Vers un modèle transdisciplinaire de la santé

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L’
INTERDISCIPLINARITÉ
Denyse DE VILLERMAY
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ*
Il y a quarante ans, la génération d’infirmières dont je
fais partie recevait un diplôme d’état d’infirmière polyvalente. Le dernier terme a disparu du vocabulaire
infirmier depuis longtemps, je trouve cela dommage.
Aujourd’hui, où nous allons parler d’une vision transdisciplinaire de soins, remarquons au passage que
c’était l’infirmière qui était polyvalente et pas sa discipline. Polyvalent signifie qui a plusieurs fonctions. Cet
aspect poly-fonctionnel inscrit dans la formation au
Diplôme d’Etat Infirmier me semblait bien convenir,
car il exprimait la capacité potentielle ou impliquée,
conférée à l’infirmière pour intégrer et s’adapter harmonieusement à de nouvelles fonctions, ou de nouvelles activités dans le cadre de sa pratique de soins. Il
rendait compte aussi de la nécessité pour le soignant,
de sa capacité d’adaptation constante, d’un ajustement
permanent aux évolutions et changements qui ne manquent pas de survenir dans son paysage professionnel
et ce tout en restant fidèle à sa propre éthique de soins.
En apparence la pratique a bien changé depuis 40 ans,
si l’on prend pour seule référence le paysage de l’environnement technique des soins. Ce qui est sûr, polyvalent, le soignant l’est plus que jamais.
Les soins font aujourd’hui l’objet d’une discipline universitaire, de plus en plus de responsabilité repose sur
les soins infirmiers et ce à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle. La polydisciplinarité, la multidisciplinarité, l’interdisciplinarité invitent aujourd’hui à
une association des connaissances de différentes disciplines autour d’un projet commun : la qualité des
soins. On a longtemps séparé le champ de la pratique
des soins en pratiques hospitalières et extra hospitalières, l’objectif actuel n’est plus de séparer mais d’unifier les disciplines qui gravitent autour du patient afin
de réunifier l’humain dans sa relation multidimensionnelle à l’environnement biologique, psychologique, et
*
aussi culturel et spirituel. Cette polyvalence du soignant en faisait déjà un soignant transdisciplinaire de
manière, si j’ose dire, naturelle !
C’était donc une remarquable idée que de convier
Basarab Nicolescu, Physicien et chercheur du CNRS à
venir nous parler de Transdisciplinarité. Fondateur du
CIRET, Centre International de Recherche Transdisciplinaire, il a publié en 1996, Le Manifeste de La Transdisciplinarité. Il y présente les facettes d’une approche transdisciplinaire, comme autant de remparts contre les dérives
ou les tentations dogmatiques ou idéologiques, mais surtout comme une ouverture nouvelle vers une vision
holiste, offrant une série de ponts entre Science et
Connaissance, entre Science et Culture, entre Science
et Tradition.
Lors d’un Colloque sur l’Humanisme au Centre
Universitaire Méditerranéen de Nice, Basarab Nicolescu
avait évoqué une image simple pour se faire comprendre. La voici : « Représentons un domaine de la
connaissance des sciences exactes par une sphère,
celui de la physique par exemple, l’intérieur de cette
sphère représente le connu, c’est le volume. Tandis que
la surface représente le domaine de l’inconnu. Avec le
temps et de nouveaux apports de connaissances, la
sphère se fait plus grosse et son volume augmente.
Paradoxalement sa surface aussi augmente, donc l’inconnu augmente avec le temps. On peut dire dans
cette image que l’inconnu augmente moins vite que le
connu.
On peut représenter ainsi tous les autres domaines de
la connaissance, sciences humaines, poésie, art, religion etc.. La question est : quelle est la nature de l’espace entre toutes les sphères ? Et sa réponse fut : c’est
dans cet espace transdisciplinaire que nous allons
retrouver l’Homme, Trans signifiant « au-delà et à tra-
Conférence présentée lors des journées d’études de l’ARSI en Janvier 2004
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
L’
INTERDISCIPLINARITÉ
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ
vers ». L’attitude scientifique qui prédomine aujourd’hui est fondée sur le postulat qu’entre les disciplines
il n’y aurait rien. Il y aurait donc autant de réalités que
de connaissances fragmentaires de ces sphères, par
conséquent aucune compréhension du monde qui
prendrait en compte cet espace qui traverse toutes les
disciplines et les dépassent. Un espace ouvert de
liberté et de compréhension. »
Deux vraies révolutions ont traversé ce siècle, dit -il :
la révolution quantique et la révolution informatique.
La révolution quantique peut encore ouvrir notre
vision du monde que la révolution informatique est en
train de changer mais pas dans l’esprit de partage des
connaissances entre tous les humains dont elle aurait
peut être pu devenir le maître d’œuvre.
Basarab Nicolescu n’a pu venir et il va sans dire que je
ne suis pas une spécialiste de la physique quantique,
cependant la transdisciplinarité qui s’adresse à chacun
de nous, a puisé dans la physique quantique la plupart
de ses concepts et de ses symboles fondateurs. Nous
les aborderons avec simplicité et en nous aidant des
travaux de M. Basarab Nicolescu et d’autres membres
du CIRET.
Pour vous donner le goût, le parfum de ce monde
quantique de l’infiniment petit, je n’ai pas trouvé
mieux que cette évocation de ce conte mystérieux, que
l’on trouve en introduction de son ouvrage « Nous, la
particule et le monde ».
« Dans son célèbre conte philosophique La Conférence
des oiseaux le poète persan du XIIe siècle, Attar nous
décrit le long voyage des oiseaux à la recherche de
leur « vrai roi », le Simorgh. Les oiseaux traversent sept
vallées, pleines de dangers et de merveilles. La sixième
vallée est celle de l’« étonnement ». Là, il fait à la fois
jour et nuit, on voit et on ne voit pas, on existe et on
n’existe pas, les choses sont à la fois vides et pleines. Si
le voyageur s’accroche à tout prix à ses habitudes, à ce
qu’il connaît déjà, il est en proie au découragement et
au désespoir – le monde lui semble absurde, incohérent, insensé. Mais s’il accepte de s’ouvrir à ce monde
inconnu, ce monde nouveau lui apparaît dans toute
son harmonie et sa cohérence. » Les mêmes considérations s’appliquent parfaitement à ceux qui tentent d’entreprendre le voyage dans le monde quantique.
1
LES SOURCES QUANTIQUES DE L’APPROCHE
TRANSDISCIPLINAIRE
La révolution de la discontinuité
Celui qui découvre, innove, déploie son imaginaire en
toute liberté et en toute innocence fait peur, de tous
temps il est rejeté par ses pairs, honni par les faux
savants et les faux philosophes.
Isaac Newton découvre que deux corps s’attirent proportionnellement à leur masse et de façon inversement
proportionnelle au carré de leur distance. C’est la force
gravitationnelle. La théorie de la gravitation fut à son
époque rudement attaquée par Leibnitz qui reprochait à
Newton d’avoir introduit des «qualités occultes» par le
biais de l’attraction universelle, ce qui représentait à
l’époque une accusation très grave. Comment accepter
que deux masses puissent s’attirer à distance? Si Newton
le mathématicien fut respecté, l’alchimiste dérangeait,
un siècle plus tôt et il risquait le bûcher. Voltaire pour le
défendre dira «qu’il s’est amusé avec les prophéties et la
transmutation des métaux». Mais Newton qui avait lu
les Anciens, considérait sa propre théorie de la
Gravitation comme une simple redécouverte..
