualité des soins. On a longtemps séparé le champ de la pratique des soins en pratiques hospitalières et extra hospitalières, l’objectif actuel n’est plus de séparer mais d’unifier les disciplines qui gravitent autour du patient afin de réunifier l’humain dans sa relation multidimensionnelle à l’environnement biologique, psychologique, et * aussi culturel et spirituel. Cette polyvalence du soignant en faisait déjà un soignant transdisciplinaire de manière, si j’ose dire, naturelle ! C’était donc une remarquable idée que de convier Basarab Nicolescu, Physicien et chercheur du CNRS à venir nous parler de Transdisciplinarité. Fondateur du CIRET, Centre International de Recherche Transdisciplinaire, il a publié en 1996, Le Manifeste de La Transdisciplinarité. Il y présente les facettes d’une approche transdisciplinaire, comme autant de remparts contre les dérives ou les tentations dogmatiques ou idéologiques, mais surtout comme une ouverture nouvelle vers une vision holiste, offrant une série de ponts entre Science et Connaissance, entre Science et Culture, entre Science et Tradition. Lors d’un Colloque sur l’Humanisme au Centre Universitaire Méditerranéen de Nice, Basarab Nicolescu avait évoqué une image simple pour se faire comprendre. La voici : « Représentons un domaine de la connaissance des sciences exactes par une sphère, celui de la physique par exemple, l’intérieur de cette sphère représente le connu, c’est le volume. Tandis que la surface représente le domaine de l’inconnu. Avec le temps et de nouveaux apports de connaissances, la sphère se fait plus grosse et son volume augmente. Paradoxalement sa surface aussi augmente, donc l’inconnu augmente avec le temps. On peut dire dans cette image que l’inconnu augmente moins vite que le connu. On peut représenter ainsi tous les autres domaines de la connaissance, sciences humaines, poésie, art, religion etc.. La question est : quelle est la nature de l’espace entre toutes les sphères ? Et sa réponse fut : c’est dans cet espace transdisciplinaire que nous allons retrouver l’Homme, Trans signifiant « au-delà et à tra- Conférence présentée lors des journées d’études de l’ARSI en Janvier 2004 44 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 L’ INTERDISCIPLINARITÉ VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ vers ». L’attitude scientifique qui prédomine aujourd’hui est fondée sur le postulat qu’entre les disciplines il n’y aurait rien. Il y aurait donc autant de réalités que de connaissances fragmentaires de ces sphères, par conséquent aucune compréhension du monde qui prendrait en compte cet espace qui traverse toutes les disciplines et les dépassent. Un espace ouvert de liberté et de compréhension. » Deux vraies révolutions ont traversé ce siècle, dit -il : la révolution quantique et la révolution informatique. La révolution quantique peut encore ouvrir notre vision du monde que la révolution informatique est en train de changer mais pas dans l’esprit de partage des connaissances entre tous les humains dont elle aurait peut être pu devenir le maître d’œuvre. Basarab Nicolescu n’a pu venir et il va sans dire que je ne suis pas une spécialiste de la physique quantique, cependant la transdisciplinarité qui s’adresse à chacun de nous, a puisé dans la physique quantique la plupart de ses concepts et de ses symboles fondateurs. Nous les aborderons avec simplicité et en nous aidant des travaux de M. Basarab Nicolescu et d’autres membres du CIRET. Pour vous donner le goût, le parfum de ce monde quantique de l’infiniment petit, je n’ai pas trouvé mieux que cette évocation de ce conte mystérieux, que l’on trouve en introduction de son ouvrage « Nous, la particule et le monde ». « Dans son célèbre conte philosophique La Conférence des oiseaux le poète persan du XIIe siècle, Attar nous décrit le long voyage des oiseaux à la recherche de leur « vrai roi », le Simorgh. Les oiseaux traversent sept vallées, pleines de dangers et de merveilles. La sixième vallée est celle de l’« étonnement ». Là, il fait à la fois jour et nuit, on voit et on ne voit pas, on existe et on n’existe pas, les choses sont à la fois vides et pleines. Si le voyageur s’accroche à tout prix à ses habitudes, à ce qu’il connaît déjà, il est en proie au découragement et au désespoir – le monde lui semble absurde, incohérent, insensé. Mais s’il accepte de s’ouvrir à ce monde inconnu, ce monde nouveau lui apparaît dans toute son harmonie et sa cohérence. » Les mêmes considérations s’appliquent parfaitement à ceux qui tentent d’entreprendre le voyage dans le monde quantique. 1 LES SOURCES QUANTIQUES DE L’APPROCHE TRANSDISCIPLINAIRE La révolution de la discontinuité Celui qui découvre, innove, déploie son imaginaire en toute liberté et en toute innocence fait peur, de tous temps il est rejeté par ses pairs, honni par les faux savants et les faux philosophes. Isaac Newton découvre que deux corps s’attirent proportionnellement à leur masse et de façon inversement proportionnelle au carré de leur distance. C’est la force gravitationnelle. La théorie de la gravitation fut à son époque rudement attaquée par Leibnitz qui reprochait à Newton d’avoir introduit des «qualités occultes» par le biais de l’attraction universelle, ce qui représentait à l’époque une accusation très grave. Comment accepter que deux masses puissent s’attirer à distance? Si Newton le mathématicien fut respecté, l’alchimiste dérangeait, un siècle plus tôt et il risquait le bûcher. Voltaire pour le défendre dira «qu’il s’est amusé avec les prophéties et la transmutation des métaux». Mais Newton qui avait lu les Anciens, considérait sa propre théorie de la Gravitation comme une simple redécouverte.. Une idée inouïe traverse le cerveau de Planck ! 1 Il écrit lui même : « Après quelques semaines, qui furent certes remplies par le travail le plus acharné de ma vie, un éclair se fit dans l’obscurité où je me débattais et des perspectives insoupçonnées s’ouvrirent à moi ». Cet « éclair dans l’obscurité » lui livra un concept : le quantum élémentaire d’action. Il le nomme quanta : quantité physique correspondant à une énergie multipliée par un temps. C’est ce quanta qui va révolutionner toute la physique et changer en profondeur notre vision du monde. Le quantum de Planck introduit une structure discontinue de l’énergie. Planck était pleinement conscient qu’ébranlant l’ancien concept tout puissant de continuité, les bases mêmes du réalisme classique seraient ainsi remises en question, il écrit lui-même «…ce quantum représentait.. quelque chose d’absolument nouveau, d’insoupçonné jusqu’alors et qui semblait destiné à révolutionner une pensée physique basée sur la continuité». 1900, avec la découverte de Max Planck, ces travaux faisaient surgir, au centre de la physique nouvelle, la structure discontinue de l’énergie. Beaucoup d’autres découvertes se sont succédées jusque vers 1915, mais il est vrai que la mécanique quantique ne s’est constituée en tant que théorie que vers 1920-1930 et, depuis, elle constitue la base formelle de la physique moderne des particules. 