Notes du cours

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Histoire de la France révolutionnaire
Troisième cours :
La monarchie constitutionnelle
(1789-1792)
1 – Les journées d’octobre
— Les dispositions légales et idéalistes prises par l’Assemblée nationale en août ne permettent évidemment
pas la résolution des problèmes qui ont provoqué le sursaut de colère dans les rues parisiennes en juillet.
Malgré la très bonne récolte de l’été 1789, la nourriture manque dans les villes, car le chaos dans les
campagnes nuit à la circulation des approvisionnements qui n’arrivent tout simplement pas en ville et le prix
du pain se maintient à un haut niveau historique.
— À Paris même, ces problèmes d’approvisionnement sont aggravés par d’autres difficultés d’ordre
économique, car l’immigration de certains membres de la noblesse, qui a déjà commencé, entraîne une
augmentation du chômage : les domestiques qu’ils employaient se retrouvent sans moyen de subsistance,
pendant que les boutiquiers et artisans de luxe perdent une partie significative de leurs revenus.
— À ces difficultés viennent s’ajouter une tension politique importante, relancée par la tenue d’élections
municipales du début du mois d’août : afin de régler le problème de la gestion de la ville, Bailly, devenu
maire consécutivement au 14 juillet, convoque des élections qui conduisent à la formation d’un conseil
municipal très représentatif.
— Les nouveaux députés ne joueront pas nécessairement un rôle très important dans la prise de décision,
mais l’intérêt de ces premières véritables élections à Paris réside dans le bouillonnement de la vie publique
qu’elle provoque. Loin de calmer l’effervescence politique de la capitale, ce processus nouveau la décuple.
— Commence alors une différenciation, qui deviendra au fil des mois à venir de plus en plus importante,
entre le conseil de la commune de Paris, de plus en plus radicale, et une assemblée nationale plus prompte au
compromis : car si les plus aisés financièrement continuent de dominer cette dernière, l’existence même de la
commune de Paris favorise la politisation de plus en plus importante des masses populaires, lesquelles
réclament également leur part.
— Paris compte 60 districts très variés sur le plan de la richesse et sans surprise, les quartiers pauvres sont
plus radicaux. Ainsi, le contrôle du centre municipal sur ces quartiers demeure plutôt théorique, d’autant que
ne se reconnaissant pas dans les membres du conseil de ville, ils réclament une plus grande décentralisation et
une démocratie directe. De nouveaux noms font alors leur apparition, comme Brissot et surtout Danton.
— De sorte que la tension ne baisse pas de tout le mois de septembre et bien sûr, la population parisienne
irritée de la situation cherche un bouc émissaire, l’aristocratie et le roi. Pour elle, rien n’a vraiment changé,
sinon la possibilité d’exprimer ouvertement son mécontentement.
— Paris a cependant un moyen de plus qu’avant le 14 juillet, car la ville dispose de la Garde nationale pour se
défendre et faire entendre ses griefs. À la fin de l’été, elle est composée de près de 30 000 hommes,
commandés par La Fayette, qui ne parvient cependant pas toujours à les contrôler.
— Lorsque se répand la rumeur, bientôt confirmée, de l’arrivée à Versailles du régiment de Flandre, la Garde
nationale et la population s’inquiètent : pour quelle raison le roi a-t-il besoin d’une force militaire? Se
prépare-t-il à tenter un coup de force pour reprendre l’initiative? Le climat est d’autant plus tendu que l’on
débat alors à l’assemblée la question du veto royal, débat derrière lequel le roi se retranche pour ajourner sa
sanction aux décrets du 4 août.
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— C’est dans cette atmosphère de suspicion que l’opinion apprend l’événement, anodin en apparence, du
banquet offert le 1er octobre par le roi au régiment de Flandres, alors que l’approvisionnement de Paris est très
précaire, et au cours duquel les officiers piétinèrent la cocarde tricolore, symbole de la révolution.
— Les appels à une marche sur Versailles se multiplient et le 5 octobre, les femmes de Paris prennent
l’initiative de cette marche. La Fayette tente de maîtriser ses hommes, mais la Garde nationale décide de
suivre les femmes. La commune de Paris lui confie la mission de ramener le roi à Paris, pour l’éloigner de
l’influence des aristocrates conservateurs, assurer sa sécurité et le tenir à l’œil.
— Au matin du 6, après une nuit tendue où la population fait le siège de Versailles, réclamant du pain et la
signature des décrets d’août, certains manifestants font irruption dans le château, tuant plusieurs membres de
la garde royale et obligeant La Fayette à s’interposer entre le roi et les émeutiers.
— Sa vie et celle de sa famille étant en danger, le roi n’a d’autre choix que d’apposer sa signature au bas des
fameux décrets, entérinant la légalisation de l’ordre nouveau. Il se présente alors au balcon devant la foule
assemblée pour consentir à s’installer à Paris. Sa défaite lui redonne temporairement sa popularité. Quant à
l’Assemblée, elle décide de suivre un roi devenu prisonnier dans sa capitale.
2 – Le nouvel ordre
2.1– Les pouvoirs
2.1.1 – Le roi
— Consécutivement aux journées d’octobre, les nouvelles institutions issues de l’été 1789 commencent à
fonctionner. Cependant, s’agissant d’une période très instable politiquement, les règles régissant leur
fonctionnement vont grandement évoluées, depuis l’installation de la Constituante à Versailles, jusqu’à la
convocation de l’Assemblée législative à la fin de l’été 1791.
— La période est d’autant plus chaotique du point de vue politique que tout est à faire : les précédents
historiques sont peu nombreux et le plus important d’entre eux, le modèle anglais, est loin de satisfaire tous
les représentants de la nation. Car si tous les membres de la constituante autoproclamée à l’été 1789
partageaient le désir d’en finir avec l’absolutisme monarchique, une fois cet objectif atteint, les points de vue
diffèrent grandement.
— Dès avant les journées d’octobre, le premier d’une longue série de différents avait déjà entamé la belle
unité de l’été. Certes, personne ne parle de république et tous s’entendent sur la nécessité d’établir une réelle
séparation des pouvoirs, en application des théories de Montesquieu. Mais si ces centres de pouvoirs sont déjà
définis (le roi d’une part, la Constituante de l’autre), leurs attributions ne sont pas fixées.
— Parmi la députation, un groupe de députés modérés, que l’on a qualifié de monarchiens (ou d’anglomanes)
penche en faveur d’une domination de l’institution monarchique sur l’assemblée et donc de la subordination
du nouveau pouvoir à l’ancien. Nombreux sont les membres de la noblesse libérale, du clergé et même d’une
certaine partie de la bourgeoisie qui craignent les débordements de la population et cherche un moyen de
terminer la révolution en préservant le gain principal à leurs yeux, les libertés politiques.
— Tous s’entendent pour que le roi demeure chef de l’exécutif, mais les monarchiens désirent lui donner
aussi une part du pouvoir législatif, afin de limiter les pouvoirs de l’assemblée et ainsi être en mesure
d’empêcher la mise en place de lois qui remettraient trop radicalement en question l’ordre social. Ils
proposent ainsi l’octroi d’un veto absolu au roi. Pour appuyer ce dernier dans son rôle de garant de l’ordre, ils
proposent aussi la création d’un sénat héréditaire, suivant le modèle anglais, et composé d’aristocrates.
