CREDECO - LATAPSES - IDEFI 250, rue A. Einstein - Sophia Antipolis 06560 Valbonne - FRANCE L’application du principe de précaution à la résolution des différends commerciaux liés à la sécurité sanitaire des aliments (Rapport final) Laurence BOY° Christophe CHARLIER* Michel RAINELLI* Recherche ayant bénéficié d’une aide du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Direction des Politiques Economique et Internationale (Référence MAP 00.D1.01.01) Le contenu du présent document n’engage que la responsabilité de ses auteurs ° * CREDECO-IDEFI, UMR 6043 CNRS/INRA, Université de Nice Sophia-Antipolis LATAPSES-IDEFI, UMR 6564 CNRS, Université de Nice Sophia-Antipolis L’analyse de l’application du principe de précaution à la résolution des différends commerciaux liés à la sécurité alimentaire des aliments est un sujet qui trouve ses racines dans le différend devant l’OMC qui a opposé les Etats-Unis à l’Union Européenne sur le « bœuf aux hormones ». La condamnation de la réglementation mise en place par les Communautés européennes aurait pu conduire l’UE à opérer un recul sur le principe de précaution, invoqué de manière un peu hasardeuse dans ce différend, sans référence explicite à l’accord SPS pour fonder l’interdiction des activateurs de croissance. Ce n’est pas la voie qui a été choisie, au contraire : les Communautés européennes ont affirmé leur choix en faveur d’une application du principe, en refusant de donner suite à la condamnation par l’OMC de la réglementation européenne, mais aussi en développant une action dans différentes instances internationales pour tenter de faire reconnaître la portée du principe. L’étape essentielle de cette stratégie est la Communication de la Commission européenne sur le principe de précaution de février 2000. Il s’agit en effet d’un texte fondateur qui, pour la première fois, tente de définir le contexte et les modalités d’application du principe. Ce texte a inspiré, notamment, l’action entreprise devant le Codex alimentarius pour tenter d’introduire la référence au principe de précaution dans l’Analyse des risques, lors des deux dernières sessions. A cette occasion, les oppositions des Etats-Unis et d’autres nations ont permis de mettre en évidence la nature des débats entre des pouvoirs publics « précautionneux » et « science based ». C’est pourquoi, dans un premier temps, le rapport revient sur la Communication et les débats qu’elle a inspirés. L’UE a continué sa politique d’application du principe de précaution, avec le Directive de mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’Organismes Génétiquement Modifiés dans l’environnement. Le domaine d’application est beaucoup plus large que celui visé par le cas du bœuf aux hormones, puisque sont concernées ici des questions liées à des modalités de production, mais aussi à l’étiquetage des produits. Les références au principe de précaution sont nombreuses dans ce texte qui fait l’objet du deuxième texte du rapport. Enfin, l’UE a cherché à nouer un dialogue avec les Etats-Unis dans un forum consultatif ayant fait l’objet d’un rapport en décembre 2000. Le lancement de ce forum consultatif s’est fait d’un commun accord entre le Président Prodi de la Commission européenne et l’ancien Président des Etats-Unis, B. Clinton. Il s’agissait d’un groupe d’experts indépendants représentants divers points de vue des deux côtés de l’Atlantique et associant des scientificiques, des juristes, des représentants des consommateurs, des spécialistes en éthique, de agriculteurs, des défenseurs de l’environnement et des industriels. Sa mission était relativement large, mais il a décidé de mettre l’accent sur l’usage des biotechnologies en matière agricole et plus spécifiquement en matière végétale. Ce rapport traduit un consensus sur de nombreux points qui s’illustrent dans une série de recommandations qui traduisent au sein de cette institution une volonté de poser, si ce n’est des règles, du moins des guides d’action. Il est analysé dans le troisième texte du rapport. 2 La Communication de la Commission Européenne sur le principe de précaution : contribution à un débat Laurence BOY - Christophe CHARLIER - Michel RAINELLI Le principe de précaution doit continuer et continuera d'inspirer les positions de l'Europe en matière environnementale et sanitaire ; tel est le message principal qu'a envoyé la Commission européenne (Commission par la suite) à ses partenaires dans sa Communication sur le recours au principe de précaution de février 2000 (Communication par la suite). Même si les communications de la Commission ne sont pas en principe des actes normatifs 1, elles contribuent largement à l’interprétation du droit communautaire et en précisent le contenu. Elles méritent de ce fait une grande attention. Cette communication a d'autre part été présentée dans les travaux du Codex alimentarius (Codex par la suite) lors de la 15ième session du Comité sur les principes généraux. Elle a suscité dans ce cadre un commentaire écrit américain auquel ont répondu les Communautés Européennes. Le fait est important car les normes du Codex ont aujourd'hui une importance décisive. L'accord SPS leur reconnaît en effet le statut de référence et les Etats qui s'y conforment sont ainsi présumés satisfaire aux règles de l'OMC (en matière sanitaire et phytosanitaire) sur la libre circulation des marchandises. La définition du contenu des normes du Codex a dès lors une importance essentielle dans l'appréciation d'une sécurité alimentaire qui ne pourrait être utilisée à des fins protectionnistes. La réaction américaine à la Communication était attendue et se comprend pleinement dans ce cadre. La Communication s'inscrit en effet largement dans les suites du différend commercial opposant les Communautés Européennes aux Etats-Unis et au Canada sur le bœuf élevé aux hormones et à l'interprétation du principe de précaution qui y fut faite par l'Organe d'Appel de l'OMC (O.A. par la suite). L'enjeu en termes économiques est important car le débat ainsi initié, sous couvert de l'harmonisation des normes2, touche le repérage d'un certain type de protectionnisme. La Communication entend ainsi de façon dynamique "donner une impulsion au débat en cours sur le principe de précaution à la fois au sein de la communauté et au niveau international"3. Devant les condamnations de l’OMC dont elle a été victime, notamment dans l’affaire du bœuf aux hormones, l’Union européenne a décidé non pas d’avoir une attitude frileuse de repli mais une attitude permettant de contribuer à alimenter la réflexion en cours. Afin d’éviter tout recours injustifié au principe de précaution qui pourrait être utilisé dans certains cas pour justifier un protectionnisme déguisé4, la Commission a voulu dans cette communication élaborer des lignes directrices internationales utiles à cette fin. Son objectif est d’inscrire dans le corpus de référence de l’OMC, le principe de précaution de sorte qu’en respectant au niveau international les accords de l'OMC, elle ne puisse être accusée de violer lesdits accords, qui devraient s’enrichir de la lecture nouvelle du principe de précaution. Dans la Communication, la Commission entend rappeler les acquis en la matière, fruits du différend sur le bœuf aux hormones. Les caractéristiques qu'elle pourra attribuer à la procédure d'évaluation des risques, ou encore à la forme de la mise en œuvre du principe de précaution, pour ne prendre que deux exemples, seront largement inspirées des propositions du rapport de l'O.A. dans le précédent différend. La Commission élabore d'autre part des propositions nouvelles qui devraient susciter la discussion à même de les préciser. En proposant par exemple de considérer le principe de précaution dans le cadre d'une approche 1 Il n’en résulte ni droit ni obligation pour les Etats ou pour les autres sujets de droit. Cf. J. N. BHAGWATI, R. E. HUDEC [1997]. 3 Point 2 du résumé de la Communication. 4 Ce dont elle a été accusée dans l'affaire du bœuf aux hormones. 2 3 structurée de l'analyse du risque fondée sur l'évaluation du risque, la gestion du risque et la communication du risque, elle avance des distinctions subtiles qu'il convient de préciser pour en saisir la portée. La première section expose les éléments que la Commission considère comme acquis suite au différend commercial sur le bœuf aux hormones. Les points avancés par la Commission qui constituent de véritables propositions dans la mesure où ils ne trouvent pas de réponse dans le différend précédent sont analysés dans la seconde section. I - Les certitudes rappelées par la Communication sur le recours au principe de précaution de la Commission Européenne. Les acquis signalés par la Commission vis-à-vis de la reconnaissance et de la mise en œuvre du principe de précaution sont nombreux et méritent d’être tout particulièrement soulignés au regard des polémiques qui entourent le principe de précaution. La Commission affirme avec force la valeur juridique du principe (1.1.) et s’interroge sur le facteur déclenchant de celui-ci (1.2.). Enfin, elle rappelle les caractéristiques de l'évaluation des risques servant la précaution décrites par l'O.A. dans le différend sur le bœuf aux hormones (1.3.). A - La valeur juridique du principe. La première affirmation essentielle qui ressort de cette communication est celle de la valeur juridique du principe de précaution. Alors que des voix s’élèvent encore de nos jours pour affirmer que la précaution n’a aucune valeur juridique, la Commission s’appuie sur une série d’arguments très sérieux pour réfuter cette dernière analyse. La thèse selon laquelle le principe de précaution est une règle de droit d’application directe est nettement consacrée en Europe et l’on peut penser que la Communication traduit sa volonté de voir reconnaître cette dernière au niveau international après la décision de l’ORD dans l’affaire qui opposait l’Union européenne au Canada et aux Etats-Unis. En effet, l'O.A. a refusé de se prononcer sur le sens et la valeur juridique du principe. Tout en reconnaissant la consolidation progressive du principe en droit international1, la Commission affirme qu’il s’agit d’un "véritable principe de droit international de portée générale"2. Ces deux points méritent d’être relevés. 1 - Le champ du principe de précaution Apparu en droit de l’environnement, le principe de précaution est considéré par les instances européennes comme ayant un champ d’application plus vaste. Il concerne notamment la santé humaine et animale et donc toutes les questions touchant à l’agroalimentaire. Comme le rappelle la Commission3, il est apparu formellement en droit dans la déclaration finale de la conférence de Stockholm avant d’entrer dans le droit positif communautaire avec l’article 130 R du Traité de l’Union européenne ; il est à nouveau énoncé sur un plan général dans la Déclaration de Rio, dont il constitue le “ Principe 15 ”. Ce principe n°15 est repris en termes similaires dans le préambule de la convention sur la diversité biologique (1992) et dans l’article 3 de la convention sur les changements climatiques (1992). Le principe de précaution devrait donc être appelé à connaître un essor spectaculaire partout où la prise de décision et la pesée des intérêts sont étroitement liées aux incertitudes scientifiques. C’est ainsi que l’entend d’ailleurs la Commission en précisant sa politique en matière de précaution dans la Communication. Selon cette dernière, "le principe de précaution n’est pas défini dans le Traité, qui ne le prescrit qu’une seule fois – pour protéger 1 Point 4 de la Communication. Ibid. 3 Annexe II. 2 4 l’environnement. Mais, dans la pratique, son champ d’application est beaucoup plus vaste, plus particulièrement lorsqu’une évaluation scientifique objective et préliminaire indique qu’il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau élevé de protection choisi pour la communauté"1. Dans sa communication, la Commission rappelle d'autre part que bien que l’expression ‘principe de précaution’ ne figure pas explicitement dans l’accord de l’OMC sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (accord SPS par la suite), le rapport de l'O.A. sur des mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones) (AB-19974, § 124) affirme que ce principe est pris en compte à l’article 5:7 de l’accord. En effet, si la règle générale est de fonder toute mesure sanitaire ou phytosanitaire sur des principes scientifiques et de ne pas les maintenir sans preuves scientifiques suffisantes, une dérogation à ces principes est prévue à l’article 5:7.2 La précaution se trouve ainsi aujourd’hui au cœur des préoccupations scientifiques, économiques et sociales non seulement dans le domaine de l’environnement mais dans celui de la santé et de l’agroalimentaire3. C’est même dans ce domaine crucial du point de vue économique que le principe suscite et risque de susciter les débats les plus vifs. Plus essentielle car plus controversée, nous paraît l’affirmation par la Commission de la valeur juridique du principe de précaution. 2 - La nature juridique du principe de précaution Cette question renvoie à la délicate controverse sur la "juridicité". La Commission, se livre dans sa Communication à une analyse très fine de cette dernière et qui vient corroborer celles de nombreux juristes. "En vue de donner une image plus complète du recours au principe de précaution dans l’Union européenne, il importe d’examiner les textes législatifs, la jurisprudence développée par la Cour de Justice ou le Tribunal de Première Instance et les orientations politiques dégagées"4 "To understand fully the use of the precautionary principle in the European Union, it is necessary to examine the legislative texts, the case law of the Court of Justice and the Court of First Instance, and the policy approaches that have emerged". Elle rappelle à cet égard le rôle définitif du juge dans la création du droit. "A l’instar d’autres notions générales contenues dans la législation, telles que la subsidiarité ou la proportionnalité, il appartient aux décideurs politiques, et en dernier ressort aux instances juridictionnelles de préciser les contours de ce principe. En d’autres termes, la portée du principe de précaution est aussi liée à l’évolution jurisprudentielle, qui, d’une certaine manière, est influencée par les valeurs sociales et politiques prévalant dans une société"5 "Like other general notions contained in the legislation, such as susidiarity or proportionality, it is for the decision-makers and ultimately the court to flesh out the principle. In other words, 1 Point 3 du résumé de la Communication. L'article 5:7 stipule que "In cases where relevant scientific evidence is insufficient, a Member may provisionally adopt sanitary or phytosanitary measures on the basis of available pertinent information, including that from the relevant international organizations as well as from sanitary or phytosanitary measures applied by other Members. In such circumstances, Members shall seek to obtain the additional information necessary for a more objective assessment of risk and review the sanitary or phytosanitary measure accordingly within a reasonable period of time." 3 Point 3 de la Communication. On citera pour preuve de cette extension du principe de précaution à la santé et à l’agroalimentaire la tenue du Comité des principes généraux du Codex alimentarius du 10 au 14 avril 2000 à Paris ainsi que l’atelier organisé par l’OMC en juin 2000 sur les mesures relatives à la sécurité des produits alimentaires. 4 Point 3 de la Communication. 5 Point 3 de la Communication. 2 5 the scope of the precautionary principle also depends on trends in case law, which to somme degree are influenced by prevailing social and political values". La Commission prend soin de préciser à cet égard que le contrôle juridictionnel de plus en plus étroit du principe de précaution permet d’écarter tout reproche d’insécurité juridique. Elle rappelle ainsi plusieurs décisions de jurisprudence communautaire qui se sont expressément fondées sur le principe de précaution. La première est relative à la décision de la Commission interdisant l’exportation de bœuf du Royaume Uni pour limiter le risque de transmission de l’ESB1. Les deux autres décisions européennes sont un arrêt du Tribunal de première instance2 relatif à la protection des consommateurs et l’ordonnance du 30 juin 1999.3 Ces décisions nous semblent fondamentales en ce qu’elles mettent l’accent sur le critère de la juridicité. Il importe en effet de noter, ce que ne manque pas de faire la Commission, que pour les juristes, c’est l’éventualité du recours au juge ou à l’arbitre qui permet d’affirmer que telle norme de fait est en même temps une norme juridique ou ne l’est pas4. C’est ainsi qu’un principe peut être considéré comme purement moral et politique ou, au contraire, être juridicisé par le juge qui acceptera de le “ sanctionner ”, au sens de sanction substantielle (la sanction d’un examen, par exemple, que le candidat ait échoué ou réussi). La recherche de la juridicité du principe de précaution s’attache donc à dévoiler la façon dont la “ règle de droit ” se saisit des incertitudes scientifiques pour lui donner un énoncé spécifique en droit afin de proposer un modèle d’action aux acteurs, l’anticipation, en quelque sorte, d’un modèle souhaitable. Elle postule le rappel du critère du concept de norme en droit, spécialement à travers sa réalisation concrète par l’intervention du juge. La norme est avant tout un instrument de mesure des comportements et implique la reconnaissance, faite de longue date par les droits anglo-saxons, du pouvoir créateur du juge. De la même façon, les juges consacrent peu à peu la juridicité de la précaution. La Commission et la Cour de justice, inspirées de la même vision réaliste du système juridique affirment ainsi que "la pratique acquise lors du recours au principe de précaution par les instances communautaires et le contrôle juridictionnel permettent, en effet, de donner une portée de plus en plus précise à la notion du principe de précaution"5. La Commission reconnaît cependant que le principe de précaution paraît encore recevoir une intensité juridique variable en fonction de l’ordre juridique dans lequel il intervient : national, communautaire ou international. A titre d'exemple, même si elles sont ambiguës, les décisions rendues par l'O.A. de l’Organisation mondiale du commerce le 16 janvier 1998 dans l’affaire de la viande aux hormones témoignent du caractère juridique du principe de précaution. En effet, même si les auteurs du rapport affirment ne pas vouloir prendre position sur l’abstraite question de savoir si le principe de précaution constitue ou non une règle coutumière du droit international6, ils concèdent que le principe de précaution ne dispense pas en lui-même, sans texte précis, le panel de son devoir d’application des principes normaux régulant l’interprétation du Traité au regard des dispositions de l’Accord SPS. La Communication semble traduire précisément la volonté de la Commission de procéder à des ajustements du principe pour lui permettre une véritable reconnaissance par l’OMC comme principe général du droit international. 7 1 Judgement of 5 May 1998, cases C-157/96 and C-180/96. Judgement of 16 July 1998, case T-1999/96. 3 Case T-70/99. 4 "Il appartient … en dernier ressort aux instances juridictionnelles de préciser les contours de ce principe". 5 Point 4 de la Communication et annexe I. 6 C’était la position de l’Union européenne. 7 Voir notre section 2. 2 6 Fondée principalement sur la question méthodologique de l’appréhension et de la gestion des risques, la Communication se prononce naturellement sur les "facteurs déclenchant" du principe de précaution comme le nomme la Commission. 3 - Le facteur déclenchant. L’une des interrogations majeures à laquelle tous les décideurs sont confrontés réside dans le point de savoir quel est le critère qui doit déclencher la mise en œuvre du principe de précaution. Si l’on veut que la précaution ne soit pas invoquée de façon paralysante face aux avancées scientifiques et technologiques porteuses de progrès, il faut incontestablement fonder son déclenchement sur le doute scientifique afin d’éviter l’abus du principe de précaution qui pourrait sans cela aboutir à des entraves injustifiables aux échanges1. Toutefois, la prise en compte de valeurs sociales à côté des données scientifiques est soulignée dans la Communication : "Le choix de la réponse à donner face à une certaine situation résulte dés lors d’une décision éminemment politique, fonction du niveau de risque ‘acceptable’ par la société devant supporter ce risque".2 Il semble d'autre part que la prise en considération des opinions scientifiques minoritaires, dès lors qu’elles paraissent sérieuses, permet le déclenchement du principe de précaution. La Commission précise, en effet dans la Communication que : "Lorsque c’est possible, il conviendrait de rédiger un rapport qui contient l’évaluation des connaissances existantes et des informations disponibles, en présentant les points de vue des scientifiques (souligné par nous) sur la fiabilité de l’évaluation ainsi que sur les incertitudes restantes". 3 La prise en compte du principe de précaution apparaît ainsi nécessaire dans deux cas de figure qui peuvent ou non se cumuler : d’une part lorsque la procédure d’analyse des risques révèle l’existence de faits objectifs qui viennent étayer l’hypothèse théorique du risque, d’autre part, lorsque des faits sociaux, qui ne sont pas moins objectifs que les faits scientifiques, révèlent une inquiétude, voire une panique, à laquelle il n’est possible de répondre que par la formalisation du débat. La Communication met enfin l'accent, au-delà du statut juridique proprement dit du principe, sur les propriétés de l'évaluation des risques, telle que spécifiée par l'O.A. dans le différend sur le bœuf aux hormones, reconnaissant la philosophie de la précaution. B - Les acquis en matière d'évaluation des risques Dans le cadre du différend sur le bœuf aux hormones, l'O.A. a pu préciser que le principe de précaution n'épargnait pas l'Etat Membre de l'OMC qui l'invoque, afin de justifier des mesures sanitaires plus restrictives que les recommandations internationales, de se livrer à une évaluation des risques. Le rapport de l'O.A. fait apparaître cependant que certaines caractéristiques de l'évaluation des risques servent la philosophie de la précaution sans en mentionner le principe. C'est le cas notamment lorsque la possibilité de reconnaître des avis scientifiques marginaux dans l’évaluation des risques est explicitement mentionnée dans le jugement. Cette caractéristique apparaît encore lorsqu'il est précisé qu'à travers l'évaluation des risques, ce qui doit être fourni est une justification suffisante de la mesure sanitaire et non forcément une évaluation quantitative du risque débouchant sur la définition d'une probabilité de dommage. Ces caractéristiques de la procédure d'évaluation des risques sont réaffirmées par la Commission dans sa communication.4 La Communication revient aussi amplement sur la règle selon laquelle chaque Etat membre de l'OMC dispose du droit autonome de déterminer le niveau de protection de 1 Point 5 de la Communication. Point 5.2.1. de la Communication. 