Une idée inouïe traverse le cerveau de Planck ! 1
Il écrit lui même : « Après quelques semaines, qui
furent certes remplies par le travail le plus acharné de
ma vie, un éclair se fit dans l’obscurité où je me débattais et des perspectives insoupçonnées s’ouvrirent à
moi ». Cet « éclair dans l’obscurité » lui livra un
concept : le quantum élémentaire d’action. Il le
nomme quanta : quantité physique correspondant à
une énergie multipliée par un temps. C’est ce quanta
qui va révolutionner toute la physique et changer en
profondeur notre vision du monde.
Le quantum de Planck introduit une structure discontinue
de l’énergie. Planck était pleinement conscient qu’ébranlant l’ancien concept tout puissant de continuité, les
bases mêmes du réalisme classique seraient ainsi remises
en question, il écrit lui-même «…ce quantum représentait.. quelque chose d’absolument nouveau, d’insoupçonné jusqu’alors et qui semblait destiné à révolutionner
une pensée physique basée sur la continuité».
1900, avec la découverte de Max Planck, ces travaux faisaient surgir, au centre de la physique nouvelle, la structure discontinue de l’énergie.
Beaucoup d’autres découvertes se sont succédées jusque vers 1915, mais il est vrai que la mécanique quantique ne s’est constituée en tant que théorie que vers 1920-1930 et, depuis, elle constitue la base formelle de la physique moderne des particules.
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
La « discontinuité » dans l’acception quantique est une
discontinuité pure et dure, qui n’a rien de commun
avec ce que ce mot recouvre en langage familier d’une
ligne discontinue, d’une bifurcation d’un chemin. Si
l’on veut saisir l’étrangeté de l’idée de discontinuité
quantique, écrit B. Nicolescu, il faut imaginer un
oiseau qui sauterait d’une branche d’un arbre à l’autre
sans passer par aucun point intermédiaire, comme si
l’oiseau se matérialisait soudain sur une branche puis
sur une autre. Seule la mathématique peut aider à comprendre ce genre de situation !
Comment la discontinuité protège des errements
de la pensée linéaire
La discontinuité permet l’existence de l’unité dans la
diversité et de la diversité par l’unité.
• La discontinuité permet l’évolution et l’involution.
• La discontinuité qui permet la coexistence de la causalité globale et de la causalité locale.
• La discontinuité assure la dignité de l’homme et
donne un sens à sa vie, elle permet le choix, le libre
arbitre, l’interaction avec l’Unité, le Tout de l’Univers.
Pour Einstein, la conception de l’espace tridimensionnel newtonien ne suffit plus, le mouvement des masses
décide de la géométrie de l’espace et du temps. Du
niveau planétaire on passe au niveau cosmique. Ainsi,
avec cette nouvelle vision on commence à entrevoir
comment les lois de la découverte du monde quantique peuvent être radicalement différentes de celles du
monde macro-physique.
La physique classique reconnaissait deux genres d’objets bien distincts les corpuscules et les ondes. Les corpuscules classiques, entités discrètes, bien localisés
dans l’espace et caractérisés du point de vue dynamique, par leur énergie et leur quantité de mouvement.
On pourrait facilement visualiser les particules comme
des billes se déplaçant d’une manière continue dans
l’espace et dans le temps, et décrivant une trajectoire
bien précise.
Quant aux ondes elles étaient conçues comme occupant tout l’espace d’une manière continue. Un phénomène ondulatoire se décrit comme une superposition
d’ondes périodiques, caractérisées par une période
spatiale (longueur d’onde) et par une période temporelle. D’une manière équivalente, une onde peut être
caractérisée par des fréquences : une « fréquence de
vibration » (l’inverse de la période temporelle) et un
« nombre d’ondes » (l’inverse de la longueur d’onde).
La mécanique quantique amène un bouleversement
total de cette représentation : les particules quantiques
sont à la fois particule et onde. Leurs caractéristiques
dynamiques sont reliées par les formules d’EinsteinPlanck (1900-1905) et de Broglie (1924). Ces deux formules démontrent que l’énergie est proportionnelle à
la fréquence temporelle (Einstein-Planck) et que la
quantité de mouvement est proportionnelle au nombre
d’ondes (de Broglie). Quant au facteur de proportionnalité c’est dans les deux cas : le quantum élémentaire
d’action de Planck.
Cette représentation d’une particule quantique défie
toute forme dans l’espace et dans le temps, car il est
impossible de se représenter mentalement quelque
chose qui serait à la fois corpuscule et onde en même
temps. Les concepts de continuité et de discontinuité
se trouvent donc réunis par nature. Chaque nouvel
être est une identité nouvelle discontinue et en même
temps il apparaît dans une continuité génétique. Et
l’on voit bien que dans la vie l’aléatoire se manifeste
à tous les moments de l’existence. Quelle est sa place
dans cette « réduction du paquet d’ondes » qui oriente
le champ des possibles vers un évènement ou un
autre ? La réponse nous l’avons demandée à Michel
Random : « L’idée physiologique de toute chose
n’existe que par la cohérence des énergies qui relie
toutes choses, mais l’étonnement de l’univers veut
que l’on ne trouve jamais de chaos réel, mais toujours
un sens à toute chose. L ‘univers des énergies est une
potentialité qui répond à tout regard et à toute question, parce que le regard est une énergie comme la
question qui interroge. La question est capable de restreindre le déterminisme de l’aléatoire, en clair si
on rajoute de la causalité, on ne diminue pas l’aléatoire mais on augmente la causalité. Si on utilise la
question comme un levier de la conscience qui se
manifeste, la réponse s’affirme et l’on restreint la causalité ».
Ce que nous faisons en tant que soignants peut se comprendre comme une participation avec le patient à la
réduction d’une causalité. Nous pouvons considérer le
symptôme, l’accident, la maladie, l’affect.. comme
autant de chaos ou de ruptures de continuité. Toute
interprétation affective, tout jugement de valeur s’effacent dans ce cadre. Le regard sur le soin est plus clair,
centré sur l’être que l’on soigne plus que sur les causalités multiples qui ont pu ou pas, l’amener à la situation présente. Il faudrait aussi admettre que le retour à
la santé devrait aussi être envisagé comme un autre
possible de rupture de continuité.
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VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ
Considérer le chaos comme un Tout ludique, car il y a
de l’humour dans l’univers. La réponse n’est jamais là
où on la cherche, elle habite souvent un infime point,
si proche qu’on ne peut le voir ni le concevoir, mais il
induit des fausses réponses pour cacher ailleurs la
réponse. Il rappelle l’homme à l’humilité en créant des
bulles de fausses certitudes, d’habitudes, de faux
savoirs dont on ne peut sortir. On n’échappe pas à son
identité, à ce que l’on est. Reste à regarder le réel qui
offre le spectacle extraordinaire du vivant et du cosmos. On peut voir des étoiles à des milliers d’années
lumière et qui n’existent plus et passer à côté d’une
vérité lumineuse qui nous crevait l’oeil.
Il faut prendre conscience du fait que la particule
quantique est une entité tout à fait nouvelle, irréductible aux représentations classiques : la particule quantique n’est pas une simple juxtaposition d’un corpuscule et d’une onde. La particule quantique peut se
comprendre comme une unité de contradictoires mais
les physiciens trouvent plus juste de dire qu’une particule n’est ni corpuscule ni onde. L’unité des contradictoires est plus que la simple somme de ses composantes classiques.
La découverte du monde quantique attribue une valeur
scientifique à la notion de « degré de matérialité » et
associe la subtilité de la matière à la fréquence des
vibrations, ainsi l’expression « densité de vibrations »
correspond à celle de « fréquence de vibrations » et son
sens est opposé à celui de « densité de matière ». La
matière la plus subtile correspondrait par conséquent à
la plus grande « densité de vibrations ». Deux niveaux
de réalité différents gouvernés par des lois différentes.