45 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 La « discontinuité » dans l’acception quantique est une discontinuité pure et dure, qui n’a rien de commun avec ce que ce mot recouvre en langage familier d’une ligne discontinue, d’une bifurcation d’un chemin. Si l’on veut saisir l’étrangeté de l’idée de discontinuité quantique, écrit B. Nicolescu, il faut imaginer un oiseau qui sauterait d’une branche d’un arbre à l’autre sans passer par aucun point intermédiaire, comme si l’oiseau se matérialisait soudain sur une branche puis sur une autre. Seule la mathématique peut aider à comprendre ce genre de situation ! Comment la discontinuité protège des errements de la pensée linéaire La discontinuité permet l’existence de l’unité dans la diversité et de la diversité par l’unité. • La discontinuité permet l’évolution et l’involution. • La discontinuité qui permet la coexistence de la causalité globale et de la causalité locale. • La discontinuité assure la dignité de l’homme et donne un sens à sa vie, elle permet le choix, le libre arbitre, l’interaction avec l’Unité, le Tout de l’Univers. Pour Einstein, la conception de l’espace tridimensionnel newtonien ne suffit plus, le mouvement des masses décide de la géométrie de l’espace et du temps. Du niveau planétaire on passe au niveau cosmique. Ainsi, avec cette nouvelle vision on commence à entrevoir comment les lois de la découverte du monde quantique peuvent être radicalement différentes de celles du monde macro-physique. La physique classique reconnaissait deux genres d’objets bien distincts les corpuscules et les ondes. Les corpuscules classiques, entités discrètes, bien localisés dans l’espace et caractérisés du point de vue dynamique, par leur énergie et leur quantité de mouvement. On pourrait facilement visualiser les particules comme des billes se déplaçant d’une manière continue dans l’espace et dans le temps, et décrivant une trajectoire bien précise. Quant aux ondes elles étaient conçues comme occupant tout l’espace d’une manière continue. Un phénomène ondulatoire se décrit comme une superposition d’ondes périodiques, caractérisées par une période spatiale (longueur d’onde) et par une période temporelle. D’une manière équivalente, une onde peut être caractérisée par des fréquences : une « fréquence de vibration » (l’inverse de la période temporelle) et un « nombre d’ondes » (l’inverse de la longueur d’onde). La mécanique quantique amène un bouleversement total de cette représentation : les particules quantiques sont à la fois particule et onde. Leurs caractéristiques dynamiques sont reliées par les formules d’EinsteinPlanck (1900-1905) et de Broglie (1924). Ces deux formules démontrent que l’énergie est proportionnelle à la fréquence temporelle (Einstein-Planck) et que la quantité de mouvement est proportionnelle au nombre d’ondes (de Broglie). Quant au facteur de proportionnalité c’est dans les deux cas : le quantum élémentaire d’action de Planck. Cette représentation d’une particule quantique défie toute forme dans l’espace et dans le temps, car il est impossible de se représenter mentalement quelque chose qui serait à la fois corpuscule et onde en même temps. Les concepts de continuité et de discontinuité se trouvent donc réunis par nature. Chaque nouvel être est une identité nouvelle discontinue et en même temps il apparaît dans une continuité génétique. Et l’on voit bien que dans la vie l’aléatoire se manifeste à tous les moments de l’existence. Quelle est sa place dans cette « réduction du paquet d’ondes » qui oriente le champ des possibles vers un évènement ou un autre ? La réponse nous l’avons demandée à Michel Random : « L’idée physiologique de toute chose n’existe que par la cohérence des énergies qui relie toutes choses, mais l’étonnement de l’univers veut que l’on ne trouve jamais de chaos réel, mais toujours un sens à toute chose. L ‘univers des énergies est une potentialité qui répond à tout regard et à toute question, parce que le regard est une énergie comme la question qui interroge. La question est capable de restreindre le déterminisme de l’aléatoire, en clair si on rajoute de la causalité, on ne diminue pas l’aléatoire mais on augmente la causalité. Si on utilise la question comme un levier de la conscience qui se manifeste, la réponse s’affirme et l’on restreint la causalité ». Ce que nous faisons en tant que soignants peut se comprendre comme une participation avec le patient à la réduction d’une causalité. Nous pouvons considérer le symptôme, l’accident, la maladie, l’affect.. comme autant de chaos ou de ruptures de continuité. Toute interprétation affective, tout jugement de valeur s’effacent dans ce cadre. Le regard sur le soin est plus clair, centré sur l’être que l’on soigne plus que sur les causalités multiples qui ont pu ou pas, l’amener à la situation présente. Il faudrait aussi admettre que le retour à la santé devrait aussi être envisagé comme un autre possible de rupture de continuité. 46 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ Considérer le chaos comme un Tout ludique, car il y a de l’humour dans l’univers. La réponse n’est jamais là où on la cherche, elle habite souvent un infime point, si proche qu’on ne peut le voir ni le concevoir, mais il induit des fausses réponses pour cacher ailleurs la réponse. Il rappelle l’homme à l’humilité en créant des bulles de fausses certitudes, d’habitudes, de faux savoirs dont on ne peut sortir. On n’échappe pas à son identité, à ce que l’on est. Reste à regarder le réel qui offre le spectacle extraordinaire du vivant et du cosmos. On peut voir des étoiles à des milliers d’années lumière et qui n’existent plus et passer à côté d’une vérité lumineuse qui nous crevait l’oeil. Il faut prendre conscience du fait que la particule quantique est une entité tout à fait nouvelle, irréductible aux représentations classiques : la particule quantique n’est pas une simple juxtaposition d’un corpuscule et d’une onde. La particule quantique peut se comprendre comme une unité de contradictoires mais les physiciens trouvent plus juste de dire qu’une particule n’est ni corpuscule ni onde. L’unité des contradictoires est plus que la simple somme de ses composantes classiques. La découverte du monde quantique attribue une valeur scientifique à la notion de « degré de matérialité » et associe la subtilité de la matière à la fréquence des vibrations, ainsi l’expression « densité de vibrations » correspond à celle de « fréquence de vibrations » et son sens est opposé à celui de « densité de matière ». La matière la plus subtile correspondrait par conséquent à la plus grande « densité de vibrations ». Deux niveaux de réalité différents gouvernés par des lois différentes. « L’existence de différents degrés de matérialité a permis d’envisager la possibilité de plusieurs matières, dit B. Nicolescu, la physique quantique retrouve ou révèle un matérialisme dans une forme d’alchimie intérieure de l’homme. Entrons dans ce monde de l’infiniment petit : un retour à la Nature L’étude du monde et l’étude de l’homme sont indissociables, simplement parce que l’humain fait partie de ce monde. C’est en l’observant qu’il découvre sa propre relation d’altérité avec ce monde. Son regard sur toute la nature se modifie alors qu’il apprend de plus en plus de cette symbiose avec elle. Pourtant la vision de la nature comme objet connu, déchiffrable, au service de l’homme et de ses caprices, nous a menés dans une impasse. Le mot même de nature disparaît du vocabulaire, on lui préfère l’écologie. « La Nature a perdu son mystère, devenue machine avec ou sans Dieu horloger, elle se décompose en pièces détachées. Plus besoin d’un Tout cohérent et transcendant, la nature cède la place à la complexité, dit B. Nicolescu. Une complexité inouïe qui envahit tous les domaines de la connaissance de l‘infiniment petit à l’infiniment grand. Que reste t-il de la nature ? Il répond : Et si la nature n’était pas un