3 Point 5.1.2 de la Communication. 4 Point 6.2 p. 17 et Annexe III. 2 7 l'environnement et de santé publique qu'il juge approprié. Elle reprend ici la position de l'O.A. en soulignant que si le niveau de protection est plus élevé que celui fondé sur les recommandations internationales, une évaluation des risques venant étayer la décision est nécessaire pour que celle-ci ne puisse pas être considérée comme une pratique protectionniste. Elle rappelle alors la dimension "qualitative" qui a été donnée à la procédure d'évaluation des risques1 (la nécessité de donner une grandeur minimale au risque n'est pas retenue) et la justifie par les situations de "risques potentiels" auxquels elle est confrontée (risque dont l'existence est avancée sans que la mesure exacte n'en soit possible étant donné les connaissances scientifiques du moment). Cette référence à des situations où le risque ne peut être "entièrement démontré", ni son "ampleur quantifiée" rattache ainsi l'évaluation des risques au principe de précaution. Les deux concepts sont ainsi bien distingués dans l'esprit de la Commission et posés comme complémentaires. La Communication clôt ainsi de façon incontestable un certain nombre de débats. C'est en poussant plus loin le positionnement du principe de précaution par rapport à l'évaluation des risques que la Communication va alimenter le débat sur la prise en compte du principe de précaution dans le jugement du caractère protectionniste de certaines réglementations sanitaires et environnementales. Elle suggère ainsi d’utiles pistes de recherche pour une consolidation de la mise en œuvre du principe de précaution. II - Les constructions à opérer. A côté de la réaffirmation de la valeur juridique du principe et des éléments du rapport de l'O.A. servant la philosophie de la précaution, la Commission dans sa communication réactive le débat sur la prise en compte du principe de précaution dans un différend commercial international en prenant garde, là-encore, de tirer les leçons du passé. Les positions qu'elle avance ainsi devront toutefois être défendues à l'avenir puisqu'elles constituent véritablement une interprétation de la mise en œuvre du principe de précaution. De ce point de vue, toutes ces propositions n'ont pas le même statut, certaines étant plus proches de l'accord SPS (et donc plus faciles à défendre) que d'autres. La Commission montre ainsi comment la mise en œuvre du principe de précaution contraignant le commerce international peut être envisagée à l'aune de l'article 5:7 de l'accord SPS (2.1). Elle clarifie les relations entre l'évaluation des risques et le principe de précaution (2.2). Enfin, dans une perspective plus large, elle énonce les principes d'une "bonne gestion des risques" conçue pour maintenir l'équilibre entre les motivations qui peuvent être divergentes de promotion du commerce international et de protection de la vie et de la santé (2.3). A - La mise en œuvre du principe de précaution dans le cadre de l'article 5:7 de l'accord SPS La Commission en tirant les leçons du différend sur le bœuf aux hormones propose d'envisager la mise en œuvre du principe de précaution dans le cadre de l'article 5:7 de l'accord SPS. Le débat sur le principe de précaution dans le différend sur le bœuf aux hormones a mis en lumière l'article 5:7 de cet accord qui n'avait pourtant pas été invoqué par les Communautés européennes. Deux points dans le jugement de l'O.A. de ce différend sont particulièrement importants. Il est tout d'abord précisé que le principe de précaution est considéré dans l'article 5:7 de l'accord SPS sans que cet article n'épuise tout le sens du principe. L'O.A. indique ensuite que l'article 5:7 ne l'emporte pas sur les articles 2 et 5:1 du même accord recommandant que toute mesure sanitaire restrictive pour le commerce international soit basée sur une évaluation des risques. La première leçon tirée par la Commission dans sa communication a ainsi été d'envisager la mise en œuvre du principe de 1 Annexe III. 8 précaution dans le cadre de l'accord SPS et non en dehors. La seconde leçon sera de lier cette mise en œuvre avec la question de l'évaluation des risques et d'éviter ainsi de les considérer comme deux voies alternatives. La Communication reprend l'article 5:7 selon lequel des mesures sanitaires et phytosanitaires plus contraignantes que celles du Codex peuvent être décidées en cas d'incertitude scientifique (première partie de l'article), de manière à laisser au décideur le temps de mener les recherches scientifiques nécessaires pour résorber l'incertitude en question (deuxième partie de l'article). Le type de mesures provisoires auxquelles renvoie cet article peut constituer l’un des modes de déclinaison du principe de précaution. Celui-ci n’oblige pas seulement, en effet, à s’abstenir en situation d’incertitude ; il commande aussi et surtout de prendre le temps nécessaire à la production de connaissances et à la conduite du débat social. Si la précaution peut conduire à un moratoire, ce n’est pas à un moratoire passif mais à un moratoire actif pendant lequel la production de données scientifiques devient fondamentale. La Commission fait ainsi une proposition de mise en œuvre du principe de précaution qui semble tirée d’une lecture plus large que de la seule décision relative à la viande aux hormones. A l'appui de cette idée, on peut faire le constat suivant : dans le différend sur le bœuf aux hormones, l'article 5:7 est lu d'une manière particulière. Pour le comprendre il est nécessaire de bien distinguer les deux parties de l'énoncé de cet article. La dimension dynamique de la production impérative de connaissances n'apparaît que dans la deuxième partie. Or dans le différend sur le bœuf aux hormones, les vertus précautionneuses de l'article sont reconnues en avançant la première partie. En effet, tout le débat sur la question de savoir si "l'article 5:7 l'emporte sur les articles 5:1 et 2" tournera dans ce différend autour de cette première phrase faisant valoir le contexte de "preuves scientifiques insuffisantes". L'idée de la nécessaire production de connaissances en parallèle à la mesure sanitaire restrictive dans un délai raisonnable n'est pas envisagée. Il n'est alors par surprenant que pour définir ce qu'est un "délai raisonnable" (qui apparaît dans la deuxième phrase), la Commission dans sa communication (Annexe II de la Communication) ne renvoie pas au différend sur le bœuf aux hormones (puisqu'il n'y a rien en la matière), mais au rapport de l'O.A. sur le "Japon – Mesures visant les produits agricoles". Les conclusions que l'on peut tirer de cette position de la Commission sont les suivantes. Tout d'abord, l'exercice de la précaution ne doit pas être compris comme définitif mais se trouve conditionné par l'évolution des connaissances dans des situations où les données scientifiques sont insuffisantes. Ensuite, la mise en œuvre du principe de précaution n'est en aucun cas une alternative à l'évaluation des risques. Elle n'est qu'une mesure complémentaire à cette dernière et permet de donner le temps d'exister à celle-ci sans que cela se fasse au détriment de la vie et de la santé. Enfin, le caractère provisoire de la précaution n'apparaît donc pas comme une question de délai temporel, mais a trait à la production de connaissances. Avec une telle conception, une mesure de précaution ne devrait donc pas être considérée comme une barrière pour le commerce international tant que l'Etat qui la met en œuvre est capable de démontrer qu'en parallèle il investit des ressources dans une recherche scientifique adéquate. La définition du "délai raisonnable" devient ainsi un point particulièrement sensible et il n'est pas surprenant dès lors qu'elle ait été inscrite à l'ordre du jour de la seizième session du Comité du Codex sur les Principes Généraux d'avril 2001. 1 L’intervention préliminaire du Ministre français de l’Agriculture lors de cette session a mis l’accent sur ce principe et « la nécessité de mettre en place un cadre précis et transparent 1 Cf. Point 3)a de Provisional Agenda for the 16th Session of the Codex Committee on General Principles. 9 pour son application aux niveaux national et international » (par. 1)1, conformément à la position de la Commission européenne. Cependant, la réunion, qui n’a pas débouché sur un accord, a permis à la fois d’éclairer certains points mais, surtout, de mettre en évidence les oppositions. A la suite d’une intervention canadienne, le représentant de l’OMC à cette réunion a précisé que « Toute déclaration figurant dans un texte du Codex concernant l'utilisation souhaitée de ce texte serait prise en considération dans le cas d'un différend avec l'OMC. » (par. 19). Cette position confirme la stratégie de la Commission européenne : si le principe de précaution pouvait être introduit dans le Codex, il s’appliquerait ipso facto à l’OMC. Les débats ont porté sur « L’avant-projet de principes de travail pour l’analyse des risques » et trois paragraphes qui pourraient faire référence au principe de précaution ont fait l’objet d’oppositions très marquées. Il s’agit d’une part du paragraphe 5 relatif aux « Aspects généraux » et des paragraphes 34 et 35 relatifs à la « Précaution dans la gestion des risques ». Pour le paragraphe 5, le groupe de travail est arrivé à la formulation suivante : [5. La précaution est un élément essentiel de l’analyse des risques. Cela est particulièrement important lorsque les preuves scientifiques sont insuffisantes et que les effets négatifs sur la santé sont difficiles à évaluer. La précaution devrait être exercée par l’utilisation des hypothèses appropriées dans l’évaluation des risques et le choix des options de gestion des risques reflétant la confiance dans l’information scientifique disponible.] L’utilisation du terme même de “précaution” ayant soulevé des réserves de certaines délégations, le Comité a décidé de réserver ce texte (par. 32). La délégation australienne a fait la proposition d’ajouter des éclaircissements sur le rapport entre le degré d’incertitude dans l’évaluation des risques et les options en matière d’évaluation en matière de gestion des risques, afin d’éclairer le débat sur l’utilisation de la précaution dans la gestion des risques (par. 33). Ce texte est le suivant : Proposition additionnelle de l’Australie [5bis. De nombreuses sources d’incertitude existent dans le processus d’évaluation des risques des dangers pour la santé humaine transmis par les aliments. Le degré d’incertitude et de variabilité dans l’information scientifique disponible devrait être explicitement considéré dans le processus d’analyse des risques. A mesure que le degré d’incertitude scientifique augmente, les hypothèses utilisées pour l’évaluation des risques et les options de gestion des risques devraient devenir plus prudentes et conservatrices.] Il a suscité des réserves et l’examen a été reporté à la prochaine session (par. 34). Ce sont les paragraphes 34 et 35 de l’avant-projet qui ont suscité les débats les plus vifs. Le texte initial était le suivant : PARAGRAPHE 34 Texte original (CX/GP 01/3) "Lorsque les preuves scientifiques pertinentes sont insuffisantes pour évaluer objectivement et parfaitement le risque d'un danger alimentaire[1], et lorsqu'il existe des preuves suffisantes permettant de penser qu'il peut y avoir des effets négatifs sur la santé humaine mais qu'il est difficile d'évaluer leur nature et leur ampleur, il peut être judicieux que [les responsables de la gestion des risques/les gouvernements membres] appliquent le concept de précaution[2] par le biais de mesures provisoires destinées à protéger la santé des consommateurs, sans attendre des données scientifiques complémentaires et une évaluation complète des risques. Cependant, il conviendrait de chercher à obtenir des informations complémentaires aux fins d'une évaluation 1 Les références entre parenthèses renvoient aux paragraphes du Rapport de la seizième session ; lorsqu’il est fait référence à des paragraphes dans le corps du texte, il s’agit des paragraphes de l’Avant-projet de principes de travail pour l’analyse des risques. 10 plus objective des risques, et il y aurait lieu de réexaminer les mesures prises en conséquence [dans un délai raisonnable/jusqu'à la réalisation d'une évaluation des risques plus complète]." ________________ [1] Il est reconnu que l'identification du danger est une étape essentielle du processus. [2] Certains pays membres nomment ce concept "principe de précaution". Le groupe de travail, qui a procédé à partir des observations reçues, a proposé de supprimer la note [1] en la remplaçant par un nouveau texte : TEXTE DE COMPROMIS DU GROUPE DE TRAVAIL 34. Lorsque les preuves scientifiques pertinentes sont insuffisantes pour évaluer pleinement et de manière objective un risque résultant d'un danger dans un aliment et lorsque des éléments découlant d'une évaluation préliminaire des risques permettent raisonnablement de penser qu'il y aura des effets négatifs sur la santé humaine mais qu'il est difficile d'évaluer leur nature et leur ampleur, il devrait être possible, pour les gestionnaires des risques, d'appliquer le concept de précaution [1] au moyen de mesures provisoires afin de protéger la santé des consommateurs sans attendre des données scientifiques complémentaires et une évaluation totale des risques. 34bis. Dans le cadre du Codex, ces mesures de précaution pourraient comporter l'élaboration de lignes directrices, de recommandations ou, le cas échéant, de normes. [Lorsque les informations disponibles ne sont pas suffisamment fiables, le Codex ne devrait prendre aucune mesure.]. 34ter. [En outre, dans le cas des gouvernements membres, l'application de la précaution pourrait comporter des mesures provisoires. 34qua. Dans un cas comme dans l'autre, il faudrait recueillir des informations complémentaires, effectuer une évaluation des risques plus complète et réexaminer les mesures prises, le tout dans un délai raisonnable.] [1] Certains pays membres nomment ce concept le "principe de précaution". Le groupe de travail précise par ailleurs « qu’il n’a pas eu le temps d’examiner la note de bas de page n° 2 (« Certains membres appellent ce concept le “principe de précaution” »). Ce débat devrait donc avoir lieu pendant la séance plénière » (par. 54). On le voit, au-delà du contenu du principe, sa seule évocation pose problème : il paraît surprenant que le manque de temps soit seul à l’origine de l’absence d’examen de la note … La formulation du groupe de travail n’emporte cependant pas l’unanimité ; trois types de réserves ont été émises (par. 56) : - la délégation des Etats-Unis a une réserve générale sur l’ensemble du texte, tout en reconnaissant que des précisions ont été apportées ; - la délégation brésilienne demande que le paragraphe destiné aux gouvernements devrait être mis entre crochets (c’est-à-dire réservé à la discussion plénière) ; - des délégations, notamment celles du Japon et de l’U.E. souhaitent poursuivre le débat sur le dernier alinéa du par. 34 pour le comparer au texte initialement proposé. Le débat général a fait émerger les oppositions de fond : l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay demandent la suppression des par. 34 et 35 “doutant de la légitimité d’une référence à la précaution en tant que principe du droit international” (par. 58). Selon la délégation de l’Uruguay “la confusion engendrée par ces paragraphes sur les plans terminologique et juridique risquerait de conduire à l’adoption de mesures qui affecteraient négativement la protection de la santé des consommateurs et les pratiques juridiques équitables” (ibid.). Certaines délégations ont demandé la suppression de toute mention 11 explicite de “la précaution” qui “pourrait autoriser les gouvernements à s’écarter des règles de l’Accord SPS” (par. 61). La défense du principe de précaution ou de l’approche de précaution a été menée sur le terrain de la confiance des consommateurs dans le processus d’analyse des risques : “l’emploi de l’une ou l’autre de ces expressions indiquerait aux consommateurs que l’on recherchait un niveau élevé de précaution et cela pas uniquement dans les situations de crise” (par. 61). L’opposition entre les deux types d’approches est éclairée par trois interventions : - le représentant de l’OMS a déclaré que “l'analyse des risques devait être considérée comme une question sanitaire ayant des incidences commerciales, et non pas comme une question commerciale ayant des incidences sanitaires et que le débat sur la précaution devait être envisagé sous cet angle.” (par. 65) ; - l'observateur de Consumers International s'est déclaré “préoccupé de la tendance, au sein du Codex et de la présente réunion, à privilégier les préoccupations commerciales par rapport à la protection de la santé des consommateurs.” (par. 66). Cette intervention est rejointe par les délégations du Royaume-Uni et de la Norvège ; - la délégation argentine a rappelé que le Codex “avait pour objectif de protéger la santé des consommateurs et de garantir des pratiques commerciales équitables.” (ibid.). Ainsi, le second examen du texte n’a pas permis de parvenir à un consensus sur les questions touchant au principe de précaution : toutes les variantes proposées des paragraphes 5, 34 et 35 sont incorporées entre crochets dans le texte révisé, et la prochaine session aura pour mission d’examiner un nouveau texte, élaboré par un groupe de travail. B - Principe de précaution et "analyse du risque" : proposition d'une méthodologie En considérant la mise en œuvre du principe de précaution dans le cadre de l'article 5:7, la Communication évite de considérer l'évaluation des risques et le principe de précaution comme éléments contradictoires. Elle pousse plus loin cette position en proposant une "approche structurée de l'analyse du risque, fondée sur trois éléments : l'évaluation du risque, la gestion du risque et la communication du risque". Celle-ci, cependant ne sera pas ancrée directement sur l'accord SPS contrairement aux considérations précédentes sur la mise en œuvre du principe de précaution. On peut donc ainsi s'attendre à ce que la Commission ait à consolider et à défendre cette position à l'avenir. Dans cette approche la Commission précise tout d'abord que le principe de précaution est "particulièrement pertinent dans le cadre de la gestion du risque", de manière donc bien isolée de l'évaluation des risques. D'autre part, en posant ainsi l'évaluation des risques comme un élément d'une démarche plus générale d'analyse du risque, la Commission propose de distinguer la prudence de la précaution. La première doit être respectée dans l'interprétation des résultats d'une expertise scientifique du fait des limites des connaissances scientifiques qui engendrent une incertitude. La précaution relève quant à elle pour la Commission de la gestion du risque lorsque l'évaluation des risques n'arrive pas à invalider des relations de causes à effets dommageables pressenties. Le principe de précaution dans cette phase de l'analyse du risque rappelle au pouvoir politique devant décider de la précaution que l'absence de preuve scientifique sur l'existence possible d'un dommage et/ou l'incapacité à définir la probabilité de survenance de celui-ci ne peuvent pas être utilisées pour justifier l'absence d'action préventive. La démarche générale d'analyse du risque présentée par la Commission éclaire le débat sur la précaution de plusieurs points de vue et laisse entrevoir les positions que la Commission pourrait être amenée à défendre à l'avenir. Elle définit tout d'abord une chronologie de l'approche (présomption de risque, évaluation du risque, gestion du risque et communication 12 sur le risque et montre où intervient la précaution de manière prépondérante (dans la phase de gestion du risque). Derrière cette séquence, c'est toute la problématique des relations entre principe de précaution et évaluation des risques qui est ainsi clarifiée puisque évaluation des risques et principe de précaution n'apparaissent pas au même moment dans l'analyse du risque. Elle opère ensuite un partage des rôles. Si le scientifique est l'agent important de l'évaluation des risques, le pouvoir politique est celui de la phase de gestion des risques. C'est ce dernier en effet qui décide des mesures à adopter étant donné les résultats de l'étude scientifique. Avec ce partage des rôles c'est la place de l'expertise scientifique dans la décision publique qui est définie. Peut-on espérer que la distinction qui est ainsi opérée dans l'analyse du risque proposée par la Commission entre évaluation du risque et gestion du risque soit porteuse ? Le commentaire de la Communication par l'administration américaine1 affiche son inquiétude à l'égard de l'analyse du risque proposée. Il craint en particulier qu'en faisant de l'exercice de la précaution une décision politique, on écarte les déterminants scientifiques de la décision. Même s'il ne s'étend pas sur la question, il ne semble pas saisir la distinction opérée par la Commission entre la prudence que les scientifiques appliquent dans l'évaluation des données scientifiques et le principe de précaution que les décideurs utilisent dans le cadre de la gestion du risque lorsque "les données sont largement insuffisantes pour pouvoir concrètement appliquer ces éléments de prudence"2. Enfin, en partant des principes selon lesquels "les progrès des techniques de communication ont augmenté le nombre de mauvaises informations à disposition du public et que les mauvaises informations concernant les risques perçus peuvent être dommageables", il réclame que le rôle du gouvernement dans la phase de communication sur le risque soit précisé de manière à ce que le risque perçu par le public et le risque évalué par les scientifiques puissent être distingués.3 Au-delà du commentaire américain, il convient d'autre part de garder à l'esprit certaines des positions qui furent celles de l'O.A. dans le différend sur le bœuf aux hormones. Pour obtenir une définition restrictive de l'évaluation des risques dans le cadre de ce différend permettant de montrer que l'évaluation des risques présentée par la Communauté européenne était insuffisante et donc que la restriction aux importations de viandes élevées aux hormones était une pratique protectionniste, les Etats-Unis et le Canada, dans leurs rapports, avaient distingué l'évaluation des risques de la gestion des risques. Cette distinction leur permettait d'opposer une démarche scientifique (celle de l'évaluation des risques) à une démarche politique (celle de la gestion des risques), pour isoler la première comme seule pertinente dans le différend commercial. En outre, elle fut avancée pour mettre les risques liés au contrôle des bonnes pratiques vétérinaires4 dans le champ de la gestion des risques en argumentant que ceux-ci dépendaient de facteurs non scientifiques (facteurs économiques encourageant l'emploi abusif d'hormones par exemple). L'O.A. qui conclut dans ce différend en l'insuffisance de l'évaluation européenne des risques n'utilisa pas pour cela la distinction opérée par les Etats-Unis et le Canada entre évaluation et gestion des risques. Bien au contraire, l'O.A. souligna que l'expression "gestion des risques" ne figurait dans aucune 1 Cf. U.S. COMMENTS Working Principles for Risk Analysis [2000]. Point 5.1.3. de la Communication. Voir aussi le point 4 du résumé. Cette distinction faite entre prudence et précaution est réaffirmée dans la réponse de la Commission aux commentaires et questions adressés par l'administration américaine à la Communication. Voir les points 30 et 31 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat. 3 La Commission a reconnu dans sa réponse aux commentaires américains (Voir les points 20 et 21 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat) que cette interrogation ne trouvait pas de réponse dans la Communication mais que des propositions ont été formulées pour organiser la participation du public sur les questions de sécurité alimentaire dans le Livre Blanc sur la Sécurité Alimentaire. 