« L’existence de différents degrés de matérialité a permis d’envisager la possibilité de plusieurs matières, dit
B. Nicolescu, la physique quantique retrouve ou révèle
un matérialisme dans une forme d’alchimie intérieure
de l’homme.
Entrons dans ce monde de l’infiniment petit : un
retour à la Nature
L’étude du monde et l’étude de l’homme sont indissociables, simplement parce que l’humain fait partie de
ce monde. C’est en l’observant qu’il découvre sa
propre relation d’altérité avec ce monde. Son regard
sur toute la nature se modifie alors qu’il apprend de
plus en plus de cette symbiose avec elle. Pourtant la
vision de la nature comme objet connu, déchiffrable,
au service de l’homme et de ses caprices, nous a
menés dans une impasse. Le mot même de nature disparaît du vocabulaire, on lui préfère l’écologie.
« La Nature a perdu son mystère, devenue machine
avec ou sans Dieu horloger, elle se décompose en
pièces détachées. Plus besoin d’un Tout cohérent et
transcendant, la nature cède la place à la complexité,
dit B. Nicolescu. Une complexité inouïe qui envahit
tous les domaines de la connaissance de l‘infiniment
petit à l’infiniment grand. Que reste t-il de la nature ? Il
répond : Et si la nature n’était pas un livre mort à notre
disposition pour être déchiffré, mais un livre vivant
sans cesse en train de s’écrire ».
Les niveaux de réalité, la logique du tiers inclus
et la non contradiction.
Pour comprendre ce monde avec de nouveaux termes
Basarab Nicolescu, propose la notion de niveau de
réalité et de logique du tiers inclus. Il définit la réalité
par ce qui résiste à nos représentations, descriptions,
images.
Par niveau, il entend un système invariant à l’action de
certaines lois, par exemple les atomes, le monde atomique le monde corpusculaire. Ainsi deux niveaux de
réalité sont différents si en passant de l’un à l’autre, il y
a rupture des lois et rupture des concepts fondamentaux.
On voit bien la différence de ces niveaux de réalité
quand on parle du niveau microphysique et du niveau
macrophysique. Entre la physique classique et la physique quantique, la rupture est radicale. C’est pourquoi
l’interprétation des phénomènes quantiques en langage
macrophysique entraîne des paradoxes. Personne n’a
encore trouvé une mise en forme qui permette le passage d’un monde à l’autre. Et cependant ces deux
mondes coexistent, nous en sommes la preuve. Nous
sommes faits de vide et dans ce vide il y a des grains
de matière : c’est le niveau atomique. Au niveau
macrophysique nous présentons une consistance de
corps avec une forme déterminée qui persiste grâce à
la vitesse qui anime ces particules dans le monde
quantique. Que nous partagions avec les particules ce
double aspect corpusculaire et vibratoire faisant de
nous des micro cosmos à l’image du cosmos, que nous
soyons aussi matière et vibration, les grandes traditions
l’avaient dit bien avant Planck.
Ce qui a causé et cause encore le plus de scandale dans
les neurones c’est «la logique du tiers inclus». La mécanique quantique à mis en lumière des couples de contradictoires, mais qui le sont uniquement si l’on veut à tout
prix s’en tenir à la logique classique. Stephane Lupasco
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propose une restructuration de l’infinie multiplicité du réel
à partir de trois termes logiques. Il postule l’existence d’un
troisième type dynamique antagoniste qui coexiste avec la
logique de l’homogénéisation qui gouverne la matière
physique macroscopique et celle de l’hétérogénéisation
qui gouverne la matière vivante. Ce nouveau mécanisme
dynamique demande un état d’équilibre entre les pôles
d’une contradiction dans une semi-actualisation et une
semi-potentialisation strictement égales. Cet état Lupasco
le nomme état T pour l’initiale de tiers inclus. La structure
binaire homogène-hétérogène, celle de l’antagonisme
énergétique est remplacée par une structure ternaire.
Lupasco met le concept d’énergie au centre de sa méditation philosophique. Dans la physique classique le rôle
central est dévolu à la notion d’«objet», la notion d’«énergie» étant dérivée ou secondaire. La physique moderne
relativiste et quantique a renversé de manière radicale
cette hiérarchie. La notion d’objet est remplacée par celle
d ‘événement, de relation, d’interconnexion. Le vrai mouvement est celui de l’énergie. Tout est lié dans le monde.
Tout système implique l’existence d’un système antagoniste, il résulte que deux systèmes quelconques vont
être liés par une chaîne de systèmes antagonistes.
L’antagonisme énergétique est donc une vision de
l’unité du monde, unité dynamique, unité d’enchaînement indéfini des contradictions fondée sur une structure ternaire universelle.
En fait, il vaut mieux faire comme les oiseaux du conte
d’Attar, entrer joyeux dans la vallée de l’étonnement.
Cette logique quantique est basée sur trois axiomes :
1- l’axiome d’identité : A est A
2- l’axiome de non contradiction : A n’est pas non-A
3- l’axiome du tiers exclus : il n’existe pas de troisième
terme on le nomme T « pour Tiers inclus » qui soit à
la fois A et non-A
Effectivement si l’on reste dans le même niveau de réalité, c’est impensable mais en fait on oublie de voir que
ces deux axiomes sont indépendants l’un de l’autre.
Mais nous sommes infirmières et avons l’habitude des
paradoxes, de la complexité de la nature de l’humain,
et de l’unité des contradictoires, nous pouvons jouer,
juste pour voir.
Considérons le terme A et nous le nommons : Santé.
Axiome d’identité A est A : La santé est la Santé
Axiome de non-contradiction A n’est pas non-A : la
Santé n’est pas la non-Santé
Tiers inclus : A est à la fois A et non A : la santé est à la
fois santé et non santé.
Le saut quantique fait un peu chinois je vous l’accorde.
On peut se dire à quoi ça sert de se casser ainsi la tête,
d’accord. Mettons-nous dans les plumes de l’oiseau
parti à la recherche de son Roi, pour celui qui sait, qui
possède la connaissance, le chemin ne sera jamais trop
plié ou déplié.
Cet état T, Stephane Lupasco le définit comme un état
« ni actuel, ni potentiel ». Avec un petit effort, la lampe
de l’imaginaire allumée, on peut se dire calmement, la
particule est à la fois onde et corpuscule. Nous
sommes faits de particules et c’est une évidence : La
santé est à la fois santé et non santé. Au premier degré
de réalité on n’est pas vraiment choqué. On comprend
bien que selon le niveau où l’on se place, on peut,
avec un petit effort, dire que la santé peut être aussi
non santé. La première idée qui me vient est celle de
l’affection psychiatrique. Sur le plan corpusculaire,
cette personne peut être en bonne santé. Sur le plan
vibratoire, l’esprit peut être affecté, cela n’entache pas
le premier niveau. Si la santé ne pouvait pas être aussi
non santé, que signifierait la prévention ? Comment
qualifier la période d’incubation, etc..
Si l’on remplace le mot santé par maladie, c’est pareil,
il y a matière à réflexion.
Changeons et prenons le mot maladie, puis essayons un
plus subtil celui de liberté, peut-on être à la fois libre et
non libre? Je pense que oui, le poète dans sa prison est
libre de son imaginaire, de sa vibration créatrice.
Quant à celui de soin qui nous est cher, le concept de
Samu Social a ouvert un autre regard sur un soin global
où l’on va vers les personnes sans domicile, pour créer
un lien sans obligation de part et d’autre. Ce soin qui
est un non-soin tout en étant un soin, est déjà un soin
quantique.
