Le terme « néo-orientalisme » traduit un néo-cul-
turalisme éthique, c’est-à-dire une manière de
problématiser le champ islamique et les relations
entre les islamités et les occidentalités. Il s’arti-
cule sur un renouveau des postulats de l’orienta-
lisme classique, et l’impératif de la défense des
valeurs démocratiques et modernes. Le cultura-
lisme désigne une doctrine anthropologique con-
sidérant que les actions et les motivations des ac-
teurs sont conditionnées par l’univers culturel
auquel ils appartiennent. Les islamités traduisent
ici l’ensemble en partie fantasmé, potentiellement
contradictoire et relativement fixe, d’objets, de
relations, de pratiques et de discours associés à
une appartenance au champ islamique. De même,
les occidentalités qualifient ce qui fait l’être et
l’agir occidental, perception variant selon les
lieux et temps d’énonciation, mais s’organisant
principalement sur les notions de judéo-christia-
nisme, de modernité et de sécularité. La résolu-
tion du rapport entre ces deux identités imagi-
nées, appliquée sur des échelles locales, nationa-
les ou internationales, participe à des processus
d’identification qui représentent l’une des clefs
de compréhension des engagements néo-orienta-
listes.
Le néo-orientalisme est l’enfant de trois pères :
l'héritage de certains postulats de l'orientalisme
scientifique et de leur critique, notamment sous la
plume la plus connue, Edward Saïd (1935-2003) ;
les acquis d'une historiographie qui n'a pas encore
fait son deuil d'une approche lacunaire du fait
islamique ; et un nouveau climat intellectuel post-
Guerre Froide se caractérisant par le recours à des
« essences culturelles » pour expliquer, sensible-
ment à partir du début des années 1990, les évé-
nements et enjeux au sein desquels l’islamité est
jugée occuper une place cardinale.
Le « néo-orientalisme » décrit donc un renouvel-
lement et une réhabilitation des thèses de l’orien-
talisme classique dans un contexte de progressive
idéologisation des relations entre les pays du
Moyen-Orient et occidentaux, favorisant un re-
tour de la lecture essentialiste du champ islami-
que. Malgré ce que le titre suggère, cette réhabili-
tation n’est pas d’abord le fait de spécialistes uni-
versitaires du champ islamique. Ce terme qualifie
les acteurs – journalistes, essayistes, experts, blo-
gueurs, activistes – des champs intellectuels, mé-
diatiques et de la sécurité, dont les écrits répon-
dent à un certain nombre de critères interprétatifs
communs, qui utilisent un lexique reconnaissable
et relativement spécifique, et qui tendent à s’inté-
grer au sein de réseaux de reconnaissance, de dif-
fusion et de militance. Pour autant, le néo-orien-
talisme n’est pas la traduction d’une école de
pensée. Il s’agit plutôt d’une tendance méthodo-
logique, fondamentalement apolitique, dont les
Lénine en djellaba: néo-orientalisme et critique de l’islam3
Le néo-orientalisme