— Le parti national rejette en bloc ces mesures, s’appuyant entre autres sur l’opinion publique, qui voit dans
ces propositions une tentative de limiter les effets concrets de la révolution. Sur la question du veto, on en
viendra finalement à un compromis : l’octroi d’un veto suspensif temporaire en échange de la sanction royale
au texte du quatre août, que le roi se refuse encore alors à signer. Quant au sénat, l’idée est balayée presque
unanimement par les députés au début de septembre. L’assemblée aura donc dans le nouveau système la
préséance sur le roi.
— Cela ne veut pas dire que ce dernier est sans pouvoir : il demeure le chef de l’exécutif et à ce titre, nomme
les membres du gouvernement. D’où cette étrangeté qui alimente le mécontentement et explique en partie les
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journées d’octobre : le gouvernement en place en automne 1789 (et jusqu’à la fin de 1790) est le même
qu’avant la révolution…
— La légitimité historique continue de jouer son rôle et personne ne parle, ou presque, d’abolir la monarchie.
Cela étant, le statut du roi est désormais complètement différent, car il est subordonné à la souveraineté
nationale. Il est désormais « roi des Français, par la grâce de Dieu, et la loi constitutionnelle de l’État », tel
que défini dans la constitution de 1791, ce qui le désacralise et fait de lui un homme certes important, le
premier magistrat de l’État, mais il n’est plus au-dessus de celui-ci. Il en est devenu le serviteur.
— Cette première constitution de la France moderne est donc un compromis difficile entre l’autorité nouvelle
et l’ancienne, qui refuse sa subordination. Elle laisse au roi, outre le pouvoir de nommer les ministres, celui
de diriger théoriquement la politique étrangère du pays, mais ce dernier pouvoir est fortement limité par le
fait que c’est à l’Assemblée de décider de la paix ou de la guerre et que c’est elle aussi qui nomme les
ambassadeurs.
— Ainsi, à plus d’un titre, le roi est nu : l’administration et les pouvoirs législatifs lui échappent désormais.
Les deux pôles de pouvoir se méfient l’un de l’autre et s’acceptent difficilement. Rien d’étonnant à ce que
cette collaboration imposée par les principes et se heurtant aux réalités n’ait survécu que quelque temps.
2.1.2 – L’assemblée
— Le roi s’est donc installé aux Tuileries, à Paris, et l’Assemblée l’a suivi de peu, s’installant pour sa part
dans l’enceinte du Manège, qui sera jusqu’en mai 1793 le lieu où siégeront les diverses législatures. Mais
compte tenu de l’impossibilité de débattre sereinement, à cause de la participation du public, le véritable
travail, qui fut considérable, se fit dans les différents comités.
— Il n’y a pas de parti au sens strict existant alors et les députés sont donc libres d’approuver ou non un
projet de loin suivant leur conscience et sensibilité. Néanmoins, compte tenu de l’importance des questions à
résoudre, on vit rapidement apparaître des clivages parmi les membres de l’Assemblée. De ces premiers
clivages et de la distribution des membres dans l’hémicycle par rapport au président de la chambre datent les
catégories politiques de gauche, centre et droite.
— On trouve d’abord à droite les opposants au décret du quatre août, donc les tenants d’une révolution
contrôlée et limitée à une redistribution des prérogatives politiques. Ils portent le nom d’aristocrates, bien
qu’on trouve au sein de ce groupe des gens qui ne sont pas issus de l’aristocratie. Ces « noirs », comme on les
nomme aussi, se méfient particulièrement de la bourgeoisie et leur programme consiste simplement à tenter
de limiter le plus strictement possible les pouvoirs de l’Assemblée.
— Dans ce contexte, les monarchiens occupent alors la position centrale, car ils font aussi partie de la
mouvance révolutionnaire, seulement, ils craignent les excès populaires et cherchent à freiner le mouvement.
— Enfin, la gauche est alors occupée par le parti national, composé du gros des députés bourgeois. On y
trouve aussi cependant certains aristocrates libéraux (dont Mirabeau, Talleyrand et Lafayette).
— On le voit, cette assemblée ne se distingue guère par son radicalisme révolutionnaire et cette situation a un
impact important sur sa crédibilité, surtout à Paris, où l’on considère que les choses ne vont pas assez loin ni
assez vite, d’où une radicalisation palpable de l’opinion.
— Le système électoral adopté a d’ailleurs de quoi mécontenter cette opinion. Car il n’est pas question de
suffrage universel : les députés craignent beaucoup trop l’arrivée en masse de représentants des classes les
plus pauvres, lesquelles à leurs yeux, ne sont pas « préparées à la liberté et à l’égalité ». Ainsi, si tous les
Français sont égaux devant les lois, l’appellation de citoyen est refusée à nombre d’entre eux.
— Car environ le tiers de la population masculine du pays se voit privé de droits électoraux, soit tous les
domestiques, ainsi que la population la plus miséreuse. En outre, le droit électoral est monnayé et une
contribution financière, de 2 à 3 livres par an (l’équivalent de trois journées de travail) est exigée et ceux qui
ne peuvent payer ne peuvent pas voter.
— De même, et bien que suivant ces règles, c’est plus de 4 millions d’hommes qui peuvent participer au
processus électoral, le système électoral à double niveau voté en décembre 1789 encadre et limite les droits
électoraux de la grande majorité. Ainsi, les 4 millions de citoyens actifs ne votent que pour les représentants
des assemblées primaires, qui sont eux-mêmes appelés électeurs.
— Pour pouvoir être électeur, il faut payer l’équivalent de 10 journées de travail (environ 10 livres). Et pour
être éligible à un mandat de député, il faut payer un marc d’argent (soit environ 50 livres). Le but est toujours
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le même : faire en sorte que le pouvoir tombé entre les mains de la bourgeoisie ne tombe pas plus bas dans
l’échelle sociale… À noter que ces écarts par rapport à l’idéal ne suscitent au moment de leur adoption que
très peu de controverses et de discussions en chambre.
— Témoignage cependant de la radicalisation de la société et de la pression exercée par l’opinion sur les
décisions politiques, ces dispositions inégalitaires seront peu à peu éliminées, au fur et à mesure de la
transformation de la révolution bourgeoise en révolution populaire.
— Mais même en tenant compte de ces réserves très limitatives quant à la portée du caractère universel des
droits, on ne peut nier l’aspect innovateur de l’inclusion d’un si grand nombre de Français dans le processus
politique. Paradoxalement, cette inclusion, en favorisant la participation de la population, porte en elle le
germe de la radicalisation révolutionnaire.
— De même, et même si les députés, bourgeois et aristocrates libéraux, ont à cœur le maintien de leur
domination, ils vont s’atteler pendant un an et demi à la tâche colossale de la création d’un État moderne sur
les ruines de l’absolutisme.