La loi de Trois
Depuis la nuit des temps, la pensée binaire a marqué
l’activité de l’homme. Pourtant, selon la Tradition la loi
de Trois est «la loi fondamentale qui crée tous les phénomènes dans toute la diversité ou l’unité de tous les univers. C’est la «Loi de Trois», la loi des Trois Principes ou
des Trois Forces. Selon cette loi, tout phénomène est le
résultat de la combinaison ou de la rencontre de trois
forces différentes et opposées.
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ
La pensée contemporaine, elle, reconnaît l’existence
de deux forces et la nécessité de ces deux forces pour
la production d’un phénomène. La première force peut
être appelée active ou positive ; la seconde passive ou
négative ; la troisième, neutralisante. Cette terminologie fausse la compréhension car en réalité, ces trois
forces sont aussi actives l’une que l’autre ; elles apparaissent comme active, passive et neutralisante seulement au moment où elles entrent en relation les unes
avec les autres. Stéphane Lupasco parle de « contradiction antagoniste ».
L’opposition entre trois principes est une véritable
« contradiction », dans le sens philosophique du terme :
quelque chose qui, loin de s’autodétruire, se bâtit par
lutte antagoniste.
S’il est possible d’envisager une contradiction entre deux
termes, il est pratiquement impossible de concevoir une
contradiction entre trois termes. Deux d’entre trois termes
perdent, par l’inclusion d’un troisième terme, leur identité propre. Dans ce sens, on pourrait comprendre l’expression «tiers inclus». Paradoxalement, dans la logique
du «tiers inclus», les notions de «vérité» et «fausseté»,
loin de perdre leur valeur, s’élargissent considérablement, embrassant un nombre de phénomènes beaucoup
plus importants que ceux de la logique binaire.
Une particule quantique se manifeste, soit comme
onde soit comme corpuscule, c’est à dire par deux
entités contradictoires, antagonistes. On pourrait oser
le terme de « complémentarité antagoniste » car les
propriétés des ondes et des corpuscules sont mutuellement exclusives. Ainsi, à son propre niveau de Réalité,
la particule quantique apparaît comme un troisième
terme, ni onde ni corpuscule, mais qui au niveau macrophysique est capable de se manifester comme onde ou
comme corpuscule. Dans ce sens, elle devient une
force conciliatrice entre l’onde et la particule, mais, en
même temps, n’étant ni onde ni corpuscule et se manifestant à un autre niveau de réalité, elle est en évidente
contradiction avec l’onde ou le corpuscule.
Il faut dire que nous sommes là dans un discours quantique, il nous est plus facile d’aller sur la Lune ou de
photographier Mars alors que notre propre constitution
macrophysique ne nous permet pas de voyager librement dans le monde quantique et d’aller « voir » ce qui
s’y passe.
L’Unité dans la diversité
Un principe de non-séparabilité caractérise l’Univers,
tout dépend de tout, toutes les choses se tiennent, il n’y a
rien de séparé. Les systèmes à différentes échelles ont leur
propre autonomie, l’unité dans la diversité. La vie même
apparaît, non pas comme un accident, mais comme une
nécessité dans cet univers d’interdépendance universelle, selon toutes probabilités, il règne dans le monde
une loi de soutien réciproque de tout ce qui existe. Et de
toute évidence, notre vie, elle aussi, sert à soutenir
quelque chose de grand ou de petit dans le monde.
Le principe du « bootstrap » a été formulé en physique
des particules, vers 1960, par le physicien américain
G. FÇhew. Le mot même de Bootstrap reste intraduisible en français. En effet, « bootstrap », au sens propre
signifie lacet de botte, implique aussi « se soulever soi
même en tirant sur ses propres lacets de bottes ».
L’univers est uni à lui-même comme la chaussure l’est
au pied. L’expression la plus proche serait celle d’autoconsistance de l’univers. Selon le bootstrap, la particule quantique a trois rôles différents :
1 un rôle de constituant des ensembles composés,
2 un rôle de médiateur de la force responsable de la
cohésion de l’ensemble composé,
3. un rôle de système composé.
Dans le bootstrap, la partie apparaît donc en même temps
que le Tout. Dans cette théorie, la particule perd sa notion
d’identité, il lui est substitué la notion de relation entre
les évènements. Ce sont les relations entre les événements qui sont responsables de l’apparition de ce qu’on
appelle particule. Il n’y a pas d’objet en soi, possédant
une identité propre qu’on puisse définir d’une manière
séparée ou distincte de celle des autres particules. Une
particule est ce qu’elle est parce que toutes les autres particules existent à la fois en interaction avec toutes les
autres particules. Il y aurait alors vraiment une «loi de
soutien réciproque» de toutes les particules quantiques.
Ainsi un système est ce qu’il est parce que tous les
autres systèmes existent à la fois, l’auto-consistance
assure la cohérence du Tout. On peut imaginer un
principe de bootstrap qui inclurait le monde quantique, le monde macrophysique, l’Univers, la vie, la
conscience mais à l’heure actuelle cela ne saurait être
considéré comme scientifique.
Cependant son intérêt méthodologique et épistémologique reste considérable, il s’agit d’un symbole inépuisable de l’émergence d’une vision de l’unité du monde
et qui rejoint toutes les plus anciennes traditions.
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
Le « vide quantique »
« A en croire les physiciens, tout ce que nous touchons,
c’est du vide.. Nous sommes effectivement limités par
nos structures, et nous projetons sur le monde nos
propres limitations : notre système nerveux nous fait
appréhender ce monde d’une certaine façon, qui
dépend de sa propre structure. On a vu avec les travaux de Benveniste que ce vide quantique, s’il ne possède pas de masse, possède par contre une mémoire.
C’est ainsi que la trace d’un évènement peut rester
dans cet espace vide de matière mais plein d’énergie ».
H Laborit, (extrait Séminaire de Lugano)
Le vide quantique n’a vraiment rien à voir avec – le vide –
du langage familier. Quand on étudie une région de plus
en plus petite de l’espace, on découvre une activité de
plus en plus grande, signe d’un perpétuel mouvement. La
clef de la compréhension de cette situation paradoxale est
fournie par le principe d’incertitude d’Heisenberg. Une
toute petite région de l’espace correspond, par définition,
à un temps très court et donc, conformément à ce principe à un spectre très large d’énergie. Ainsi, les «fluctuations quantiques» du vide déterminent-elles l’apparition
soudaine de paires particules-antiparticules «virtuelles»
qui s’annihilent ensuite réciproquement, ce processus
ayant lieu dans des intervalles très courts de temps. Tout
est vibration : selon la physique quantique, on ne peut
pas concevoir un seul point du monde qui soit inerte,
immobile, non habité par le mouvement.
A l’échelle quantique, le vide est plein, il est le siège de
ces créations et annihilations spontanées des particules. Les particules quantiques ont une certaine masse
et donc, selon la théorie de la relativité, elles ont
besoin d’une certaine énergie pour se matérialiser. En
fournissant de l’énergie au vide quantique nous pouvons l’aider à matérialiser ses potentialités. C’est exactement le rôle des accélérateurs de particules. Il est
bien étonnant que pour solliciter le « visible » dans
« 1’invisible », pour détecter d’infimes particules, il
nous faille bâtir d’immenses accélérateurs.
Le vide-plein quantique est une merveilleuse facette de
la Réalité. Les quanta, les vibrations, qu’ils soient réels
ou virtuels, sont partout. Le vide est plein de vibrations.