livre mort à notre disposition pour être déchiffré, mais un livre vivant sans cesse en train de s’écrire ». Les niveaux de réalité, la logique du tiers inclus et la non contradiction. Pour comprendre ce monde avec de nouveaux termes Basarab Nicolescu, propose la notion de niveau de réalité et de logique du tiers inclus. Il définit la réalité par ce qui résiste à nos représentations, descriptions, images. Par niveau, il entend un système invariant à l’action de certaines lois, par exemple les atomes, le monde atomique le monde corpusculaire. Ainsi deux niveaux de réalité sont différents si en passant de l’un à l’autre, il y a rupture des lois et rupture des concepts fondamentaux. On voit bien la différence de ces niveaux de réalité quand on parle du niveau microphysique et du niveau macrophysique. Entre la physique classique et la physique quantique, la rupture est radicale. C’est pourquoi l’interprétation des phénomènes quantiques en langage macrophysique entraîne des paradoxes. Personne n’a encore trouvé une mise en forme qui permette le passage d’un monde à l’autre. Et cependant ces deux mondes coexistent, nous en sommes la preuve. Nous sommes faits de vide et dans ce vide il y a des grains de matière : c’est le niveau atomique. Au niveau macrophysique nous présentons une consistance de corps avec une forme déterminée qui persiste grâce à la vitesse qui anime ces particules dans le monde quantique. Que nous partagions avec les particules ce double aspect corpusculaire et vibratoire faisant de nous des micro cosmos à l’image du cosmos, que nous soyons aussi matière et vibration, les grandes traditions l’avaient dit bien avant Planck. Ce qui a causé et cause encore le plus de scandale dans les neurones c’est «la logique du tiers inclus». La mécanique quantique à mis en lumière des couples de contradictoires, mais qui le sont uniquement si l’on veut à tout prix s’en tenir à la logique classique. Stephane Lupasco 47 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 propose une restructuration de l’infinie multiplicité du réel à partir de trois termes logiques. Il postule l’existence d’un troisième type dynamique antagoniste qui coexiste avec la logique de l’homogénéisation qui gouverne la matière physique macroscopique et celle de l’hétérogénéisation qui gouverne la matière vivante. Ce nouveau mécanisme dynamique demande un état d’équilibre entre les pôles d’une contradiction dans une semi-actualisation et une semi-potentialisation strictement égales. Cet état Lupasco le nomme état T pour l’initiale de tiers inclus. La structure binaire homogène-hétérogène, celle de l’antagonisme énergétique est remplacée par une structure ternaire. Lupasco met le concept d’énergie au centre de sa méditation philosophique. Dans la physique classique le rôle central est dévolu à la notion d’«objet», la notion d’«énergie» étant dérivée ou secondaire. La physique moderne relativiste et quantique a renversé de manière radicale cette hiérarchie. La notion d’objet est remplacée par celle d ‘événement, de relation, d’interconnexion. Le vrai mouvement est celui de l’énergie. Tout est lié dans le monde. Tout système implique l’existence d’un système antagoniste, il résulte que deux systèmes quelconques vont être liés par une chaîne de systèmes antagonistes. L’antagonisme énergétique est donc une vision de l’unité du monde, unité dynamique, unité d’enchaînement indéfini des contradictions fondée sur une structure ternaire universelle. En fait, il vaut mieux faire comme les oiseaux du conte d’Attar, entrer joyeux dans la vallée de l’étonnement. Cette logique quantique est basée sur trois axiomes : 1- l’axiome d’identité : A est A 2- l’axiome de non contradiction : A n’est pas non-A 3- l’axiome du tiers exclus : il n’existe pas de troisième terme on le nomme T « pour Tiers inclus » qui soit à la fois A et non-A Effectivement si l’on reste dans le même niveau de réalité, c’est impensable mais en fait on oublie de voir que ces deux axiomes sont indépendants l’un de l’autre. Mais nous sommes infirmières et avons l’habitude des paradoxes, de la complexité de la nature de l’humain, et de l’unité des contradictoires, nous pouvons jouer, juste pour voir. Considérons le terme A et nous le nommons : Santé. Axiome d’identité A est A : La santé est la Santé Axiome de non-contradiction A n’est pas non-A : la Santé n’est pas la non-Santé Tiers inclus : A est à la fois A et non A : la santé est à la fois santé et non santé. Le saut quantique fait un peu chinois je vous l’accorde. On peut se dire à quoi ça sert de se casser ainsi la tête, d’accord. Mettons-nous dans les plumes de l’oiseau parti à la recherche de son Roi, pour celui qui sait, qui possède la connaissance, le chemin ne sera jamais trop plié ou déplié. Cet état T, Stephane Lupasco le définit comme un état « ni actuel, ni potentiel ». Avec un petit effort, la lampe de l’imaginaire allumée, on peut se dire calmement, la particule est à la fois onde et corpuscule. Nous sommes faits de particules et c’est une évidence : La santé est à la fois santé et non santé. Au premier degré de réalité on n’est pas vraiment choqué. On comprend bien que selon le niveau où l’on se place, on peut, avec un petit effort, dire que la santé peut être aussi non santé. La première idée qui me vient est celle de l’affection psychiatrique. Sur le plan corpusculaire, cette personne peut être en bonne santé. Sur le plan vibratoire, l’esprit peut être affecté, cela n’entache pas le premier niveau. Si la santé ne pouvait pas être aussi non santé, que signifierait la prévention ? Comment qualifier la période d’incubation, etc.. Si l’on remplace le mot santé par maladie, c’est pareil, il y a matière à réflexion. Changeons et prenons le mot maladie, puis essayons un plus subtil celui de liberté, peut-on être à la fois libre et non libre? Je pense que oui, le poète dans sa prison est libre de son imaginaire, de sa vibration créatrice. Quant à celui de soin qui nous est cher, le concept de Samu Social a ouvert un autre regard sur un soin global où l’on va vers les personnes sans domicile, pour créer un lien sans obligation de part et d’autre. Ce soin qui est un non-soin tout en étant un soin, est déjà un soin quantique. La loi de Trois Depuis la nuit des temps, la pensée binaire a marqué l’activité de l’homme. Pourtant, selon la Tradition la loi de Trois est «la loi fondamentale qui crée tous les phénomènes dans toute la diversité ou l’unité de tous les univers. C’est la «Loi de Trois», la loi des Trois Principes ou des Trois Forces. Selon cette loi, tout phénomène est le résultat de la combinaison ou de la rencontre de trois forces différentes et opposées. 