— L’égalité dont il est question dans la Déclaration doit d’abord se manifester sur le plan administratif, avec
le remplacement du complexe système de l’ancien régime, dans lequel les différentes régions, issues de la
lente formation de l’État français, avaient conservé des particularismes se manifestant sur le plan de l’impôt
ou du droit. En divisant le territoire français en 83 départements, on supprime ces particularismes pour les
remplacer par un rapport d’égalité de chacune des régions dans l’ensemble national.
— Toujours en application des principes de la Déclaration, on s’emploie aussi à refonder le système
judiciaire et donc à créer un État de droit. En s’inspirant grandement de l’habeas corpus de l’Angleterre, on
met en place un système judiciaire moderne qui, par le transfert des pouvoirs judiciaires de l’autorité
arbitraire du roi et de ses magistrats à un système raisonné, structuré et s’appuyant sur les textes de loi,
parvient à assurer la sécurité des personnes.
— Dès l’automne 1789, on encadre le processus de prise de corps et de garde à vue et on met en place la
présomption d’innocence. En 1790, empruntant ici aussi à la législation anglaise, on affirme le caractère oral
et public des procédures judiciaires et on met en place un système de jury (composé de douze citoyens)
chargé du verdict. Le juge alors n’a plus qu’à appliquer la loi en proportionnant la peine au délit. De même, la
torture est interdite, ainsi que le pilori (l’exposition publique) et la marque au fer rouge. Bref, le système
judiciaire se civilise.
— Autre grand droit, autre grand chantier : la liberté d’opinion. Dans l’ancien régime, il suffisait que le roi se
sente offensé d’un écrit pour qu’il ordonne la détention de l’auteur. Tout au long de la période de la
Constituante, soit jusqu’à l’automne 1791, la France connaîtra une totale liberté de presse et même les
publications les plus violentes (comme l’Ami du peuple, de Marat) ne seront pas inquiétées.
— La liberté d’opinion concerne aussi la liberté religieuse. Dès avant les grands changements, les protestants
français avaient obtenu la tolérance de la part de l’État, laquelle est confirmée par la Déclaration universelle
et les mêmes droits politiques leurs sont octroyés à la fin de 1789. Cela concerne aussi les minorités juives,
qui reçoivent leur pleine citoyenneté en janvier 1790 (sauf les Juifs d’Alsace, qui devront attendre septembre
1791).
— Ces différentes réformes visant à répondre concrètement aux principes de la Déclaration effectuent une
transformation profonde de la France légale, qui devient alors une société d’individus aux droits égaux, où les
hommes, devenus citoyens, ne sont plus définis par leur naissance et deviennent libres et responsables de leur
avenir. L’abolition des titres de noblesse le 19 juin 1790 vient achever cette mue légale.
— Il est un domaine cependant où les députés font preuve d’une grande circonspection : l’Armée. D’une part
parce qu’on hésite à s’attaquer de front à une institution dont peut dépendre le sort des réalisations de la
révolution, mais d’autre part parce que traditionnellement, et encore plus depuis la loi de 1781, elle est la
chasse gardée de la noblesse, dont de nombreux représentants siègent à la Constituante.
— Cependant, le 4 août, le privilège nobiliaire est néanmoins aboli avec les autres et on ouvre ainsi la voie de
la carrière militaire à la compétence. Mais compte tenu de la situation en Europe, on n’ose pas destituer les
officiers de l’ancien régime. De même, pour le moment, l’idée d’une conscription obligatoire est écartée.
— En fait, plutôt que de risquer d’affronter l’armée, la Constituante préfère la contourner, grâce à la Garde
nationale de 1789, qui se voit dotée d’un cadre légal et structurel en 1791. Elle devient dès lors l’armée de
cette bourgeoisie nouvellement aux commandes de l’État, composée exclusivement de citoyens actifs et
procédant elle-même à l’élection de ses officiers. La France compte désormais deux armées : l’armée royale,
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élitiste, formée à l’ancienne et composée dans une grande mesure de mercenaires étrangers, et l’armée
nationale, ouverte aux talents, comme le reste des postes et des fonctions, au service de ce nouvel État et de
ses principes.
— On le voit, la Constituante ne chôma pas. Elle termina ses travaux le 30 septembre 1791, pour être
remplacée immédiatement par l’Assemblée législative, qui siègera pendant dix mois, jusqu’au moment où la
suspension du roi obligera à repenser le système politique. Comme les membres de la Constituante ont voté
leur inéligibilité, ce sont des hommes nouveaux qui font alors leur entrée.
— Cette nouvelle législature témoigne clairement de la radicalisation en cours et les tendances politiques se
trouvent déplacées vers la gauche. Parmi les 745 membres, on compte 260 députés identifiés à la droite
(associé au Club des Feuillants et défenseurs de la monarchie constitutionnelle) et 136 députés identifiés à la
gauche (Girondins), ou l’idée de république fera son apparition. Au centre, près de 350 députés assurent
l’équilibre entre les deux tendances, refusant de s’inscrire aux clubs, car redoutant la compromission des uns,
les méthodes des autres.
— C’est aussi un nouveau gouvernement qui s’installe à partir du moment où siège l’Assemblée législative,
mais le roi n’a plus autant de choix, compte tenu du déplacement vers la gauche des députés. C’est bien sûr
aux Feuillants que le roi confie la tâche, mais après la démission de ceux-ci, il se tournera vers la Gironde
pour des raisons tactiques, car les Girondins sont alors les plus favorables à une déclaration de guerre.
— Le gros du travail de réformes ayant alors été accompli, ces deux gouvernements auront néanmoins à gérer
l’État dans des situations difficiles : le premier dans un contexte de difficultés économiques grandissantes et
son corollaire, la radicalisation de l’opinion publique; le deuxième dans le cadre d’une guerre.
2.2 – Paris et la province
— Si à partir de 1792, Paris sera de plus en plus opposé à la province (au moins à certaines régions), dans un
premier temps, et même si les processus politiques diffèrent, la capitale et les régions parlent d’abord d’une
même voix.
— Paris est un cas particulier d’abord parce qu’il s’agit de la capitale, mais aussi parce que, la population y
étant plus nombreuse, se trouvent concentrées ici les élites culturelles et intellectuelles du pays. Ainsi, même
si certaines institutions municipales créées après 1789 se retrouvent aussi dans d’autres villes du pays,
l’interaction entre elles est ici très particulière.
— L’ordre municipal parisien (que l’on nomme Commune de Paris) est centré autour de trois institutions : la
municipalité (donc la mairie), les districts et la Garde nationale. Ayant elle-même pris en main la situation en
juillet 1789, la population se méfie d’une mairie qui a en quelque sorte récupéré le fruit de ses efforts et ne
représente pas nécessairement l’opinion et les tendances de la majorité de la population.
— C’est Bailly, membre de la Constituante qui devient maire en juillet 1789. Il s’appuie pour diriger sur un
conseil de ville composé de 60 membres, issus de l’assemblé municipale, elle-même composée de 300
membres. Comme le système électoral national s’applique aux élections municipales, plus ou monte dans la
hiérarchie, plus la bourgeoisie est surreprésentée. D’où, la suspicion des districts à l’endroit du centre
municipal.