4 C'est-à-dire les risques liés à une mauvaise utilisation des hormones de croissance, indépendamment des risques liés aux hormones elles-mêmes. 2 13 disposition de l'accord SPS (contrairement à l'évaluation des risques) et n'avait donc aucun fondement dans ce texte. Les catégories comme la "gestion des risques", "l'évaluation des risques", la communication sur les risques qui apparaissent dans la Communication sont cependant en cours de discussion au sein du Codex dans la quinzième session du comité sur les principes généraux. Elles pourront peut-être ainsi être à l'avenir explicitement pris en compte, dans le sens donné par la Communication, par l'accord SPS. C - Les principes généraux d'une bonne gestion des risques Si la Commission a bien pris soin de montrer que l'évaluation des risques et le principe de précaution devaient être compris comme complémentaires, elle avance ensuite l'idée selon laquelle le recours au principe de précaution ne devrait pas permettre "de déroger aux principes généraux d'une bonne gestion des risques". 1 Les critères ainsi énoncés devraient s'appliquer, dans l'esprit de la Commission, qu'une évaluation complète du risque soit disponible ou pas. Ces principes constituent des propositions de la Commission qui n'ont pas tous la même assise dans la scène internationale. Le principe de "non-discrimination" constitue déjà une ligne directrice des jugements de l'OMC2 et les principes de cohérence et d'"examen de l'évolution scientifique" sont directement ancrés sur l'accord SPS (article 5:5 et article 5:7 respectivement). Les deux principes restant de "proportionnalité" et d'"examen des avantages et des charges" devraient par contre d'avantage donner lieu à discussion comme en témoigne la réaction américaine à la Communication qui d'une manière générale va s'interroger sur l'articulation du principe de précaution avec ces principes généraux d'une "bonne gestion des risques". 1 - La proportionnalité L'art de la proportionnalité consiste à trouver le "niveau de protection approprié". 3 Le principe est particulièrement important car il est un garde-fou à la décision de mesure inutilement restrictive pour le commerce international. Lorsque la mise en œuvre du principe de précaution est envisagée, le souci de proportionnalité propose autant que possible d'éviter l'interdiction totale de certaines activités qui serait motivée par la recherche d'un niveau de risque zéro. Cette position trouve un écho favorable dans la démonstration traditionnelle que l'interdiction d'une activité émettrice d'un effet externe négatif n'est généralement pas optimale. Cependant, on peut souligner que les conditions pour qu'un ajustement fin de la mesure de réduction du risque puisse avoir lieu ne sont pas réunies dans le contexte réclamant la mise en œuvre du principe de précaution. La proportionnalité réclame en effet de pouvoir relier l'intensité du dommage à l'échelle de la mesure ou à son type, alors que le recours au principe de précaution est opéré dans des situations où l'existence du risque est avancée sans que les tenants et les aboutissants ne soient scientifiquement maîtrisés. D'autre part, les situations de dommages pressentis graves et/ou irréversibles, qui sont le champ d'application du principe de précaution, s'accordent assez mal avec l'idée même de proportionnalité. La Commission d'ailleurs ne s'y trompe pas et souligne que dans certains cas l'interdiction de l'activité peut être "la seule réponse possible à un risque donné". 4 Le commentaire de la Communication proposé par les Etats-Unis reviendra sur le flou ainsi laissé par la Commission non seulement sur la définition précise du principe de précaution, mais aussi sur le type de mesures qui pourrait être prises pour mettre en œuvre le principe. L'absence de clarté laisse craindre aux Etats-Unis que le principe de précaution 1 Point 6.3., p. 18. Article XX du GATT de 1994 et article 2:3 de l'accord SPS par exemple. 3 Point 6.3.1., p. 19. 4 Point 6.3.1., p. 18. 2 14 puisse être utilisé sur la scène internationale pour laisser cours à des décisions arbitraires discriminatoires. Cette impression de flou est d'autre part renforcée par la définition même de la proportionnalité retenue dans la Communication. Par proportionnalité on entend a priori que le niveau de protection choisi soit proportionnel au risque de dommage en jeu. Parler de l'opportunité de la recherche d'un niveau de risque zéro se comprend dans ce contexte. Or comme le souligne McNelis (2000)1 des passages de la Communication proposent que le niveau approprié de protection doit être évalué au regard du "niveau désiré de protection" et non au regard du dommage potentiel en cause. La distinction peut paraître subtile. Elle laisse cependant la porte ouverte à des mesures arbitraires : demander avec un objectif protectionniste un niveau de protection élevé (parce que supposé désiré) face à un dommage potentiel faible. 2 - L'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action Ce principe d'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action est probablement le plus épineux pour au moins deux raisons. Tout d'abord, il n'est ancré sur aucune disposition précise de l'accord SPS et les concepts qui y apparaissent sont de natures différentes (économique et sociale). Enfin, si ce principe est défini dans le cadre général de la "bonne gestion des risques", il renvoie surtout à des situations où le principe de précaution devrait être mis en œuvre. Ce principe s'attache à définir un cadre, à côté de l'évaluation du risque, permettant de juger de l'opportunité d'une mesure SPS contraignante pour le Commerce international. En proposant un examen économique et social, complémentaire à l'évaluation des risques, des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action comme base de la décision, il touche au dogme du "scientific-based". La dimension économique de cet examen est introduite avec la proposition de la Commission selon laquelle une analyse économique coût-bénéfice pourrait être appropriée pour décider de l'opportunité de l'action. Cette position soulève au moins deux questions. La première a trait à l'opportunité d'une telle analyse, i.e. à l'introduction de la dimension économique dans un domaine qui jusque-là s'en passait pour ne considérer que des déterminants de nature scientifique. 2 La seconde a trait à la faisabilité d'une telle analyse. Ce point est particulièrement important au regard du principe de précaution étant donné le contexte d'incertitude dans lequel il est mis en œuvre, l'irréversibilité et la gravité des dommages craints. Si la Commission a conscience de la seconde question3, elle reste muette sur la première. Elle ne précise pas, en particulier, comment les conclusions d'une analyse coût-bénéfice devraient s'articuler avec les conclusions de l'évaluation des risques pour décider de l'action de prévention ou de précaution. La prise en compte de déterminants sociaux est introduite par la Commission lorsqu'elle précise que "l'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action ne devrait pas se réduire seulement à une analyse coût-bénéfices".4 En envisageant le cas où une société serait "prête à payer un coût plus élevé afin de garantir un intérêt, tel que l'environnement ou la santé, reconnu par elle comme majeur", la Commission propose de prendre en compte le critère "d'acceptabilité par la population". Si une voie est 1 Cf. McNelis, N. [2000]. Cette introduction de la sphère économique trouve ses avocats. Voir par exemple Bureau, Marette et Schiavina [1998] and Roberts [1998]. 3 Point 6.3.4., p. 19 :"where this is appropriate and possible". 4 Point 6.3.4., p. 19. 2 15 ainsi ouverte, elle n'est cependant pas explorée dans la Communication. La Commission n'envisage pas comment la prise en compte de l'avis de la population devrait être effectué, ni ne donne une définition de la population concernée. Elle reste d'autre part muette sur l'articulation des conclusions d'acceptabilité par la population avec les conclusions de l'analyse économique et de l'évaluation scientifique. Or ces points sont important si l'on veut éviter que l'argument de l'appréhension sociale du risque ne soit utilisé pour mettre en œuvre des mesures protectionnistes. Le commentaire américain fait largement état de ces difficultés. Sur l'analyse coûtbénéfices il se demande comment les résultats de cette analyse pourront être utilisés lorsque la mise en œuvre du principe de précaution est envisagée. Concernant la prise en compte des déterminants socio-politiques le commentaire américain pose plusieurs interrogations. Il demandera ainsi si dans la décision d'une mesure les arguments scientifiques et socioéconomiques ont le même poids. Il suggérera que la notion de public concerné soit explicitée et que l'"unité de mesure" pour apprécier l'acceptabilité par la population soit précisée. Les réponses européennes aux questions américaines ne sont pas aisées. Elles envisagent l'analyse coût-bénéfice comme une aide dans le choix de politiques alternatives.1 Il ne s'agirait donc pas de se prononcer sur l'opportunité économique de la mise en œuvre du principe de précaution, mais de participer à l'orientation de cette mise en œuvre. Sur les poids comparés des arguments scientifiques et socio-politiques, la réponse européenne se borne à mettre en avant la raison (évaluation scientifique insuffisante) de la prise en considération des éléments sociaux mais elle rappelle que l'action préventive doit, cependant, être basée sur des éléments de nature scientifique. 2 Elle précise aussi qu'il n'a jamais été question dans la Communication de considérer les éléments socio-économiques dans la procédure d'évaluation des risques.3 Enfin, le débat sur l'"unité de mesure" d'un risque acceptable n'avance pas avec la réponse européenne. Celle-ci en effet considère que fixer un niveau de risque acceptable est un problème de "jugement de valeur sociétal".4 Bibliographie Bhagwati, J. N. and Hudec, R. E. [1997], Fair Trade and Harmonization. Prerequisites for Free Trade?, Vol. 1 Economic Analysis , Vol. 2, Legal Analysis, Cambridge, Mass., The MIT Press, 1997. Bureau, Marette et Schiavina (1998) "Non-tariff trade barriers and consumers' information: The case of the EU-US dispute over beef", European Review of Agricultural Economics, 25, pp. 437-462. Commission of the European Communities [2000], Communication from the Commission on the precautionary principle, Brussels, 02.02.2000, COM (2000) 1. McNelis, N. [2000], "EU communication on the precautionary principle", Journal of International Economic Law, 3(3), pp. 545-551. Roberts (1998) "Preliminary assessment of the effects of the WTO agreement on sanitary and phytosanitary trade regulations", Journal of International Economic Law, 1(3), pp. 377-405. U.S. COMMENTS Working Principles for Risk Analysis. A U.S. Government submission to the Committee on General Principles of the Codex Alimentarius Commission for the committee's April 10-14, 2000 meeting Comments on CX/GP 00/3/Add.3. March 22, 2000. 1 Voir points 40 et 41 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat. Voir les points 44 et 45 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat. 3 Voir les points 50 et 51 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat. 4 Voir les points 22 et 23 de Comments from the European Commission Services to Codex Secretariat. 2 16 La place du principe de précaution dans la directive U. E du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement Laurence BOY La Commission européenne avait envoyé un message clair à ses partenaires dans une communication du 2 février 2000, message selon lequel le principe de précaution continuait et devait continuer d’inspirer les positions de l’Europe en matière environnementale et sanitaire1. Cette communication s’inscrivait largement dans les suites du différend commercial sur le bœuf aux hormones et l’interprétation du principe de précaution, du moins, de l’attitude de précaution qui y fut faite par l’organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce. On sait que dans ce conflit, la suspension des importations par l’Union européenne n’avait pas réellement été mise à profit pour chercher à obtenir des données scientifiques relatives à la dangerosité des hormones, ce qui explique sans doute la décision de l’organe d’appel2. Devant la condamnation de l’OMC dont elle a été victime, l’Europe entendait « contribuer à alimenter la réflexion en cours tant au niveau communautaire qu’international » et « donner une impulsion au débat en cours sur le principe de précaution »3, spécialement sur la question délicate des organismes génétiquement modifiés. Le principe de précaution trouve en cette matière, les OGM, un terrain sans doute beaucoup plus favorable pour le faire avancer tant sont grandes les incertitudes scientifiques : impact sur la santé des consommateurs, mais surtout problèmes de dissémination involontaire des OGM. Nous sommes ici au cœur des incertitudes scientifiques qui fondent le principe de précaution. Dans son combat visant à la reconnaissance la plus large possible du principe de précaution pour défendre ses intérêts envisagés d’une manière non mercantile, la Commission rencontre depuis des années essentiellement l’opposition des Etats-Unis. La position défendue par les Etats-Unis, notamment par Charlene Barshefsky, la Représentante pour le commerce en juillet 1999, pouvait être analysée comme une opposition au principe de précaution, même si le terme n’a jamais été prononcé. Il est cependant possible, derrière les références à la « science », de synthétiser schématiquement la position américaine en quatre points : - Les Etats-Unis sont les premiers producteurs et exportateurs agricoles dans le monde ; - L’agriculture américaine est la plus avancée dans le monde grâce aux OGM ; - Ces derniers ne présentent, dans leur appréhension du risque (verticale et par produit)4, aucun danger pour l’environnement et la santé ; - Dans ces conditions, toute restriction aux échanges internationaux contenant des OGM est nécessairement une mesure protectionniste déguisée et doit être combattue. 1 L. BOY, CH. CHARLIER, M. RAINELLI, avec la collaboration d’I. DOUSSAN, Analyse de la communication de la Commission européenne de février 2000 au regard des débats actuels sur le principe de précaution, Revue Internationale de Droit Economique (RIDE) 2001, n°2, 127. 2 CH. NOIVILLE, Principe de précaution et Organisation Mondiale du Commerce. Le cas du commerce alimentaire, Journal de droit international, n°2, 2000, 269. Voir aussi leq décisions: Japon, Mesures visant les produits agricoles, Rapport du groupe spécial, 27 octobre 1998 et rapport de l’organe d’appel, 22 février 1999. 3 Point 3 du résumé de la communication. Site Europa : Bruxelles, 2.2.2000/COM (2000) 1 final. 4 Sur les diverses approches : CH. NOIVILLE, Etude comparée des grands modèles de réglementation des disséminations d’organismes génétiquement modifiés (Etats-Unis-Europe), Natures, sciences, sociétés, 1995, n° 3, 117 ; L. BOY, Les OGM entre le principe de précaution et l’ordre scientifico-concurrentiel, in Philosophie du droit et droit économique, Frison-Roche 1999, 333. 17 C’est dans ce contexte conflictuel que l’on se propose d’analyser la directive U.E. du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement qui abroge la directive 90/220/CEE du Conseil. Il est impossible, bien sûr, de couper l’analyse de cette dernière du contexte dans lequel elle baigne : proposition de règlement U.E. sur l’étiquetage OGM, dispositifs américains sur la sécurité alimentaire et sanitaire (Delanay clause et guide sur les mesures préventives du risque de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jacob par les produits sanguins). Cette directive prend sans doute en compte l’opinion ambivalente et très contrastée des européens sur les différentes utilisations des biotechnologies. Si certaines applications médicales du génie génétique sont jugées utiles et moralement acceptables, les applications dans la production alimentaire sont perçues par une grande partie des consommateurs comme inutiles et risquées1. Le public européen doute de l’intérêt pratique de ses applications alimentaires et s’estime privé de tout pouvoir d’influence sur les choix technologique ; le crédit qu’il accorde aux experts est faible 2. Pour comprendre la nouvelle directive, il faut faire ici référence aux encadrements juridiques qui ont été proposés en matière d’OGM et aux inquiétudes croissantes qui se sont manifestées, notamment en matière d’environnement. Ces encadrements ont reposé sur des présupposés radicalement différents liés aux perceptions culturelles des risques3. C’est ainsi que là où un certain nombre d’organismes de défense de l’environnement ont mis l’accent sur le caractère totalement inédit des risques liés aux organismes génétiquement modifiés, en s’appuyant sur les divergences exprimées par les scientifiques eux-mêmes, ont été élaborés des textes législatifs spécifiques aux biotechnologies. En revanche, selon certains biologistes et les industriels, si la dissémination des OGM peut être sources de risques potentiels pour l’environnement, ces risques sont fondamentalement de même nature que ceux que présentent les produits conventionnels. Les réglementations doivent donc s’insérer dans l’ensemble des règles préexistantes édictées pour les catégories de produits traditionnels et tout à fait adaptées à l’objectif général de sécurité en matière de biotechnologie4. Certains pays ont donc opté pour la reconnaissance de la spécificité des processus de production et donc des risques liés aux OGM et se sont orientés vers une interdiction de principe des OGM, sauf dérogation expresse. Il s’agit notamment du Danemark et de l’Allemagne qui choisirent de voter des textes spéciaux sur les biotechnologies5, textes jugés pénalisants pour la recherche et le développement par certains. A l’opposé de ces systèmes, la réglementation fédérale américaine a refusé d’analyser les risques écologiques liés aux OGM comme des risques d’une nature nouvelle et de créer, en, conséquence un encadrement juridique spécifique. C’est une approche par produit qui a été adoptée et qui consiste à évaluer les risques liés aux OGM à partir des caractéristiques du produit lui-même (plante, aliment), indépendamment de la méthode utilisée pour son obtention. Aucune réglementation spéciale n’a donc été adoptée et les OGM ont été soumis aux textes sectoriels en vigueur propres à chaque type de produit. 1 INRA, 1997, European opinions on modern technology : Eurobarometer 46.1, Brussel : INRA (Europe), European coordination office. 2 P.B JOLY, introduction à Les OGM à l’INRA, INRA 1998. 3 CH. NOIVILLE, Etude comparée des grands modèles de réglementation des disséminations d’organismes génétiquement modifiés (Etats-Unis-Europe), Natures, sciences, sociétés, 1995, n° 3, 117 ; L. BOY, Les OGM entre le principe de précaution et l’ordre scientifico-concurrentiel, in Philosophie du droit et droit économique, Frison-Roche 1999, 333. 4 CH. NOIVILLE op. cit., qui cite A. KAHN et l’idée de « continuum du risque ». 5 Loi du 4juin 1986 pour le Danemark et loi du 20 juin 1990 pour l’Allemagne. 