Alaa El Aswany : "J`aurais voulu être égyptien" ou l

publicité
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
Extrait du Oulala.net
http://www.oulala.net
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être
égyptien" ou l'Egypte dans tous ses
états...
- Culture - Ecrits d'auteurs -
Oulala.net
Date de mise en ligne : jeudi 24 septembre 2009
Copyright © Oulala.net
Page 1/5
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
Après "l'Immeuble Yacoubian" (2006) et "Chicago" (2007), le romancier égyptien Alaa El
Aswany invite les lecteurs/trices à s'introduire dans le corps de sa dernière publication qui se
décline sous forme d'un recueil d'une série de dix nouvelles amères, douces, belles, hideuses,
tendres, cruelles, heureuses, malheureuses avec un arrière fond de tristesse, au dénouement
tragique. Le tout exprimé par le biais d'une écriture exprimée dans un langage simple à la
signification pourtant profonde qui rappelle fortement le style réaliste de Naguib Mahfoud,
lauréat du prix Nobel de Littérature en 1988.
Dans son cabinet dentaire situé dans le quartier de Garden City au Caire, Alaa El Aswany raconte sa dernière
création littéraire à travers cette interview qui tente de nous immerger dans le corps des nouvelles et de leurs
personnages, des hommes, vivant en zone essentiellement urbaine qui nous introduisent dans leur vie, dans leurs
demeures, dans leur pays. Ils nous ouvrent la porte de leur intimité, de leur intériorité, de leur mal-être, de leur
souffrance, de leurs blessures, de leur désillusion par le truchement de leur propre regard mettant en exergue les
aspects qui de leur point de vue caractérisent la société égyptienne. Positivement. Et négativement.
Cette Egypte où des êtres giflent notre regard, fouettent nos représentations, suscitent tantôt notre sympathie, tantôt
notre colère. Des êtres qui vivent dans une société prisonnière de l'arbitraire, de l'obscurantisme... pris dans les
rouages d'un système qui les incitent à déployer des stratégies afin d'assurer leur survie et exister tout simplement :
mensonges, hypocrisie, malhonnêteté, méchanceté, lâcheté, paresse, corruption...
Nadia Agsous : Dans la préface de votre recueil de nouvelles, vous faites une distinction entre la fiction et la
réalité. Mais vos nouvelles n'ont-elles pas tendance à refléter la réalité égyptienne...
Alaa El Aswany : Il était indispensable de faire cette distinction. Il est vrai qu'il existe beaucoup de similitudes entre
le romancier et les personnages. Lorsque j'écris, je ne suis plus moi-même. Je me mets dans la peau des
personnages qui existent en dehors de leur créateur. Ils ont une vie indépendante. Par exemple, Issam, le
protagoniste de la nouvelle Celui qui s'est approché et qui a vu tient un discours très négatif sur l'Egypte. Il passe
son temps à insulter et à dénigrer tout ce qui est égyptien. Il a un réel problème de communication avec son
environnement familial, professionnel et social. Il a une haute idée de lui et pense qu'il est supérieur à tous les
autres. Dans cette histoire, j'ai employé la première personne du singulier « je ». C'est le personnage qui parle. Je ne
suis pas d'accord avec ce qu'il dit et pense de l'Egypte et de ses compatriotes. Il est complètement indépendant de
son créateur. La préface est très importante. C'est par ce biais que je j'établis une distance entre l'écrivain et ce
personnage qui cause beaucoup de problèmes notamment à cause de son manque voire son absence d'ouverture.
Nadia Agsous : Mais l'écrivain n'a-t-il pas tendance à s'inspirer de la réalité qu'il transgresse afin de créer
son propre univers et donner vie à des personnages qu'il façonne au gré de son inspiration, de ses
préoccupations... ?
Alaa El Aswany : Il y a une différence entre la réalité quotidienne et la réalité littéraire. J'ai tendance à définir le
roman comme une vie sur le papier qui ressemble à notre vie quotidienne en plus beau, en plus profond. La
spécificité de la réalité littéraire, c'est qu'elle est choisie. Ce qui n'est pas le cas de notre vie quotidienne. C'est
exactement le même principe que lorsqu'on peint un tableau. On écrit car on n'est pas d'accord avec ce qui se passe
autour de nous. Cependant, il est extrêmement dangereux de tirer des conclusions sur la réalité d'une société à
travers une oeuvre littéraire car un roman ou une nouvelle procure le plaisir de lecture et nous permet d'accéder à
une expérience humaine qui se rajoute à la nôtre. Le propre d'une oeuvre de fiction, c'est de donner des indications
Copyright © Oulala.net
Page 2/5
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
sur la société mais pas de conclusions. Il serait très réducteur de conclure que Issam est représentatif de tous les
Egyptiens.