Il contient potentiellement toute la Réalité, toutes les
particules, qu’elles soient déjà ou pas observées. L’Univers
entier a peut être été tiré du néant par une «gigantesque
fluctuation du vide que nous connaissons aujourd’hui
sous le nom de « big-bang ». Nous sommes, dans ce
sens aussi, participants à une Réalité qui nous englobe,
nous, nos particules et notre Univers.
Le progrès extraordinaire de la physique de ces dernières décennies apportant l’idée d’unité et d’unification a permis l’émergence d’idées d’un caractère tout à
fait nouveau que Basarab Nicolescu nomme « idées
symboles ». Il présente ces « idées symboles », telles
que le bootstrap ou l’unification de toutes les interactions des particules comme possédant toutes les caractéristiques d’un symbole, même si le passage du plan
scientifique au plan symbolique, ou inversement,
entraîne des acceptions partielles, étendues ou réduites
de leur formulation générale. Ceci dit-il explique pourquoi il existe plusieurs formulations des théories d’unification. Une théorie fondée sur une idée-symbole est
par définition ouverte, de par la puissance du caractère
de permanence universelle du symbole. Une telle
théorie ouverte peut ainsi accepter une évolution dans
le temps de sa formulation ou de sa modélisation sans
pour autant changer de sens.
L’apparition dans le domaine de la science de ces
idées-symboles correspond pour Basarab Nicolescu à
une véritable révolution conceptuelle, qui peut permettre un rapprochement entre Science et Tradition et
l’ouverture d’un dialogue aujourd’hui plus nécessaire
que jamais. Leur découverte dans la physique quantique et dans d’autres disciplines ainsi que l’interprétation de certaines découvertes scientifiques majeures
peut ouvrir un fabuleux espace de liberté, de dialogue
entre le passé et le présent, entre la science, les philosophies de la Nature, l’art, la Tradition et toutes les
formes de connaissance. On peut dire que le caractère
d’universalité d’une idée-symbole en fait un remarquable outil transdisciplinaire.
« J’ai essayé, dans mon livre « Dieu ne joue pas aux
dés » de placer les hommes entre l’infiniment petit et
l’infiniment grand, en parlant de ce que les cosmologies actuelles nous ont appris et de ce que l’on a pu
comprendre à leur sujet, grâce aux théories de l’organisation de la matière du point de vue de la physique des
particules. En effet il est intéressant de constater que la
physique contemporaine a terriblement élargi notre
vision sur l’horizon cosmique – toute la cosmologie
moderne vient de la physique des particules – et peutêtre pourra t-elle également apporter des éléments fondamentaux à la biologie ». H. Laborit.
Nous n’avons pas fait le tour de la nouvelle physique
bien sûr, mais nous pouvons déjà comprendre le rôle
que peut jouer la transdisciplinarité dans ce jeu de
réunion des antagonismes, des contraires, de la découverte de variables actualisées, cachées, potentialisées,
ce jeu de la vie où tout est en interaction avec tout, où
chaque particule est informée instantanément, indépendamment de l’espace et du temps de ce que sont
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ*
les autres particules, où le tout est différent de la
somme des parties, ce jeu où il n’y a pas de chaos mais
un ordre impliqué en perpétuel mouvement. Ajoutons
à cela que nous sommes faits de ces particules, que
nous faisons intrinsèquement partie de cet Univers.
« L’unité s’exprime dans la complexité, toutes choses
étant à la fois une et uniques dans la multiplicité. Unicité
de chaque partie, chaque grain de sable de chaque
goutte d’eau, de chaque être. Tant que cette complexité
est reliée à la globalité, l’ordre de la nature est respecté et
l’harmonie existe entre les différents aspects ou degrés de
la réalité. Mais la vision causale séparant le sujet de l’objet et l’homme de la nature, a engendré une complexité
linéaire qui n’est plus transcendée par une verticale et
s’enlise dans une réalité causale destructrice. La pensée
transdisciplinaire prend acte de cet état, elle intervient
pour régénérer une réalité moribonde en réintégrant
dans la linéarité les énergies symboliques et réelles de la
verticalité. Elle restitue ainsi l’homme à la nature le
reliant à la fois à l’unité et à la diversité du Tout en
redonnant à l’être et à ses valeurs humaines et métaphysiques la place dominante qui lui revient.» B Nicolescu
Vous pouvez demander mais qu’allons-nous faire de
tout ceci ? Citons Lupasco : « Pour que l’atome existe il
faut qu’il y ait en même temps attraction et répulsion
des constituants de l’atome, c’est à dire du noyau et
des électrons. Il en va de même dans une molécule,
dans les cellules vivantes de l’organisme, dans les tissus etc.. Il y a une lutte permanente entre l’hétérogénéité vitale et l’homogénéité physique. L’idée de
conscience est importante parce que dans le système
neuropsychique apparaît la « conscience de la
conscience » ou la « connaissance de la connaissance »».
La révolution quantique nous oblige à ne pas rester
figés dans une vision linéaire. Le mérite de la pensée
transdisciplinaire est de demeurer dans un imaginaire
actif, d’interroger sans fin les niveaux de réalité et réintroduire une science de l’être dans la science du
connaître. Une seule nature, une seule humanité et
une seule Connaissance commune.
Cette pensée transdisciplinaire qui parle de la relation
de l’homme avec la nature et avec l’univers, qui le
relie au Tout et laisse ouvertes toutes les portes me
paraît convenir à tous les professionnels du soin dans
toutes ses dimensions. Je rêve d’un nouveau concept
de soin qui intégrerait les dynamiques antagonistes,
découvrirait des tiers inclus, des bootstrap…
On pourrait inventorier les sauts quantiques comme
ceux de l’oiseau sur la branche, des minis révolutions
comme des coups de foudre ou tout est différent d’un
instant à l’autre. Prenons par exemple, la révolution de
l’usage unique. Il va sans dire que le concept d’usage
unique a modifié considérablement les multiples niveaux
de perception de l’asepsie, sur le plan hospitalier et
extra hospitalier, chez tous les soignants, mais aussi dans
toutes les collectivités jusqu’aux foyers privés.
On ne peut se représenter aujourd’hui ce passage en
un temps record à la fin des tambours de compresses à
plier et des heures de stérilisation à planifier, du temps
ou de l’espace gagné pour… c’est vrai, que répondre à
la question, à quoi a servi ce temps gagné ? Comment
s’est transformé et avec quelles conséquences, le concept
du propre et du sale ? Il s’agirait d’évaluer les éléments
positifs de cet « événement soudain » mais aussi de
rechercher les comportements acquis et les valeurs
perdues de la situation antérieure, afin s’il y a lieu
d’anticiper leur manque et de les réintégrer sous une
autre forme.
Le temps de la maladie crée son propre espace, l’espace de la maladie crée son propre temps. Tout évènement agit comme un « bootsrap », rien n’est banal dans
le vivant, chaque instant est unique dont la mémoire
peut s’éveiller, on ne sait quand ni comment et pourquoi cet effet en retour. Nous n’avons pas besoin de
devenir des spécialistes des quantas pour ouvrir un
chantier de construction d’un modèle-concept universel de santé et de soin transdisciplinaire.
La transdisciplinarité propose de passer au-delà et au
travers des disciplines, de conserver les traces de cette
traversée, et faire de cette mémoire des traces, un fil
imaginaire pour défier le principe qui veut que l’observateur modifie l’observation. Nous faisons partie de
l’univers, à défaut de l’oeil qui peut voir l’invisible,
nous avons la conscience et l’intelligence du regard
pour en dessiner les contours.