18 Cette approche impulsée par la Maison Blanche avait pour but de promouvoir la croissance économique qu’un fardeau réglementaire aurait inutilement entravée1. Le contrôle du risque écologique potentiel d’une dissémination d’OGM était subordonné à l’existence d’éléments sérieux, voire à la preuve du caractère dangereux de l’OGM. Le système ne repose pas sur une présomption de risque, mais sur une présomption de sécurité. Il faut signaler néanmoins que les juges américains, sous la pression des organisations de protection de l’environnement, ont à plusieurs reprises imposé une évaluation plus approfondie des effets des disséminations sur l’environnement que celle faite par l’administration. Ils ont estimé, en effet, que l’étude d’impact écologique présente un double avantage : un avantage scientifique mais aussi un avantage social dans un domaine aussi controversé que celui des risques liés à la dissémination des OGM. Une étude approfondie conduit, que ce soit dans le cadre d’une enquête publique ou dans celui d’un procès, à obliger le requérant à approfondir et compléter les premières informations fournies2. Le libéralisme du système fédéral américain n’a cependant pas toujours convaincu. Malgré les affirmations des scientifiques, les OGM suscitent de plus en plus la méfiance des consommateurs et des défenseurs de l’environnement. Plusieurs Etats fédérés ont ainsi adopté des législations plus strictes que le système fédéral et une réflexion s’organise sur les avantages des OGM au moins dans le domaine des plantes transgéniques et des aliments. Les dispositions européennes ont immédiatement pris en compte la question de l’acceptation sociale des risques liés à la dissémination des OGM. Il existait une grande diversité réglementaire en Europe et devant la crise de légitimité qui risquait de s’étendre, l’Union européenne, dans les directives du 23 avril 1990 décidait de choisir le principe du « oui, mais » et conférait un caractère obligatoire aux mesures de précaution qui avaient été adoptées dans certains Etats membres. Toute dissémination d’OGM était subordonnée au respect de mesures de précaution. Si l’OGM avait été obtenu par l’une des techniques visées par la directive, son expérimentation en milieu naturel et sa mise sur la marché étaient subordonnées à une obligation préalable : l’évaluation de sa sécurité écologique. La Commission cherchait ainsi à améliorer l’image des plantes transgéniques auprès d’un public inquiet et à prévenir toute distorsion de concurrence. En droit interne, c’est la loi du 13 juillet 1992 qui a intégré les directives communautaires. Ce texte a été présenté comme « la première application du fameux principe de précaution, non pas à un produit déterminé -, tel médicament – ni à un problème particulier - tel l’effet de serre ou la couche d’ozone - , mais précisément à l’ensemble d’un mode de production, avant que le moindre dysfonctionnement ait pu être constaté »3. Dans la culture scientifique traditionnelle, une incertitude quant au risque s’analyse comme une absence de preuve et donc comme une présomption de nondangerosité de la technique elle-même4. La référence au principe de précaution dans les textes a donc inversé cette proposition. « Au seul motif que la technique est nouvelle, et que toute technique nouvelle engendre sinon un risque certain, du moins une incertitude scientifique, on s’autorise à conclure que la prudence s’impose tant que l’innocuité (et non le risque) n’a pas été démontrée »5. Une nouvelle culture du risque apparaissait ainsi. Pour autant les textes nationaux et communautaires n’obéissaient pas à cette seule culture et s’inscrivaient dans un environnement concurrentiel mondial. Cette nouvelle démarche visait aussi à donner des 1 V. TARDIEU, Les biotechnologies fructifient dans les fermes américaines, Le Monde, 12 juin 1998 : « En faisant l’économie d’un projet de loi spécifique sur la diffusion des plantes transgéniques, l’administration Reagan a évité en partie la controverse publique ». 2 P.LASCOUMES, La précaution, un nouveau standard de jugement, Esprit, nov. 1997 ? 136. 3 M.A. HERMITTE et CH. NOIVILLE, La dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, une première application du principe de précaution, RJE, 1993, n° 3, 391. 4 A. KAHN, OGM : prudence, Les dossiers de l’environnement de l’INRA, n° 12, 13. 5 M.A. HERMITTE et CH. NOIVILLE, op. cit., 394. 19 gages de sérieux pour permettre le développement des OGM. La production agricole et agroalimentaire est l’une de richesses de l’Europe. Il ne fallait pas que cette dernière se transforme en « forteresse assiégée » vis-à-vis des plantes transgéniques. Le cadre européen s’est révélé finalement inadapté. La directive 90/220 sur la dissémination des OGM s’appliquait certes dans l’ensemble des Etats membres mais ne précisait pas les notions de risques, ni, surtout, une méthodologie commune d’évaluation ce qui laissait se développer des appréciations différentes en ce qui concerne la mise sur le marché des OGM par l’utilisation notamment de la clause de sauvegarde1. Le déficit de confiance envers les experts et les politiques ont fait apparaître une forte carence des institutions : « celle d’un espace public dans lequel des choix technologiques lourds de conséquences socio-économiques et éthiques puissent être débattus »2. La directive 90/220/CE vient d’être remplacée par une directive du 12 mars 20013. Cette dernière renforce les mesures de précaution4 en instituant une surveillance, un véritable étiquetage et une meilleure participation du public. Elle rappelle les engagements internationaux, notamment le protocole de Carthagène et annonce la publication de propositions nécessaires à sa mise en œuvre ainsi que d’une proposition législative sur la responsabilité environnementale, couvrant également les dommages causés par les OGM. La nouvelle directive fait explicitement référence au principe de précaution et donne un contenu concret à ce dernier. I. Les références au principe de précaution. Elles sont très nombreuses et il semble que la Commission ait tenu compte non seulement des conclusions du forum consultatif Etas-Unis - Union Européenne sur la biotechnologie de décembre 2000 mais aussi des commentaires du BEUC (European consumer’s organisation) sur la proposition de directive sur la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement5. Elles se manifestent à la fois sous la forme de principes généraux mais aussi dans des dispositions techniques très précises. A Les affirmations de principe. Le principe de précaution est réaffirmé tant dans les considérants (ces derniers devant servir à l’interprétation du texte lui-même) que dans le texte même de la directive. Le 8ème considérant affirme qu’il « a été tenu compte du principe de précaution lors de la rédaction de la présente directive » et qu’il « devra en être tenu compte lors de sa mise en œuvre ». Reprenant le contenu de la Communication de la Commission de février 2000, les considérants confirment le domaine du principe de précaution. Né dans le droit de 1 Article 95 du Traité C.E.. Voir ELLEN VOOS, Product market integration, The rise of the precautionary principle in EU food regulation, à paraître, numéro spécial, RIDE. 2 P.B. JOLY, précité ; C. et R. LARRERE, Les OGM entre hostilité et principe de précaution, Courrier de l’environnement de l’INRA, n°43, mai 2001 ; R. ENCINAS DE MUNAGORRI, Expertise scientifique et principe de précaution, Revue Juridique de l’Environnement, numéro spécial sur le principe de précaution, 2000, 67. 3 Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement en abrogeant la directive 9O/220/CEE du Conseil, JO n° L 106 du 17/04/2001, p. 0001 –0039. 4 L’article 1er dispose : Conformément au principe de précaution, la présente directive vise à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres et à protéger la santé humaine et l’environnement. 5 BEUC/X/003/2000, 27 août 1998. 20 l’environnement, ce dernier a vocation à s’appliquer à la protection de la santé humaine1. La Commission relève à ce titre que la dissémination des OGM peut produire des effets irréversibles sur l’environnement et que la protection de la santé humaine demande qu’une attention particulière soit accordée au contrôle des risques de la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Toujours dans l’esprit de sa Communication, la Commission précise le rôle du principe de précaution tant dans la phase de l’évaluation des risques que dans celle de la gestion des risques et de la communication sur les risques. Elle décline aussi les conséquences du principe sur l’ensemble de ces phases. S’agissant de l’évaluation des risques et pour remédier au système antérieur où des divergences existaient entre les commissions nationales d’évaluation des risques, la Commission affirme la nécessité de définir une méthodologie commune d’évaluation des risques pour l’environnement basée sur une consultation scientifique indépendante2 et, ce qui est nouveau, prenant en compte les effets cumulés à long terme dans le cadre d’un plan de surveillance. Cette méthodologie est précisée tant dans le texte de la directive que dans les annexes3. La Commission précise, en outre, sa démarche générale d’analyse du risque telle qu’elle l’avait présentée précédemment et confirme le moment où intervient de façon prépondérante le principe de précaution. « Si le scientifique est l’agent important de l’évaluation des risques, le pouvoir politique est celui de la phase de gestion des risques. C’est ce dernier en effet qui décide des mesures à adopter étant donné les résultats de l’étude scientifique. Avec ce partage des rôles c’est la place de l’expertise scientifique dans la décision publique qui est définie »4. Il existe dans la directive un certain flou quant à l’autorité politique qui prend la décision. En effet, il est reconnu d’abord que ce sont les Etats membres qui « peuvent prendre en considération des aspects éthiques lorsque des OGM sont volontairement disséminés ou mis sur le marché en tant que produits ou éléments de produits »5. Ceci laisse entendre qu’il existerait encore des possibilités de politiques nationales divergentes, fondées principalement sur une procédure de sauvegarde semblable aux mécanismes de l’OMC relatifs à l’accord SPS6. Pourtant, sur cette question d’éthique, la Commission affirme que « le groupe européen des sciences et des nouvelles technologies de la Commission devrait être consulté afin qu’il donne des conseils sur les questions éthiques de nature générale concernant la dissémination volontaire ou la mise sur le marché »7. Malgré ces flous concernant le niveau politique pouvant mettre en œuvre la clause de sauvegarde, reste que la directive réaffirme l’existence d’une telle clause aussi bien dans les relations intra-communautaires que dans les relations internationales et fondée sur des considérations non « scientifiques » mais légitimes. On devine par là que les craintes américaines selon lesquelles, l’Europe en faisant de l’exercice de la précaution une décision politique écartant partiellement les déterminants scientifiques de la décision, se soient avivées comme en témoigne la question de l’étiquetage8. 1 Séminaire IDEP-DGS6CGP-D4E sur l’évaluation, 10 juillet 2000 : « Le recours au principe de précaution dans le domaine de la santé et de l’environnement ; F. COLLART DUTILLEUL et L. LORVELLEC, Principe de précaution et responsabilité dans le secteur alimentaire, Rapport pour le Conseil national de l’Alimentation. 2 Considérant 20. 3 Infra. 4 L. BOY et alli, précités, 150. 5 Considérant 9. 6 Article 5.7 de l’accord SPS. H. RUIZ-FABRI, La prise en compte du principe de précaution par l’OMC, Revue Juridique de l’Environnement, numéro spécial 2000 sur le principe de précaution. 7 Considérant 57. 8 Infra. 21 La Commission prend soin de rappeler le cadre international dans lequel se situe son action. Il importe de noter que le cadre international évoqué n’est pas l’O.M.C. mais le Protocole de Carthagène annexé à la convention sur la diversité biologique. Le 2 juillet 2001, la Commission a, en conséquence, fait une proposition relative à la signature, au nom de la communauté européenne, du protocole de Carthagène sur la biosécurité. Elle rappelle que ce protocole constitue un cadre fondé sur le principe de précaution1 qui vise les mouvements transfrontières intentionnels d’OGM et affecte donc le commerce international. Il a pour objet de « garantir le transfert, la manutention et l’utilisation en toute sécurité des organismes vivants modifiés issus de la biotechnologie moderne, qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique ; il tient également compte des risques pour la santé humaine »2. La doctrine de la Commission est claire à cet égard. La question s’est posée, en effet, de savoir quel était le corpus juris de l’O.M.C.. Pour le règlement des différends, l’organe d’appel doit-il se fonder sur les seuls accords de Marrakech, ou peut-il faire appel aux accords internationaux extérieurs à ce dernier et porteurs d’autres valeurs que la libre circulation des marchandises3? Pour l’Union européenne, la réponse à cette question est évidente : ce sont l’ensemble des textes internationaux qui doivent gouverner le commerce international, ce qui explique l’importance de la ratification du protocole de Carthagène. La directive du 12 mars 2001 réaffirme le principe de précaution comme principe d’action politique4. Elle donne aussi à ce standard un cadre légal précis en matière de dissémination d’OGM. B. Les dispositions techniques. Elles figurent dans le corps de la directive et dans ses annexes. L’article premier entend remédier à l’absence d’une méthodologie commune d’évaluation des risques qui résultait de la directive 90/220. Il dispose, en effet, : « conformément au principe de précaution, la présente directive vise à rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres et à protéger la santé humaine et l’environnement : - lorsque l’on procède à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement à toute autre fin que la mise sur le marché à l’intérieur de la communauté, - lorsque l’on place sur la marché à l’intérieur de la communauté des OGM et tant que produits ou éléments de produits ». Dès ce premier article, le principe de précaution est donc présenté comme constituant l’un des fondements majeurs des dispositions visant à protéger la santé humaine et l’environnement vis-à-vis des risques liés à la dissémination volontaire dans l’environnement et à la mise sur le marché d’OGM. La directive s’inspire incontestablement de la Communication de février 2000 mais va plus loin sur certains points, notamment en ce qui concerne la consultation et l’information du public5. La partie A de la directive contient un certain nombre de définitions, précise le champ d’application du texte et impose des obligations générales. Il y a peu de modifications en ce 1 Article premier. Objectif : Conformément au principe de précaution, consacré par le Principe 15 de la Déclaration de Rio sur l ‘environnement et le développement, l’objectif du présent Protocole est de contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne… ». 2 Point 5 de l’exposé des motifs. 3 H. RUIZ-FABRI précitée. 4 O. GODARD, Le principe de précaution, un principe d’action politique, in Le principe de précaution, Revue Juridique de l’Environnement, n° spécial 2000. 5 Infra. 22 qui concerne les définitions mais, à la demande du BEUC, les êtres humains ont été explicitement exclus de la définition de l’OGM, ce qui interdit implicitement, semble-t-il, les essais sur le corps humain et la commercialisation de produits issus du corps humain. Parmi les obligations générales nouvelles pesant sur les Etats membres, trois sont à rattacher au principe de précaution : les dispositions portant sur la résistance aux antibiotiques1, sur le transfert de gènes et sur la traçabilité. L’article 4-3 impose une évaluation au cas par cas des effets néfastes potentiels sur la santé humaine et l’environnement du transfert de gènes d’OGM à d’autres organismes et l’article 4-6 de la directive dispose que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer la traçabilité à tous les stades de la mise sur le marché d’OGM. Pour rendre effective cette dernière, le 3 septembre 2001, la Commission a publié une proposition de règlement concernant la traçabilité et l’étiquetage des OGM et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animales produits à partir d’OGM2. Nous verrons que les annexes sont extrêmement précises sur l’ensemble de ces points. De façon générale, la directive prend appui sur la communication de la Commission de février 2000. C’est ainsi qu’est prévue une information du public et, s’agissant de la mise sur le marché d’OGM, une procédure précise d’autorisation écrite comprennent notamment un plan de surveillance. Les articles 28 et 29 prévoient, en outre, l’obligation pour la Commission de consulter le ou les comités scientifiques compétents sur une objection relative aux risques que des OGM présentent pour la santé humaine ou l’environnement ou bien de consulter tout comité institué par elle afin d’être conseillée sur les implications éthiques des biotechnologies. L’élément scientifique est donc principalement pris en considération dans la gestion du risque. Cette dernière est aussi fonction du risque « acceptable » par la société. Le doute, le facteur déclenchant du principe de précaution apparaît « légitime non seulement lorsque l’analyse purement scientifique révèle l’existence de faits objectifs venant étayer l’hypothèse théorique mais aussi lorsque des faits sociaux, tout aussi objectifs, révèlent une inquiétude à la quelle il doit être répondu par la formalisation du débat »3. La directive prévoit toujours, comme l’accord SPS de l’OMC, une clause de sauvegarde permettant à un Etat membre, en raison d’informations nouvelles le conduisant à considérer qu’un OGM régulièrement autorisé présente un risque pour la santé humaine ou l’environnement, d’interdire ou de limiter, à titre provisoire, l’utilisation ou la vente de cet OGM sur son territoire. La nouvelle procédure de clause de sauvegarde est cependant plus précise que celle de l’ancienne directive. En effet, la clause de sauvegarde ne doit pas dissimuler une mesure d’effet équivalent (barrière non tarifaire dans le langage OMC). C’est la raison pour laquelle la mesure ne doit être que provisoire et que la Commission exige des informations complémentaires ou demande l’avis des comités scientifiques. Une décision sur de telles interdictions nationales doit désormais être prise selon la procédure prévue à l’article 30. Pour permettre de résoudre les problèmes posés par le maintien d’une objection par un Etat à la mise sur le marché d’un OGM, la Commission soumet une proposition d’autorisation de mise sur le marché à un comité composé des représentants des Etats membres (dénommé « comité article 30 »). La nouvelle procédure fait référence à la décision du Conseil du 28 juin 19994 qui a introduit deux modifications principales par rapport au fonctionnement de l’ancien comité. Le Conseil peut désormais adopter ou rejeter la proposition de la 1 Les gènes exprimant une résistance à des antibiotiques susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur la santé humaine et l’environnement devront être progressivement éliminés d’ici le 31 décembre 2004 pour la mise sur le marché et d’ici le 31 décembre 2008 pour la dissémination volontaire. 2 Infra. 3 L. BOY, Rapport final du rapport consultatif Etats-Unis – Union européenne sur la biotechnologie, 13 ; G. J. MARTIN, Ecole chercheurs « éthique économique et sociale », INRA, La Londe-les-Maures, 1999. 4 1999/468/CE, JOCE n° L 184, 17 juill. 23 Commission à la majorité qualifiée alors qu’il ne pouvait avant la rejeter qu’à l’unanimité. C’est dire qu’une décision de rejet pourra plus facilement être adoptée que par le passé, renforçant ainsi le rôle procédural et substantiel du principe de précaution. Le Parlement est, par ailleurs, informé de la proposition transmise par la Commission au Conseil, ce qui accroît indirectement l’information du public. Fondée sur le principe de précaution, la directive donne un contenu très précis à ce dernier comme en témoignent un certain nombre de dispositions et notamment les annexes. II. Les enrichissements du principe de précaution. Ils peuvent s’articuler autour de deux axes : une plus grande démocratie dans la gestion des risques, une identification des responsabilités. A. La démocratisation de la gestion des risques. Le principe de précaution a vocation à s’appliquer aussi bien aux essais en champ (recherche et développement) qu’à la commercialisation de produits contenant des OGM. Si la décision de gestion des risques demeure avant tout politique et du ressort des autorités compétentes (Les Etats membres et le « comité article 30 » en cas de désaccord), elle repose désormais sur une meilleure information et sur une consultation du public. En ce qui concerne la dissémination volontaire d’OGM à des fins de recherche et développement (partie B de la directive), la Commission a sans doute été sensible à l’attitude des consommateurs européens. L’eurobaromètre de 1997 avait montré que certains applications médicales du génie génétique, en particulier les tests de détection des maladies et la production de médicaments ou de vaccins étaient jugées utiles et moralement acceptables par ces derniers. En revanche, ses applications en agriculture étaient perçues comme inutiles et dangereuses1. L’article 5 de la nouvelle directive prévoit donc l’exclusion possible des substances et compositions médicamenteuses à usage humain consistant en un ou des organismes génétiquement modifiés ou en contenant du champ d’application de la partie B2. Cette disposition est de nature à conforter les chercheurs des grands organismes de recherche du moins en ce qui concerne la recherche médicale et les essais en champ pour ce type d’OGM3. La procédure standard d’autorisation n’est pas nouvelle dans ses grandes lignes mais comporte des innovations intéressantes. C’est ainsi que la notification doit désormais comprendre une évaluation des risques pour l’environnement telle qu’elle est définie par l’annexe II, laquelle est beaucoup plus complète et précise que l’ancienne déclaration sur l’impact environnemental requis par la directive de 1990. Cette évaluation des risques pour l’environnement est une réponse aux interrogations de certains scientifiques qui s’inquiètent des risques de pollinisation croisée. L’annexe II relative aux principes applicables à l’évaluation des risques pour l’environnement mérite examen. Elle se réfère explicitement au principe de précaution et a pour objet l’évaluation des risques pour l’environnement en identifiant et en évaluant au cas par cas les effets négatifs potentiels des OGM, « qu’ils soient directs ou indirects, immédiats ou différés ». Elle oblige à identifier les caractéristiques des OGM pouvant avoir des effets négatifs sur la santé et l’environnement pour ensuite estimer les risques liés à chaque caractéristique identifiée des OGM. Sont visés clairement la « probabilité que l’OGM 1 P.B. JOLY et S. BONNY précités. Cette exclusion ne peut néanmoins jouer que dans la mesure où leur dissémination volontaire est autorisée par une législation communautaire prévoyant des dispositions conformes ou comparables à celles prévues par la directive du 12 mars 2001, notamment en matière d’évaluation des risques, d’autorisation préalable, de surveillance et d’information. 