48 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ La pensée contemporaine, elle, reconnaît l’existence de deux forces et la nécessité de ces deux forces pour la production d’un phénomène. La première force peut être appelée active ou positive ; la seconde passive ou négative ; la troisième, neutralisante. Cette terminologie fausse la compréhension car en réalité, ces trois forces sont aussi actives l’une que l’autre ; elles apparaissent comme active, passive et neutralisante seulement au moment où elles entrent en relation les unes avec les autres. Stéphane Lupasco parle de « contradiction antagoniste ». L’opposition entre trois principes est une véritable « contradiction », dans le sens philosophique du terme : quelque chose qui, loin de s’autodétruire, se bâtit par lutte antagoniste. S’il est possible d’envisager une contradiction entre deux termes, il est pratiquement impossible de concevoir une contradiction entre trois termes. Deux d’entre trois termes perdent, par l’inclusion d’un troisième terme, leur identité propre. Dans ce sens, on pourrait comprendre l’expression «tiers inclus». Paradoxalement, dans la logique du «tiers inclus», les notions de «vérité» et «fausseté», loin de perdre leur valeur, s’élargissent considérablement, embrassant un nombre de phénomènes beaucoup plus importants que ceux de la logique binaire. Une particule quantique se manifeste, soit comme onde soit comme corpuscule, c’est à dire par deux entités contradictoires, antagonistes. On pourrait oser le terme de « complémentarité antagoniste » car les propriétés des ondes et des corpuscules sont mutuellement exclusives. Ainsi, à son propre niveau de Réalité, la particule quantique apparaît comme un troisième terme, ni onde ni corpuscule, mais qui au niveau macrophysique est capable de se manifester comme onde ou comme corpuscule. Dans ce sens, elle devient une force conciliatrice entre l’onde et la particule, mais, en même temps, n’étant ni onde ni corpuscule et se manifestant à un autre niveau de réalité, elle est en évidente contradiction avec l’onde ou le corpuscule. Il faut dire que nous sommes là dans un discours quantique, il nous est plus facile d’aller sur la Lune ou de photographier Mars alors que notre propre constitution macrophysique ne nous permet pas de voyager librement dans le monde quantique et d’aller « voir » ce qui s’y passe. L’Unité dans la diversité Un principe de non-séparabilité caractérise l’Univers, tout dépend de tout, toutes les choses se tiennent, il n’y a rien de séparé. Les systèmes à différentes échelles ont leur propre autonomie, l’unité dans la diversité. La vie même apparaît, non pas comme un accident, mais comme une nécessité dans cet univers d’interdépendance universelle, selon toutes probabilités, il règne dans le monde une loi de soutien réciproque de tout ce qui existe. Et de toute évidence, notre vie, elle aussi, sert à soutenir quelque chose de grand ou de petit dans le monde. Le principe du « bootstrap » a été formulé en physique des particules, vers 1960, par le physicien américain G. FÇhew. Le mot même de Bootstrap reste intraduisible en français. En effet, « bootstrap », au sens propre signifie lacet de botte, implique aussi « se soulever soi même en tirant sur ses propres lacets de bottes ». L’univers est uni à lui-même comme la chaussure l’est au pied. L’expression la plus proche serait celle d’autoconsistance de l’univers. Selon le bootstrap, la particule quantique a trois rôles différents : 1 un rôle de constituant des ensembles composés, 2 un rôle de médiateur de la force responsable de la cohésion de l’ensemble composé, 3. un rôle de système composé. Dans le bootstrap, la partie apparaît donc en même temps que le Tout. Dans cette théorie, la particule perd sa notion d’identité, il lui est substitué la notion de relation entre les évènements. Ce sont les relations entre les événements qui sont responsables de l’apparition de ce qu’on appelle particule. Il n’y a pas d’objet en soi, possédant une identité propre qu’on puisse définir d’une manière séparée ou distincte de celle des autres particules. Une particule est ce qu’elle est parce que toutes les autres particules existent à la fois en interaction avec toutes les autres particules. Il y aurait alors vraiment une «loi de soutien réciproque» de toutes les particules quantiques. Ainsi un système est ce qu’il est parce que tous les autres systèmes existent à la fois, l’auto-consistance assure la cohérence du Tout. On peut imaginer un principe de bootstrap qui inclurait le monde quantique, le monde macrophysique, l’Univers, la vie, la conscience mais à l’heure actuelle cela ne saurait être considéré comme scientifique. Cependant son intérêt méthodologique et épistémologique reste considérable, il s’agit d’un symbole inépuisable de l’émergence d’une vision de l’unité du monde et qui rejoint toutes les plus anciennes traditions. 49 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 Le « vide quantique » « A en croire les physiciens, tout ce que nous touchons, c’est du vide.. Nous sommes effectivement limités par nos structures, et nous projetons sur le monde nos propres limitations : notre système nerveux nous fait appréhender ce monde d’une certaine façon, qui dépend de sa propre structure. On a vu avec les travaux de Benveniste que ce vide quantique, s’il ne possède pas de masse, possède par contre une mémoire. C’est ainsi que la trace d’un évènement peut rester dans cet espace vide de matière mais plein d’énergie ». H Laborit, (extrait Séminaire de Lugano) Le vide quantique n’a vraiment rien à voir avec – le vide – du langage familier. Quand on étudie une région de plus en plus petite de l’espace, on découvre une activité de plus en plus grande, signe d’un perpétuel mouvement. La clef de la compréhension de cette situation paradoxale est fournie par le principe d’incertitude d’Heisenberg. Une toute petite région de l’espace correspond, par définition, à un temps très court et donc, conformément à ce principe à un spectre très large d’énergie. Ainsi, les «fluctuations quantiques» du vide déterminent-elles l’apparition soudaine de paires particules-antiparticules «virtuelles» qui s’annihilent ensuite réciproquement, ce processus ayant lieu dans des intervalles très courts de temps. Tout est vibration : selon la physique quantique, on ne peut pas concevoir un seul point du monde qui soit inerte, immobile, non habité par le mouvement. A l’échelle quantique, le vide est plein, il est le siège de ces créations et annihilations spontanées des particules. Les particules quantiques ont une certaine masse et donc, selon la théorie de la relativité, elles ont besoin d’une certaine énergie pour se matérialiser. En fournissant de l’énergie au vide quantique nous pouvons l’aider à matérialiser ses potentialités. C’est exactement le rôle des accélérateurs de particules. Il est bien étonnant que pour solliciter le « visible » dans « 1’invisible », pour détecter d’infimes particules, il nous faille bâtir d’immenses accélérateurs. Le vide-plein quantique est une merveilleuse facette de la Réalité. Les quanta, les vibrations, qu’ils soient réels ou virtuels, sont partout. Le vide est plein de vibrations. Il contient potentiellement toute la Réalité, toutes les particules, qu’elles soient déjà ou pas observées. L’Univers entier a peut être été tiré du néant par une «gigantesque fluctuation du vide que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « big-bang ». Nous sommes, dans ce sens aussi, participants à une Réalité qui nous englobe, nous, nos particules et notre Univers. Le progrès extraordinaire de la physique de ces dernières décennies apportant l’idée d’unité et d’unification a permis l’émergence d’idées d’un caractère tout à fait nouveau que Basarab Nicolescu nomme « idées symboles ». Il présente ces « idées symboles », telles que le bootstrap ou l’unification de toutes les interactions des particules comme possédant toutes les caractéristiques d’un symbole, même si le passage du plan scientifique au plan symbolique, ou inversement, entraîne des acceptions partielles, étendues ou réduites de leur formulation générale. Ceci dit-il explique pourquoi il existe plusieurs formulations des théories d’unification. Une théorie fondée sur une idée-symbole est par définition ouverte, de par la puissance du