— C’est ainsi que la vie politique de Paris est double : celle des élites, à la mairie; celle de la population dans
les soixante districts de la ville. Assez rapidement, la défiance des districts par rapport à la municipalité se
traduit par la mise en place de liens interdistricts, visant à court-circuiter l’ingérence du centre.
— Pour pallier cette perte de pouvoir, le système de district sera remanié en mai 1790 par la Constituante en
48 sections, mais cela ne fera que retarder la mise en place d’un pouvoir parallèle à Paris, dont la
manifestation la plus évidente sera le mouvement des Sans-culottes, lequel participera à tous les grands
changements gouvernementaux qui vont suivre, surtout après le 10 août, alors que se mettra en place la
Commune insurrectionnelle de Paris.
— C’est ainsi que, même si par la réforme de l’administration nationale et la création des départements, la
ville de Paris ne représente théoriquement que 1/83e du pouvoir politique, la présence des institutions
nationales confère à la capitale un rôle unique.
— Pendant que Paris s’emploie à définir son fonctionnement interne, en province on s’intéresse avant tout
aux rapports entre le centre et les périphéries, surtout que l’effondrement des autorités laisse un vide politique
que les tensions de la Grande Peur de l’été 1789 obligent à combler.
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— C’est donc d’abord un souci de sécurité qui va donner naissance à la reconfiguration administrative du
territoire. Spontanément, partout sur le territoire, les municipalités se dotent de Gardes nationales, mais pour
assurer cette sécurité dans un contexte de dislocation des liens administratifs, le rétablissement de contacts
entre les régions devient impératif, ce qui fut fait par le biais de la création de fédérations régionales. Il s’agit
ici d’un mouvement issu des périphéries, en dehors de toute influence du centre.
— Avec la sécurisation graduelle du territoire, le souci de sécurité à l’origine du mouvement laisse la place à
un objectif idéologique, la reconstitution de l’unité nationale et l’affirmation qu’au-delà des particularismes
régionaux (lesquels étaient particulièrement évidents dans l’ancien système sur le plan fiscal, entre autres),
tous les citoyens du territoire français se reconnaissent une identité commune, celle d’appartenir à la nation
française.
— Le point d’orgue de ce mouvement surviendra le 14 juillet 1790, alors que pour commémorer les
événements historiques de l’année précédente, des délégués de toutes les Gardes nationales du territoire se
réuniront sur le Champ-de-Mars à Paris dans le cadre de la Fête de la fédération.
— Le point le plus important à retenir ici, c’est que du point de vue des régions, la France est une fédération
et non un État unitaire dans lequel tous les pouvoirs sont concentrés dans un centre politique. En 1789-1790,
dans le climat d’enthousiasme et d’idéalisme qui domine alors, cette différence de perception n’est pas très
importante, mais elle porte en germe la guerre civile qui suivra, provoquée par dune distanciation de plus en
plus grande entre Paris et certaines régions du pays.
2.3 – L’opinion publique
— On l’a vu, en matière de liberté d’expression et d’opinion, la Constituante s’en tient à ses principes
idéalistes et refuse toute forme de limitation et de censure, permettant ainsi le déploiement d’un espace public
comme jamais auparavant, même si l’opinion publique française n’a pas attendu la permission des autorités
politiques pour exister.
— Les clubs politiques constituent le centre par excellence de l’expression publique. Plusieurs existaient
avant l’été 1789, mais la politisation grandissante de la population va faire des premières années du nouveau
régime l’âge d’or de ces organisations, qui vont même être à la base de la formation des premiers partis
politiques.
— Toutes les tendances sont représentées dans ce foisonnement. Cependant, compte tenu de la situation
politique générale, les tenants de l’absolutisme monarchique se montrent discrets et on connait mal leurs lieux
de réunion, à l’exception du Salon français, fondé au printemps 1790, qui deviendra un nid de comploteurs
monarchistes.
— En ce qui concerne les monarchiens, ils durent aussi se faire plus discrets à partir de 1790, alors que dans
un premier temps, ils se réunissaient sans crainte au Club monarchique et au Club des impartiaux, mais aussi
dans les salons de l’aristocratie libérale.
— Les clubs furent surtout le lieu d’expression des représentants du tiers état, surtout de la bourgeoisie, et des
quelques membres de l’aristocratie qui partageaient les idéaux politiques de celle-ci. C’est le cas de la Société
de 1789, fondé par Sièyes, et où se réunissaient les amis de La Fayette et où la cotisation élevée limitait le
nombre d’adhérents aux plus nantis
— Le plus important de ces clubs à Paris, qui sera appelé à jouer un rôle fondamental dans la suite des
choses, fut fondé en avril 1789 par des députés bretons, sous le nom de Société des amis de la constitution.
Mais le club ne prendra véritablement forme qu’en décembre, alors qu’il s’installe sur la rue Saint-honoré au
couvent des Jacobins, d'où le nom de club des Jacobins sous lequel il se fera connaître.
— Une cotisation relativement élevée faisant en sorte d’écarter les plus pauvres en fit le lieu de
rassemblement par excellence de la bourgeoisie et le club de Paris devint éventuellement le centre d’une
fédération de clubs du même ordre partout en France. C’est des Jacobins que prirent forme plusieurs des
partis et des factions qui occuperont par la suite les banquettes de l’Assemblée : gironde, feuillants,
montagne.
— À partir de la fuite du roi, une partie des membres du club le quittera pour s’installer au couvent des
Feuillants, consacrant ainsi un schisme entre tendances radicale et modérée.
— Enfin, le club rival des Jacobins, la Société des amis des droits de l’homme et du citoyen, fondé en avril
1790, s’installe au couvent des Cordeliers. S’agissant d’un club qui ne demande pas de cotisation, il
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deviendra rapidement le refuge des radicaux, dont Hébert et Marat, même s’il compte des membres plus
modérés comme Danton et Desmoulins. C’est lui qui fut à l’origine de la manifestation du Champ-de-Mars.
— L’autre grand mode de propagation des opinions, c’est bien sûr la presse écrite, dont le nombre de titres et
les tirages explosent littéralement. En 1791, on compte pour Paris seulement environ 150 titres, dont certains
connaîtront une existence fort brève, alors que d’autres seront publiés pendant quelques années.
— Ici aussi, on retrouve une grande diversité d’opinion. Le Journal politique national qui ne parut qu’en
1789 et 1790 ou encore, les Actes des apôtres, diffusaient les idées de la droite monarchiste, puis contrerévolutionnaire.
— Les tendances modérées de 1789 sont cependant les moins diffusées par la presse écrite et seul Le mercure
de France peut véritablement être considéré comme monarchien.
— Tout comme pour les clubs, les idées révolutionnaires, modérées ou radicales, jouissent pour leur part de
nombreux titres, autre élément concourant à la radicalisation d’une population alors avide d’informations,
particulièrement dans les grandes villes.