3 Le Monde, 29 août 2001. 2 24 devienne persistant et se propage dans les habitats naturels dans les conditions de la ou des disséminations proposées » ainsi que les « incidences potentielles… que les interactions directes ou indirectes entre l’OGM et des organismes non ciblés peuvent avoir sur l’environnement, notamment les incidences sur les niveaux de population des concurrents, proies, hôtes, symbiotes, prédateurs, parasites et agents pathogènes ». En ce qui concerne la mise sur le marché d’OGM, la procédure d’autorisation a été sensiblement modifiée par rapport à celle prévue par la directive de 1990. La notification adressée à l’autorité compétente de l’Etat membre où l’OGM doit être commercialisé pour la première fois comprend notamment : - Les informations requises dans les annexes III et IV1, - L’évaluation des risques pour l’environnement - Un plan de surveillance - Un projet d’étiquetage et d’emballage, l’étiquetage devant clairement indiquer la présence d’OGM - Une synthèse du dossier. Les annexes obligent le notifiant à fournir des éléments sur le ou les OGM (donneur et récepteur), les méthodes utilisées pour la modification, les conditions de la dissémination et l’environnement récepteur ainsi que les catégories prévues d’utilisateurs du produit2. Il convient de noter que, sans préjudice des dispositions de l’article 25 de la directive relative à la confidentialité des informations3, la Commission doit mettre à la disposition du public le résumé de la notification de même que le rapport d’évaluation. Cette disposition devrait permettre aux ONG souvent très bien armées d’experts compétents d’argumenter sur les risques potentiels. Par ailleurs, outre l’information donnée au public, l’article 24 prévoit, et c’est une nouveauté, la consultation du public qui dispose de trente jours pour présenter ses observations à la Commission, lesquelles sont immédiatement transmises aux autorités compétentes. Il y a incontestablement ici un changement notable de l’attitude de la Commission par rapport à sa doctrine telle qu’elle résultait de la communication de février 2000. Alors que cette dernière n’envisageait que la « communication » sur le risque, elle met en place un régime, quoique imparfait, de véritable consultation du public. La dernière phase proposée par la Commission dans sa communication était celle de la « communication » sur le risque à propos de laquelle, d’ailleurs, les Etats-Unis souhaitaient des précisions de manière à ce que soient clairement distingués le risque perçu par le public et le risque scientifique. La Commission reconnaissait que cette interrogation ne trouvait pas de réponse dans sa Communication mais que des propositions étaient formulées pour organiser la participation du public sur les questions de sécurité alimentaire, notamment dans le Livre Blanc sur la sécurité alimentaire. Cette réponse était cependant insuffisante et n’organisait pas une participation réelle des citoyens aux choix fondamentaux. Que ce soit dans la phase d’évaluation des risques ou dans celle de la communication, celles qui sont fondamentales d’un point de vue démocratique, on ne notait aucune véritable proposition qui puisse marquer une rupture avec le modèle traditionnel. La participation des citoyens à l’évaluation n’était pas explicitée ; la notion de «communication » faisait, en effet, référence à un modèle vertical venu « d’en haut » dans lequel les pouvoirs publics expliquent la solution retenue, sans y associer véritablement la société civile. 1 L’annexe IV est beaucoup plus exigeante que par le passé. Industrie, agriculture et commerce spécialisé, utilisation de produits par le public en général. 3 Ce qui ne manquera pas de soulever des difficultés. 2 25 La Commission, mais la chose était délicate compte tenu de l’opposition des Etats-Unis, n’avançait aucune analyse sur le rôle positif de la controverse pour préciser ce que pourrait être une procéduralisation1 du principe de précaution sur la base notamment de l’organisation d’expertises pluralistes. La division des tâches qu’elle proposait ne permettait pas de prendre en compte la participation démocratique des citoyens à la nouvelle division qui pourrait se mettre en place et qui devrait reposer comme le souligne BRUNO LATOUR2 sur « la prise en compte des risques » et « l’ordonnancement des risques ». Celui-ci a proposé l’introduction d’une nouvelle division des tâches. A la distinction « évaluation des risques », laissée aux experts, et « gestion des risques », abandonnée aux politiques, il oppose deux fonctions de la vie publique que rien ne doit venir confondre : « celle de la prise en compte, d’une part, celle de l’ordonnancement de l’autre. Le public n’exige pas de vivre une vie dénuée de tout danger, mais il veut - c’est son droit - participer avec les experts et les politiques à l’évaluation des risques ; et il veut aussi - c’est encore son droit - participer avec les experts et avec les politiques à la décision finale sur la hiérarchie des risques ». Cette nouvelle division repose sur la reconnaissance de la valeur positive de la controverse et de la nécessité d’organiser des expertises pluralistes. De ce point de vue, la nouvelle directive OGM innove en ce sens qu’elle prévoit de prendre en compte les réponses du public aux interrogations suscitées par les OGM. Elle ne précise cependant pas de cadre précis pour un véritable débat démocratique. Elle mérite sans doute d’être enrichie par les nombreuses réflexions qui sont développées sur ce thème de nos jours. Les hypothèses de situations problématiques difficilement gouvernables et les crises qui se sont multipliées ces dernières années ont eu, en effet, pour point commun de combiner l’incertitude scientifique, des stratégies divergentes d'acteurs et une forte mobilisation sociale, notamment en ce qui concerne la question des organismes génétiquement modifiés. Les interactions entre ces différents facteurs ont créé des situations de controverse. Dans de telles situations, l’expertise scientifique classique pas plus que l’autorité politique traditionnelle des acteurs politiques ne sont parvenues à apporter de réponses acceptables3. C'est pourquoi de nouvelles modalités d'expertise pluraliste sont aujourd'hui proposées pour résoudre ces difficultés4. Elles se fondent sur la conception essentielle selon laquelle les situations de non controverse sont des positions idéalistes qui veulent ignorer l’hétérogénéité du social, la confrontation constante de différences et les relations multiples de négociation et d’ajustements temporaires qu’elles suscitent. Dans les situations démocratiques ouvertes qui ont pris une certaine distance vis à vis des rapports d’autorité classique du politique et de la science, les exigences de discussion et les besoins de compréhension conduisent à envisager positivement les controverses. Aujourd’hui tous les discours d’autorité, qu’il s’agisse de l’expertise savante ou du volontarisme politique, sont souvent insuffisants pour répondre aux questionnements de citoyens. Même non nécessairement éclairés -ils peuvent l’être-, ceux-ci sont du moins concernés. Le traitement social d’un nombre croissant de situations exige donc 1 M. A. HERMITTE, Le drame de la transfusion sanguine en France, in O. GODARD, Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines .éd. MSH/INRA, 1997, 141. 2 B. LATOUR, Le métier de chercheur, regard d’un anthropologue, Sciences en question, INRA, 2éme éd., 2001 ; La sagesse des vaches folles, Le Monde 24 novembre 2000. 3 PH. ROQUEPLO, Entre décision et savoir, l’expertise scientifique, Sciences en question, INRA 1999, R. ENCINAS DE MUNAGORRI, op. cit. 4 P. LASCOUMES, La productivité sociale des controverses, à paraître ; CH. NOIVILLE, expertise et droit, à paraître ; PH. ROQUEPLO, Entre décision et savoir, l’expertise scientifique, Sciences en question, INRA,1999. 26 le passage obligé par un temps de controverse publique et l’organisation d’expertises pluralistes1. On passe ainsi d’une expertise monolithique à une expertise élargie dans la mesure où elle fait appel à des considérations économiques et sociales et où elle devrait associer le plus grand nombre d’acteurs aux experts et aux politiques. Qu’il s’agisse d’autoriser la mise sur le marché d’un produit ou de fixer un seuil de nuisance par pollution, moins que jamais l’expertise scientifique ne va pouvoir dicter la décision, dont une part irréductible apparaît de plus en plus économique, politique, sociale, culturelle. L’autorité de décision conserve toujours une certaine autonomie par rapport aux résultats de l’expertise ; elle doit cependant avoir recours à des jugements de valeur de tous ordres qui dépassent l’analyse scientifique. C’est ainsi que les articles 28 et 29 de la directive obligent la commission à consulter non seulement les comités scientifiques mais aussi les comités éthiques. Par ailleurs, les décisions en matière scientifique et technique doivent faire l’objet de débats publics : conférences de consensus, deuxième cercle… A cet égard la Conférence des citoyens organisée en France sur les O.G.M. est apparue comme une volonté de formaliser le débat ; elle est cependant intervenue trop tard et de façon trop ponctuelle. Il semble, en effet, que le débat sur les questions sociales objets de controverses doive nécessairement s’inscrire dans la durée pour permettre de passer de la notion de risque « acceptable » à celle de risque « accepté ». De ce point de vue, on notera que la directive OGM reste très discrète, sauf à observer, et c’est encore une nouveauté, qu’elle améliore sensiblement les procédures de surveillance et de traitement des nouvelles informations, ce qui inscrit les nouvelles procédures dans la durée. L’article 20 de la directive du 12 mars 2001 définit une procédure très détaillée pour gérer les informations nouvelles concernant les risques liés aux OGM. Le notifiant doit notamment veiller à ce que la surveillance et l’établissement des rapports correspondants soient réalisés selon les conditions posées par l’autorisation. Par ailleurs, les résultats de la surveillance sont rendus publics, ce qui devrait permettre la prise en compte du facteur temps dans la gestion des OGM. L’organisation de conférences devrait reposer très largement sur des expertises économiques et sociales qui pourraient être le « pendant » de l’expertise purement scientifique2. On peut penser que l’incitation la plus forte à s’engager dans cette voie pourrait paradoxalement venir du droit international, en particulier du droit du commerce international ou communautaire. En effet, si aujourd’hui l’OMC, et de façon moindre, la Commission européenne sont rétives aux arguments d’ordre économique, social, culturel, etc… de plus en plus souvent avancés par les Etats pour justifier une limitation du libre échange, c’est principalement en grande partie parce que ces arguments sont avancés de manière empirique, discrétionnaire, sans avoir été véritablement « évalués ». C’est ainsi que l’on peut, à partir de l’exemple des « l’utilités » économique, alimentaire et médicale annoncées des OGM, montrer que beaucoup d’affirmations n’ont jamais été sérieusement évaluées. On a souvent dénoncé l’expertise scientifique comme se situant dans une « boîte noire »3. Il est permis aussi de se demander si l’on ne doit pas formuler une observation identique s’agissant de l’expertise économique, sociale et médicale. Les expertises dites de deuxième cercle pourraient, par exemple, elles aussi s’articuler avec des expertises élargies associant l’ensemble des intéressés, experts et profanes4. Ces dernières devraient recevoir un cadre procédural afin de donner des gages de sérieux irréfutable. De telles procédures présentent l’avantage de modifier le rapport entre les points 1 P. LASCOUMES, précité. CH. NOIVILLE, op. cit. 3 PH. ROQUEPLO, op. cit., 46 et s.. 4 Rapport G. VINEY et KOURILSKY 2 27 de vue experts et ceux des profanes. Contrairement au modèle relativement classique de l'instruction publique où les seconds ne peuvent qu'être éclairés par les premiers sans apport en retour, la mise en débat public démontre que chacun de ces acteurs détient des savoirs spécifiques qui s'enrichissent mutuellement. Dans le cours d'une controverse, il apparaît assez souvent que le cadre d’analyse des experts initiaux s’avère incomplet et que des questions délaissées au départ ne sont pas systématiquement secondaires ou anecdotiques. On en voudra pour preuve notamment les débats apparus récemment sur la dépendance des agriculteurs aux semenciers en matière de cultures OGM et qui avaient été largement occultés. Ces nouveaux dispositifs délibératifs et d’expertise correspondent aux droits fondamentaux mis en avant par B. LATOUR1 que sont le droit à l’information et le droit à l’expression, lesquels ne doivent pas demeurer purement formels comme ils le sont trop souvent. On attendra les modalités concrètes qui seront mises en œuvre par les autorités nationales et communautaires sur cette question dans la mesure où la directive ne précise pas ces procédures et le public qui doit être consulté2. L’information, la consultation du public sont des éléments intéressants dans le cadre d’une construction d’une démocratie participative. La directive de mars 2001 s’appuie aussi sur les signaux du marché pour résoudre la délicate question des OGM. Le signal le plus fort réside incontestablement dans l’étiquetage qui permet au consommateur de faire son choix en toute connaissance de cause. L’article 21 de la directive constitue à cet égard l’un des points marquants de ce texte. Les Etats membres doivent, en effet, prévoir toutes les mesures nécessaires pour garantir un étiquetage et un conditionnement des OGM mis sur le marché. Le projet de règlement de la Commission sur l’étiquetage est, sans doute, une réponse aux nombreux cafouillages de cette dernière dans le passé3. Ce texte doit être complété par l’analyse de la proposition de règlement du Parlement européen et du conseil concernant la traçabilité et l’étiquetage des OGM et à la traçabilité des produits destinés à l’alimention humaine ou animale produits à partir d’OGM. Cette dernière propose que l’exploitant veille à ce que la mention « ce produit contient des OGM » figure sur l’étiquette, mettant fin aux incertitudes actuelles selon lesquelles les étiquettes ne devaient porter que la mention « ce produit peut contenir de OGM »4. Le texte détaille la notion de traçabilité et fait référence à de nombreuses reprises à la notion d’entrave à la concurrence pour veiller à ce que les prescriptions en matière de traçabilité et d’étiquetage ne puissent tomber sous le coup des condamnations sous l’angle des mesures d’effet équivalent ou des barrières non tarifaires5. Paradoxalement, alors que cette proposition de texte s’appuie sur le marché, elle est vivement contestée par les Etats-Unis. Ces derniers ont déjà fait pression sur l’Union européenne pour que cette dernière abandonne une série de règles portant notamment sur l’étiquetage des aliments contenant des OGM. Selon le sous-secrétaire d’Etat Alan Larson, les mesures sur l’étiquetage et la traçabilité des produits seraient « sources de problèmes et 1 Voir aussi : Le métier de chercheur, Sciences en question, INRA, 1995. P. LASCOUMES, op. cit., « Le traitement politique des enjeux controversé a apparemment tout à gagner au passage par une mise en débat public. Et l'on peut faire l'hypothèse d'une nouvelle forme de légitimité de la décision publique ». Aux côtés de la rationalité légale formelle de l'Etat de droit (au sens du droit moderne) et de la rationalité matérielle scientifique du juste état des connaissances scientifiques, se dessinerait une rationalité délibérative ou contre-technocratique. « La validité » et la légitimité « d'une décision reposeraient alors sur la qualité des débats qui l'ont préparée, sur la richesse des informations collectées, sur la diversification des points de vue recueillis et sur la solidité des accords passés entre les acteurs impliqués ». 3 L. BOY, les OGM entre principe de précaution et ordre scientifico-concurrentiel, précité. 4 Nous verrons que cela rejoint la question des responsabilités. Infra. 5 Exposé des motifs. 2 28 discriminatoires ». Ce dernier envisage déjà de porter la question devant l’OMC, ce qui pourrait faire obstacle à l’organisation d’une nouvelle session de négociations de l’OMC1. On a le sentiment de confiner ici au paradoxe : paradoxe qui veut qu’en économie libérale, le consommateur soit libre de son choix dés qu’il est informé. Or, toute information sur ce choix en matière d’OGM est considérée en tant que telle par les Etats-Unis comme « discriminatoire ». Le terme nous paraît important car il témoigne de la volonté des EtatsUnis de se situer dans le cadre prépondérant de l’OMC et d’utiliser un vocabulaire facilement accusateur (discriminatoire). Une lecture moins unilatéraliste et plus conforme à l’esprit des accords de Marrakech nous paraît devoir, au contraire, fonder des politiques claires d’étiquetage. Si la directive de mars 2001 innove en ce qui concerne la démocratisation des décisions publiques et des décisions individuelles des consommateurs, via le marché, elle trace aussi des pistes importantes relatives aux responsabilités des différents acteurs. B. Les responsabilités des acteurs. Elles sont clairement établies dans la directive, même si cette question a soulevé de nombreuses controverses2. Au delà des responsabilités finales en termes de réparation des dommages qui ne sont pas véritablement abordées, la Commission précise un certain nombre d’éléments fondamentaux quant à la traçabilité et à la charge de la preuve dont la doctrine n’avait pas manqué de souligner l’importance3. Si les dispositions de la nouvelle directive ne visent pas spécifiquement la responsabilité environnementale qui avait constitué un point majeur des débats au cours de sa préparation, le considérant 16 précise cependant que la Commission s’est engagée à présenter, avant la fin de l’année 2001, une proposition législative sur la responsabilité environnementale, couvrant notamment les dommages causés par des OGM. Il y a là une réponse claire aux auteurs qui avaient un peu rapidement affirmé selon nous que les destinataires du principe de précaution sont les autorités publiques, en aucun cas les personnes privées, spécialement les entreprises4. Selon F. Ewald, « que le principe de précaution s’applique aux Etats ne fait pas de doute : ses premières apparition sont le fait des traités qui, par principe, ne s’adressent qu’aux Etats ». Et l’auteur poursuivait : « Il faut aller plus loin et dire que si le principe de précaution est une responsabilité de l’Etat, il n’est qu’une responsabilité de l’Etat ». Le rapport Ph. Kourilsky et G. Viney5 concluait, au contraire que, sous l’effet de la jurisprudence communautaire, en particulier celle de la Cour Européenne de Justice, le principe de précaution est devenu une norme autonome, au moins en droit communautaire et interne. La commission rappelait aussi dans sa communication qu’il s’applique directement non seulement aux décideurs publics mais aux décideurs privés6. Le 16ème considérant de la directive de mars 2001 confirme donc cette solution en annonçant la publication d’une proposition législative sur la responsabilité environnementale dont les destinataires principaux seront, semble-t-il, les entreprises. Contrairement à ce que certains ont pu affirmer7, le principe de précaution ne conduit pas à la règle de l’abstention ni à celle de la preuve « du risque zéro ». L’objet du principe « est 1 Agence Reuters, 26 août 2001. F. EWALD, O. GODARD, précités 3 M. A. HERMITTE, 4 F. EWALD, Le Monde, 11 mars 2000 ; Le principe de précaution, entre politique et responsabilité, Commentaire, n°90, été 2000, 365 ; O. Godard, Le principe de précaution, un principe d’action politique, Revue Juridique de l’Environnement, n° spécial 2000. 5 Le principe de précaution, Rapport au Premier Ministre, Paris, Odile Jacob, 2000 6 Point 6.4. 7 O. GODARD, Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme/INRA Editions, 1997. 