caractère de permanence universelle du symbole. Une telle théorie ouverte peut ainsi accepter une évolution dans le temps de sa formulation ou de sa modélisation sans pour autant changer de sens. L’apparition dans le domaine de la science de ces idées-symboles correspond pour Basarab Nicolescu à une véritable révolution conceptuelle, qui peut permettre un rapprochement entre Science et Tradition et l’ouverture d’un dialogue aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Leur découverte dans la physique quantique et dans d’autres disciplines ainsi que l’interprétation de certaines découvertes scientifiques majeures peut ouvrir un fabuleux espace de liberté, de dialogue entre le passé et le présent, entre la science, les philosophies de la Nature, l’art, la Tradition et toutes les formes de connaissance. On peut dire que le caractère d’universalité d’une idée-symbole en fait un remarquable outil transdisciplinaire. « J’ai essayé, dans mon livre « Dieu ne joue pas aux dés » de placer les hommes entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, en parlant de ce que les cosmologies actuelles nous ont appris et de ce que l’on a pu comprendre à leur sujet, grâce aux théories de l’organisation de la matière du point de vue de la physique des particules. En effet il est intéressant de constater que la physique contemporaine a terriblement élargi notre vision sur l’horizon cosmique – toute la cosmologie moderne vient de la physique des particules – et peutêtre pourra t-elle également apporter des éléments fondamentaux à la biologie ». H. Laborit. Nous n’avons pas fait le tour de la nouvelle physique bien sûr, mais nous pouvons déjà comprendre le rôle que peut jouer la transdisciplinarité dans ce jeu de réunion des antagonismes, des contraires, de la découverte de variables actualisées, cachées, potentialisées, ce jeu de la vie où tout est en interaction avec tout, où chaque particule est informée instantanément, indépendamment de l’espace et du temps de ce que sont 50 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ* les autres particules, où le tout est différent de la somme des parties, ce jeu où il n’y a pas de chaos mais un ordre impliqué en perpétuel mouvement. Ajoutons à cela que nous sommes faits de ces particules, que nous faisons intrinsèquement partie de cet Univers. « L’unité s’exprime dans la complexité, toutes choses étant à la fois une et uniques dans la multiplicité. Unicité de chaque partie, chaque grain de sable de chaque goutte d’eau, de chaque être. Tant que cette complexité est reliée à la globalité, l’ordre de la nature est respecté et l’harmonie existe entre les différents aspects ou degrés de la réalité. Mais la vision causale séparant le sujet de l’objet et l’homme de la nature, a engendré une complexité linéaire qui n’est plus transcendée par une verticale et s’enlise dans une réalité causale destructrice. La pensée transdisciplinaire prend acte de cet état, elle intervient pour régénérer une réalité moribonde en réintégrant dans la linéarité les énergies symboliques et réelles de la verticalité. Elle restitue ainsi l’homme à la nature le reliant à la fois à l’unité et à la diversité du Tout en redonnant à l’être et à ses valeurs humaines et métaphysiques la place dominante qui lui revient.» B Nicolescu Vous pouvez demander mais qu’allons-nous faire de tout ceci ? Citons Lupasco : « Pour que l’atome existe il faut qu’il y ait en même temps attraction et répulsion des constituants de l’atome, c’est à dire du noyau et des électrons. Il en va de même dans une molécule, dans les cellules vivantes de l’organisme, dans les tissus etc.. Il y a une lutte permanente entre l’hétérogénéité vitale et l’homogénéité physique. L’idée de conscience est importante parce que dans le système neuropsychique apparaît la « conscience de la conscience » ou la « connaissance de la connaissance »». La révolution quantique nous oblige à ne pas rester figés dans une vision linéaire. Le mérite de la pensée transdisciplinaire est de demeurer dans un imaginaire actif, d’interroger sans fin les niveaux de réalité et réintroduire une science de l’être dans la science du connaître. Une seule nature, une seule humanité et une seule Connaissance commune. Cette pensée transdisciplinaire qui parle de la relation de l’homme avec la nature et avec l’univers, qui le relie au Tout et laisse ouvertes toutes les portes me paraît convenir à tous les professionnels du soin dans toutes ses dimensions. Je rêve d’un nouveau concept de soin qui intégrerait les dynamiques antagonistes, découvrirait des tiers inclus, des bootstrap… On pourrait inventorier les sauts quantiques comme ceux de l’oiseau sur la branche, des minis révolutions comme des coups de foudre ou tout est différent d’un instant à l’autre. Prenons par exemple, la révolution de l’usage unique. Il va sans dire que le concept d’usage unique a modifié considérablement les multiples niveaux de perception de l’asepsie, sur le plan hospitalier et extra hospitalier, chez tous les soignants, mais aussi dans toutes les collectivités jusqu’aux foyers privés. On ne peut se représenter aujourd’hui ce passage en un temps record à la fin des tambours de compresses à plier et des heures de stérilisation à planifier, du temps ou de l’espace gagné pour… c’est vrai, que répondre à la question, à quoi a servi ce temps gagné ? Comment s’est transformé et avec quelles conséquences, le concept du propre et du sale ? Il s’agirait d’évaluer les éléments positifs de cet « événement soudain » mais aussi de rechercher les comportements acquis et les valeurs perdues de la situation antérieure, afin s’il y a lieu d’anticiper leur manque et de les réintégrer sous une autre forme. Le temps de la maladie crée son propre espace, l’espace de la maladie crée son propre temps. Tout évènement agit comme un « bootsrap », rien n’est banal dans le vivant, chaque instant est unique dont la mémoire peut s’éveiller, on ne sait quand ni comment et pourquoi cet effet en retour. Nous n’avons pas besoin de devenir des spécialistes des quantas pour ouvrir un chantier de construction d’un modèle-concept universel de santé et de soin transdisciplinaire. La transdisciplinarité propose de passer au-delà et au travers des disciplines, de conserver les traces de cette traversée, et faire de cette mémoire des traces, un fil imaginaire pour défier le principe qui veut que l’observateur modifie l’observation. Nous faisons partie de l’univers, à défaut de l’oeil qui peut voir l’invisible, nous avons la conscience et l’intelligence du regard pour en dessiner les contours. Je crois que cette approche transdisciplinaire pourrait aussi nous aider à formuler une culture de soins audelà et à travers les techniques, les protocoles, les dossiers.. Nous allons vers un processus de transmission de notre savoir infirmier vers le patient. L‘éducation du patient devient un soin à part entière, lui apprendre les gestes infirmiers n’est pas anodin, on peut imaginer ce que deviendront ces soins qui devront rester « le premier art de la vie ». Mais j’ai confiance, il n’est pas de colloques ou de rencontres où je puisse m’étonner, m’émerveiller de cette profession. C’est réellement un privilège que de s’adresser aux êtres, de les écouter et de grandir ensemble. 