Introduction

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A . AOUIJ MRAD. Cours de politique économique. Mastère 2 droit public. 2016-2017
Introduction
Un cours de politique économique sert à la compréhension des mécanismes soustendant la vie économique du pays.
1. Propos introductifs
L’intervention de l’État dans la vie économique et sociale se manifeste par des
politiques publiques qui rassemblent l’ensemble des stratégies et des moyens mis en
œuvre par l’État pour maximiser la prospérité collective. Du fait des changements
intervenus dans l’environnement et la structure de l’État, ses politiques se sont
adaptées.
Définir la politique économique. On définit la politique économique comme
l'ensemble des moyens mis en œuvre par l'Etat pour atteindre les objectifs qu'il s'est
fixé dans le but d'améliorer la situation économique générale du pays. Plusieurs
raisons peuvent justifier l'intervention de l'État dans la sphère économique, parmi
lesquelles la nécessité de maintenir la cohésion sociale, l'équilibre des marchés ou le
libre exercice de la concurrence.
Les objectifs de la politique économique sont au nombre de quatre :
- la croissance économique, qui est mesurée par le taux de croissance du
PIB. Dans ce domaine, l'objectif de l'Etat est de favoriser une croissance élevée
et inscrite dans la durée.
- le plein emploi, évalué par le taux de chômage. L'Etat va aider, directement
ou indirectement, à créer des emplois.
- la stabilité des prix, traduite par le taux d'inflation. Il s'agit pour l'Etat de
garantir le maintien du pouvoir d'achat des agents économiques en luttant
contre l'inflation qui l'érode.
- l'équilibre des comptes extérieurs, indiqué par le solde de la balance des
paiements.
Types de politique économique. On distingue deux grands types de politique
économique selon le but poursuivi par l'Etat :
- s'il s'agit de contrebalancer un ralentissement temporaire de l'activité économique
(déséquilibres macro économiques de court terme), l'Etat mettra en œuvre une
politique conjoncturelle. Celle-ci agit à court terme, sur les indicateurs
économiques pour orienter l’activité dans un sens permettant de rétablir les grands
équilibres macroéconomiques. Elle utilise divers instruments : politique
1
budgétaire (l'Etat augmente les dépenses publiques pour relancer l'activité),
politique de l'emploi (mesures favorisant la création d'emploi et assurant des
revenus aux chômeurs), politique monétaire (limitation du crédit, modification
des taux d'intérêt), politique fiscale (augmentation des taxes, réduction des
impôts...), politique de la santé (prise en charge des dépenses...).
- si au contraire, il s'agit de modifier en profondeur les structures économiques et
sociales, l'Etat aura recours à une politique structurelle qui s'inscrit dans le long
terme et vise à agir sur les structures économiques du pays pour transformer le mode
de fonctionnement du système économique. Les mesures prises touchent l'emploi, la
santé, la fiscalité mais aussi la politique industrielle et agricole, la politique de
l'environnement, l'aménagement du territoire, le système de protection sociale
(réforme des retraites), etc.
Ces politiques ne donnent des résultats que longtemps après leur mise en place.
2. Fondements théoriques d’une politique économique
Pour comprendre la politique économique d’un pays, il faut parvenir dans un
premier temps, à situer ce pays par rapport à des fondements. Ce sont les
fondements théoriques de sa politique économique ou au moins ceux dont elle
s’inspire puisqu’un Etat n’invente rien. Il peut mélanger des théories, les adapter
à sa situation et ses besoins, s’inspirer de plusieurs d’entre elles, rarement d’une
seule.
La politique économique d’un Etat peut avoir plusieurs fondements, tous fruits
d’une histoire particulière. Pour schématiser, on peut les résumer en deux
principaux courants : libéralisme et interventionnisme.
Au cœur de ces deux théories, il y a un enjeu essentiel : la lutte de pouvoir entre
deux acteurs, l’Etat et le marché. Chaque crise réveille d’ailleurs ce conflit latent
de valeurs et de normes. Pour les libéraux, il y aurait une « inaptitude
génétique des acteurs politico administratifs à gérer l’économie efficacement »1.
Ceci reste à démontrer.
Le libéralisme
Grosso modo, pour le libéralisme, il est impératif de respecter l’ordre naturel et
donc l’Etat devrait s’abstenir d’intervenir dans l’économie. Les individus doivent
être les acteurs principaux de l’économie : leurs comportements s’agrègent
harmonieusement.
