Etude de l’Impact de la production naturelle des aérosols marins sur le comportement microphysique d’un nuage convectif. R. MERROUCHI1, J. Piazzola2 et M. Chagdali3 1. Direction de la Météorologie Nationale (Casablanca), 2. Laboratoire des échanges particulaires aux interfaces (LEPI) (Université Toulon-Var) 3. Laboratoire de Calcul Scientifique en Mécanique, Faculté des Sciences Ben M'sik, (Casablanca) [email protected] & [email protected] Introduction L'atmosphère contient des particules en suspension d'origine diverses naturelles ou anthropiques constituant l'aérosol atmosphérique. En fonction de leur taille, les aérosols sont soumis à des processus de transport et de dépôt différents et possèdent des propriétés optiques et des durées de vie extrêmement variables. La mer, par sa grande superficie qui représente les ¾ de la surface du globe, est la première source des aérosols atmosphériques naturels. La composition chimique, la concentration et la taille des aérosols marins font d’eux un moyen d’échange de chaleur et de matière entre l’atmosphère et l’océan. Par diffusion et absorption des rayonnements électromagnétiques, les particules d'aérosols influent sur la couche limite atmosphérique et sur le bilan radiatif de la planète. Les particules de faible rayon jouent un rôle important au niveau du climat en tant que noyau de condensation (CCN) essentiel pour la formation des nuages et des précipitations. L’interaction aérosol nuage est un mécanisme fondamental influençant le processus de précipitation. En effet, les processus microphysiques régissant la croissance des gouttelettes d’eau à l’intérieur du nuage dépendent du spectre initial et de la composition chimique des aérosols atmosphériques pris dans les courants ascendants alimentant ce dernier. Afin d’étudier l’impact des aérosols marins sur le comportement microphysique des nuages, un couplage a été réalisé entre le modèle (MEDEX) de production des aérosols marins et de calcul du coefficient d’extinction associé et un modèle de nuage à microphysique détaillée (ExMIX). Les simulations ont porté sur un nuage convectif (à phase mixte) en utilisant des spectres initiaux d’aérosols d’origines différentes. La comparaison entre les résultats obtenus en utilisant un spectre d’aérosol continental et un spectre d’aérosols marins montre que certaines propriétés microphysiques ont été modifiées influençant en conséquence les conditions de déclanchement des précipitations ainsi que les quantités recueillies au sol. 1. Les aérosols marins : L’aérosol marin est produit par le spray océanique. Sous l’action des vagues déferlantes, des gouttelettes d’eau de grosse taille sont projetées dans l’atmosphère. Après évaporation de l’eau de mer, les sels marins solides se retrouvent dans l’atmosphère et constituent des aérosols. Au niveau global ce type d’aérosol domine largement et il est à l’origine de la formation des pluies sur les océans. La composition chimique de ce type d’aérosol est proche de celle de l’eau de mer. On retrouve donc essentiellement du chlore et du sodium, mais aussi de grandes quantités de nitrates et de sulfates. Le taux d’émission annuel de l’aérosol marin est d’environ 109 tonnes ce qui représente plus de 42% de la masse totale des aérosols atmosphériques. La nécessité d’introduire un terme source pertinent dans les modèles numériques de nuages et de transport atmosphérique explique l’intérêt que soulève depuis plusieurs années l’étude des processus de génération de l’aérosol produit par le déferlement des vagues. La méthodologie, adoptée pour ce travail, est basée sur l’étude des relations entre le taux de couverture moutonneuse (witecapping) et les paramètres météorologiques couplées à des mesures de surface de déferlement (Piazzola et al., 2002). 1.1 Mode de génération. Deux phénomènes sont à l’origine de la génération des aérosols marins : a. Mode direct : (Ecrêtage) A partir d’une certaine valeur du vent à la surface de la mer (9m/s), les gouttelettes sont arrachées mécaniquement des crêtes des vagues en misant en suspension des grosses particules (spume drops) de diamètre dépassant les 10 µm. A cause de leur taille, ces particules ont une courte durée de vie dans l’atmosphère et retombe à proximité de leur lieu de production. Photographie de l’écrêtage direct des gouttes à partir d’une surface libre. (Photographie par Hoyt and Taylor (1977)) b. Mode indirect : (bubbling) Lors du déferlement des vagues, de l’air est entraîné dans l’eau sous forme de bulles qui peuvent être immergées jusqu’à des profondeurs de plusieurs mètres avant de remonter en surface où elles éclatent, donnant naissance à deux familles de gouttelettes. Eclatement d’une bulle à travers une surface libre. Blanchard (1963) Les Gouttelettes de film : Elles apparaissent à partir de la première phase de l’éclatement de la calotte sphérique de la bulle à l’interface eau-mer. Leur hauteur d’éjection est de 5 à 10 mm. Le diamètre de la bulle mère est compris entre 300 µm et 10mm. Le nombre (Nf) de gouttes de film par bulle de diamètre Db (en mm) est définie par : N f = 5 / 3 D b5 / 3 (Resch et Afeti (1991)) Les Gouttelettes de jet : Dans la seconde phase de l’éclatement de la bulle, le dégonflement de la cavité interne, après la disparition de la cavité sphérique, produit un jet d’eau instable qui se dissocie en un chapelet de gouttelettes qui compte au maximum 10 gouttes par bulle. Ce nombre est d’autant plus faible que la taille de la bulle mère est grande. Blanchard ___________________________________________________________________________________________________ 9ième Congrès de Mécanique, FS Semlalia, Marrakech 196 (1983) relie le nombre de gouttes de jet Nj au diamètre de la bulle « mère » Db par la loi suivante : N j = 7.5 exp(− Db / 3) 1.2 Couche moutonneuse (Whitecap). Une manifestation de l’entrainement de l’air dans l’eau lors du déferlement des vagues est la couverture blanche apparente à la surface appelée communément : la couche moutonneuse. La production des aérosols marins est proportionnelle à la fraction de couche moutonneuse (W%). En effet, le nombre de particules de rayons r produites par m2 de surface, par seconde et pour une incrémentation d’un µm de r est de : dF/dr = Wτ−1dE/dr τ étant un temps constant caractérisant l’amortissement exponentiel de la couche moutonneuse (généralement τ=3.53 s) et dE/dr le nombre de gouttelettes par incrément du rayon produit lors de la phase d’amortissement pour une unité de surface de cette couche moutonneuse (exprimée en m−2µm−1). Il est bien évident que la concentration des aérosols augmente avec la fraction de la couche moutonneuse et en conséquence une meilleure connaissance de cette fraction W est d’une extrême importance pour la détermination des concentrations des aérosols marins. Monahan et al. (1986) avec B = (0.38−logr)/0.650 et r (en µm) le rayon des particules dans un air avec une humidité relative de 80%. Pour ce travail on a adopté, pour le calcul de la fraction moutonneuse, la formulation de J.piazzola (2001) qui prend en considération, outre l’effet du vent, la longueur du fetch correspondant : où CD est le coefficient de traînée, U10 la vitesse du vent à 10m de la surface de la mer et X la longueur du fetch exprimée en mètres. 2. Le modèle MEDEX : Le modèle MEDEX calcule la distribution de taille des particules d’aérosols marins ainsi que le profil d’extinction de 0 à 25 mètres de hauteur en utilisant la loi de Mie. MEDEX a été développé sur la base d’une série de mesures acquises sur l’île de Porquerolles (Toulon-France) entre 2000 et 2001. Durant cette période, une large variété de distribution d’aérosols a été enregistrée sous différentes conditions météorologiques. La distribution des particules est prise comme étant la somme de quatre fonctions log normales dont les modes sont paramétrés en fonction de la vitesse du vent et de la longueur du fetch. 4 A dN ( r ) r = ∑ i exp ( − C i log( )) 2 dr f fr i =1 0i Les résultats de ce modèle ont été comparés à des observations effectuées en mer noire et en mer méditerranée. 3. Le modèle de nuage ExMIX Le modèle 1D½ de nuage EXMIX (EXternally MIXture), est basé sur un concept de suivi pas à pas de l’évolution du spectre des particules d’aérosol (humidification puis formation et croissance des gouttes et cristaux de glace). A cet effet, deux fonctions tridimensionnelles fwat(m, mAP,N ,x) et fice(m, mAP,N,x) sont utilisées, la première pour les particules d’aérosol humides et les gouttes d’eau, la seconde pour les cristaux de glace. Chacune donne le nombre (par unité de volume) d’hydrométéores de masse m, et dont le noyau de condensation-congélation initial (la particule d’aérosol) avait une masse mAP,N. La troisième coordonnée x décrit la composition chimique de l’aérosol. Afin de simuler une situation nuageuse, le modèle considère deux cylindres imbriqués, le premier représentant la zone ascendante du nuage, et le second l’environnement non nuageux subsidant. Les cylindres sont découpés en couches de 100 m de hauteur chacune. L’air atmosphérique est représenté à l’aide de neuf paramètres, supposés homogènes horizontalement dans chacun des cylindres considérés : les trois composantes de la vitesse de l’air, sa masse volumique et sa température, la pression, la quantité de vapeur et les distributions en nombre des particules. La grille des masses utilisée est logarithmique, ce qui permet d’avoir plus de précision pour les petites tailles et de représenter correctement la formation et la croissance rapide des petits cristaux. Différents processus microphysiques de formation et de croissance des particules humides et solides sont pris en considération dans le modèle. 