51 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 Le regard transdisciplinaire est déjà visible. J’étais aux journées du SIDIIEF à Montpellier en mai dernier, j’ai choisi deux échos parmi des infirmières que j’ai pu interviewer. L’attitude est transdisciplinaire, on ne peut en douter ! Parmi vous il y a toutes celles que l’on ne connaît pas et qui inventent, innovent. Il faudrait vous écouter, rassembler toutes ces expériences, tous vos regards portés sur l’évolution de la profession, pour voir émerger un concept de soin transdisciplinaire qui rendrait compte des acquis extraordinaires de ce dernier siècle, et de l’immense potentiel de soin impliqué dans cette somme d’expériences. Le monde étant ce qu’il est, il ne fait aucun doute que l’éducation et l’information aux soins de Santé, représentera une priorité politicoéconomico-sociale de l’avenir. Les Infirmières y auront une place de premier plan, si elles le veulent. La mutation est en cours, vers une autre vision éthique et sociale. Le mythe de la civilisation des loisirs s’éloigne, le monde du travail se transforme, la solidarité sociale cherche un souffle nouveau, tant de modèles anciens deviennent obsolètes, et cependant l’humain demeure et les valeurs du vivant doivent être protégées des tentations du Marché. Plus que jamais, la profession infirmière doit se comporter comme gardienne et garante de ces valeurs du vivant. Telle pourrait être la finalité de cette construction d’un modèle transdisciplinaire de santé. BIBLIOGRAPHIE Basarab Nicolescu, Nous la particule et le monde, Ed Le Mail, 1985 Basarab Nicolescu, La transdisciplinarité, Manifeste Ed du Rocher 1996 Stephane Lupasco L’homme et son œuvre dir Basarab Nicolescu, Ed du Rocher 1999 Rupert Sheldrake, L’Ame de la nature Ed du Rocher 1992 Michel Random, La Pensée Transdiciplinaire et le Réel Ed Dervy 1996 Etienne Klein, L’Unité de la physique PUF 2000 Heni Laborit, Dieu ne joue pas aux dés, Ed Grasset 1987 Centre International de Recherche Transdisciplinaire < WWW Ciret > Sur le site internet, on trouve toutes les informations sur les activités du Ciret, comment y adherer, la Revue transdisciplinaire, les informations sur les colloques, les Chartes et Déclarations de la Transdisciplinarité (Venise, Arrabida, Locarno) 52 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ ANNEXES GUALBERTE MENGUE-BA-NNA FONDATION JEANNE EBORI, LIBREVILLE, GABON « Certes nous avons des difficultés c’est aussi une question de détermination et de volonté. Avec peu de moyens, on peut toujours faire quelque chose pour améliorer la qualité des soins. L’asepsie par exemple, se laver les mains est un geste toujours possible, on a toujours du savon et de l’eau, on fait avec ce qui est sur place. L’important est de se laver les mains avant et après chaque soin. Ce qui est essentiel c’est la prise de conscience. On n’est pas voué à la routine et au laisser aller, nous voulons convaincre les soignants que ce qu’ils ont appris à l’école est bien quand on peut le faire comme c’est enseigné. Mais, sur le terrain, il faut répondre à la demande de soins telle qu’elle est, et accepter de faire au mieux avec ses moyens, c’est un défi à la hauteur de cette profession. Il ne faut pas attendre que le gouvernement réalise des prouesses, il faut commencer par les petites choses. Nous sommes beaucoup trop ancrés sur le soin délégué, sur le respect et la peur du médecin, ce qui fait que nous avons du mal à tirer nos collègues vers nous. L’apprentissage à l’école, c’est d’abord l’exécution de la prescription médicale, et la prise en charge médicale du patient, parce que chez nous les infirmiers d’état peuvent être chef de centre et ils sont considérés par la population comme des médecins. Ils sont obligés de prendre en compte toutes les pathologies qui arrivent en mettant de côté leur rôle propre. Ce que nous voulons dans notre association c’est dire aux infirmières que cette profession est noble, on n’a pas à se marginaliser, la profession médicale et la profession infirmière se complètent. Le médecin est là pour le diagnostic et le traitement de la maladie, et l’infirmière est là pour prendre en charge les soins à la personne dans sa globalité. La médecine au Gabon présente deux approches qui devraient être compatibles et convergentes. L’humain ne peut ni ne doit se couper de ses racines, ni se détacher de sa culture, ni renier ses traditions. La médecine scientifique est en pleine évolution, et nous sommes dans un système qui la rend prioritaire, mais dans les faits elle est difficilement accessible car terriblement coûteuse. Cependant, nous avons une médecine traditionnelle, et nous même en tant qu’africains, nous la respectons quand bien même nous avons été formés et croyons aussi en la médecine moderne. Nous avons été élevés dans cette tradition, elle nous a été transmise depuis le ventre de nos mères. Nous vivons dans cette culture, et les infirmières savent que certaines pathologies sont bien prises en charge par les tradipraticiens. Comment établir une relation entre ces deux approches ? Nous avons un réel problème, au Gabon beaucoup de gens sont pauvres, les médicaments sont chers, l’hospitalisation coûte très cher, s’y rajoute l’insécurité de la séparation avec l’environnement familier. Au-delà, existent d’autres enjeux, le gouvernement n’est pas opposé à la médecine traditionnelle mais il agit avec prudence, car tout se commercialise et il devient de plus en plus difficile de reconnaître les vrais tradipraticiens des faux ! L’idéal serait d’ouvrir des écoles de tradipraticiens et pourquoi pas avec des infirmières tradipraticiennes qui auraient la double formation et relèveraient le défi de soins d’une plus grande humanité ! » COMMUNIQUER C’EST DÉJÀ « SOIGNER » LES RISQUES DE VIOLENCE. Gabrielle Buscarlet et Mme Michiels rapportent leur expérience à la Clinique Universitaire St Luc de Bruxelles dans un service ORL Oncologie. Suite à une délocalisation, deux clientèles qui ne devaient pas partager le même service se juxtaposent, l’une privilégiée et l’autre plutôt défavorisée, souvent en sevrage d’alcool ou de tabac. Elles constatent avec surprise et un peu de colère le climat de violence qui s’installe. Les plus riches habitués à être servis exigent comme dans un palace, tout leur est dû. Mais ce qui est pire, elles observent des comportements et des propos violents, irrespectueux, agressifs, racistes de la part de ces patients envers les patients très défavorisés. Elles sont choquées et se sentent démunies. L’équipe se réunit pour analyser la situation et découvre avec surprise que cette manifestation de violence dans le service, représente la pointe de la partie visible de l’iceberg. Elles découvrent sous les apparences, dans leur propre pratique quotidienne, un monde de violence jusque là insoupçonné. Ce fut, dirent-elles, un bénéfice quasi thérapeutique! 