— Les titres les plus importants de cette tendance comprennent Le patriote français (dirigé par Brissot), Les
révolutions de France et de Brabant (dirigé par Desmoulins, un ami d’enfance de Robespierre et un proche
de Danton), mais surtout L’ami du peuple dirigé par Marat, une feuille d’une grande violence qui deviendra
en quelque sorte l’organe officieux du mouvement sans-culotte. La grande liberté de presse qu’on trouve
alors en France est bien illustrée par la quasi totale absence de représailles légales à l’endroit de ce dernier
journal, qui publie fréquemment à partir de 1792 des appels au meurtre.
3 – Économie
3.1 – Libéralisme économique
— La question économique ayant constitué le fond contextuel qui a provoqué la crise politique, il va de soi
que les députés de la Constituante vont s’intéresser à cette épineuse question, d’autant que ce terrain est
moins glissant que celui de l’organisation politique, car les mutations ont commencé avant la révolution.
C’est d’ailleurs par sa puissance économique que la bourgeoisie a imposé son pouvoir politique.
— Libérale en politique, la bourgeoisie française l’est tout autant en matière économique et son maître à
penser est bien sûr Adam Smith. Le caractère communiquant des deux domaines est évident et l’on passe
aisément de la liberté individuelle à la liberté d’entreprise.
— Conséquemment, on trouve dans les premières mesures économiques mises en place par les nouveaux
pouvoirs politiques une méfiance face à l’intervention étatique : les mécanismes naturels de fixation des prix
et des salaires sont conditionnels à l’accroissement de la richesse et s’ils provoquent l’inégalité économique,
ils sont en revanche basés sur l’égalité de l’accès au marché.
— L’idéalisme est ainsi à la base de la doctrine économique de la Constituante et son modèle de société
idéale est une démocratie concurrentielle de petits producteurs et commerçants. Les contradictions entre
libéralisme économique et démocratie politique provoquées par l’accumulation du capital, mises en évidence
par Marx au siècle suivant, sont complètement étrangères à ce libéralisme pur.
— Le régime économique de la monarchie française étant basée sur l’octroi de franchises et de monopoles,
c’est d’abord de ce côté que se tourne la Constituante : il faut libérer la production. D’ailleurs, les mesures
politiques du 4 août, en abolissant les « privilèges particuliers des provinces, principautés, villes, corps et
communautés » ont déjà posé les principes de ce libéralisme idéal.
— Au printemps 1790, la Compagnie des Indes, symbole par excellence de l’ancien ordre économique, est
démantelée et le commerce colonial est désormais ouvert à toutes les entreprises. Il en est de même du
commerce interrégional, ou la loi de l’offre et de la demande imposera désormais les prix. Mais en ce qui
concerne le commerce international, les députés se montrent plus frileux, craignant qu’une ouverture
n’entraîne des difficultés d’approvisionnement pour la population. De sorte que l’exportation des céréales est
explicitement interdite.
— Par ce décret du 4 août, le produit de la terre appartient à ceux qui la cultivent. Quant aux droits
d’exploitation du sous-sol, ils appartiennent à ceux qui sont propriétaires du sol.
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— Mais la campagne française est depuis longtemps inégalitaire, même parmi les paysans, car certains
d’entre eux, plus entreprenants ou plus chanceux, sont parvenus à accumuler une quantité suffisante de terres
pour être considérés comme entrepreneurs (les laboureurs). Ceux-là réclament aussi la mise en place en
campagne d’un cadre ultra libéral, basé sur le principe de régulation naturelle des prix et conséquemment, le
démantèlement de la structure communautaire traditionnelle favorable aux paysans pauvres.
— Compte tenu de la situation tendue dans les campagnes et de l’existence d’une sorte d’alliance entre la
bourgeoisie des villes et les paysans, les députés hésitent à établir un tel cadre libéral et on opte finalement
pour une politique de compromis : les prix sont libéralisés (ils étaient auparavant fixés par le centre), de
même que les cultures, mais on maintient la structure communautaire (jouissance de la pâture commune et
des biens communaux), afin de soutenir la paysannerie pauvre, qui est majoritaire.
— Un libéralisme mur-à-mur est appliqué au travail urbain, même si les tensions dans les villes incitent les
députés à la prudence et les poussent à retarder au printemps 1791 les principaux changements : le décret du
14 juin interdit toutes les associations professionnelles (dont l’existence remet en question le sacro-saint
principe de régulation naturelle), dont les syndicats.
3.2 – Les finances de l’État
— Reste que la principale difficulté qui se pose aux nouvelles institutions concerne la fiscalité, car après tout,
c’est le problème fiscal qui a provoqué la crise et les députés sont bien conscients des attentes de la
population sur cette question cardinale.
— On abolit d’abord les taxes à la consommation, dont le nombre s’était multiplié de façon extraordinaire
depuis le règne de Louis XIV. C’est ainsi que la gabelle, peut-être la plus détestée d’entre tous, disparaît. En
plus de donner un répit à la population, l’abolition des « aides » permet de créer sur l’ensemble du territoire
une sorte d’égalité fiscale, le vieux système s’appliquant de façon inégale aux diverses régions.
— Mais il faut bien assurer à l’État des sources de revenus, d’autant que les missions de celui-ci se voient
élargies à l’assistance publique (hôpitaux et charité) et à l’éducation, des responsabilités dont l’Église se
chargeait auparavant et qui passent sous le contrôle public.
— Le système d’imposition est complètement revu et distingue trois grands types de revenus. Le plus
important est l’impôt foncier, dont on attend 240 millions de livres; l’impôt immobilier doit fournir un peu
plus de 50 millions de livres, alors que la patente, dont le montant n’est pas défini, s’appliquera au profit
industriel et commercial.
— Même si les dépenses n’ont pas augmenté de façon extraordinaire, passant de 731 millions de livres en
1789 à 822 millions en 1791, dont une part importante pour le service de la dette, il faut trouver une façon de
financer ces dépenses, d’autant que la révolution bourgeoise, pour qui la propriété est sacrée, refuse de
désavouer les dettes de la monarchie, qui s’élèvent à plus de 5 milliards de livres. Cette position est d’autant
plus logique que nombre de députés sont aussi créanciers de l’État.
— On peut bien sûr mettre en vente le domaine royal, mais il n’est pas suffisamment important pour régler le
problème. On se tourne alors naturellement vers les gigantesques richesses de l’Église, dont la valeur est
estimée à près de 3 milliards. Et c’est un évêque, Talleyrand, qui en propose la nationalisation, ce qui est fait
le 2 novembre 1789.
— Devenu propriétaire de ces richesses, l’État va émettre des titres d’emprunts, assignés sur la valeur de la
propriété nationale. D’où le nom d’assignats donné à ces bons. À l’origine, ils portaient un intérêt de 5 %,
lequel sera d’abord réduit à 3 %, avant d’être totalement supprimé en 1791, alors qu’ils deviennent monnaie
d’échange.