1 Y. SUREL Qui gouverne l’économie ? Revue Pouvoirs 2012-3.
2
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Il y a des noms incontournables de penseurs libéraux : Adam Smith et Stuart Mill
(XVIIIème) . Adam Smith est pour un Etat minimal, mettant en garde contre les
monopoles qui dérangent la distribution « naturelle » du capital et réduisent la
richesse nationale. Stuart Mill sera davantage adepte d’un certain réformisme
social.
Fin XIXème, un nouveau courant libéral néo classique va naître, annoncé par
Jean Baptiste Say, Walras, Pareto, qui va poser les fondements de la théorie
économique moderne. L’intervention de l’Etat ne peut qu’altérer l’ordre naturel.
Dans la seconde moitié du 19 ème siècle, au courant de la « révolution »
industrielle2 imposant le capitalisme comme mode de fonctionnement du
libéralisme, comme système économique, une grande mutation s’y réalise: le
capital va y être de plus en plus concentré 3, le marché de moins en moins
dispersé. C’est ce que Antoine Pirovano dénommera « l’ordre concurrentiel »4, un
ordre loin d’être naturel mais au contraire construit et ordonné, exigeant (ou
amenant ?) un pouvoir économique concentré.
L’interventionnisme.
Ce seront les excès du libéralisme qui amèneront le courant interventionniste. Marx
va relever les contradictions du capitalisme et préconiser la socialisation des
modes de production. D’autres auteurs rappellent à l’Etat que c’est à lui
d’intervenir pour équilibrer le système.
Début XXème, John Maynard Keynes propose un soutien public de la demande
effective : il faut socialiser l’investissement, limiter la libre circulation des
marchandises, redistribuer les richesses. La première guerre mondiale et, à sa
suite, la crise de 1929 offriront à John Maynard Keynes 5 l’occasion de voir sa
théorie mise en pratique dans un certain nombre d’Etats, pour apporter une
solution conjoncturelle à des régressions économiques. Mais il ne faut surtout pas
se tromper : le keynésianisme ne rejette pas le libéralisme puisqu’il s’y insère.
D’autre part, le keynésianisme n’est pas un remède miracle : la reprise des EtatsUnis, même après le New Deal, fut très lente.
2 Qui correspond en fait à une industrialisation.
3 On tend donc à s’éloigner du modèle « pur » du libéralisme prôné par Adam Smith.
4 Cet auteur a beaucoup d’écrits. Pour une synthèse de sa
concurrentiel. Revue internationale de droit économique 2013-4
5 Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt, et de la monnaie
3
pensée, voir F. RIEM Retour sur l’ordre
Les libéraux s’opposent à cette consécration du rôle de l’Etat dans l’économie. Ils
organiseront à Paris lors de l’été 1938 le colloque Lippmann 6. Ce mouvement
s’illustre notamment par les conférences de Hayek, Tullock, Buchanan, Polanyi,
Jacques Ruëff….
Le néolibéralisme est né : une grande nouveauté de conception le caractérise et
le spécifie par rapport au libéralisme classique. Le marché ne peut se concevoir
sans l’Etat. Il s’agit bien de l’institutionnalisation, à travers et au moyen de la
présence constante de l’Etat, de l’économie de marché.
La concurrence devient une organisation étatique, alliance du marché et de la
souveraineté de l’Etat. L’ordo libéralisme allemand sera la meilleure illustration
de ce nouvel ordre économique à la fois libéral et imposé par l’Etat.
La période post seconde Guerre Mondiale se poursuivra dans ce mélange de
nécessaire interventionnisme d’Etat dans l’économie et de concurrence organisée 7.
L’économie de marché s’institutionnalise. Cependant, peu à peu, la concurrence va
s’émanciper de l’Etat, se détacher de lui. Il en deviendra lui-même un acteur à part
entière, mais qui demeure toujours un acteur particulier (Voir infra).
Aujourd’hui, le monde change : il y a une montée en puissance des autorités
européennes avec un changement majeur dans les années 90 8 dans les politiques
financières et monétaires des pays de l’UE (la majorité, pas la totalité) : la
monnaie unique (Euro) et la coordination des politiques budgétaires (Banque
Centrale Européenne). Les critiques du nouveau contexte européen considèrent que
l’instauration de la monnaie unique et de la BCE a conduit à une perte de
souveraineté des États membres et à la fin de l’autonomie des politiques budgétaires.
