
4  Den Tandt                    “Rock ’n’ roll et interculturalité” 
musique  noire  après  la  deuxième  guerre  mondiale  et  de  l’autre,  la 
création  d’un  marché  consumériste  dont  les  adolescents  américains 
étaient le moteur. 
Au  niveau  musical,  les  changements  qui  ont  affecté  le jazz 
dans l’immédiat après-guerre ont servi de toile de fond aux mutations 
musicales qui ont déterminé la naissance du rock ’n’ roll. La période 
en question correspond au moment où des musiciens tels que Charlie 
Parker,  Charlie  Mingus  et  Dizzy  Gillespie,  les  créateurs  du  bebop, 
donnèrent à la musique noire ce que l’on appelle en critique littéraire 
un  tournant  moderniste: ils choisirent  de  faire du jazz  une  musique 
expérimentale.  Le  bebop  posa  les  fondations  des  étapes  futures  du 
jazz  moderne—le  jazz  cool,  avec  Miles  Davis  à  la  fin  des  années 
1950 et le free jazz, avec Ornette Coleman. Le jazz acquit dès lors le 
statut  d’une  musique  sérieuse—un  genre  «  canonique  »,  parfois 
renommé  «  Black  art  music  »,  susceptible  d’être  l’objet  d’études 
académiques et de se créer une niche dans les écoles de musiques où 
s’enseigne  la  tradition  classique  européenne.  Cette  métamorphose, 
admirable  à  beaucoup  d’égards,  laissait  cependant  un  créneau  vide 
dans  le  paysage de  la  musique  populaire.  Dans  les  années  1930,  le 
jazz, sous la forme du swing, servait essentiellement de musique de 
danse,  autant  pour  le  public  noir  que  le  public  blanc.  Or  le  jazz 
expérimental des années 1940 paraissait déconcertant pour une partie 
de  son  public  précisément  parce  que  ses  improvisations  complexes 
n’offraient plus de support aux danseurs.  Il fallait donc que ce vide 
soit comblé par un  autre  type de musique noire—le genre  qui  dans 
les  hit  parades  du  début  des  années  1950  s’appelait  encore  «  race 
music », et qui, pour des raisons de pudeur politique fut rebaptisé « 
rhythm and blues » à partir de 1948. 
Le rhythm and blues n’a jamais constitué un style homogène. 
Ce terme, que ce soit à ses débuts ou dans les décennies ultérieures, a 
une valeur plus fonctionnelle que stylistique: il désigne une constel-
lation d’idiomes musicaux de  la communauté noire dont la  caracté-
ristique  commune  tient  au  fait  qu’ils  servent  de  musique  de  danse, 
popularisée à la fois par la vente de disques et par les prestations des 
artistes.  Au  début  des  années  1950,  les  composantes  musicales 
principales  qui  alimentaient  le  rhythm  and  blues  comprenaient  des 
éléments  du  swing  des  années  1930,  du  boogie-woogie  des  années 
1940, du blues électrique de Chicago, apparu après la guerre,  et du 
gospel.  D’autres vocables à  portée plus limitée  désignèrent certains 
pans de ce champ musical—« jump music » ou « bop ». Le rhythm