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— L’autre centre de pouvoir est le Reichstag, la Diète d’empire, parlement commun à tous les territoires dont
les députés sont élus au suffrage universel, direct et secret des hommes de 24 ans et plus. Évidemment,
comme la Prusse est de loin l’État le plus peuplé (plus de deux tiers de la population), c’est elle qui a le poids
le plus lourd dans la députation.
— Enfin, le gouvernement est dirigé par un chancelier confédéral nommé par le président du Bundestag, le
roi de Prusse. Sans surprise, ce poste sera occupé dès sa création par Bismarck. Comme celui-ci reste
également ministre-président de la Prusse, il va de soi que les intérêts de cette dernière seront fort bien
défendus par le nouveau chancelier, d’autant que celui-ci n’est pas responsable devant la chambre, mais
seulement devant le président du Bundesrat...
— De sorte que sous les apparences, et tout en ayant en effet une certaine structure parlementaire, s’impose la
tradition prussienne d’un état fort, centralisé, dominé par l’exécutif et laissant des pouvoirs réduits (dont
certain sont importants — elles votent le budget) aux institutions parlementaires.
— En ce qui concerne la répartition des pouvoirs, le roi de Prusse, en tant que président du Bundestag, est
maître de la diplomatie et dispose du droit de convoquer et dissoudre le Reichstag et d’ajourner les travaux du
Bundesrat, en plus d’être chef d’une armée fédérale formée par 1 % de la population.
— Les autres institutions confédérales sont chargées conjointement de responsabilités importantes, comme le
droit migratoire, les douanes, les transports, les postes. Mais les États membres et leurs institutions politiques
(la constitution confédérale laisse aux membres le soin de définir l’organisation de celles-ci, qui sont alors
plus ou moins pluralistes, selon les cas, plus libérales à l’ouest, plus autoritaires à l’est) détiennent des
compétences importantes, dont l’éducation, la culture et une politique fiscale autonome.
— Donc, la Prusse domine, mais elle n’écrase pas : l’intelligent Bismarck a tenu compte dans son travail des
réalités allemandes, de cette « diversité dans l’unité » si caractéristique de l’histoire allemande et du désir des
États allemands et de leurs populations de rester eux-mêmes tout en étant enfin réunis. Adoptée le 16 avril
1867, la constitution permet la mise en place et le début des travaux des institutions prévues.
— Mais l’Allemagne demeure incomplète et si Bismarck ne veut rien entendre de l’Autriche, le reste de
l’Allemagne du Sud devra rejoindre la Confédération pour achever l’œuvre.
— Le traité de 1866 avait prévu la formation d’une confédération de l’Allemagne du Sud, mais aux yeux de
Bismarck, ce n’était qu’une concession tactique faite aux puissances européennes qui observaient avec
inquiétude la formation d’un État appelé à dominer le continent, d’autant que l’Autriche aux prises avec sa
propre crise ne pouvant pas piloter le projet, celui-ci n’avait aucune chance d’aboutir.
— Rien n’illustre mieux le machiavélisme de Bismarck que la politique qu’il suit entre 1867 et 1870 pour
rallier à son projet le reste des États allemands : alors qu’il avait suggéré à Napoléon III des possibilités
d’annexion de territoires à l’ouest en compensation de sa neutralité dans le conflit avec l’Autriche, il utilise
cette menace (qu’il a lui-même créée!) pour obtenir des alliances secrètes contre Paris avec les États encore
indépendants de l’ouest et du sud...
— De même, cette pression diplomatique est assortie d’une pression économique, alors que le Zollverein
s’étend à ces territoires. Grâce au développement d’institutions centrales exécutives qui lui sont propres
(Conseil fédéral et parlement), le Zollverein s’étend désormais à tous les territoires qui deviendront
l’Allemagne, à l’exception de Hambourg et de Brême, qui sont des villes franches.
— Encore une fois, l’unification administrative et économique pavera la voie à l’unification politique. Les
résistances demeurent cependant fortes et nombreuses (surtout chez les catholiques et les libéraux de Bavière
eu du Wurtemberg) et il faudra ici aussi une occasion à Bismarck pour franchir le pas.
— Cette occasion viendra de France, car après l’affaire du Luxembourg (Paris ayant tenté de racheter au roi
des Pays-Bas ce duché germanophone), l’opinion allemande est à nouveau très remontée contre
l’impérialisme français, l’opinion française ne l’étant d’ailleurs pas moins face au révisionnisme prussien. La
tension étant grande entre les deux pays, la crise espagnole fera le reste.
— Le trône d’Espagne étant vacant depuis que la reine Isabelle II en a été chassée en 1868, Bismarck propose
la candidature d’un membre de la dynastie des Hohenzollern pour lui succéder, faisant renaitre en France la
hantise de l’encerclement de l’époque de Charles Quint.
— Le candidat pressenti fit lui même savoir son manque d’intérêt pour le trône, mais la France exigea du roi
de Prusse un engagement formel, que celui-ci se refusa poliment à donner. Voyant enfin l’occasion, Bismarck
fit modifier le texte de la dépêche du roi (sans en changer les termes) de façon à rendre celle-ci provocante et