La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. II - juin 1998 117
La réduction de la fluence verbale catégorielle
La réduction de la capacité à générer des mots d’une catégorie
sémantique particulière, telle que les animaux, ou fluence caté-
gorielle, contraste avec une meilleure capacité à générer des
mots selon un indice formel comme les mots commençant par
une lettre donnée.
En 1992, Hodges et coll. décrivent les caractéristiques neuro-
psychologiques de ce syndrome de la façon suivante :
• atteinte sélective de la mémoire sémantique avec anomie sévè-
re, trouble de la compréhension du mot écrit et parlé et réduc-
tion de la fluence catégorielle ;
• appauvrissement des connaissances générales ;
• pas de trouble syntaxique ni phonologique ; préservation de la
compréhension dans le langage conversationnel ;
• capacités perceptives et de raisonnement non-verbal intactes ;
• mémoire épisodique peu touchée ;
• dyslexie de surface.
CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES ET PARACLINIQUES
Il s’agit d’un trouble rare. Moins de trente cas ont été décrits
dans la littérature. Les troubles, d’installation insidieuse et d’ag-
gravation progressive, débutent souvent entre 50 et 65 ans (en
moyenne 58 ans avec des extrêmes de 39 à 71 ans). Des antécé-
dents d’un trouble similaire chez un membre de la famille
proche ont été rapportés dans à peu près 20 % des cas. Il n’exis-
te pas de prédominance nette en ce qui concerne le sexe.
L’évolution de la maladie, comme dans toutes les atteintes avec
un trouble neuropsychologique progressif est d’aggravation len-
tement progressive et des cas évoluant de 5 à 11 ans ont été rap-
portés. Les troubles de la mémoire sémantique restent isolés
pendant plusieurs années et les patients continuent à gérer leur
vie de façon tout à fait autonome. L’aggravation des troubles
entraîne un handicap majeur. Progressivement, les patients ne
sauront plus identifier les choses et ils ne reconnaîtront plus les
personnes ni les lieux ; à ce stade, il s’agit d’une agnosie des
objets, des personnes et des lieux. Plus tard, s’ajoutent des
troubles de la personnalité et du comportement, et plusieurs cas
rapportés dans la littérature ont développé un syndrome de
Kluever et Bucy avant de présenter un état démentiel terminal.
Pendant les premières années de la maladie, l’imagerie cérébra-
le par scanner X ou imagerie en résonance magnétique (IRM)
ne montre que des altérations subtiles qu’il faut soigneusement
rechercher : une atrophie des structures temporales antéro-infé-
rieures, souvent à nette prédominance gauche (figure 2) avec
préservation des structures temporales médianes. Comme cela
est toujours le cas dans un contexte de troubles neuropsycholo-
giques progressifs, l’examen en imagerie fonctionnelle par
SPECT-scan (tomographie par émission de photons) ou par
PET-scan (tomographie par émission de positrons) prend une
place importante, car il décèle un hypodébit dans les zones
impliquées dans le processus dégénératif.
Dans le cas de la démence sémantique, on retrouve un hypodé-
bit temporal antérieur et parfois temporo-frontal à prédominance
gauche (figure 3, p. 118). L’électroencéphalogramme ne contri-
bue pas au diagnostic, mais montre souvent des ondes fronto-
temporales lentes à prédominance gauche. Le diagnostic de la
maladie ne peut bien sûr être déterminé du vivant du malade.
Cependant, l’examen neuropathologique, réalisé chez six des
patients rapportés dans la littérature, montre des lésions neuro-
pathologiques actuellement qualifiées de lésions “non-spéci-
fiques” (perte neuronale, gliose, spongiose laminaire) dans trois
cas et des lésions caractéristiques de la maladie de Pick dans les
autres cas.
COMMENTAIRES
Une des caractéristiques essentielles de ce tableau est l’existen-
ce d’une atteinte sévère de la mémoire sémantique en l’absence
d’une atteinte évidente de la mémoire épisodique.
Contrairement à ce que l’on observe dans le syndrome amné-
sique, les patients sont capables d’enregistrer les épisodes de
leur vie alors qu’ils ne peuvent plus évoquer les savoirs sur le
monde. L’étude des lésions responsables soit du syndrome
amnésique (structures temporales internes), soit des troubles
sémantiques progressifs (cortex de la convexité temporale anté-
rieure), soit de l’association des deux types de troubles, devrait
permettre de préciser les structures cérébrales indispensables à
l’évocation des connaissances.
L’analyse des troubles montre clairement que l’atteinte fonc-
tionnelle se situe au niveau des connaissances sémantiques et
que les symptômes — manque du mot, troubles de compréhen-
sion du mot, dyslexie et réduction de la fluence catégorielle —,
Figure 2. IRM cérébrale en coupes sagittales pondérées en T1 de l’hé-
misphère droit (à gauche) et de l’hémisphère gauche (à droite). On
observe une atrophie temporale bilatérale à prédominance gauche.