Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
Après "l'Immeuble Yacoubian" (2006) et "Chicago" (2007), le romancier égyptien Alaa El
Aswany invite les lecteurs/trices à s'introduire dans le corps de sa dernière publication qui se
décline sous forme d'un recueil d'une série de dix nouvelles amères, douces, belles, hideuses,
tendres, cruelles, heureuses, malheureuses avec un arrière fond de tristesse, au dénouement
tragique. Le tout exprimé par le biais d'une écriture exprimée dans un langage simple à la
signification pourtant profonde qui rappelle fortement le style réaliste de Naguib Mahfoud,
lauréat du prix Nobel de Littérature en 1988.
Dans son cabinet dentaire situé dans le quartier de Garden City au Caire, Alaa El Aswany raconte sa dernière
création littéraire à travers cette interview qui tente de nous immerger dans le corps des nouvelles et de leurs
personnages, des hommes, vivant en zone essentiellement urbaine qui nous introduisent dans leur vie, dans leurs
demeures, dans leur pays. Ils nous ouvrent la porte de leur intimité, de leur intériorité, de leur mal-être, de leur
souffrance, de leurs blessures, de leur désillusion par le truchement de leur propre regard mettant en exergue les
aspects qui de leur point de vue caractérisent la société égyptienne. Positivement. Et négativement.
Cette Egypte où des êtres giflent notre regard, fouettent nos représentations, suscitent tantôt notre sympathie, tantôt
notre colère. Des êtres qui vivent dans une société prisonnière de l'arbitraire, de l'obscurantisme... pris dans les
rouages d'un système qui les incitent à déployer des stratégies afin d'assurer leur survie et exister tout simplement :
mensonges, hypocrisie, malhonnêteté, méchanceté, lâcheté, paresse, corruption...
Nadia Agsous : Dans la préface de votre recueil de nouvelles, vous faites une distinction entre la fiction et la
réalité. Mais vos nouvelles n'ont-elles pas tendance à refléter la réalité égyptienne...
Alaa El Aswany : Il était indispensable de faire cette distinction. Il est vrai qu'il existe beaucoup de similitudes entre
le romancier et les personnages. Lorsque j'écris, je ne suis plus moi-même. Je me mets dans la peau des
personnages qui existent en dehors de leur créateur. Ils ont une vie indépendante. Par exemple, Issam, le
protagoniste de la nouvelle Celui qui s'est approché et qui a vu tient un discours très négatif sur l'Egypte. Il passe
son temps à insulter et à dénigrer tout ce qui est égyptien. Il a un réel problème de communication avec son
environnement familial, professionnel et social. Il a une haute idée de lui et pense qu'il est supérieur à tous les
autres. Dans cette histoire, j'ai employé la première personne du singulier « je ». C'est le personnage qui parle. Je ne
suis pas d'accord avec ce qu'il dit et pense de l'Egypte et de ses compatriotes. Il est complètement indépendant de
son créateur. La préface est très importante. C'est par ce biais que je j'établis une distance entre l'écrivain et ce
personnage qui cause beaucoup de problèmes notamment à cause de son manque voire son absence d'ouverture.
Nadia Agsous : Mais l'écrivain n'a-t-il pas tendance à s'inspirer de la réalité qu'il transgresse afin de créer
son propre univers et donner vie à des personnages qu'il façonne au gré de son inspiration, de ses
préoccupations... ?
Alaa El Aswany : Il y a une différence entre la réalité quotidienne et la réalité littéraire. J'ai tendance à définir le
roman comme une vie sur le papier qui ressemble à notre vie quotidienne en plus beau, en plus profond. La
spécificité de la réalité littéraire, c'est qu'elle est choisie. Ce qui n'est pas le cas de notre vie quotidienne. C'est
exactement le même principe que lorsqu'on peint un tableau. On écrit car on n'est pas d'accord avec ce qui se passe
autour de nous. Cependant, il est extrêmement dangereux de tirer des conclusions sur la réalité d'une société à
travers une oeuvre littéraire car un roman ou une nouvelle procure le plaisir de lecture et nous permet d'accéder à
une expérience humaine qui se rajoute à la nôtre. Le propre d'une oeuvre de fiction, c'est de donner des indications
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