2 29 d’inviter la recherche scientifique à réduire l’incertitude, son ambition est d’articuler science et politique en prenant acte de la diversité des régimes de la rationalité »1. Le principe de précaution implique l’obligation de savoir, de produire de la connaissance. M.A. Hermitte avait ainsi clairement montré les modifications que l’application de ce principe a introduites dans le statut juridique des innovations technologiques2. Du principe libéral selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est permis, on est passé à un régime d’autorisation préalable conduisant à une inversion de la charge de la preuve. Dans la logique de cette analyse, « il s’agit simplement d’exiger : a) que l’introducteur de l’innovation prenne en considération les risques éventuels et justifie que les avantages espérés l’emportent sur ces risques ; b) que l’introducteur de l’innovation puisse être mis en demeure de contribuer au financement de celle-ci3. Inverser la charge de la preuve n’implique nullement qu’il faille prouver l’absence de risque ; c’est inviter les entreprises à adopter un comportement responsable à l’égard des effets non intentionnels et cumulatifs de l’innovation qu’elles entendent exploiter. C’est ainsi que la directive de mars 2001 sur les OGM entend le principe en faisant peser sur l’inventeur des obligations de produire du savoir tant lors de la demande d’autorisation que dans le plan de surveillance et l’étiquetage qui doit permettre une véritable traçabilité4. « La vigilance à l’égard des risques vise à mettre les entreprises en mesure de suspecter les risques liés à l’utilisation de leurs produits »5. Cette obligation est le préalable nécessaire à une autre obligation qu’est le déclenchement d’une procédure d’alerte. Lors de la notification, l’entreprise doit fournir notamment les informations requises dans les annexes III et IV, annexes très détaillées sur les OGM et les risques pour la santé, l’évaluation des risques pour l’environnement, la durée proposée pour l’autorisation, qui ne doit pas dépasser dix ans6, un plan de surveillance ainsi qu’un projet d’étiquetage et d’emballage. L’annexe VII précise l’objectif du plan de surveillance. Il vise à : - Confirmer que toute hypothèse émise lors de l’évaluation des risques pour l’environnement en ce qui concerne l’apparition et l’impact d’effets néfastes potentiels de l’OGM ou de son utilisation sont corrects, et - Identifier l’apparition d’effets néfastes de l’OGM ou de son utilisation sur la santé humaine ou sur l’environnement qui n’ont pas été anticipés dans l’évaluation des risques pour l’environnement. Cette surveillance doit être faite au cas par cas et comprendre une surveillance générale des effets néfastes non anticipés mais aussi une surveillance spécifique ciblée sur les effets néfastes qui avaient été identifiés dans l’évaluation des risques pour l’environnement. La directive établit une coopération entre les différents intervenants. En effet, « le plan doit garantir qu’il existe une voie par laquelle le titulaire de l’autorisation et l’autorité compétente seront informés de tout effet néfaste constaté sur la santé humaine et l’environnement ». Enfin et la chose mérite d’être soulignée, l’article 20 de la directive 1 C. LARRERE et R. LARRERE, Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution, Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 43, mai 2001, 15. 2 Le drame de la transfusion sanguine en France, in O. GODARD, op. cit., 141. 3 C. LARRERE et R. LARRERE, Les OGM entre hostilité de principe et principe de précaution, op. cit., 19. 4 CH. CHARLIER, Précaution sous les auspices de la traçabilité (application au cas de l’ESB) in Face au droit rural et à ses pratiques, Une approche conjointe des économistes et des sociologues, SFER, L’Harmattan, 2001, 131 : « En France, dans l’article 1 de la loi Barnier, ce principe est directement adressé aux agents économiques ». 5 F. COLLART DUTILLEUL et L. LORVELLEC, Principe de précaution et responsabilité dans le secteur alimentaire, Rapport pour le Conseil national de l’Alimentation. 5 Considérant 20. 6 Le BEUC souhaitait une durée maximale de 7 ans. 30 précise que, « si après l’autorisation écrite, de nouveaux éléments d’information émanant des utilisateurs ou d’autres sources sont devenus disponibles concernant les risques…, le notifiant prend immédiatement les mesures nécessaires pour protéger la santé humaine et l’environnement et en informe l’autorité compétente ». C’est donc principalement sur les entreprises qu'incombe la charge de la surveillance en utilisant pour ce faire toutes les sources d’information, y compris celles qui émanent des utilisateurs. En ce qui concerne l’étiquetage, la directive prévoit simplement que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir que, à tous les stades de la mise sur le marché, l’étiquetage et le conditionnement des OGM mis sur le marché satisfont aux exigences spécifiées dans l’autorisation écrite. On pouvait craindre que cette disposition ne mène à nouveau aux nombreux cafouillages observés par le passé en matière d’étiquetage et qui avaient conduit à la formule ambiguë « peut contenir des OGM »1. Il n’en est rien. Le 3 septembre 2001, la Commission a fait connaître sa proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la traçabilité et l’étiquetage des OGM et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animale produits à partir d’OGM. Cette proposition mérite à elle seule une étude détaillée. Nous nous contenterons d’en dégager les grandes lignes. La modification de la directive 2001/18/ce est fondée là encore sur la constatation que les divergences entre les dispositions des différents Etats membres peuvent entraver leur libre circulation en créant des conditions de concurrence inégales et déloyales. La proposition répond à la nécessité d’harmoniser les législations nationales. Par ailleurs, les exigences de traçabilité applicables aux OGM devraient faciliter le retrait des produits au cas où des effets néfastes imprévus sur la santé ou l’environnement seraient constatés ainsi que le ciblage de la surveillance des effets potentiels de ces organismes, spécialement sur l’environnement. Pour parvenir à ces objectifs, la Commission donne, dans l’exposé des motifs, une définition de la traçabilité en matière d’OGM, ce qui constitue une innovation2. « La traçabilité peut être définie comme la capacité de retracer le cheminement d’OGM et de produits obtenus à partir d’OGM à chaque stade de leur mise sur le marché, tout au long de la chaîne de production et de distribution, rendant ainsi plus aisé le contrôle de qualité et le retrait éventuel des produits ». Il s’agit donc d’un « filet de sécurité » dans l’hypothèse où des effets nocifs inattendus seraient constatés. L’attention portée par la commission au processus de production constitue un élément essentiel servant la philosophie de la précaution. « La prévention pour être adéquate doit porter sur toutes les utilisations possibles qui peuvent être envisagées du produit dont la dangerosité est suspectée (production, transformations, consommation, déchets environnementaux) »3. La proposition de règlement vise à fournir un cadre pour la traçabilité des OGM et des denrées alimentaires et des aliments pour animaux produits à partir d’OGM, dans le but de faciliter l’étiquetage exact, la surveillance des effets sur l’environnement et le retrait de ces produits4. Désormais sont soumis à l’étiquetage les additifs et les arômes ce qui est essentiel dans la mesure ou de nombreux additifs que l’on trouve dans l’alimentation humaine 1 L. BOY, Les OGM entre principe de précaution et ordre « scientifco-concurrentiel, Philosophie du droit et droit économique, quel dialogue ? op. cit., 2 La traçabilité est définie dans la norme internationale ISO 8402 comme « l’aptitude à retracer l’historique, l’utilisation ou la localisation d’une entité au moyen d’identifications enregistrées », Qualité vocabulaire, Organisation Internationale de Normalisation, 1986, Genève. 3 CH. CHARLIER, op. cit., 133. 4 article premier. 31 notamment sont produits à base d’OGM. L’étiquetage est enfin clair1. L’article 4.1 dispose en effet : « Lors de la mise sur le marché d’un produit préemballé consistant en OGM ou en contenant, l’exploitant veille à ce que la mention ‘ce produit contient des OGM’ figure sur une étiquette ». Elle instaure, en outre, un suivi des OGM par un système de codes attribués aux OGM et des procédures permettant d’identifier pendant une période de cinq ans après chaque transaction la personne par laquelle et au profit de laquelle les produits contenant des OGM ont été mis à disposition. La proposition de règlement répond aussi aux inquiétudes qui s’étaient manifestées à propos des produits importés et livrés en vrac ainsi qu’à la question des coûts des essais. S’agissant des produits importés des pays tiers, et spécialement aux chargements en vrac de produits végétaux de base qui peuvent contenir des mélanges non identifiés d’OGM, la proposition de règlement prévoit que les importateurs devront dorénavant en spécifier l’identité et signaler les OGM qu’elles contiennent. Si ces informations ne peuvent être obtenues du pays exportateur2, « il reviendra aux importateurs de déterminer l’identité des OGM contenus dans les produits, vraisemblablement au moyen d’échantillonnages et d’analyses ». On rejoint là la question complexe et cruciale des coûts des essais. Sans entrer dans le détail des propositions, indiquons simplement que la proposition n’impose pas aux exploitants de procéder à des essais à chaque stade de la mise sur le marché, ce qui ne serait économiquement pas supportable, mais répond à cette question par la mise en place d’une information précoce sur la présence des OGM, information qui sera transmise et conservée à tous les stades ultérieurs de la mise sur le marché du produit. Par ailleurs, elle prévoit que des essais pourront être réalisés soit volontairement, soit sur l’intervention des autorités d’inspection. Les éléments relatifs à fournir dans la notification aux fins d’obtention d’une autorisation de mise sur les marchés (annexes III et IV) ainsi que la mise en place de codes informatifs sur les OGM prévue par la proposition de règlement devrait permettre d’assurer, semble-t-il, une réelle traçabilité des OGM. Des chercheurs de l’INRA avaient observé que la seule démarche permettant de faire des tests avec sécurité consiste à utiliser des amorces correspondant aux transgènes recherchés. « Par conséquent, les autorisations de commercialisation, de culture et d’importation doivent être accompagnées d’un dépôt obligatoire soit des amorces adaptées à la détection de la séquence introduite dans le végétal, soit de la séquence elle-même permettant de synthétiser les amorces adéquates »3. Sous réserve d’un examen plus détaillé de la nouvelle directive de mars 2001 en collaboration avec des scientifiques des sciences dites dures, on peut penser que les exigences posées par les nouveaux textes répondent à cette exigence de façon satisfaisante. La question de l’étiquetage semble donc être en voie de résolution, du moins dans l’Union européenne. En effet, de hauts responsables américains font pression sur l’Union européenne pour qu’elle abandonne ne série de règles portant sur l’étiquetage des aliments contenant des OGM4. Selon le sous-secrétaire d’Etat Alan Larson les dispositions annoncées par l’Europe sur l’étiquetage et la traçabilité des OGM dans la nourriture seraient « sources de problèmes d’un point de vue commercial, et de plus, discriminatoires ». Les Etats-Unis 1 Sur la délicate question du coût de l’étiquetage et sur le point de savoir sur qui il doit peser : E. VALCESCHINI, L’étiquetages obligatoire des aliments est-il la meilleure solution pour les consommateurs ?, in Les OGM à l’INRA, précité. 2 On sait que les Etats-Unis notamment refusent de séparer les végétaux contenant des OGM des produits n’en contenant pas. 3 Y. DATTEE, D. ZHANG, S. FUOILLOUX, J. GUIARD, P.L. LEFORT, R. ALARY, K. LACOTTE, M.F. GAUTIER, PH. JOUDRIER, Comment assurer la traçabilité des OGM et des produits issus des OGM, in L4INRA et les OGM, précité. 4 Washington Post 26 août 2001. 32 considèrent que cela soulève des problèmes qui sont du ressort de l’Organisation Mondiale du Commerce, sous-entendant que l’étiquetage pourrait traduire la mise en place de barrières non tarifaires pouvant faire obstacle à l’organisation d’une nouvelle session de négociations de l’OMC, prévue avant la fin de l’année. On peut cependant douter de la pertinence de cette argumentation. Ainsi qu’on la vu, la Commission a pris soin de se référer, dans sa proposition de règlement sur l’étiquetage, à la nécessité d’adopter des dispositions visant la libre circulation des produits. L’information des consommateurs est la condition première du libre choix de ce dernier et il paraît curieux de confondre information des consommateurs et barrières non tarifaires. Comme certains ont pu l’observer, la traçabilité comme la certification, dés lors qu’elle sont crédibles, transforme un « bien de confiance » (ou d’expérience) en un « bien de recherche » donnant au consommateur un libre choix1 On peut penser qu’il s’agit là d’une nouvelle opposition volontairement « radicalisée » entre les Etats-Unis et l’Europe en vue de faire pression sur les futurs différends qui risquent d’opposer ces Etats. Il semble plus raisonnable de montrer que les oppositions entre L’union européenne et les Etats-Unis sont moins tranchées que les discours politiques ne le laissent penser. Il suffit à cet égard de rappeler que, sans utiliser les termes « principe de précaution », les Etats-Unis usent depuis longtemps de ce dernier, spécialement en référence à la Delaney Clause2. Celle-ci reconnaît que donner suite aux souhaits des citoyens consommateurs, en démocratie, est une attitude parfaitement légitime et que la forme et l’intensité des demandes sociales peut varier suivant les pays. Seul serait illégitime au regard des accords OMC le dévoiement d’une telle démarche consistant à l’utiliser comme un moyen d’entraver la libre circulation des marchandises. Si la démarche est légitime, il faut des procédures pour encadrer son utilisation comme le reconnaît le rapport final du Forum consultatif Etats-Unis/Union européenne sur la biotechnologie de décembre 20003. Il est à cet égard intéressant de mentionner le récent document américain relatif aux mesures pour réduire les risques de transmission possible de la maladie de Creutzfeldt-Jacob et de ses variantes en matière de transmission sanguine4. Ici encore, sans que le principe de précaution ne soit expressément visé et en prenant soin de préciser que le texte n’est pas obligatoire (il s’agit uniquement de Guidance for industry, c’est-à-dire de recommandations), le document repose implicitement sur le principe de précaution et les mesures à prendre dans les hypothèses d’incertitude scientifique. A terme, on peut espérer que des positions communes se dessineront quant à la valeur du principe de précaution et aux procédures à mettre en œuvre pour lui donner un contenu concret. 1 CH. CHARLIER, op. cit., 134 citant J.A. CASWELL et E.M. MOJDUSKA, Using information labeling to influence the market for quality in food products, American journal of agricultural economics, 78 (5) 1248. 2 J.P. DOUSSIN et A.G. MACE, L’utilisation des réglementations sanitaires et techniques dans les négociations internationales, Colloque SFRE-CEPII-CNRS-INRA-INAPG, 6 et 7 février 2001, Paris. 3 L. BOY, Rapport précité. 4 Guidance for Industy, Revised preventie measures to reduce the possible risk of transmission of CJD and variant Creutzfeldt-Jacob disease by blood and blood products ; Le Monde, 29 août 2001. 33 Rapport final du forum consultatif Etats-Unis- Union européenne sur la biotechnologie (décembre 2000) Laurence BOY L’analyse de ce rapport de décembre 2000 s’est faite dans l’optique d’une mise en perspective des conclusions de ce dernier avec la communication de la Commission européenne de février 2000 sur le principe de précaution1. Le lancement de ce forum consultatif s’est fait d’un commun accord entre le Président Prodi de la Commission européenne et l’ancien Président des Etats-Unis, B. Clinton. Il s’agissait d’un groupe d’experts indépendants représentants divers points de vue des deux côtés de l’atlantique et associant des scientificités, des juristes, des représentants des consommateurs, des spécialistes en éthique, de agriculteurs, des défenseurs de l’environnement et des industriels. Sa mission était relativement large, mais il a décidé de mettre l’accent sur l’usage des biotechnologies en matière agricole et plus spécifiquement en matière végétale. En effet, initialement, il avait pour objet de fournir un rapport consensuel reflétant les points de vue ainsi que les évaluations sur les avantages et les risques attachés aux biotechnologies incluant de nombreux facteurs comme la santé, la sécurité, le développement économique, la sécurité alimentaire et l’environnement. Un changement radical apparaît immédiatement par rapport à la position officielle traditionnelle des Etats-Unis fondée sur des références à la science. La mission de ce forum n’était pas restreinte à une analyse uniquement scientifique de la question mais devait croiser, ce qui était nouveau dans la perspective américaine, les points de vue de la science, de l’éthique, de la perception des avantages et des risques par le public, de l’information des consommateurs en y intégrant l’utilisation faite du principe de précaution par les législations américaine et européenne ainsi que la question des droits de propriété intellectuelle. Ces dimensions « horizontales » du sujet ont conduit le forum à limiter ses investigations au domaine des végétaux (le langage utilisé est imprécis. Le document rédigé en langue anglaise parle de crops - les céréales - mais, compte tenu de certains risques analysés, il semble que c’est le domaine végétale qui a été analysé incluant de ce fait les oléagineux). Il a donc été décidé d’exclure momentanément la biotechnologie en matière animale qui soulève, elle aussi, de nombreuses interrogations très complexes. A une volonté marquée de limiter les réflexions sur ce thème, correspond, et c’et nouveau, celle d’inscrire de façon globale la question dans celle beaucoup plus générale du développement durable « sustainable agriculture »2. La démarche mérite, selon nous, d’être relevée dans la mesure où le rapport final développe sur la question le tiers environ de ses conclusions. Le rapport est exemplaire en ce sens qu’il traduit un consensus sur de nombreux points qui s’illustrent dans une série de recommandations que nous exposerons mais qui traduisent au sein de cette institution une volonté de poser, si ce n’est des règles, du moins des guides d’action. 1 L. BOY, CH. CHARLIER, M. RAINELLI, avec la collaboration d’I. DOUSSAN, Analyse de la communication de la Commission européenne de février 2000 au regard des débats actuels sur le principe de précaution, RIDE 2001, n° 2. 2 La référence au terme anglo-saxon est importante. Sustainable vise non seulement le développement durable au sens économique du terme mais un développement accepté par les populations. Il y a là concentrées toutes les difficultés de la traduction. 34 Pour tenter de donner une vision d’ensemble des conclusions de ce forum, il nous semble que l’on peut tenter de les organiser autour de quelques grands thèmes majeurs, quand bien même notre présentation ne recoupe pas de façon chronologique ses conclusions. Le rapport aborde d’abord des questions générales qui touchent à la philosophie du principe de précaution, même si les termes sont rarement utilisés (peut-être ne fallait-il pas froisser certaines susceptibilités ?). Viennent ensuite des contributions de type méthodologique sur la mise en œuvre de la précaution qui incontestablement doivent être interprétées comme des réponses à la communication européenne de février 2001. Le plus étonnant dans ce rapport réside néanmoins dans des avancées que les autorité européennes n’avaient même pas cherché à mettre en discussion. I. La philosophie générale du principe de précaution. Le principe en tant que tel n’est même pas évoqué par le forum qui se contente de viser « the role of precaution »1, ce qui lui permet de ne pas avoir à se prononcer, à la différence des autorités européennes, sur la valeur juridique du principe de précaution2. Le document traduit cependant des changements radicaux dans l’approche de la précaution. Il aborde clairement le passage d’une approche en termes de produits en une autre plus novatrice en termes de processus. Il différencie aussi clairement la phase de l’évaluation des risques et celle de la gestion de ces derniers. En ce sens, ce document nous semble constituer une avancée majeure du principe de précaution au niveau international. A. Des produits aux processus de production. Certaines études fondamentales ont mis l’accent sur le fait que les encadrements juridiques en matière d’OGM ont reposé sur des présupposés radicalement différents liés aux perceptions culturelles des risques3. C’est ainsi que là où un certain nombre d’organismes de défense de l’environnement ont mis l’accent sur le caractère totalement inédit des risques liés aux organismes génétiquement modifiés, en s’appuyant sur les divergences exprimées par les scientifiques eux-mêmes, ont été élaborés des textes législatifs spécifiques aux biotechnologies. Selon certains biologistes et les industriels, si la dissémination des OGM peut être sources de risques potentiels pour l’environnement, ces risques sont fondamentalement de même nature que ceux que présentent les produits conventionnels. Les réglementations doivent donc s’insérer dans l’ensemble des règles préexistantes édictées pour les catégories de produits traditionnels et tout à fait adaptées à l’objectif général de sécurité en matière de biotechnologie4. Certains pays ont donc opté pour la reconnaissance de la spécificité des processus de production et donc des risques liés aux OGM et se sont orientés vers une interdiction de principe des OGM, sauf dérogation expresse. Il s’agit notamment du Danemark et de l’Allemagne qui choisirent de voter des textes spéciaux sur les biotechnologies5, textes jugés pénalisants pour la recherche et le développement par certains. « La sévérité de ce modèle reflétait peut-être moins une réelle conception scientifique ou politique du risque qu’il n’avait pour but de stigmatiser en quelque sorte à dessein une technologie »6. Pour trancher 1 Point 2.3.11. L. BOY, CH. CHARLIER, M. RAINELLI, avec la collaboration d’I. DOUSSAN, Analyse de la communication de la Commissiion européenne de février 2000 au regard des débats actuels sur le principe de précaution, RIDE 2001, n° 2. 3 CH. NOIVILLE, Etude comparée des grands modèles de réglementation des disséminations d’organismes génétiquement modifiés (Etats-Unis-Europe), Natures, sciences, sociétés, 1995, n° 3, 117 ; L. BOY, Les OGM entre le principe de précaution et l’ordre scientifico-concurrentiel, in Philosophie du droit et droit économique, Frison-Roche 1999, 333. 4 CH. NOIVILLE op. cit., qui cite A. KAHN et l’idée de « continuum du risque ». 5 Loi du 4juin 1986 pour le Danemark et loi du 20 juin 1990 pour l’Allemagne. 6 CH. NOIVILLE, op. cit., 122. 