— Le système aura des conséquences dramatiques par la suite sur le plan économique. Ayant cours légal,
l’assignat pourra être échangé contre du numéraire, entraînant une double tarification des marchandises et
favorisant ainsi la dépréciation de la monnaie et l’emballement de l’inflation. Entre 1790 et 1793, l’assignant
perd 60 % de sa valeur, entre autres à cause du recours de plus en plus fréquent du gouvernement à la planche
à billets, au point où la valeur totale des assignats dépasse éventuellement la valeur des biens nationaux qu’ils
sont censés garantir.
— En retour, cette inflation eut des conséquences négatives pour l’économie, entraînant la paupérisation des
détenteurs de titres et de rentes, ce qui aura cependant un effet bénéfique sur les finances de l’État. Jusqu’à
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l’automne 1791, grâce à l’abondance des récoltes, les prix demeurent relativement faibles et c’est surtout à
partir de 1792 que les graves difficultés vont surgir.
4 – État et Église
— La question de la nationalisation des biens de l’Église dépasse bien sûr le strict cadre financier, surtout
dans un pays comme la France, où le catholicisme a toujours joué un rôle politique important, au point de
constituer l’assisse de l’idéologie politique du royaume.
— Cela étant, il faut bien constater que la majorité du clergé en 1789 soutenait très largement la cause
révolutionnaire. De sorte qu’à part quelques protestations temporaires, la suppression de la dîme en août, et
même la nationalisation des biens de l’Église, n’entraîna pas une désaffection du clergé.
— D’autant que pour assurer le fonctionnement du culte dans un contexte où elle était privée de moyens de
subsistance, l’État mit en place des structures de financement qui, pour la majorité des curés, signifiaient une
amélioration des conditions de vie.
— Par ailleurs, la Déclaration des Droits de l’homme ne mentionnait pas explicitement la liberté religieuse,
mais l’article X, qui stipule que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, a certainement
fait grincer des dents le clergé conservateur. De même, l’octroi des droits civiques aux minorités protestantes
et juives ne pouvait qu’inquiéter un clergé qui craignait la laïcisation du royaume.
— Mais l’Église est par définition une structure conservatrice et si elle accepte ces importants changements
pour le bien commun, elle n’a pas l’intention de tolérer l’ingérence du pouvoir temporel dans les affaires
spirituelles. C’est pourtant ce qu’il n’hésite pas à faire, en interdisant en février 1790 que de nouveaux vœux
monastiques soient prononcés et en ordonnant la dissolution de toutes les congrégations, sauf celles qui
s’occupent encore de l’éducation et de la bienfaisance.
— Cependant, la crise ouverte éclatera en juillet 1790, avec l’adoption de la constitution civile du clergé, qui
entend changer profondément le fonctionnement de l’Église. D’abord sur le plan administratif, en réduisant le
nombre de diocèses à 83 et en les faisant conséquemment coïncider avec les départements.
— Plus dérangeante pour la hiérarchie est la mise en place d’élections, parmi les ecclésiastiques ayant au
moins 15 années de pratique, pour les curés et les évêques. Dès lors, le système de nomination interne est
court-circuité, et le pape évacué, ce qui est justifié par le fait que les membres du clergé sont désormais des
salariés de l’État. Le catholicisme demeure la religion de l’État, mais les membres du clergé doivent prêter
serment de fidélité à la constitution, plaçant dès lors la fidélité à l’Église en seconde position.
— L’adhésion de la grande masse du clergé à la révolution était cependant telle que même cette réforme
radicale était acceptée. Mais fière de son indépendance, l’Église de France refusait qu’elle lui soit imposée et
revendiquait son droit à y consentir librement, par un concile, ce que les autorités politiques refusèrent avec
d’autant plus de véhémence que Pie VI s’était déjà déclaré violemment hostile aux principes de la Déclaration
des droits de l’homme, et donc aux objectifs de la révolution.
— On choisit donc la confrontation : en novembre 1790, un délai de deux mois fut donné à tous les membres
du clergé pour qu’ils prêtent serment sur la constitution. Même si le clergé réfractaire eut un sursis jusqu’en
été 1792 parce que Louis XVI s’opposait à cette mesure, la chute de la monarchie entraîne l’application
rigoureuse de la loi et les premiers assassinats. Le 26 août est voté un décret contraignant les 75 000
réfractaires à quitter le territoire dans un délai de 15 jours.
— Cette politique coercitive eut un effet très négatif et provoqua un schisme au sein de l’Église de la France :
prêtres constitutionnels contre prêtres réfractaires. Dès lors, une partie importante du clergé se tourna contre
les révolutionnaires, entraînant bien sûr derrière elle une partie de la population, jetée ainsi dans les bras de la
contre-révolution. Les graines de la guerre civile, en Vendée entre autres, étaient semées.
5 – Contre-révolution et surenchère révolutionnaire
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— Certains historiens considèrent que la contre-révolution commence dès le 14 juillet 1789, car de nombreux
membres de l’aristocratie s’enfuient alors à l’étranger. Cependant, comme il n’y a guère à ce moment de
programme contre-révolutionnaire, ce point de vue semble exagéré. D’autant qu’il y a plusieurs tendances au
sein de cette immigration. Entre ceux qui craignent pour leur sécurité sans nourrir d’animosité particulière
face au gouvernement et ceux, pour la plupart issus de la haute noblesse, qui attendent le moment de la
revanche, les sensibilités sont diverses.
— C’est bien sûr du second groupe que proviennent les tentatives concrètes. Le programme contrerévolutionnaire qui se précise au cours de l’année 1790 comporte deux volets : susciter par différents moyens
des insurrections provinciales et tenter d’assurer l’évasion du roi, qui pourra servir de point de ralliement aux
revanchards.
— Le premier volet fut longtemps un échec. En fait, tant et aussi longtemps que la contre-révolution
demeurait limitée à l’aristocratie, elle n’eut guère de succès. On compte bien sûr quelques ligues nobiliaires
en Alsace ou en Franche-Comté, mais ce n’est qu’à la faveur de la crise religieuse que les rangs des
opposants au nouvel ordre se verront adjoindre des masses populaires importantes.
— Cela étant, même limitée à ces quelques mouvements, la réaction nobiliaire, en permettant la survie de la
Grande Peur de l’été 1789 et du mythe d’un complot aristocratique, favorise la radicalisation révolutionnaire,
qui est particulièrement visible dans les villes. C’est le cas à Paris, où le Club des Cordeliers agite la
population et où l’incapacité ou le manque de volonté des institutions politiques à régler les problèmes
économiques favorise aussi cette radicalisation.
— Le deuxième volet de l’activité contre-révolutionnaire ne connut pas plus de succès, même si la véritable
tentative de fuite fut proche de réussir. Les premiers projets d’évasion du roi remontent à l’automne 1789,
mais ils restèrent longtemps à l’état de projet, même si vraisemblablement le roi lui-même y pensait dès ce
moment.
— Cependant, c’est à l’automne 1790 que le projet se précise, car la radicalisation palpable de l’opinion ne
permet plus de croire à un renversement de la situation et suscite l’inquiétude de la famille royale quant à sa
sécurité physique, comme en avril 1790, alors que la foule s’oppose physiquement au départ du roi pour un
séjour de repos à Saint-Cloud, comme il le faisait chaque année.