Nadia Agsous : Les nouvelles mettent en scène les travers et les failles de la société égyptienne urbaine à
travers des personnages qui se soumettent au système an apparence. En réalité, ils ont développé un tas de
stratégies : le mensonge, l'hypocrisie, la malhonnêteté... pour pour avoir une place et un statut dans le
système... Ce sont des personnages qui s'adaptent en fonction des circonstances ...
Alaa El Aswany : Les personnages de mes histoires sont des victimes du système. En médecine, on apprend un
principe fondamental : la différence entre la maladie, les symptômes et les complications. La maladie de l'Egypte et
du monde arabe, c'est la dictature. Les symptômes et les complications sont nombreux et très graves tels que la
corruption, l'hypocrisie, la frustration ... Mes personnages sont des victimes. Sous une dictature, on n'a pas le droit
de s'exprimer, et même de rêver. On doit soit se soumettre et abdiquer ou quitter le pays pour aller vivre en
Occident. Et là, ce sont des problèmes d'une autre nature qui surviennent. Alors pour survivre, on devient corrompu,
hypocrite, menteur ... Si on veut éradiquer les symptômes et les complications, Il faut guérir la maladie.
Nadia Agsous : Dans la première nouvelle, Celui qui s'est approché et qui a vu, Issam décrit ses compatriotes
comme des larbins, des lâches, des hypocrites,.. Sa souffrance est telle qu'il s'isole. « Je me suis isolé des autres.
Une muraille implacable s'est élevée autour de moi », avoue-t-il. Le refuge dans la solitude et le retrait du monde, est
ce une condition pour vivre en paix en Egypte ?
Alaa El Aswany : La personnalité de Issam Abd el Ati est très sensible. A chaque contrariété, il tombe malade. Il est
un peu comme les personnages de Fedor Dostoïevski. Il est très intelligent mais n'est pas doué pour la
communication. Tout finit mal pour lui. Et on le voit dès les premières pages. Avant d'écrire cette histoire, j'ai parlé
avec des spécialistes du profil de ce personnage pour déterminer avec précision sa maladie. Il s'agit d'une
paranoïa. Issam a un égo très fort. Il vit avec ses hallucinations et n'est pas capable de communiquer. La solitude
est l'unique solution pour lui.
Nadia Agsous : Issam trouve le « salut » dans les photos et l'effet qu'elles ont sur son imaginaire. Il est
devenu captif de l'esprit occidental « débordant de merveilleuses possibilités ». La honte voire la haine de
ses origines le conduisent à sublimer l'Occident...
Alaa El Aswany : C'est une complication de la maladie. Il a connu l'occident à travers les photos ; Et l'occident ne se
résume pas aux photos. S'il se confrontait réellement à l'occident, il trouverait une autre réalité. Je pense que ce
personnage a des idées intelligentes même si on ne les approuve pas.
Nadia Agsous : Mais cette sublimation de l'occident est bien une réalité dans les pays du Sud. On a
tendance à sublimer l'occident à travers notamment ce que nous renvoient les médias...
Alaa El Aswany : Cette sublimation vient du fait que pendant plusieurs siècles nous avions une civilisation
florissante. Et quand on est faible, on essaye de suivre le modèle du plus fort. C'est en réalité un complexe
d'infériorité qui engendre cette sublimation. On doit pouvoir avoir une vision équilibrée de l'occident, tâche qui est
difficile mais pas impossible. En Egypte, la lutte contre le colonialisme Anglais a été menée par El Wafd, un parti qui
était laïc. Il menait une lutte contre les forces colonialistes mais il avait comme modèle, la démocratie anglaise. De
nos jours, nous n'avons pas cette vision équilibrée qu'avaient les Wafdistes. Soit on sublime l'Occident soit on rejette
ses valeurs et on décrète qu'ils sont nos ennemis. On ne pourra pas instaurer un modèle démocratique dans le
monde arabe sans avoir une vision équilibrée des rapports avec l'Occident. Pourquoi est-ce difficile pour nous ? Car
le colonialisme et la démocratie sont issus d'un même monde.
Copyright © Oulala.net
Page 3/5
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
Nadia Agsous : La nouvelle Dans l'attente du guide met en scène un homme déçu par le présent qui se réfugie
dans la gloire du passé. Il attend le retour de Mustapha Nahas, le guide du parti El Wafd pour instaurer la
démocratie. Pour le Professeur Kamel El Zaher, la démocratie est le salut de l'Egypte. De quelle manière la
démocratie changera-t-elle la situation en Egypte ?