2 35 politiquement la question la Suisse, actuellement l’un des plus grands pays en matière de recherche biomédicale et d’industrie pharmaceutique, a organisé une « votation » ou referendum visant à interdire dans ce pays la création d’OGM qu’il s’agisse d’animaux ou de plantes1. La votation a finalement été rejetée et avec elle le « recul scientifique ». A l’opposé de ces systèmes, la réglementation fédérale américaine a refusé d’analyser les risques écologiques liés aux OGM comme des risques d’une nature nouvelle et de créer, en, conséquence un encadrement juridique spécifique. C’est une approche par produit qui a été adoptée et qui consiste à évaluer les risques liés aux OGM à partir des caractéristiques du produit lui-même (plante, aliment), indépendamment de la méthode utilisé pour son obtention. Aucune réglementation spéciale n’a donc été adoptée et les OGM ont été soumis aux textes sectoriels en vigueur propres à chaque type de produit. Cette approche impulsée par la Maison Blanche avait pour but de promouvoir la croissance économique qu’un fardeau réglementaire aurait inutilement entravée2. Le contrôle du risque écologique potentiel d’une dissémination d’OGM était subordonné à l’existence d’éléments sérieux, voire à la preuve du caractère dangereux de l’OGM. Le système ne repose pas sur une présomption de risque, mais sur une présomption de sécurité. Il faut signaler néanmoins que les juges américains, sous la pression des organisations de protection de l’environnement, ont à plusieurs reprises imposé une évaluation plus approfondie des effets des dissémination sur l’environnement que celle faite par l’administration. Ils ont estimé, en effet, que l’étude d’impact écologique présente un double avantage : un avantage scientifique mais aussi un avantage social dans un domaine aussi controversé que celui des risques liés à la dissémination des OGM. Une étude approfondie conduit, que ce soit dans le cadre d’une enquête publique ou dans celui d’un procès, à obliger le requérant à approfondir et compléter les premières informations fournies3. Le libéralisme du système fédéral américain a rapidement fait apparaître des contradictions. Malgré les affirmations des scientifiques, les OGM suscitent de plus en plus la méfiance des consommateurs et des défenseurs de l’environnement. Plusieurs Etats fédérés ont ainsi adopté des législations plus strictes que le système fédéral et une réflexion s’organise sur les avantages des OGM au moins dans le domaine des plantes transgéniques et des aliments. Les dispositions européennes ont immédiatement pris en compte la question de l’acceptation sociale des risques liés à la dissémination des OGM. Il existait une grande diversité réglementaire en Europe et devant la crise de légitimité qui risquait de s’étendre, l’Union européenne, dans les directives du 23 avril 1990 décidait de choisir le principe du « oui, mais » et conférait un caractère obligatoire aux mesures de précaution qui avaient été adoptées dans certains Etats membres. Toute dissémination d’OGM est subordonnée au respect de mesures de précaution. Si l’OGM a été obtenu par l’une des techniques visées par la directive, son expérimentation en milieu naturel et sa mise sur la marché sont subordonnées à une obligation préalable : l’évaluation de sa sécurité écologique. La Commission cherchait ainsi à améliorer l’image des plantes transgéniques auprès d’un public inquiet et à prévenir toute distorsion de concurrence. En droit interne, c’est la loi du 13 juillet 1992 qui a intégré les directives communautaires. Ce texte a été présenté comme « la première application du fameux principe de précaution, non pas à un produit déterminé -, tel médicament – ni à un problème particulier - tel l’effet de serre ou la couche d’ozone - , mais précisément à l’ensemble d’un mode de production, avant que le moindre dysfonctionnement ait pu être 1 Les scientifiques se sont inquiétés de ce referendum qu’ils estimaient « scientophobe ». Médecine et science, Novembre 1997, Editorial, Le Monde 17 janvier 1998. 2 V. TARDIEU, Les biotechnologies fructifient dans les fermes américaines, Le Monde, 12 juin 1998 : « En faisant l’économie d’un projet de loi spécifique sur la diffusion des plantes transgéniques, l’administration Reagan a évité en partie la controverse publique ». 3 P.LASCOUMES, La précaution, un nouveau standard de jugement, Esprit, nov. 1997 ? 136. 36 constaté »1. Dans la culture scientifique traditionnelle, une incertitude quant au risque s’analyse comme une absence de preuve et donc comme une présomption de non-dangerosité de la technique elle-même2. La référence au principe de précaution dans les textes a donc inversé cette proposition. « Au seul motif que la technique est nouvelle, et que toute technique nouvelle engendre sinon un risque certain, du moins une incertitude scientifique, on s’autorise à conclure que la prudence s’impose tant que l’innocuité (et non le risque) n’a pas été démontrée »3.Une nouvelle culture du risque apparaît ainsi. Pour autant les textes nationaux et communautaires n’obéissaient pas à cette seule culture et s’inscrivaient dans un environnement concurrentiel mondial. Cette nouvelle démarche visait aussi à donner des gages de sérieux pour permettre le développement des OGM. La production agricole et agroalimentaire est l’une de richesses de l’Europe. Il ne fallait pas que cette dernière se transforme en « forteresse assiégée » vis-à-vis des plantes transgéniques. Cette directive vient d’être remplacée par une directive du 12 mars 20014. Cette dernière renforce les mesures de précaution5 en instituant une surveillance un véritable étiquetage et une meilleure participation du public. Elle rappelle les engagements internationaux, notamment le protocole de Carthagène et annonce la publication de propositions nécessaires à sa mise en œuvre ainsi que d’une proposition législative sur la responsabilité environnementale, couvrant également les dommages causés par les OGM. Ces rappels nous semblaient indispensables pour pouvoir apprécier les apports du rapport final du forum consultatif. En effet, on y note, dés le départ un alignement de toutes les parties sur la position européenne en matière de plantes et d’aliments transgéniques ? La douzième recommandation dispose en effet : « Lorsque d’importantes incertitudes commande une évaluation précise des risques, les gouvernements doivent agir avec précaution en ce qui concerne la sécurité ». Ce texte est éclairé par la conception que se fait le forum de la précaution. En effet, sans en donner officiellement une définition, celui-ci énonce en quelque sorte un principe. « Lorsque qu’il existe des menaces de dommage grave ou irréversible à l’environnement ou à la santé humaine ou de conséquences négatives potentielles d’un organisme génétiquement modifié quant à la conservation ou l’utilisation durable de la biodiversité, il est particulièrement important d’agir avec prudence afin de minimiser ce dommage ou ses effets négatifs ». Cette conception se rapproche de la définition du principe de précaution dans de nombreux textes internationaux qui vise, à la différence de la loi Barnier, le dommage grave ou irréversible. Il est intéressant, par ailleurs, de noter une approche radicalement différente de celle qui prévalait jusqu’alors aux Etats-Unis. En affirmant qu’il ne faut pas oublier qu’en définitive, c’est le public qui doit décider s’il accepte ou non une nouvelle technologie, le forum adopte une approche fondée sur les processus de production et non une approche par produit6. En effet, en envisageant les hypothèses d’adjonction tant volontaire qu’involontaire de gènes dans un végétal, le rapport insiste sur le fait les standards pour la composition des aliments génétiquement modifiés soient comparables à ceux des autre aliments de même type et donc, 1 M.A. HERMITTE et CH. NOIVILLE, La dissémination d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, une première application du principe de précaution, RJE, 1993, n° 3, 391. 2 A. KAHN, OGM : prudence, Les dossiers de l’environnement de l’INRA, n° 12, 13. 3 M.A. HERMITTE et CH. NOIVILLE, op. cit., 394. 4 Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement en abrogeant la directive 9O/220/CEE du Conseil, JO n° L 106 du 17/04/2001, p. 0001 –0039. 5 L’article 1er dispose : Conformément au principe de précaution, la présente directive vise à rapprocher less dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres et à protéger la santé humaine et l’environnement. 6 Introduction, 5. 37 donnent les mêmes garanties de sécurité et de garantie nutritionnelle. C’est dire qu’est désormais prise en considération la façon dont sont produits les plantes et les aliments. Dans cet esprit, le rapport émet sa première recommandation. « Afin de garantir que les aliments génétiquement modifiés et que les aliments pour animaux offrent une garantie de sécurité, nous recommandons que tous les produits soient soumis à un examen obligatoire de mise sur le marché par les autorités compétentes de contrôle et ne reçoivent un avis favorable de mise sur le marché qu’après conformité avec les standards requis d’une certitude raisonnable de non dangerosité ». A cette nouvelle prise en compte de la précaution, le forum consultatif ajoute des éléments de méthodologie qui rejoignent ici encore certaines propositions de la Commission européenne. B. La méthodologie de l’analyse des risques. En considérant la mise en œuvre du principe de précaution, la Commission a proposé une « approche structurée de l’analyse du risque, fondée sur trois éléments : l’évaluation du risque, la gestion du risque et la communication du risque ». On retrouve dans le rapport du forum consultatif les deux premiers éléments de cette méthodologie. Sur le troisième point, ses conclusions paraissent plus exigeantes. En effet, au lieu de s’en tenir à la notion de communication a posteriori sur le risque, ce dernier envisage, avant toute prise de décision un système réglementaire transparent et ouvert à tous les intérêts1. S’agissant de la distinction entre évaluation et gestion du risque, les conclusions du forum et de la Commission se rejoignent. La Commission avait, en effet, précisé que le principe de précaution est « particulièrement pertinent dans le cadre de la gestion du risque » de manière ainsi bien isolée de l’évaluation des risques. Sans reprendre l’expression « précaution », c’est la même démarche que suggère le rapport du forum consultatif. Celui-ci distingue, en effet, la phase de l’évaluation du risque de celle de la gestion, la première fondée essentiellement sur des éléments scientifiques, alors que la seconde invite à introduire la prise en considération d’éléments économiques et sociaux. Il rejoint ainsi la démarche générale d’analyse du risque présentée par la Commission qui définit une chronologie de l’approche et montre, ensuite, où intervient de façon prépondérante la précaution. II. La méthodologie de l’analyse des risques. Les deux approches se rejoignent pour distinguer évaluation et gestion des risques, d’une part, et insister sur le fait selon lequel c’est au niveau de la gestion qu’interviennent principalement les facteurs économiques et sociaux. La contribution du forum nous semble cependant plus riche que celle de la communication de la Commission sur un certain nombre de points qui posent la question de son articulation avec la position officielle du gouvernement américain. A.L’évaluation du risque. Les deux documents se rejoignent pour opérer un partage des rôles. C’est le scientifique qui est l’agent principal de l’évaluation des risques, le pouvoir politique est celui de la phase de la gestion des risques2. En effet, le rapport du forum consultatif insiste sur le fait que les évaluateurs des risques ne doivent pas avoir la responsabilité de la pesée des avantages et coûts. Il s’agit là de la seule responsabilité des décideurs mais, nuance, avec les autres parties intéressées3. 1 Infra, n° III. L. BOY, CH. CHARLIER, M. RAINELLI, op. cit., 26. 3 2.3.6, 12. 2 38 Sur cette base commune, on voit poindre des différences que tend à dépasser le texte commun du forum. C’est ainsi qu’il montre les différences entre le système européen et américain de l’évaluation du risque. Les Etats-Unis et l’Europe confie l’évaluation du risque à différents groupes. L’Union européenne s’appuie généralement sur des comités indépendants d’experts tandis que les Etats-Unis confie cette fonction à des fonctionnaires. Cette première différence conduit à s’interroger sur les questions suivantes : « qui » sont les experts et « comment » travaillent ces derniers, ce que l’on a pu appeler la « boite noire » de l’expertise1. Sur ce point la réponse du forum, empruntant essentiellement au modèle américain, nous semble plus riche que celle de la commission qui finalement ne répond pas véritablement à la question. « Nous croyons qu’il est moins important de savoir ‘qui’ fait le travail que de délimiter clairement cette fonction et de vérifier qu’elle est exécutée avec compétence »2. Dans cette perspective, le rapport recommande que « les personnes chargées de l’évaluation des risques devraient être parfaitement qualifiées pour se prononcer dans le domaine examiné, être d’une haute intégrité, et répondre à de strictes exigences de révélation de leur actuels ou potentiels conflits d’intérêts ». Cette exigence traditionnelle aux Etats-Unis de déclaration d’intérêts paraît effectivement essentielle et pourrait lever la suspicion qui pèse parfois en Europe sur la non indépendance des experts tant à l’égard des pouvoirs privés (les industries) que les pouvoirs publics. Le rapport du forum relatif à la phase d’évaluation du risque paraît riche à bien d’autres égards, sans doute parce que ce dernier, à la différence de la communication de la Commission, ne s’est pas enfermé dans le seul cadre des différends commerciaux dans le cadre de l’OMC. C’est ainsi qu’il convient de relever un certain nombre de propositions très positives, quand bien même ce rapport n’a aucune valeur contraignante pour les Etats. Afin d’améliorer l’identification de risques, les auteurs recommandent que davantage de fonds publics soient investis dans la recherche sur les questions de sécurité3. A cette fin sont suggérées diverses propositions, notamment l’identification la plus complète possible des lacunes dans les connaissances scientifiques à destination des revues et la prise en compte dans les appels d’offres des avis de scientifiques ( toxicologistes, nutritionnistes, biologistes, semenciers) mais aussi d’autres intéressés comme les chercheurs en sciences sociales, en éthique, voire les représentants de la société civile4. Cette dernière proposition est extrêmement intéressante et met l’accent sur un point non identifié en tant que tel, à savoir le facteur déclenchant du principe de précaution identifié par G.J. Martin sous le vocable de « doute légitime ». L’une des interrogations majeures à laquelle tous les décideurs sont confrontés réside dans le point de savoir quel est le critère qui doit déclencher la mise en œuvre du principe de précaution. De façon convaincante, G.J. Martin avait suggéré de faire jouer le principe dés lors qu’il peut être fait état d’un « doute légitime »5. Cette notion renvoie principalement aux sciences dures. Elle implique cependant la prise en compte des opinions minoritaires, dés lors qu’elles paraissent sérieuses. C’est sans doute ce que vise la communication de la Commission lorsqu’elle écrit : « lorsque c’est possible, il conviendrait de rédiger un rapport qui contient l’évaluation des connaissances existantes et des informations disponibles, en présentant les points de vue des scientifiques sur la fiabilité de l’évaluation ainsi que sur les incertitudes restantes »6. C’est ici l’élément scientifique qui est pris en compte. Pourtant, comme le souligne la Commission, le doute légitime doit aussi s’apprécier au regard de la 1 CH. NOIVILLE, expertise et droit, 2.3., 9 ; La récente directive communautaire va dans le même sens. 3 Recommandation 3, 9. 4 2.3.2, 9. 5 Ecole chercheurs « éthique économique et sociale », INRA, La Londe-les-Maures, 1999. 6 Point 5.1.2. 2 39 perception qu’en a le public. Le choix de la réponse à donner à une certaine incertitude scientifique résulte d’une décision éminemment politique, fonction du niveau de risque « acceptable » par la société devant supporter ce risque1. Le doute, le facteur déclenchant, paraît donc légitime non seulement lorsque l’analyse purement scientifique révèle l’existence de fait objectifs venant étayer l’hypothèse théorique mais aussi lorsque des faits sociaux, tout aussi objectifs, révèlent une inquiétude à laquelle il doit être répondu par la formalisation du débat. Les analyses de la communication de la Commission et du rapport du forum sont intéressantes en ce sens qu’elles démontrent qu’avant la phase scientifique proprement dite d’analyse du risque, il faut faire état du facteur déclenchant du principe de précaution qui introduit donc des éléments sociaux. C’est dire que toute volonté d’opposer de façon étanche les facteurs purement scientifiques aux facteurs économiques et sociaux est extrêmement délicate. C’est dire aussi qu’il semble se dessiner une étape préalable et qui prend une importance de plus en plus importante : celle de l’identification du risque qui inclut donc des considérations sociales (Improving Hazard Identification)2. La question du financement de la recherche publique indépendante est soulevée et mérite un examen sérieux. Le forum est préoccupé par le fait que les chercheurs des institutions académiques paraissent de plus en plus servir davantage les intérêts de l’industrie que ceux du public. L’insuffisance de fonds publics pour la recherche encourage ces chercheurs à accepter des financements privés, ce qui conduit à une influence grandissante des intérêts privés. A cela s’ajoute le fait que les législations encouragent les institutions privées à rechercher la protection offerte par les droits de propriété intellectuelle au détriment de la mise à disposition des résultats des recherches au profit de l’intérêt public3. Ces constatations plaident en faveur d’un effort public accru en matière de recherche. Pour autant, il semble qu’un effort doive être consenti par les entreprises privées elles-mêmes. C’est ainsi que le forum insiste sur le fait que les autorités publiques devraient réclamer à l’industrie que cette dernière lui fournisse les éléments de base prouvant l’innocuité des produits4. Cette exigence est importante tant sur le point de la charge financière des recherches que sur la charge de la preuve de l’innocuité des produits. De ce point de vue, cette réflexion nous semble devoir être poursuivie. Sans construire formellement son document sur la distinction évaluation/gestion des risques, le rapport du forum consultatif reprend la distinction suggérée par la communication de la commission et mérite à ce titre d’être analysé soigneusement. B. L’évaluation des risques. Cette phase est identifiée dans la septième recommandation. En effet, les membres du forum recommandent qu’une fois identifié le seuil de risque pour la santé humaine, soit menée au cas par cas une analyse des risques et des avantages potentiels de chaque nouveau produit à la fois quant à la santé, sa valeur nutritionnelle et ses conséquences écologiques et agricoles5. Sur certains points, les conclusions du forum rejoignent celles de la communication de la Commission. Sur d’autres, ses propositions sont plus audacieuses. C’est donc au stade de la gestion des risques que la Commission européenne que le forum proposent l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’inaction. Ces avantages et charges recouvrent deux dimensions difficilement séparables : l’une est économique et l’autre, sociale. Le bilan économique soulève un certain nombre de difficultés dont celle de sa 1 Ibid. 2.3.2 du rapport. 3 2.3.3, 10. 4 2.3, 9. 5 2.3.6, 11. 2 40 légitimité qui est cependant tranchée dans les deux textes1. La prise en compte des déterminants sociaux est introduite par la Commission sans que cette dernière n’envisage de façon approfondie les modalités cette prise en compte. S’agissant du bilan coût/avantage des plantes transgéniques, le forum fait un nombre de propositions qui méritent que l’on s’y attarde quelque peu, compte tenu de leur aspect novateur. Même si les directives communautaires mettent l’accent sur le suivi nécessaire des OGM, notamment du fait que les autorisations sont toujours temporaires, les propositions communes du rapport nous semblent aller plus loin. C’est ainsi qu’est prôné un suivi obligatoire de tout nouveau produit ayant reçu une autorisation de mise sur le marché du point de vue de ses conséquences sur l’environnement et la santé, spécialement pour les groupes de population à risque. Du point de vue de l’environnement, le rapport insiste sur le suivi non seulement du point de vue des possibilités de pollinisation croisée des espèces mais aussi du point de vue de l’évolution des OGM à leur résistance aux pesticides. Du point de vue de la santé, le rapport nous paraît exemplaire d’une volonté d’assurer un véritable suivi des OGM par la traçabilité des produits essentielle pour garantir un libre choix aux consommateurs2.La nouvelle directive du 12 mars 2001 impose aussi une « obligation de mise en œuvre d’un plan de surveillance destiné à suivre et à identifier tout effet direct ou indirect, immédiat, différé ou imprévu des OGM en tant que produits ou éléments de produits sur la santé humaine et sur l’environnement après leur mise sur le marché »3.De façon générale, qu’il s’agisse de l’environnement ou de la santé, le rapport du forum insiste sur la nécessité de ne délivrer que des droits de propriété intellectuelle limités dans le temps et qui devraient se baser sur les résultats des suivis obligatoires. Il est de ce point de vue exemplaire en ce qu’il inscrit, comme la récente directive, la question des plantes transgéniques dans le temps. C’est ainsi que la recommandation n° 10 prévoit une révision périodique tous les 18 à 24 mois des données tant par les spécialistes que par les divers intéressés ainsi que la mise en place de mécanismes de discussion sur les applications futures de ces processus. On pressent déjà là les innovations majeures qu’apporte le rapport au regard des différentes propositions internationales connues jusqu’alors. III. Les innovations apportées par le rapport du forum consultatif. Il est difficile de les synthétiser dans la mesure où elle se glissent souvent dans ce que l’on peut considérer comme des acquis alors qu’elles ouvrent véritablement de nouvelles pistes de réflexion. On en voudra pour preuve les questions tant discutées de la communication sur le risque et de l’étiquetage. Avant d’aborder ces deux thème majeurs, il convient de rappeler les avancées sur le terrain des responsabilités, spécialement de la preuve. La question de la responsabilité des pouvoirs privés n’est pas directement abordée dans le rapport du forum consultatif ; elle l’est cependant de façon indirecte. En effet, en souhaitant que les autorités de régulation exigent de la part des industriels qu’ils fournissent les preuves que les substances nouvelles soient conformes aux exigences en matière de sécurité 4, le forum inverse la charge de la preuve et indique par là même que les industriels sont responsables de la fourniture de ces données. La démarche nous paraît exemplaire d’un changement de paradigme.A un système, fondé principalement sur la responsabilité des seuls pouvoirs publics, est envisagé un mécanisme 1 En faveur de cette dernière : BUREAU, MARETTE et SCHIIAVINA, Non-tariff trade barriers and consumers’s information : the case of the EU-US dispute over beef, European review of agricultural Economics, 1998, n° 25, 437. 