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le même : faire en sorte que le pouvoir tombé entre les mains de la bourgeoisie ne tombe pas plus bas dans
l’échelle sociale… À noter que ces écarts par rapport à l’idéal ne suscitent au moment de leur adoption que
très peu de controverses et de discussions en chambre.
— Témoignage cependant de la radicalisation de la société et de la pression exercée par l’opinion sur les
décisions politiques, ces dispositions inégalitaires seront peu à peu éliminées, au fur et à mesure de la
transformation de la révolution bourgeoise en révolution populaire.
— Mais même en tenant compte de ces réserves très limitatives quant à la portée du caractère universel des
droits, on ne peut nier l’aspect innovateur de l’inclusion d’un si grand nombre de Français dans le processus
politique. Paradoxalement, cette inclusion, en favorisant la participation de la population, porte en elle le
germe de la radicalisation révolutionnaire.
— De même, et même si les députés, bourgeois et aristocrates libéraux, ont à cœur le maintien de leur
domination, ils vont s’atteler pendant un an et demi à la tâche colossale de la création d’un État moderne sur
les ruines de l’absolutisme.
— L’égalité dont il est question dans la Déclaration doit d’abord se manifester sur le plan administratif, avec
le remplacement du complexe système de l’ancien régime, dans lequel les différentes régions, issues de la
lente formation de l’État français, avaient conservé des particularismes se manifestant sur le plan de l’impôt
ou du droit. En divisant le territoire français en 83 départements, on supprime ces particularismes pour les
remplacer par un rapport d’égalité de chacune des régions dans l’ensemble national.
— Toujours en application des principes de la Déclaration, on s’emploie aussi à refonder le système
judiciaire et donc à créer un État de droit. En s’inspirant grandement de l’habeas corpus de l’Angleterre, on
met en place un système judiciaire moderne qui, par le transfert des pouvoirs judiciaires de l’autorité
arbitraire du roi et de ses magistrats à un système raisonné, structuré et s’appuyant sur les textes de loi,
parvient à assurer la sécurité des personnes.
— Dès l’automne 1789, on encadre le processus de prise de corps et de garde à vue et on met en place la
présomption d’innocence. En 1790, empruntant ici aussi à la législation anglaise, on affirme le caractère oral
et public des procédures judiciaires et on met en place un système de jury (composé de douze citoyens)
chargé du verdict. Le juge alors n’a plus qu’à appliquer la loi en proportionnant la peine au délit. De même, la
torture est interdite, ainsi que le pilori (l’exposition publique) et la marque au fer rouge. Bref, le système
judiciaire se civilise.
— Autre grand droit, autre grand chantier : la liberté d’opinion. Dans l’ancien régime, il suffisait que le roi se
sente offensé d’un écrit pour qu’il ordonne la détention de l’auteur. Tout au long de la période de la
Constituante, soit jusqu’à l’automne 1791, la France connaîtra une totale liberté de presse et même les
publications les plus violentes (comme l’Ami du peuple, de Marat) ne seront pas inquiétées.
— La liberté d’opinion concerne aussi la liberté religieuse. Dès avant les grands changements, les protestants
français avaient obtenu la tolérance de la part de l’État, laquelle est confirmée par la Déclaration universelle
et les mêmes droits politiques leurs sont octroyés à la fin de 1789. Cela concerne aussi les minorités juives,
qui reçoivent leur pleine citoyenneté en janvier 1790 (sauf les Juifs d’Alsace, qui devront attendre septembre
1791).
— Ces différentes réformes visant à répondre concrètement aux principes de la Déclaration effectuent une
transformation profonde de la France légale, qui devient alors une société d’individus aux droits égaux, où les
hommes, devenus citoyens, ne sont plus définis par leur naissance et deviennent libres et responsables de leur
avenir. L’abolition des titres de noblesse le 19 juin 1790 vient achever cette mue légale.
— Il est un domaine cependant où les députés font preuve d’une grande circonspection : l’Armée. D’une part
parce qu’on hésite à s’attaquer de front à une institution dont peut dépendre le sort des réalisations de la
révolution, mais d’autre part parce que traditionnellement, et encore plus depuis la loi de 1781, elle est la
chasse gardée de la noblesse, dont de nombreux représentants siègent à la Constituante.
— Cependant, le 4 août, le privilège nobiliaire est néanmoins aboli avec les autres et on ouvre ainsi la voie de
la carrière militaire à la compétence. Mais compte tenu de la situation en Europe, on n’ose pas destituer les
officiers de l’ancien régime. De même, pour le moment, l’idée d’une conscription obligatoire est écartée.
— En fait, plutôt que de risquer d’affronter l’armée, la Constituante préfère la contourner, grâce à la Garde
nationale de 1789, qui se voit dotée d’un cadre légal et structurel en 1791. Elle devient dès lors l’armée de
cette bourgeoisie nouvellement aux commandes de l’État, composée exclusivement de citoyens actifs et
procédant elle-même à l’élection de ses officiers. La France compte désormais deux armées : l’armée royale,