Alaa El Aswany : La démocratie est un système. Une machine qui a un bon système fonctionne correctement. Cela
ne veut pas dire qu'elle ne tombera pas en panne. Non. Mais cela signifie que nous sommes sur la bonne voie. La
démocratie permet au peuple de corriger les fautes et les abus des gouvernants. L'Egypte regorge de compétences
dans divers domaines. Nous avons un grand nombre de médecins, d'avocats, d'ingénieurs. Mais beaucoup vivent à
l'étranger. Pourquoi ? Car leurs compétences ne sont ni reconnues ni valorisées dans leur pays. Les postes les plus
importants sont accordés non pas sur la base des qualifications des individus mais parce qu'ils sont proches du
pouvoir. Beaucoup de cerveaux quittent l'Egypte car ils n'ont pas de reconnaissance. Il n'y a pas d'avenir et de salut
pour l'egypte en dehors de la démocratie.
Nadia Agsous : Le personnage de Ma chère soeur Makarem travaille et vit en Arabie Séoudite. Il se dégage de la
lettre qu'il écrit à sa soeur une très forte odeur de mensonge et d'hypocrisie. Quel le message de cette histoire ?
Alaa El Aswany : J'ai été inspiré par une personne et j'ai écrit cette lettre. J'ai demandé à une secrétaire de la lire.
Je voulais avoir son opinion. Elle a lu la lettre deux fois et elle a dit « ce monsieur est malhonnête. Il cache son
argent et il ne veut pas le dépenser pour soigner sa mère ». Cette réflexion avait toute son importance car cela
voulait dire que le message de la lettre était passé. Et je l'ai publiée. Cette nouvelle parle du Wahabisme (Islam
Salafiste). Pendant des siècles, on a eu une interprétation égyptienne de l'Islam très libérale et très ouverte. On a eu
une grande production cinématographique, théâtrale. Les femmes étaient libres de conduire, de participer à la vie
sociale... Dès le début des années 80, avec l'avènement de la révolution iranienne qui était une grande menace pour
le régime séoudien, des millions de dollars ont été dépensés pour promouvoir l'Islam Wahabite qui est une
interprétation très fermée de l'Islam. Concernant l'Egypte, plus d' un quart d'Egyptiens sont allés travailler en Arabie
Séoudite et sont revenus avec les idées wahabites qu'ils ont propagées dans la société égyptienne. Je pense que ce
projet était encouragé et soutenu par la dictature qui va de pair avec le conservatisme.
L'un des points importants de l'idéologie wahabite, c'est l'interdiction de rébellion contre les gouvernants. Et bien
évidemment, cette posture permet à la dictature d'exister et se développer. Les Islamistes organisent des
manifestations contre la loi du voile en France mais ils ne réagissent pas lorsque les gouvernements fraudent
pendant les élections. Les problèmes d'ordre politique ne les intéressent pas car les idées wahabites formatent et
éduquent dans le sens de la soumission et l'obéissance aux gouverneurs. C'est pour cette raison que la démocratie
est inexistante dans les pays arabes. En Egypte, nous n'avons plus de conscience politique. Plus de 80% des sujets
de conversation portent sur une problématique essentielle : comment cacher le corps des femmes. L'Arabie
Séoudite a imposé une conscience religieuse très fermée. Et l'Egypte n'y a pas échappé. Il est utile de rappeler que
historiquement, il y a une grande différence l'Egypte et l'Arabie Séoudite. Dans ce pays, le cinéma est inexistant car
considéré comme haram (péché). Ici, la création et la production cinématographiques sont une tradition ancrée dans
notre société.
Notre lutte est double. Nous devons combattre les idées wahabites et la dictature locale. Les deux sont vraiment liés.
Si on instaure la démocratie, le Wahabisme disparaîtra. Les personnes qui sont sous influence de cette doctrine ne
peuvent comprendre et accepter la démocratie puisqu'elles sont préparées pour obéir et pour embêter les femmes
qui ne portent pas le voile. Cette interprétation très fermée de l'Islam incite à l'hypocrisie et au mensonge. Au lieu de
défendre les idées humaines que l'on retrouve dans la religion, on crée une religion parallèle qui repose sur deux
aspects : la prière et l'apparence physique. On est un bon musulman si on fait la prière cinq fois dans la journée et si
on s'assure que les femmes sont voilées. On ne cherche pas à défendre les valeurs humaines telles que la justice,
l'égalité, la liberté ...
Copyright © Oulala.net
Page 4/5
Alaa El Aswany : "J'aurais voulu être égyptien" ou l'Egypte dans tous ses états...
Interview réalisée au Caire
Alaa El Aswany, J'aurais voulu être égyptien, Collection Bleu, traduit de l'arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Editions
Actes Sud, 2009, 208 pages, 19,50 euros, Littérature étrangère XXIe
Copyright © Oulala.net
Page 5/5
Téléchargement