2 2.3.7, 12, recommandation 8 et infra. 3 43 ème considérant. 4 2.3, 9. 41 impliquant plus fondamentalement les décideurs privés. On peut déduire, qu’à défaut de fournir ces informations, les industriels pourraient voir leur responsabilité engagée1. Au-delà de cette question fondamentale, le rapport du Forum invite à s’interroger sur deux difficultés majeures : celle de la prise en charge démocratique de risques et celle de choix des citoyens-consommateurs. Il s’interroge aussi de façon générale sur la biotechnologie, la fourniture mondiale de nourriture et le développement durable. A. Communication sur le risque ou gestion démocratique du risque ? La partie de la communication de la Commission sur la « communication sur le risque » (dernière étape) était extrêmement décevante. Elle traduisait une vision très unilatérale et imposée d’ « en haut » alors que les questions soulevées obligent à s’interroger sur la place de la société civile dans la gestion du risque. A cet égard, les conclusions du forum consultatif nous paraissent beaucoup plus riches. La dernière phase proposée par la Commission est celle de la communication sur le risque à propos de laquelle les Etats-Unis souhaitent des précisions de manière à ce que soient clairement distingués le risque perçu par le public et le risque scientifique. La Commission a reconnu que cette interrogation ne trouvait pas de réponse dans sa Communication mais que des propositions ont été formulées pour organiser la participation du public sur les questions de sécurité alimentaire, notamment dans le Livre Blanc sur la sécurité alimentaire. Il semble que cette réponse soit insuffisante et n’organise pas une participation réelle des citoyens aux choix fondamentaux. Que ce soit dans la phase d’évaluation des risques ou dans celle de la communication, celles qui sont fondamentales d’un point de vue démocratique, on ne note aucune véritable proposition qui marque une rupture avec le modèle traditionnel. La participation des citoyens à l’évaluation n’est pas explicitée ; la notion de « communication » fait, pour sa part, référence à un modèle vertical venu « d’en haut » dans lequel les pouvoirs publics expliquent la solution retenue, sans y associer véritablement la société civile. La Commission, mais la chose est délicate, n’avance aucune analyse sur le rôle positif de la controverse pour préciser ce que pourrait être une procéduralisation du principe de précaution sur la base notamment de l’organisation d’expertises pluralistes. La division des tâches qu’elle propose ne permet pas de prendre en compte la participation démocratique des citoyens à la nouvelle division qui pourrait se mettre en place et qui devrait reposer comme le souligne Bruno LATOUR sur « la prise en compte des risques » et « l’ordonnancement des risques ». Celui-ci propose, en effet l’introduction d’une nouvelle division des tâches. A la distinction « évaluation des risques », laissée aux experts, et « gestion des risques », abandonnée aux politiques, il oppose deux fonctions de la vie publique que rien ne doit venir confondre : « celle de la prise en compte, d’une part, celle de l’ordonnancement de l’autre. Le public n’exige pas de vivre une vie dénuée de tout danger, mais il veut - c’est son droit participer avec les experts et les politiques à l’évaluation des risques ; et il veut aussi - c’est encore son droit - participer avec les experts et avec les politiques à la décision finale sur la hiérarchie des risques ». Cette nouvelle division repose sur la reconnaissance de la valeur positive de la controverse et de la nécessité d’organiser des expertises pluralistes. Les hypothèses de situations problématiques difficilement gouvernables et les crises qui se sont multipliées ces dernières années ont pour point commun de combiner l’incertitude scientifique, des stratégies divergentes d'acteurs et une forte mobilisation sociale comme en témoigne notamment la question des organismes génétiquement modifiés. Les interactions entre ces facteurs créent des situations de controverse. Dans de telles situations, l’expertise 1 L’une des voies de la responsabilisation des acteurs économiques réside depuis quelques années en France dans la mise à la charge de ces derniers d’obligations de renseignement, voire de conseil. La question de la responsabilité médicale est, de ce point de vue, exemplaire. 42 scientifique classique pas plus que l’autorité politique traditionnelle des acteurs politiques ne parviennent pas à apporter de réponses acceptables. C'est pourquoi de nouvelles modalités d'expertise pluraliste sont aujourd'hui proposées pour résoudre ces difficultés. Elles se fondent sur la conception essentielle selon laquelle les situations de controverse ne sont positions idéalistes qui veulent ignorer l’hétérogénéité du social, la confrontation constante de différences et les relations multiples de négociation et d’ajustements temporaires qu’elles suscitent ». Dans les situations démocratiques ouvertes qui ont pris une certaine distance vis-à-vis des rapports d’autorité classique du politique et de la science, les exigences de discussion et les besoins de compréhension conduisent à envisager positivement les controverses. Aujourd’hui tous les discours d’autorité, qu’il s’agisse de l’expertise savante ou du volontarisme politique, sont souvent insuffisants pour répondre aux questionnements de citoyens. Même non nécessairement éclairés -ils peuvent l’être-, ceux-ci sont du moins concernés. Le traitement social d’un nombre croissant de situations exige donc le passage obligé par un temps de controverse publique et l’organisation d’expertises pluralistes. On passe ainsi d’une expertise monolithique à une expertise élargie dans la mesure où elle fait appel à des considérations économiques et sociales et où elle devrait associer le plus grand nombre d’acteurs aux experts et aux politiques. Qu’il s’agisse d’autoriser la mise sur le marché d’un produit ou qu’il s’agisse de fixer un seuil de nuisance par pollution, moins que jamais l’expertise scientifique ne va pouvoir dicter la décision, dont une part irréductible apparaît de plus en plus économique, politique, sociale, culturelle. L’autorité de décision conserve toujours une certaine autonomie par rapport aux résultats de l’expertise ; elle doit cependant avoir recours à des jugements de valeur de tous ordres qui dépassent l’analyse scientifique. Par ailleurs, les décisions en matière scientifique et technique doivent faire l’objet de débats publics : conférences de consensus, deuxième cercle… A cet égard la Conférence des citoyens organisée en France sur les O.G.M. est apparue, certes, comme une volonté de formaliser le débat ; elle est cependant intervenue trop tard et de façon trop ponctuelle. Il semble, en effet, que le débat sur les questions sociales objets de controverses doive nécessairement s’inscrire dans la durée pour permettre de passer de la notion de risque « acceptable » à celle de risque « accepté ». L’organisation de ces conférences doit reposer très largement sur des expertises économiques et sociales qui pourraient être le « pendant » de l’expertise purement scientifique. On peut penser que l’incitation la plus forte à s’engager dans cette voie pourrait paradoxalement venir du droit international, en particulier du droit du commerce international ou communautaire. En effet, si aujourd’hui l’OMC et la Commission européenne sont rétives aux arguments d’ordre économique, social, culturel, etc., de plus en plus souvent avancés par les Etats pour justifier une limitation du libre-échange, c’est principalement en grande partie parce que ces arguments sont avancés de manière empirique, discrétionnaire, sans avoir été véritablement “ évalués ”. C’est ainsi que l’on peut, à partir de l’exemple des « l’utilités » économique, alimentaire et médicale annoncées des OGM, montrer que beaucoup d’affirmations n’ont jamais été sérieusement évaluées. On a souvent dénoncé l’expertise scientifique comme se situant dans une « boîte noire ». Il est permis de se demander si l’on ne doit pas formuler une observation identique s’agissant de l’expertise économique, sociale et médicale. Les expertises dites de deuxième cercle pourraient, par exemple, elles aussi s’articuler avec des expertises élargies associant l’ensemble des intéressés, experts et profanes. Ces dernières devraient recevoir un cadre procédural afin de donner des gages de sérieux irréfutable. De telles procédures modifient toutes le rapport entre les points de vue experts et ceux des profanes. Contrairement au modèle relativement classique de l'instruction publique où les seconds ne peuvent qu'être éclairés par les premiers sans apport en retour, la mise en débat public démontre que chacun 43 de ces acteurs détient des savoirs spécifiques qui s'enrichissent mutuellement. Dans le cours d'une controverse, il apparaît assez souvent que le cadre d’analyse des experts initiaux s’avère incomplet et que des questions délaissées au départ ne sont pas systématiquement secondaires ou anecdotiques. On en voudra pour preuve notamment les débats apparus récemment sur la dépendance des agriculteurs aux semenciers en matière de cultures OGM et qui avaient été largement occultés. La conférence de citoyens sur les OGM a montré à quel point des profanes étaient susceptibles de s'approprier un savoir complexe et de le discuter. Il convient à cet égard de relever le changement de perspective entre la communication de la commission et la directive du 12 mars qui abandonne une démarche unilatérale pour une véritable prise en compte des observations du public 1. A cette fin, ce dernier est associé à toute la procédure et ce, dés la demande de proposition de dissémination de l’OGM2. L’article 9 de la directive précise les obligations des Etats pour la « consultation » (et non plus la « communication ») du public et, le cas échéant, de certains groupes. Il Précise que cette dernière doit intervenir dans un délai raisonnable afin de donner au public la possibilité d’exprimer son avis. B.La question de l’étiquetage. A défaut de procédures démocratiques, c’est le jeu du marché par les signaux qu’il envoie qui peut permettre de résoudre la question des biotechnologies. De ce point de vue, les conclusions du forum consultatif paraissent extrêmement intéressantes. Elles mettent, en effet, l’accent sur la nécessité d’informer de façon sincère et adéquate les consommateurs à propose des organismes génétiquement modifiés. « L’étiquetage des produits alimentaires génétiquement modifiés est un important outil pour délivrer aux consommateurs des informations appropriées »3. La recommandation 15 insiste sur le point suivant : « Les consommateurs devraient avoir le droit à un choix informé quant aux produits qu’il décide de consommer…. En conséquence, les Etats-Unis et l’Union européenne devraient établir des systèmes obligatoires d’étiquetage pour les produits finis contenant des matériels génétiquement modifiés ». Il y a là aussi incontestablement un changement radical de la position des Etats-Unis et de l’Union européenne qui, tout en ayant proposé un système d’étiquetage, l’avait construit de façon très désordonnée. Le conseil de l’Union européenne avait proposé que l’étiquetage soit prescrit s’il y a une modification des caractéristiques chimiques du produit ou une différence significative – la présence de nouveaux composés pouvant se révéler allergènes – ou celle d’un organisme génétiquement modifié car il peut exister des réserves d’ordre éthique ou religieux. Le parlement s’est montré plus exigeant puisqu’il a demandé l’étiquetage de tous les produits faisant appel aux biotechnologies. Les Etats-Unis avaient une position inverse. Ils interdisaient l’étiquetage des produits qui ne se présenteraient pas comme naturels au motif que les produits issus des biotechnologies ne le sont pas moins4. En ce qui concerne cette question essentielle, la Commission européenne semble avoir multiplié « cafouillages et dérobades »5. La directive « novel foods » a imposé l’étiquetage des OGM et produits dérivés dés lors qu’ils ne sont pas « substantiellement équivalents » aux aliments classiques. Il a été salué essentiellement par l’industrie européenne qui y a vu un cadre juridique facilitant la libre circulation des marchandises. La notion de « produits substantiellement équivalents » a cependant suscité de nombreuses réserves dans la mesure où les méthodes de contrôle 1 Considérant n° 46. Article 7. 3 2. 5., 15. 4 G. PAILLOTIN, op. cit., 8. 5 Transgéniques, les jeux sont faits, Les Echos, 18 déc. 1998. 2 44 permettant de détecter les OGM sont très imparfaites1, ce qui fait que de nombreux produits contenant notamment de la lécithine de soja échappaient à l’étiquetage. Pour mettre fin à la critique, a été adopté le règlement n° 1813/97 CE du 19 septembre 1997concernant la mention obligatoire de certaines denrées alimentaires produites à partir d’OGM. Il vise l’étiquetage des aliments et ingrédients fabriqués à partir de fèves de soja et de maïs génétiquement modifiés2 mais reste critiqué car ambigu. La directive du 12 mars 2001 lève enfin les ambiguïtés. Au lieu de la mention « peut contenir des OGM », l’étiquette devra mentionner « contient des OGM ». Compte tenu de l’accélération des flux de produits alimentaires, l’étiquetage doit répondre au double souci d’information sérieuse du consommateur et de libre circulation des marchandises3Le principe de l’étiquetage est donc admis par le forum qui indique que devront être définis des seuils à partir desquels l’étiquetage sera rendu obligatoire. On peut penser que la définition de ces seuils donnera lieu à de vives discussions comme en témoignent les discussions qui ont eu lieu en Europe. C. Biotechnologie et développement durable. Nous ne ferons qu’évoquer la question dans la mesure où il s’agit d’interrogations générales, loin de notre propos. Le texte s’interroge sur les avantages et les préoccupations liés aux plantes transgéniques. Il note qu’aujourd’hui le monde n’a pas accès à la nourriture et qu’environ 15% de la population reçoit moins de 2000 calories par jour. Si la biotechnologie moderne peut aider à résoudre ce problème, ce ne peut être qu’en partie la solution d’autant que le contrôle des biotechnologies demeure largement entre les mains des pays développés et du secteur privé4. Par ailleurs, l’agriculture biologique soulève un certain nombre d’inquiétudes en matière environnementale et sociale, sans compter celles des agriculteurs relativement à une dépendance au regard des entreprises multinationales. Le forum considère donc que l’application des biotechnologies pour résoudre les questions de développement ne doit pas être envisagé de façon isolée mais comme l’un des éléments d’un vaste programme. Deux éléments nous semblent devoir être particulièrement soulignés dans la mesure où ils ne manqueront pas de soulever des difficultés au niveau international. Selon la recommandation 19 : L’Union Européenne et les Etats-Unis devraient continuer à assurer la mise en œuvre des principes relatifs à la biosécurité tels qu’ils ont été définis par le Protocole de Carthagène. Par ailleurs, Ils s’engagent à promouvoir et à participer à un dialogue mondial sur le régime des droits de propriété intellectuelle (ou toute autre méthode) qui devrait permettre à la fois une juste retour sur l’investissement en matière de recherche et participer à une agriculture durable pour le développement du monde. L’objectif serait d’assurer aux pays en développement un accès juste et équitable aux nouvelles biotechnologies et à ses produits. Plus particulièrement, les pays en développement ne devraient pas être obligés d’acheter les droits de propriété intellectuelle qui pourraient interdire à leurs agriculteurs de replanter librement les semences ou aux reproducteurs publics de semences d’utiliser les variétés comme sources de nouvelles variations (Recommandation 20). Sur tous ces points le rapport du Forum consultatif constitue des avancées du principe de précaution. L’arrivée à la Maison Blanche de Georges W. Bush pose la question du devenir de ce rapport. 1 1 L. BOY, Les OGM entre …., op. cit. 350. Ce système est jugé imparfait par le Conseil National Français de l’Alimentation qui souhaiterait un système fondée sur une traçabilité totale. Les Echos 18 décembre 1997. 3 2. 5, 16. 4 3. 2, 18. 2 45 LA COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION : CONTRIBUTION À UN DÉBAT...................................................................................... 3 I - LES CERTITUDES RAPPELÉES PAR LA COMMUNICATION SUR LE RECOURS AU PRINCIPE DE PRÉCAUTION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE.............................................................................................. 4 A - La valeur juridique du principe............................................................................................. 4 1 - Le champ du principe de précaution................................................................................................. 4 2 - La nature juridique du principe de précaution................................................................................... 5 3 - Le facteur déclenchant..................................................................................................................... 7 B - Les acquis en matière d'évaluation des risques...................................................................... 7 II - LES CONSTRUCTIONS À OPÉRER. ................................................................................................. 8 A - La mise en œuvre du principe de précaution dans le cadre de l'article 5:7 de l'accord SPS .... 8 Proposition additionnelle de l’Australie ...............................................................................................10 PARAGRAPHE 34 .............................................................................................................................10 TEXTE DE COMPROMIS DU GROUPE DE TRAVAIL....................................................................11 B - Principe de précaution et "analyse du risque" : proposition d'une méthodologie.................. 12 C - Les principes généraux d'une bonne gestion des risques...................................................... 14 1 - La proportionnalité.........................................................................................................................14 2 - L'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action .........................15 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 16 LA PLACE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION DANS LA DIRECTIVE U. E DU 12 MARS 2001 RELATIVE À LA DISSÉMINATION VOLONTAIRE D’ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS DANS L’ENVIRONNEMENT................................................................................................. 17 I. LES RÉFÉRENCES AU PRINCIPE DE PRÉCAUTION............................................................................ 20 A Les affirmations de principe. ................................................................................................. 20 B. Les dispositions techniques. ................................................................................................. 22 II. LES ENRICHISSEMENTS DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION.................................................................. 24 A. La démocratisation de la gestion des risques. ....................................................................... 24 B. Les responsabilités des acteurs............................................................................................. 29 RAPPORT FINAL DU FORUM CONSULTATIF ETATS-UNIS- UNION EUROPÉENNE SUR LA BIOTECHNOLOGIE (DÉCEMBRE 2000)................................................................................................. 34 I. LA PHILOSOPHIE GÉNÉRALE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION............................................................ 35 A. Des produits aux processus de production. ........................................................................... 35 B. La méthodologie de l’analyse des risques. ............................................................................ 38 II. LA MÉTHODOLOGIE DE L’ANALYSE DES RISQUES. ....................................................................... 38 A.L’évaluation du risque. ......................................................................................................... 38 B. L’évaluation des risques....................................................................................................... 40 III. LES INNOVATIONS APPORTÉES PAR LE RAPPORT DU FORUM CONSULTATIF. ................................. 41 A. Communication sur le risque ou gestion démocratique du risque ? ....................................... 42 B.La question de l’étiquetage. .................................................................................................. 44 C. Biotechnologie et développement durable............................................................................. 45 46