— Le projet de fuite ne visait pas nécessairement à faire en sorte que le roi quitte le sol français. En fait, on
voulait le diriger vers l’est, là où la réaction nobiliaire était la plus forte. De là, croyait-on, il pourrait rallier
les forces conservatrices et marcher sur Paris.
— Le complot d’évasion fut cependant mal ficelé et la méfiance des forces révolutionnaires aboutit à l’échec
inévitable : parti dans la nuit du 20 au 21 juin, le convoi royal fut stoppé à Varennes le soir du 21 juin et
ramené à Paris le 25. La Fayette eut beau tenter de présenter la chose comme une tentative d’enlèvement du
roi, la fable ne prit pas dans la population.
— Cependant, cette version fut officiellement retenue par la commission d’enquête qui rendit son rapport le
15 juillet, innocentant le roi et faisant porter la responsabilité à des exécutants qui avaient de toute façon fui le
pays. Mais dès la suspension du roi, ordonnée le temps de l’enquête, la droite de l’Assemblée avait quitté
l’hémicyclique, considérant cette suspension anticonstitutionnelle et allant jusqu’à en appeler une
intervention étrangère.
— La crise conduisit à la tuerie du Champ-de-Mars, alors que, sur le lieu où le 14 juillet 1790 avait été fêtée
la réconciliation nationale entre un roi constitutionnel et la population française, le marquis de La Fayette,
fort du décret de loi martiale émis par l’Assemblée, fit ouvrir le feu sur quelques milliers de Parisiens
assemblés, qui réclamait que le roi fût châtié. Même si ce ne fut pas un massacre (une quinzaine de mort),
c’était la première fois qu’une tendance de la révolution ouvrait le feu sur une autre, consommant une rupture
entre modéré et radicaux qui fera par la suite bien d’autres victimes.
— Si on ajoute à ces événements tragiques les difficultés économiques provoquées par la guerre et le
mécontentement devant les défaites, on se retrouve en 1792 avec un mouvement populaire et urbain
particulièrement radical, qui va paver la voie à la Terreur.
— Provoquées par les difficultés d’approvisionnement, des émeutes agitent les villes tout au long de l’hiver
1791-1792. Rapidement, le mouvement, de strictement économique, se donne des objectifs politiques, quand
les « citoyens passifs » font entendre leur voix : à l’amélioration de l’approvisionnement s’ajoutent des
revendications démocratiques, dont les sections parisiennes constituent la base institutionnelle. Le
mouvement des sans-culottes est né.
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— Même s’il ne s’agit pas d’un mouvement prolétarien, car aux ouvriers se mêlent artisans et petits
boutiquiers, il s’agit du premier mouvement politique détaché de la bourgeoisie, pour qui il éprouve une
immense suspicion, étayée par ailleurs par les compromissions de l’Assemblée.
— Ce nouvel acteur politique provoque une autre redistribution des cartes à l’Assemblée et alors que les
Feuillants se montrent favorables à la manière forte, les Jacobins, menés par Robespierre et Marat, sans
soutenir les émeutiers, refusent de créer un autre schisme dans le tiers état et se disent en faveur de la
satisfaction d’une partie des revendications des sans-culottes.
6 – Politique étrangère
— On peut penser que le nouveau régime politique en France avait autre chose à faire que de déployer une
politique étrangère active. Et c’est en effet ce qu’il tente de faire dans un premier temps, mais la nature du
changement politique et les interrelations entre les différents trônes d’Europe ne permettront pas à la France
de s’en tenir à ses réformes intérieures. Car si bien sûr l’Autriche s’inquiète du sort de la famille royale, c’est
l’ensemble des régimes monarchiques d’Europe qui, craignant la contagion, suit avec inquiétude l’évolution
de la situation en France.
— Car si les événements de juillet suscitent la sympathie chez une grande partie de l’aristocratie européenne,
les décrets du 4 août ont un effet inverse. Comme l’aristocratie française, celle d’Europe aspire à plus de
libéralisme, mais ne peut que s’inquiéter des tendances égalitaristes qui se manifestent alors.
— D’autant que les bourgeoisies européennes y sont sympathiques et surtout que les classes populaires,
particulièrement les paysans, sont enthousiasmées. L’émulation ne tarde pas : dès 1789, des révolutions
éclatent à Liège et aux Pays-Bas. Elles sont réprimées avec succès, mais la leçon a porté.
— Le cas de l’Alsace, où des princes allemands ont des possessions et qui emboite le pas au reste de la
France, ainsi que celui de la principauté d’Avignon, qui demande son rattachement, témoignent en outre de
l’imbrication des intérêts en Europe.
— Cela étant, les États d’Europe ont d’autres soucis, les problèmes avec la Turquie et la Pologne concentrent
l’attention diplomatique et militaire vers l’est de l’Europe. Ce n’est que dans la foulée de la tentative de fuite
du roi, avec la publication de la déclaration de Pilnitz (par laquelle le roi de Prusse exprime sa conviction que
les événements français doivent préoccuper l’Europe) que le gouvernement français va commencer à
s’inquiéter : si la guerre menace, ne vaut-il pas mieux prendre l’initiative?
— L’enthousiasme de Louis XVI pour la guerre est bien sûr suspect. En fait, le roi croyait qu’une
intervention étrangère était le meilleur moyen pour lui de regagner son pouvoir. Les calculs opportunistes du
roi rencontrent l’enthousiasme et l’idéalisme révolutionnaire de la gauche, particulièrement des députés de la
Gironde, Brissot en tête. Pour ces derniers, la guerre sera facile, car les peuples se soulèveront contre leur
maître pour se joindre à une nouvelle Europe.
— Sous l’effet conjugué de ces deux tendances opposées qui poussent dans la même direction, l’opinion se
radicalise et rapidement, la plupart des députés en viennent à partager ce désir d’en découdre. Des grands
noms de la révolution, seul Robespierre s’oppose, faisant valoir que « personne n’aime les missionnaires
armés ».
— Lorsque le gouvernement des Feuillants, seule faction à s’opposer à la guerre, non par idéalisme, mais par
la conscience du danger qu’elle fait peser sur le pays, remet sa démission et qu’il est remplacé par les
Girondins, la table est mise pour une déclaration de guerre. Le 20 avril 1792, le roi obtient l’appui de
l’Assemblée pour déclarer la guerre à l’Autriche. Dès lors, la suspicion des autres États européens fait place à
une franche hostilité
— Mais l’armée française n’est pas prête à la guerre : les officiers sont peu fiables, l’armement manque et le
recrutement est déficient. 6 000 des 9 000 officiers d’ancien régime avaient fui après Varennes et l’Armée ne
comptait que 120 000 hommes.
— Cela n’entame pas l’enthousiasme guerrier, car il est en fait surtout révolutionnaire. Cependant,
l’enthousiasme ne permet pas à lui seul des remporter des guerres et rapidement sur le champ de bataille,
alors que l’Armée du nord s’est portée vers les Pays-Bas dont on attend le soulèvement, les défaites et les
retraites s’accumulent, malgré certaines victoires, non décisives, remportées en Belgique et aux Pays-Bas.