Je crois que cette approche transdisciplinaire pourrait
aussi nous aider à formuler une culture de soins audelà et à travers les techniques, les protocoles, les dossiers.. Nous allons vers un processus de transmission
de notre savoir infirmier vers le patient. L‘éducation du
patient devient un soin à part entière, lui apprendre les
gestes infirmiers n’est pas anodin, on peut imaginer ce
que deviendront ces soins qui devront rester « le premier art de la vie ».
Mais j’ai confiance, il n’est pas de colloques ou de rencontres où je puisse m’étonner, m’émerveiller de cette
profession. C’est réellement un privilège que de
s’adresser aux êtres, de les écouter et de grandir
ensemble.
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
Le regard transdisciplinaire est déjà visible. J’étais aux
journées du SIDIIEF à Montpellier en mai dernier, j’ai
choisi deux échos parmi des infirmières que j’ai pu interviewer. L’attitude est transdisciplinaire, on ne peut en
douter ! Parmi vous il y a toutes celles que l’on ne
connaît pas et qui inventent, innovent. Il faudrait vous
écouter, rassembler toutes ces expériences, tous vos
regards portés sur l’évolution de la profession, pour voir
émerger un concept de soin transdisciplinaire qui rendrait compte des acquis extraordinaires de ce dernier
siècle, et de l’immense potentiel de soin impliqué dans
cette somme d’expériences. Le monde étant ce qu’il est,
il ne fait aucun doute que l’éducation et l’information
aux soins de Santé, représentera une priorité politicoéconomico-sociale de l’avenir. Les Infirmières y auront
une place de premier plan, si elles le veulent. La mutation est en cours, vers une autre vision éthique et sociale.
Le mythe de la civilisation des loisirs s’éloigne, le monde
du travail se transforme, la solidarité sociale cherche un
souffle nouveau, tant de modèles anciens deviennent
obsolètes, et cependant l’humain demeure et les valeurs
du vivant doivent être protégées des tentations du
Marché. Plus que jamais, la profession infirmière doit se
comporter comme gardienne et garante de ces valeurs
du vivant. Telle pourrait être la finalité de cette construction d’un modèle transdisciplinaire de santé.
BIBLIOGRAPHIE
Basarab Nicolescu, Nous la particule et le monde, Ed
Le Mail, 1985
Basarab Nicolescu, La transdisciplinarité, Manifeste Ed
du Rocher 1996
Stephane Lupasco L’homme et son œuvre dir Basarab
Nicolescu, Ed du Rocher 1999
Rupert Sheldrake, L’Ame de la nature Ed du Rocher
1992
Michel Random, La Pensée Transdiciplinaire et le Réel
Ed Dervy 1996
Etienne Klein, L’Unité de la physique PUF 2000
Heni Laborit, Dieu ne joue pas aux dés, Ed Grasset
1987
Centre International de Recherche Transdisciplinaire
< WWW Ciret > Sur le site internet, on trouve toutes
les informations sur les activités du Ciret, comment y
adherer, la Revue transdisciplinaire, les informations
sur les colloques, les Chartes et Déclarations de la
Transdisciplinarité (Venise, Arrabida, Locarno)
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ
ANNEXES
GUALBERTE MENGUE-BA-NNA FONDATION JEANNE EBORI, LIBREVILLE, GABON
« Certes nous avons des difficultés c’est aussi une question de détermination et de volonté. Avec peu de moyens,
on peut toujours faire quelque chose pour améliorer la qualité des soins. L’asepsie par exemple, se laver les mains
est un geste toujours possible, on a toujours du savon et de l’eau, on fait avec ce qui est sur place. L’important est
de se laver les mains avant et après chaque soin.
Ce qui est essentiel c’est la prise de conscience. On n’est pas voué à la routine et au laisser aller, nous voulons
convaincre les soignants que ce qu’ils ont appris à l’école est bien quand on peut le faire comme c’est enseigné.
Mais, sur le terrain, il faut répondre à la demande de soins telle qu’elle est, et accepter de faire au mieux avec ses
moyens, c’est un défi à la hauteur de cette profession. Il ne faut pas attendre que le gouvernement réalise des
prouesses, il faut commencer par les petites choses. Nous sommes beaucoup trop ancrés sur le soin délégué, sur le
respect et la peur du médecin, ce qui fait que nous avons du mal à tirer nos collègues vers nous. L’apprentissage à
l’école, c’est d’abord l’exécution de la prescription médicale, et la prise en charge médicale du patient, parce que
chez nous les infirmiers d’état peuvent être chef de centre et ils sont considérés par la population comme des médecins. Ils sont obligés de prendre en compte toutes les pathologies qui arrivent en mettant de côté leur rôle propre.
Ce que nous voulons dans notre association c’est dire aux infirmières que cette profession est noble, on n’a pas à
se marginaliser, la profession médicale et la profession infirmière se complètent. Le médecin est là pour le diagnostic et le traitement de la maladie, et l’infirmière est là pour prendre en charge les soins à la personne dans sa
globalité. La médecine au Gabon présente deux approches qui devraient être compatibles et convergentes.
L’humain ne peut ni ne doit se couper de ses racines, ni se détacher de sa culture, ni renier ses traditions. La
médecine scientifique est en pleine évolution, et nous sommes dans un système qui la rend prioritaire, mais dans
les faits elle est difficilement accessible car terriblement coûteuse. Cependant, nous avons une médecine traditionnelle, et nous même en tant qu’africains, nous la respectons quand bien même nous avons été formés et
croyons aussi en la médecine moderne. Nous avons été élevés dans cette tradition, elle nous a été transmise
depuis le ventre de nos mères. Nous vivons dans cette culture, et les infirmières savent que certaines pathologies
sont bien prises en charge par les tradipraticiens. Comment établir une relation entre ces deux approches ? Nous
avons un réel problème, au Gabon beaucoup de gens sont pauvres, les médicaments sont chers, l’hospitalisation
coûte très cher, s’y rajoute l’insécurité de la séparation avec l’environnement familier. Au-delà, existent d’autres
enjeux, le gouvernement n’est pas opposé à la médecine traditionnelle mais il agit avec prudence, car tout se
commercialise et il devient de plus en plus difficile de reconnaître les vrais tradipraticiens des faux ! L’idéal serait
d’ouvrir des écoles de tradipraticiens et pourquoi pas avec des infirmières tradipraticiennes qui auraient la double
formation et relèveraient le défi de soins d’une plus grande humanité ! »
COMMUNIQUER C’EST DÉJÀ « SOIGNER » LES RISQUES DE VIOLENCE.
Gabrielle Buscarlet et Mme Michiels rapportent leur expérience à la Clinique Universitaire St Luc de Bruxelles dans
un service ORL Oncologie. Suite à une délocalisation, deux clientèles qui ne devaient pas partager le même service
se juxtaposent, l’une privilégiée et l’autre plutôt défavorisée, souvent en sevrage d’alcool ou de tabac.
Elles constatent avec surprise et un peu de colère le climat de violence qui s’installe. Les plus riches habitués à être
servis exigent comme dans un palace, tout leur est dû. Mais ce qui est pire, elles observent des comportements et
des propos violents, irrespectueux, agressifs, racistes de la part de ces patients envers les patients très défavorisés.
Elles sont choquées et se sentent démunies.
L’équipe se réunit pour analyser la situation et découvre avec surprise que cette manifestation de violence dans le service,
représente la pointe de la partie visible de l’iceberg. Elles découvrent sous les apparences, dans leur propre pratique
quotidienne, un monde de violence jusque là insoupçonné. Ce fut, dirent-elles, un bénéfice quasi thérapeutique!