4. Le Couplage MEDEX/ExMIX Dans le cadre de la présente étude, un couplage a été réalisé entre les deux modèles MEDEX et ExMIX selon le schéma suivant : 5. Les Simulations Pour initialiser le modèle ExMIX, il est indispensable de disposer de paramètres thermodynamiques (profils de température et d’humidité) et microphysiques (composition chimique et spectre dimensionnel des aérosols). En ce qui concerne les premiers, on a pris en compte le sondage de température et d’humidité de Miles City à 14h40 (campagne CCOPE 19 juillet 1989). A partir de ce profil thermodynamique de base, on extrait les conditions météorologiques de surface devant servir d’Input au modèle MEDEX. Pour initier la convection dans le modèle ExMIX, un chauffage au sol de 2.3°C est appliqué pendant les 10 premières minutes d’intégration. Pour les simulations, on considère également les particules comme étant un sel d’acide sulfurique (H2SO4), de masse molaire 98g/mol et entièrement soluble ( εs =1 ). Pour la distribution dimensionnelle de départ, on a utilisé deux spectres : • Un continental de 3 modes log-normaux selon la formule de Jaenicke, 1988: ___________________________________________________________________________________________________ 9ième Congrès de Mécanique, FS Semlalia, Marrakech 197 - Spectre maritime : • En adoptant un spectre initial d’aérosols marins, les courants ascendants sont plus prédominants entre les altitudes 4000 et 8000m. le spectre d’aérosols marins à quatre modes lognormaux issu du modèle MEDEX. 6. Les résultats : - Spectre continental : Suite au réchauffement imposé au sol, un courant ascendant se développe permettant l’ascension des particules d’air et la formation des particules nuageuses par condensation. Les courants ascendants atteignent un maximum de 18 m/s établit après 10 minutes d’intégration et à partir d’une altitude de 3500m. Les courants ascendants demeurent assez forts à l’intérieur du nuage (entre 12 et 18m/s). Les courants descendants dans le nuage sont plus courts mais deviennent plus importants près de la surface au-delà de 40 minutes d’intégration. L’eau précipitante apparaît plus tôt (20mn au lieu de 32mn) et à des altitudes plus basses (6600m au lieu de 8200m). Les précipitations atteignent plus rapidement le sol (2200mn au lieu de 2600mn) et la quantité d’eau recueillie est plus importante avec un contenu en eau dépassant 2 g/m3. Evolution temporelle des vitesses verticales (m/s) Après 30 minutes d’intégration, un courant subsident organisé s’installe entre la base du nuage et des altitudes atteignant les 8000m avec un maximum de 6m/s localisé vers la base du nuage. Cette subsidence est liée à la chute des particules précipitantes et se poursuit à partir de 50 minutes au niveau des basses couches matérialisant la pluie qui arrive au sol. La base du nuage se trouve à 3000m d’altitude (MSL) et le sommet atteint 9.7km (MSL) vingt minutes plus tard. 9000 8000 7000 A ltitude (m ) 6000 En conclusion, les simulations conduites mettent en évidence l’importante contribution des aérosols marins dans le processus de formation des précipitations en favorisant un déclenchement précoce du processus de précipitation et un accroissement des quantités de précipitations recueillies au sol. 5000 Bibliographie : Étude d’un nuage convectif de type cumulonimbus avec un modèle de microphysique détaillée (A.Flossman, W.Worbrock, 4000 3000 2000 D.Leroy 2004). A Numerical study of the effects of the aerosol particle 1000 600 1200 1800 2400 3000 3600 Temps (s) Évolution du Contenu en eau en g/m3.L’eau nuageuse (r<40µm) en noir, l’eau précipitante en bleu Les hydrométéores, de taille précipitante, apparaissent 30 minutes après la formation du nuage sous forme de gouttes précipitantes mais à des altitudes assez élevées (8000m). La valeur maximale du contenu en eau liquide nuageuse r<40µm) est estimée à 2 g/m3 et de 1.5g/m3 pour l’eau précipitante. spectrum on the development of the ice phase and precipitation formation (D.leroy, M.Monier, W. Worbrock, A.Flossman 2001). A Sea spray generation function for fetch-limited conditions (J. Piazzola, P. Forget, and S. Despiau. Annales Geophysicae-2002). Vertical distribution of aerosol particles near the air-sea interface in coastal zone (J. Piazzola and S. Despiau. J. Aerosol Sci1997). Performance evaluation of the coastal aerosol extinction code MEDEX with data from the Black Sea (PIAZZOLA J; KALOSHIN G. Journal of aerosol science. 2005). ___________________________________________________________________________________________________ 9ième Congrès de Mécanique, FS Semlalia, Marrakech 198