53 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 CHARTE DE LA TRANSDISCIPLINARITÉ ARRABIDA – PORTUGAL 6 NOVEMBRE 1994 Préambule • Considérant que la prolifération actuelle des disciplines académiques et non-académiques conduit à une croissance exponentielle du savoir ce qui rend impossible tout regard global de l’être humain, • Considérant que seule une intelligence qui rend compte de la dimension planétaire des conflits actuels pourra faire face à la complexité de notre monde et au défi contemporain d’autodestruction matérielle et spirituelle de notre espèce, • Considérant que la vie est lourdement menacée par une technoscience triomphante, n’obéissant qu’à la logique effrayante de l’efficacité pour l’efficacité, • Considérant que la rupture contemporaine entre un savoir de plus en plus accumulatif et un être intérieur de plus en plus appauvri mène à une montée d’un nouvel obscurantisme, dont les conséquences sur le plan individuel et social sont incalculables, • Considérant que la croissance des savoirs, sans précédent dans l’histoire, accroît l’inégalité entre ceux qui les possèdent et ceux qui en sont dépourvus, engendrant ainsi des inégalités croissantes au sein des peuples et entre les nations sur notre planète, • Considérant en même temps que tous les défis énoncés ont leur contrepartie d’espérance et que la croissance extraordinaire des savoirs peut conduire, à long terme, à une mutation comparable au passage des hominiens à l’espèce humaine, • Considérant ce qui précède, les participants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité (Convento da Arràbida, Portugal, 2-7 novembre 1994) adoptent la présente Charte comprise comme un ensemble de principes fondamentaux de la communauté des esprits transdisciplinaires, constituant un contrat moral que tout signataire de cette Charte fait avec soi- même, en dehors de toute contrainte juridique et institutionnelle. Article 1 : Toute tentative de réduire l’être humain à une définition et de le dissoudre dans des structures formelles, quelles qu’elles soient, est incompatible avec la vision transdisciplinaire. Article 2 : La reconnaissance de l’existence de différents niveaux de réalité, régis par des logiques différentes, est inhérente à l’attitude transdisciplinaire. Toute tentative de réduire la réalité à un seul niveau régi par une seule logique ne se situe pas dans le champ de la transdisciplinarité. Article 3 : La transdisciplinarité est complémentaire de l’approche disciplinaire, elle fait émerger de la confrontation des disciplines de nouvelles données qui les articulent entre elles, et elle nous offre une nouvelle vision de la nature et de la réalité. La transdisciplinarité ne recherche pas la maîtrise de plusieurs disciplines, mais l’ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse. Article 4 : La clef de voûte de la transdisciplinarité réside dans l’unification sémantique et opérative des acceptions à travers et au-delà des disciplines. Elle présuppose un rationalité ouverte, par un nouveau regard sur la relativité des notions de « définition et d’objectivité ». Le formalisme excessif, la rigidité des définitions et l’absolutisation de l’objectivité comportant l’exclusion du sujet conduisent à l’appauvrissement. Article 5 : La vision transdisciplinaire est résolument ouverte dans la mesure où elle dépasse le domaine des sciences exactes par leur dialogue et leur réconciliation non seulement avec les sciences humaines mais aussi avec l’art, la littérature, la poésie et l’expérience intérieure. 54 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ* Article 6 : Par rapport à l’interdisciplinarité et à la multidisciplinarité, la transdisciplinarité est multiréférentielle et in ultidimensionnelle. Tout en tenant compte des conceptions du temps et de l’histoire, la transdisciplinarité n’exclut pas l’existence d’un horizon transhistorique. Article 7 : La transdisciplinarité ne constitue ni une nouvelle religion, ni une nouvelle philosophie, ni une nouvelle métaphysique, ni une science des sciences. Article 8 : La dignité de l’être humain est aussi d’ordre cosmique et planétaire. L’apparition de l’être humain sur la Terre est une des étapes de l’histoire de l’Univers. La reconnaissance de la Terre comme patrie est un des impératifs de la transdisciplinarité. Tout être humain a droit à une nationalité, mais, au titre d’habitant de la Terre, il est en même temps un être transnational. La reconnaissance par le droit international de la double appartenance – à une nation et à la Terre – constitue un des buts de la recherche transdisciplinaire. Article 9 : La transdisciplinarité conduit à une attitude ouverte à l’égard des mythes et des religions et de ceux qui les respectent dans un esprit transdisciplinaire. Article 10 : Il n’y a pas un lieu culturel privilégié d’où l’on puisse juger les autres cultures. La démarche transdisciplinaire est elle-même transculturelle. Article 11 : Une éducation authentique ne peut privilégier l’abstraction dans la connaissance. Elle doit enseigner à contextualiser, concrétiser et globaliser. L’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intuition, de l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances. Article 12 : L’élaboration d’une économie transdisciplinaire est fondée sur le postulat que l’économie doit être au service de l’être humain et non l’inverse. Article 13 : L’éthique transdisciplinaire récuse toute attitude qui refuse le dialogue et la discussion, quelle que soit son origine – d’ordre idéologique, scientiste, religieux, économique, politique, philosophique. Le savoir partagé devrait mener à une compréhension partagée fondée sur le respect absolu des altérités unies par la vie commune sur une seule et même Terre. Article 14 : Rigueur, ouverture et tolérance sont les caractéristiques fondamentales de l’attitude et de la vision transdisciplinaires. La rigueur dans l’argumentation qui prend en compte toutes les données est le garde-fou à l’égard des dérives possibles. L’ouverture comporte l’acceptation de l’inconnu, de l’inattendu et de l’imprévisible. La tolérance est la reconnaissance du droit aux idées et vérités contraires aux nôtres. Article final La présente Charte de la Transdisciplinarité est adoptée par les participants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité, ne se réclamant d’aucune autre autorité que celle de leur oeuvre et de leur activité. Selon les procédures qui seront définies en accord avec les esprits transdisciplinaires de tous les pays, la Charte est ouverte à la signature de tout être humain intéressé par les mesures progressives d’ordre national, international et transnational pour l’application de ses articles dans la vie. Convento da Arràbida, le 6 novembre 1994 Comité de Rédaction Lima de Freitas, Edgar Morin et Basarab Nicolescu 55 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 DÉCLARATION DE LOCARNO MONTE VERITA – LOCARNO 2 MAI 1997 1.Les participants au Congrès International, Quelle Université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire de l’Université. (Monte Verità, Locarno, Suisse, 30 avril – 2 mai 1997) approuvent pleinement la finalité du projet CIRET-UNESCO qui fit l’objet des débats du Congrès : faire évoluer l’Université vers l’étude de l’universel dans le contexte d’une accélération sans précédent des savoirs parcellaires. Cette évolution est inséparable de la recherche transdisciplinaire, c’est-à-dire de ce qu’il y a entre, à travers et au-delà de toutes les disciplines. 2.Malgré les conditions extrêmement variées d’une université à l’autre et d’un pays à l’autre, la désorientation de l’Université est devenue mondiale. De multiples symptômes masquent la cause générale de cette désorientation : la privation de sens et la famine universelle du sens. La quête du sens passe nécessairement par l’éducation intégrale de l’être humain, à laquelle la recherche transdisciplinaire peut ouvrir la voie. 3.Les participants lancent un appel solennel à l’Unesco et à tous ses pays membres ainsi qu’aux autorités universitaires du monde entier afin que tout soit mis en oeuvre pour faire pénétrer la pensée complexe et transdisciplinaire dans les structures et les programmes de l’Université de demain. 