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
CHARTE DE LA TRANSDISCIPLINARITÉ
ARRABIDA – PORTUGAL 6 NOVEMBRE 1994
Préambule
• Considérant que la prolifération actuelle des disciplines académiques et non-académiques conduit à une croissance exponentielle du savoir ce qui rend impossible tout regard global de l’être humain,
• Considérant que seule une intelligence qui rend compte de la dimension planétaire des conflits actuels pourra
faire face à la complexité de notre monde et au défi contemporain d’autodestruction matérielle et spirituelle de
notre espèce,
• Considérant que la vie est lourdement menacée par une technoscience triomphante, n’obéissant qu’à la logique
effrayante de l’efficacité pour l’efficacité,
• Considérant que la rupture contemporaine entre un savoir de plus en plus accumulatif et un être intérieur de plus
en plus appauvri mène à une montée d’un nouvel obscurantisme, dont les conséquences sur le plan individuel et
social sont incalculables,
• Considérant que la croissance des savoirs, sans précédent dans l’histoire, accroît l’inégalité entre ceux qui les
possèdent et ceux qui en sont dépourvus, engendrant ainsi des inégalités croissantes au sein des peuples et entre
les nations sur notre planète,
• Considérant en même temps que tous les défis énoncés ont leur contrepartie d’espérance et que la croissance
extraordinaire des savoirs peut conduire, à long terme, à une mutation comparable au passage des hominiens à
l’espèce humaine,
• Considérant ce qui précède, les participants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité (Convento da
Arràbida, Portugal, 2-7 novembre 1994) adoptent la présente Charte comprise comme un ensemble de principes
fondamentaux de la communauté des esprits transdisciplinaires, constituant un contrat moral que tout signataire
de cette Charte fait avec soi- même, en dehors de toute contrainte juridique et institutionnelle.
Article 1 :
Toute tentative de réduire l’être humain à une définition et de le dissoudre dans des structures formelles, quelles
qu’elles soient, est incompatible avec la vision transdisciplinaire.
Article 2 :
La reconnaissance de l’existence de différents niveaux de réalité, régis par des logiques différentes, est inhérente à
l’attitude transdisciplinaire. Toute tentative de réduire la réalité à un seul niveau régi par une seule logique ne se
situe pas dans le champ de la transdisciplinarité.
Article 3 :
La transdisciplinarité est complémentaire de l’approche disciplinaire, elle fait émerger de la confrontation des disciplines de nouvelles données qui les articulent entre elles, et elle nous offre une nouvelle vision de la nature et de
la réalité. La transdisciplinarité ne recherche pas la maîtrise de plusieurs disciplines, mais l’ouverture de toutes les
disciplines à ce qui les traverse et les dépasse.
Article 4 :
La clef de voûte de la transdisciplinarité réside dans l’unification sémantique et opérative des acceptions à travers
et au-delà des disciplines. Elle présuppose un rationalité ouverte, par un nouveau regard sur la relativité des notions
de « définition et d’objectivité ». Le formalisme excessif, la rigidité des définitions et l’absolutisation de l’objectivité
comportant l’exclusion du sujet conduisent à l’appauvrissement.
Article 5 :
La vision transdisciplinaire est résolument ouverte dans la mesure où elle dépasse le domaine des sciences exactes
par leur dialogue et leur réconciliation non seulement avec les sciences humaines mais aussi avec l’art, la littérature, la poésie et l’expérience intérieure.
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
VERS UN MODÈLE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA SANTÉ*
Article 6 :
Par rapport à l’interdisciplinarité et à la multidisciplinarité, la transdisciplinarité est multiréférentielle et in ultidimensionnelle. Tout en tenant compte des conceptions du temps et de l’histoire, la transdisciplinarité n’exclut pas
l’existence d’un horizon transhistorique.
Article 7 :
La transdisciplinarité ne constitue ni une nouvelle religion, ni une nouvelle philosophie, ni une nouvelle métaphysique, ni une science des sciences.
Article 8 :
La dignité de l’être humain est aussi d’ordre cosmique et planétaire. L’apparition de l’être humain sur la Terre est
une des étapes de l’histoire de l’Univers. La reconnaissance de la Terre comme patrie est un des impératifs de la
transdisciplinarité. Tout être humain a droit à une nationalité, mais, au titre d’habitant de la Terre, il est en même
temps un être transnational. La reconnaissance par le droit international de la double appartenance – à une nation
et à la Terre – constitue un des buts de la recherche transdisciplinaire.
Article 9 :
La transdisciplinarité conduit à une attitude ouverte à l’égard des mythes et des religions et de ceux qui les respectent dans un esprit transdisciplinaire.
Article 10 :
Il n’y a pas un lieu culturel privilégié d’où l’on puisse juger les autres cultures. La démarche transdisciplinaire est
elle-même transculturelle.
Article 11 :
Une éducation authentique ne peut privilégier l’abstraction dans la connaissance. Elle doit enseigner à contextualiser, concrétiser et globaliser. L’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intuition, de l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances.
Article 12 :
L’élaboration d’une économie transdisciplinaire est fondée sur le postulat que l’économie doit être au service de
l’être humain et non l’inverse.
Article 13 :
L’éthique transdisciplinaire récuse toute attitude qui refuse le dialogue et la discussion, quelle que soit son origine – d’ordre
idéologique, scientiste, religieux, économique, politique, philosophique. Le savoir partagé devrait mener à une compréhension partagée fondée sur le respect absolu des altérités unies par la vie commune sur une seule et même Terre.
Article 14 :
Rigueur, ouverture et tolérance sont les caractéristiques fondamentales de l’attitude et de la vision transdisciplinaires. La rigueur dans l’argumentation qui prend en compte toutes les données est le garde-fou à l’égard des
dérives possibles. L’ouverture comporte l’acceptation de l’inconnu, de l’inattendu et de l’imprévisible. La tolérance
est la reconnaissance du droit aux idées et vérités contraires aux nôtres.
Article final
La présente Charte de la Transdisciplinarité est adoptée par les participants au Premier Congrès Mondial de
Transdisciplinarité, ne se réclamant d’aucune autre autorité que celle de leur oeuvre et de leur activité. Selon les
procédures qui seront définies en accord avec les esprits transdisciplinaires de tous les pays, la Charte est ouverte à
la signature de tout être humain intéressé par les mesures progressives d’ordre national, international et transnational pour l’application de ses articles dans la vie.
Convento da Arràbida, le 6 novembre 1994
Comité de Rédaction
Lima de Freitas, Edgar Morin et Basarab Nicolescu
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Recherche en soins infirmiers N° 79 - décembre 2004
DÉCLARATION DE LOCARNO
MONTE VERITA – LOCARNO 2 MAI 1997
1.Les participants au Congrès International, Quelle Université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire
de l’Université. (Monte Verità, Locarno, Suisse, 30 avril – 2 mai 1997) approuvent pleinement la finalité du projet
CIRET-UNESCO qui fit l’objet des débats du Congrès : faire évoluer l’Université vers l’étude de l’universel dans le
contexte d’une accélération sans précédent des savoirs parcellaires. Cette évolution est inséparable de la recherche
transdisciplinaire, c’est-à-dire de ce qu’il y a entre, à travers et au-delà de toutes les disciplines.
2.Malgré les conditions extrêmement variées d’une université à l’autre et d’un pays à l’autre, la désorientation de
l’Université est devenue mondiale. De multiples symptômes masquent la cause générale de cette désorientation : la
privation de sens et la famine universelle du sens. La quête du sens passe nécessairement par l’éducation intégrale
de l’être humain, à laquelle la recherche transdisciplinaire peut ouvrir la voie.