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— Incapables de comprendre que l’armée n’est pas prête, les députés, bientôt rejoints par l’opinion, crient
alors à la trahison des officiers aristocrates, dont les désertions se multiplient en effet. Le peuple réclame
alors la tête des responsables, mais il a pris l’habitude depuis trois ans de prendre lui-même l’initiative.
— C’est ainsi que le 11 juillet, devant le danger d'une invasion autrichienne devenue encore plus dangereuse
depuis l’entrée en guerre de la Prusse le 6 juillet, l’Assemblée décrète la patrie en danger : la Garde nationale
est convoquée, on lève de nouveaux bataillons de volontaires et de partout de la province converge vers Paris
les forces fédérées. Le 30 juillet, les bataillons marseillais entrent dans la capitale en chantant un chant à
l’origine composé à Strasbourg pour l’armée du Rhin par le capitaine Claude Joseph Rouget de l’Isle.
7 – Le destin de Louis XVI
— Devant la menace que font peser les menaces d’invasion sur la révolution, le 1er août, Paris entre à
nouveau en insurrection, à l’instigation des sections dominées par les sans-culottes. Les autorités parisiennes
sont alors suspendues et une Commune insurrectionnelle est mise en place par des « citoyens passifs » résolus
à cesser de l’être. Les députés hésitent quant aux actions à entreprendre face à ce coup de force, mais certains
comprennent qu’il vaut mieux tenter de rejoindre le courant pour le contrôler de l’intérieur, plutôt que de
s’opposer. C’est le cas de Robespierre
— Cette fois, l’élément déclencheur a été le manifeste du Duc de Brunswick (un faux écrit par des émigrés,
qui promet de ne pas attaquer Paris si on laissait partir la famille royale), dans laquelle la population voit la
preuve évidente de la trahison du roi et des aristocrates. Les troupes fédérées, mêlées aux sans-culottes de
Paris marchent sur les Tuileries le 10 août.
— Barricadée dans sa dernière résidence, la famille royale tente de résister avec l’appui des quelques forces,
étrangères, qui lui sont fidèles. Des négociations permettent au roi et à sa famille de trouver refuge dans la
salle du manège, où siège l’Assemblée législative, mais la population ne désarme pas et devant la pression,
l’Assemblée vote la suspension du roi et son remplacement par un comité exécutif provisoire, en attendant
l’élection d’une Convention nationale.
— Ainsi prend fin l’expérience d’une monarchie constitutionnelle à la française. Par ailleurs, c’est la
première fois que Paris s’impose par la force à l’assemblée représentant l’ensemble du territoire français.
Violant l’autorité du roi et de l’Assemblée législative au même moment, la population de la capitale s’écarte
de la légalité révolutionnaire, imposant par la force une redistribution des pouvoirs. D’où le nom de seconde
révolution que porte dans l’historiographie cette journée du 10 août.
— Dès le 10 août, le roi et sa famille sont arrêtés et incarcérés. Les conditions de détentions du roi sont
difficiles et il est rapidement isolé des membres de sa famille, sous la supervision des autorités de la
Commune insurrectionnelle, qui ne fait pas confiance à l’armée. La grande question qui agite alors les
autorités françaises est le sort du citoyen Louis Capet.
— Dès les premières perquisitions menées aux tuileries, on découvre des documents qui témoignent des
rapports qu’entretenait le roi avec différentes personnalités françaises et étrangères associées aux
mouvements contre-révolutionnaires et on en déduit donc qu’il y a matière à poursuivre le roi déchu pour
haute trahison.
— Cela étant, les membres de la Convention, qui a remplacé depuis septembre l’Assemblée législative, sont
très partagés sur la voie à suivre. Les plus radicaux, Saint-Just et Robespierre, s’opposent à une mise en
accusation et à un jugement formel, réclamant que Louis Capet soit déclaré coupable et exécuté sans
jugement.
— Pour une majorité de députés, qui croient le roi coupable, un procès est néanmoins nécessaire pour ne pas
laisser planer de doute, en France et à l’étranger, quant à la légitimité du verdict. C’est cette option qui
l’emporte et le 10, l’acte d’accusation est présenté à la Convention, qui se chargera elle-même de la
procédure judiciaire, compte tenu de son importance.
— Le procès débute le 21 décembre, avec la première comparution du roi, qui se voit octroyer le droit à une
défense, qui tente de faire valoir les lois et rejette la prétention de la Convention à se substituer au processus
judiciaire normal. Ces arguments juridiques sont avancés surtout parce que sur le fond de la question, celle de
la trahison, les documents trouvés sont accablants et les dénégations de l’accusé ne suscitent que la colère des
députés.
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— À l’issu des audiences, le 14 janvier 1793, les députés sont appelés à se prononcer sur trois questions : la
culpabilité du roi, la possibilité d’en appeler au peuple pour qu’il décide du sort de l’accusé et enfin, la peine
qui devrait s’appliquer si la majorité répond « oui » à la première et « non » à la seconde.
— C’est bien sûr ce qui se produit. Sur la question de la culpabilité, les députés sont presque unanimes, alors
que sur la deuxième question, le non l’emporte avec plus des deux tiers des voix. Reste la question la plus
difficile : que faire du coupable?
— La condamnation à mort peut sembler évidente, compte tenu de la gravité des crimes, mais il s’agit d’un
roi, qui, même déchu, représente beaucoup plus que l’individu. En plus de la réaction horrifiée des cours
étrangères, il fallait tenir compte de l’impact qu’une exécution aurait en France même. Pour les tenants d’une
mise à mort, Louis Capet devait être exécuté en tant que symbole de l’ancien monde et de la contrerévolution. Tant que le roi vivrait, celle-ci disposerait d’un point de ralliement.
— C’est cette vision des choses qui va s’imposer, mais difficilement : 366 députés sur 721 voix exprimées
(soit à peine 51 %) se prononcent en faveur de la condamnation à mort. Le 19 janvier, à la demande de la
Gironde (qui constitue alors le gouvernement), un vote est tenu concernant la possibilité de sursoir à
l’exécution, proposition qui est rejetée par 383 voix. Le 20 janvier, le roi est informé des décisions de la
convention.
— Dès le lendemain matin, le 21 janvier, Louis Capet est conduit à la place de la Révolution (aujourd’hui
Place de la Concorde). Il tente de s’adresser au peuple assemblé, mais on l’en empêche. À 10 h 20, sa tête
tombe sous la lame de la guillotine, sous les acclamations de la population parisienne.
— Fait remarquable : à l’exception de Paris, la population manifeste peu d’enthousiasme. Mais on note aussi
peu de condamnation : à Lyon et à Orléans, on portera le deuil, mais il s’agit d’exceptions. Même les
royalistes demeurent calmes. L’exécution du Très Chrétien survient ainsi dans une indifférence quasi
générale, fait qui témoigne à lui seul de la désacralisation déjà consommée du personnage, comme si,
seulement 4 mois après les débuts de la république, il représentait un passé depuis longtemps révolu. La
France est alors déjà passée à autre chose.
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