4.L’Université est non seulement menacée par l’absence du sens, mais aussi par le refus du partage des connaissances. L’information qui circule dans le cyber-espace engendre une richesse sans précédent dans l’histoire. Compte tenu de l’évolution actuelle, il est à craindre que les info-pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les info-riches de plus en plus riches. L’une des vocations de la transdisciplinarité est la recherche de mesures nécessaires pour adapter l’Université à l’ère cyber. L’Université doit devenir une zone franche du cyber-espace-temps. 5.Le partage universel des connaissances ne pourra avoir lieu sans l’émergence d’une nouvelle tolérance fondée sur l’attitude transdisciplinaire, ce qui implique la mise en pratique de la vision transculturelle, transreligieuse, transpolitique et transnationale. D’où la relation directe et incontournable entre paix et transdisciplinarité. 6.La transdisciplinarité est globalement ouverte. La définir par la logique classique serait l’enfermer dans une pensée unique. Les niveaux de réalité sont indissociables des niveaux de perception et ceux-ci fondent la verticalité des degrés de transdisciplinarité. La voie transdisciplinaire est inséparable à la fois d’une nouvelle vision et d’une expérience vécue. C’est une voie d’autotransformation orientée vers la connaissance de soi, vers l’unité de la connaissance et vers la création d’un nouvel art de vivre. 7.Le clivage entre science et culture qui s’est produit il y a un peu plus de trois siècles est un des plus dangereux. D’un côté, les détenteurs d’un savoir pur et dur et, de l’autre, les praticiens d’un savoir équivoque et mou. Ce clivage se réfléchit inévitablement dans le fonctionnement des universités dès lors qu’elles favorisent le développement accéléré de la culture scientifique au prix de la négation du sujet et de l’évanouissement du sens. Tout doit être fait pour réunifier les deux cultures artificiellement antagonistes – culture scientifique et culture littéraire ou artistique – par leur dépassement dans une nouvelle culture transdisciplinaire, condition préalable d’une transformation des mentalités. 8.Le problème-clef le plus complexe de l’évolution transdisciplinaire de l’Université est celui de la formation des formateurs. Les universités pourraient pleinement contribuer à la création et au fonctionnement de véritables « Instituts de recherche du sens » qui auraient forcément des effets bénéfiques pour la survie, la vie et le rayonnement des universités. 9.Une éducation authentique ne peut orienter la connaissance vers le seul pôle extérieur de l’Objet sous couvert de centaines de disciplines de recherches sans orienter en même temps son interrogation vers le pôle intérieur du Sujet. Dans cette perspective, l’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intuition donatrice originaire, de l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances. Comité de rédaction de la Déclaration Michel Camus et Basarab Nicolescu 56 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004 VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ* DÉCLARATION DE VENISE LA SCIENCE FACE AUX CONFINS DE LA CONNAISSANCE : LE PROLOGUE DE NOTRE PASSÉ CULTUREL Venise, 7 mars 1986 «La science face aux confins de la connaissance» Le prologue de notre passé culturel» organisé par l’UNESCO avec la collaboration de la Fondation Giorgio Cini (Venise, 3-7 mars 1986), animés par un esprit d’ouverture et de questionnement des valeurs de notre temps, sont tombés d’accord sur les points suivants : 1.Nous sommes témoins d’une très importante révolution dans le domaine de la science, engendrée par la science fondamentale (en particulier, par la physique et la biologie), par le bouleversement qu’elle apporte en logique, en épistémologie et aussi dans la vie de tous les jours à travers les applications technologiques. Mais nous constatons, en même temps, l’existence d’un important décalage entre la nouvelle vision du monde qui émerge de l’étude des systèmes naturels et les valeurs qui prédominent encore en philosophie, dans les sciences de l’homme et dans la vie de la société moderne. Car ces valeurs sont fondées dans une large mesure sur le déterminisme mécaniste, le positivisme ou le nihilisme. Nous ressentons ce décalage comme étant fortement nuisible et porteur de lourdes menaces de destruction de notre espèce. 2.La connaissance scientifique, de par son propre mouvement interne, est arrivée aux confins où elle peut commencer le dialogue avec d’autres formes de connaissance. Dans ce sens, tout en reconnaissant les différences fondamentales entre la science et la tradition, nous constatons non pas leur opposition mais leur complémentarité. La rencontre inattendue et enrichissante entre la science et les différentes traditions du monde permet de penser à l’apparition d’une vision nouvelle de l’humanité, voire d’un nouveau rationalisme, qui pourrait conduire à une nouvelle perspective métaphysique. 3.Tout en refusant tout projet globalisant, tout système fermé de pensée, toute nouvelle utopie, nous reconnaissons en même temps l’urgence d’une recherche véritablement transdisciplinaire dans un échange dynamique entre les sciences «exactes», les sciences «humaines», l’art et la tradition. Dans un sens, cette approche transdisciplinaire est inscrite dans notre propre cerveau par l’interaction dynamique entre ses deux hémisphères. L’étude conjointe de la nature et de l’imaginaire, de l’univers et de l’homme, pourrait ainsi mieux nous approcher du réel et nous permettre de mieux faire face aux différents défis de notre époque. 4.L’enseignement conventionnel de la science par une présentation linéaire des connaissances dissimule la rupture entre la science contemporaine et les visions dépassées du monde. Nous reconnaissons l’urgence de la recherche de nouvelles méthodes d’éducation, qui tiendront compte des avancées de la science qui s’harmonisent maintenant avec les grandes traditions culturelles, dont la préservation et l’étude approfondie paraissent fondamentales. L’UNESCO serait l’organisation appropriée pour promouvoir de telles idées. 5.Les défis de notre époque – le défi de l’autodestruction de notre espèce, le défi informatique, le défi génétique, etc. – éclairent d’une manière nouvelle la responsabilité sociale des scientifiques, à la fois dans l’initiative et l’application de la recherche. Si les scientifiques ne peuvent pas décider de l’application de leurs propres découvertes, ils ne doivent pas assister passivement à l’application aveugle de ces découvertes. À notre avis, l’ampleur des défis contemporains demande, d’une part, l’information rigoureuse et permanente de l’opinion publique, et d’autre part, la création d’organes d’orientation et même de décision de nature pluri- et transdisciplinaire. 6.Nous exprimons l’espoir que L’UNESCO va poursuivre cette initiative, en stimulant une réflexion dirigée vers l’universalité et la transdisciplinarité. Participants D. A. Akyeampong (Ghana) Avishai Margalit (Israël) Ubiratan d’Ambrosio (Brésil) YuJiro Nakamura (Japon) René Berger (Suisse) Basarab Nicolescu (France) Nicolo Dallaporta (Italie) David Ottoson (Suède) Jean Dausset (France) Abdus Salam (Pakistan) Prix Nobel de Physiologie Prix Nobel de Physique et Médecine Rupert Sheldrake Maitreyl Devi (Inde) (Royaume Uni) Gilbert Durand (France) Henry Stapp (USA)°° Santiago Genovès (Mexique) David Suzuki (Canada) Susantha Goonatilake (Sri Lanka) Observateurs intervenants : Michel Random (France) et Jacques Richardson (États-Unis d’Amérique) 57 Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004