3.Les participants lancent un appel solennel à l’Unesco et à tous ses pays membres ainsi qu’aux autorités universitaires du monde entier afin que tout soit mis en oeuvre pour faire pénétrer la pensée complexe et transdisciplinaire
dans les structures et les programmes de l’Université de demain.
4.L’Université est non seulement menacée par l’absence du sens, mais aussi par le refus du partage des connaissances. L’information qui circule dans le cyber-espace engendre une richesse sans précédent dans l’histoire.
Compte tenu de l’évolution actuelle, il est à craindre que les info-pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les
info-riches de plus en plus riches. L’une des vocations de la transdisciplinarité est la recherche de mesures nécessaires pour adapter l’Université à l’ère cyber. L’Université doit devenir une zone franche du cyber-espace-temps.
5.Le partage universel des connaissances ne pourra avoir lieu sans l’émergence d’une nouvelle tolérance fondée
sur l’attitude transdisciplinaire, ce qui implique la mise en pratique de la vision transculturelle, transreligieuse,
transpolitique et transnationale. D’où la relation directe et incontournable entre paix et transdisciplinarité.
6.La transdisciplinarité est globalement ouverte. La définir par la logique classique serait l’enfermer dans une pensée unique. Les niveaux de réalité sont indissociables des niveaux de perception et ceux-ci fondent la verticalité
des degrés de transdisciplinarité. La voie transdisciplinaire est inséparable à la fois d’une nouvelle vision et d’une
expérience vécue. C’est une voie d’autotransformation orientée vers la connaissance de soi, vers l’unité de la
connaissance et vers la création d’un nouvel art de vivre.
7.Le clivage entre science et culture qui s’est produit il y a un peu plus de trois siècles est un des plus dangereux.
D’un côté, les détenteurs d’un savoir pur et dur et, de l’autre, les praticiens d’un savoir équivoque et mou. Ce clivage se réfléchit inévitablement dans le fonctionnement des universités dès lors qu’elles favorisent le développement accéléré de la culture scientifique au prix de la négation du sujet et de l’évanouissement du sens. Tout doit
être fait pour réunifier les deux cultures artificiellement antagonistes – culture scientifique et culture littéraire ou
artistique – par leur dépassement dans une nouvelle culture transdisciplinaire, condition préalable d’une transformation des mentalités.
8.Le problème-clef le plus complexe de l’évolution transdisciplinaire de l’Université est celui de la formation des
formateurs. Les universités pourraient pleinement contribuer à la création et au fonctionnement de véritables
« Instituts de recherche du sens » qui auraient forcément des effets bénéfiques pour la survie, la vie et le rayonnement des universités.
9.Une éducation authentique ne peut orienter la connaissance vers le seul pôle extérieur de l’Objet sous couvert
de centaines de disciplines de recherches sans orienter en même temps son interrogation vers le pôle intérieur du
Sujet. Dans cette perspective, l’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intuition donatrice originaire, de
l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances.
Comité de rédaction de la Déclaration
Michel Camus et Basarab Nicolescu
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DÉCLARATION DE VENISE
LA SCIENCE FACE AUX CONFINS DE LA CONNAISSANCE :
LE PROLOGUE DE NOTRE PASSÉ CULTUREL
Venise, 7 mars 1986
«La science face aux confins de la connaissance» Le prologue
de notre passé culturel» organisé par l’UNESCO avec la collaboration de la Fondation Giorgio Cini (Venise, 3-7 mars 1986), animés par un esprit d’ouverture et de questionnement des valeurs
de notre temps, sont tombés d’accord sur les points suivants :
1.Nous sommes témoins d’une très importante révolution
dans le domaine de la science, engendrée par la science fondamentale (en particulier, par la physique et la biologie), par
le bouleversement qu’elle apporte en logique, en épistémologie et aussi dans la vie de tous les jours à travers les applications technologiques. Mais nous constatons, en même temps,
l’existence d’un important décalage entre la nouvelle vision
du monde qui émerge de l’étude des systèmes naturels et les
valeurs qui prédominent encore en philosophie, dans les
sciences de l’homme et dans la vie de la société moderne. Car
ces valeurs sont fondées dans une large mesure sur le déterminisme mécaniste, le positivisme ou le nihilisme. Nous ressentons ce décalage comme étant fortement nuisible et porteur de
lourdes menaces de destruction de notre espèce.
2.La connaissance scientifique, de par son propre mouvement
interne, est arrivée aux confins où elle peut commencer le dialogue avec d’autres formes de connaissance. Dans ce sens,
tout en reconnaissant les différences fondamentales entre la
science et la tradition, nous constatons non pas leur opposition mais leur complémentarité. La rencontre inattendue et
enrichissante entre la science et les différentes traditions du
monde permet de penser à l’apparition d’une vision nouvelle
de l’humanité, voire d’un nouveau rationalisme, qui pourrait
conduire à une nouvelle perspective métaphysique.
3.Tout en refusant tout projet globalisant, tout système fermé de
pensée, toute nouvelle utopie, nous reconnaissons en même
temps l’urgence d’une recherche véritablement transdisciplinaire
dans un échange dynamique entre les sciences «exactes», les
sciences «humaines», l’art et la tradition. Dans un sens, cette
approche transdisciplinaire est inscrite dans notre propre cerveau
par l’interaction dynamique entre ses deux hémisphères. L’étude
conjointe de la nature et de l’imaginaire, de l’univers et de
l’homme, pourrait ainsi mieux nous approcher du réel et nous
permettre de mieux faire face aux différents défis de notre époque.
4.L’enseignement conventionnel de la science par une présentation linéaire des connaissances dissimule la rupture
entre la science contemporaine et les visions dépassées du
monde. Nous reconnaissons l’urgence de la recherche de
nouvelles méthodes d’éducation, qui tiendront compte des
avancées de la science qui s’harmonisent maintenant avec
les grandes traditions culturelles, dont la préservation et
l’étude approfondie paraissent fondamentales. L’UNESCO
serait l’organisation appropriée pour promouvoir de telles
idées.
5.Les défis de notre époque – le défi de l’autodestruction de
notre espèce, le défi informatique, le défi génétique, etc. –
éclairent d’une manière nouvelle la responsabilité sociale des
scientifiques, à la fois dans l’initiative et l’application de la
recherche. Si les scientifiques ne peuvent pas décider de l’application de leurs propres découvertes, ils ne doivent pas
assister passivement à l’application aveugle de ces découvertes. À notre avis, l’ampleur des défis contemporains
demande, d’une part, l’information rigoureuse et permanente
de l’opinion publique, et d’autre part, la création d’organes
d’orientation et même de décision de nature pluri- et transdisciplinaire.
6.Nous exprimons l’espoir que L’UNESCO va poursuivre cette
initiative, en stimulant une réflexion dirigée vers l’universalité
et la transdisciplinarité.
Participants
D. A. Akyeampong (Ghana) Avishai Margalit (Israël)
Ubiratan d’Ambrosio (Brésil) YuJiro Nakamura (Japon)
René Berger (Suisse)
Basarab Nicolescu (France)
Nicolo Dallaporta (Italie)
David Ottoson (Suède)
Jean Dausset (France)
Abdus Salam (Pakistan)
Prix Nobel de Physiologie
Prix Nobel de Physique
et Médecine
Rupert Sheldrake
Maitreyl Devi (Inde)
(Royaume Uni)
Gilbert Durand (France)
Henry Stapp (USA)°°
Santiago Genovès (Mexique) David Suzuki (Canada)
Susantha Goonatilake (Sri Lanka)
Observateurs intervenants :
Michel Random (France)
et Jacques Richardson (États-Unis d’Amérique)
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