Les politiques économiques mondiales vont connaître à l’automne 2008 une autre
crise liée aux dysfonctionnements (abus) du libéralisme, notamment financier. Ce
sera la crise des subprimes9, ayant commencé aux Etats Unis mais s’étendant
rapidement au reste du monde. La crise ne va pas se limiter à la finance : elle se
6Les néolibéraux critiquent l’intervention
individuelle (Hayek, Laffer), elle serait
imperfections du marché mais ne croit
gérer restrictivement l’économie du long
de l’Etat en avançant divers arguments. Elle nuirait à la liberté
peu légitime (Bullock, Buchanan). Friedman reconnaît les
pas que l’Etat soit efficace pour les corriger. L’Etat doit juste
terme, il ne doit entreprendre aucune action conjoncturelle.
7 Rosa Luxembourg, Philippe Herzog et Paul Bocara dans les années 60-70 amènent le capitalisme
monopoliste d’Etat qui enraye la contradiction fondamentale du capitalisme classique (monopoles,
multinationales, éducation, prestations sociales…).
8 Conclusion des traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997), adoption de l’Euro en 1999
(http://europa.eu/pol/emu/overview_fr.htmoir). Tous les États membres de ces traités font partie de l’Union
économique et monétaire (UEM), dont la finalité est de parfaire l’intégration des économies des pays de l’Union
Européenne. Ils se donnent pour objectif de stimuler la croissance et de créer des emplois tout en assurant la
cohésion sociale et le respect de l’environnement. Les États membres établissent des programmes de réforme
nationaux à l’intérieur de ce cadre, en optant pour la combinaison de mesures fiscales et de protection sociale qui
convient le mieux à leur situation nationale.
4
A . AOUIJ MRAD. Cours de politique économique. Mastère 2 droit public. 2016-2017
propage à l’économie réelle, obligeant à imaginer toutes sortes de plans de
sauvetage pour limiter la détérioration de l’état de ses finances publiques.
La sortie de la crise (second trimestre 2009) est altérée par l’augmentation de la
dette souveraine10. Le dilemme Etat/marché est là : les gouvernements doivent
choisir entre le soutien à l’activité économique et le risque de détérioration accrue
du solde public) ou la mise en place d’une politique d’austérité (et craindre
d’étouffer le début de la reprise).
Les déficits publics s’accumulent (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande), amenant à
une vague de panique financière à l’été 2010. Les emprunteurs souverains ne
peuvent plus honorer leurs dettes bancaires (80% de la dette grecque est
détenue par des banques européennes) ce qui a conduit les Etats à réagir en
édictant des mesures de restriction des dépenses publiques.
Cette crise peut être qualifiée de crise majeure du capitalisme qui a révélé les
fragilités du modèle néolibéral (forte flexibilité du marché du travail et degré
élevé de concurrence entre firmes) sans toutefois le remettre en cause.
3. Acteurs de la politique économique
Certains de ces acteurs sont connus de tous : ils apparaissent en pleine lumière, leur
action est visible. D’autres sont moins connus, ils jouent un rôle plus indirect mais
non moins important.
Les acteurs publics sont les plus importants 11. Il s’agit en premier lieu les acteurs
politiques, des ministres en tant que chefs d’administration centrale et des
nouvelles agences de régulation.
9 Les subprimes sont des crédits immobiliers proposés à des ménages américains ne présentant pas les
garanties financières nécessaires pour accéder aux emprunts normaux (primes) à cause de leurs revenus
irréguliers ou insuffisants, ou parce qu’ils sont déjà endettés…. Leurs taux d’intérêts sont donc plus élevés,
les remboursements s’échelonnent sur une longue durée et on leur applique le teaser rate. Le volume de
ces prêts prend de l’ampleur : il représentait en 2006 23% de l’ensemble des émissions de prêts. Mais, dès le
second semestre de cette année-là, le marché immobilier se retourne (les biens immeubles ne se louent plus,
ne se vendent plus) et ceci va amener les défauts de paiement. Par manque de confiance interbancaire, une
crise de liquidités s’instaure et les Etats sont forcés de prendre des mesures d’urgence. De grandes
banques américaines sont rachetées ou renflouées par l’Etat américain ou la Bank of America ( Merril
Lynch par ex.).
10 Dette souveraine : Terme économique et financier qui renvoie à la totalité de l'endettement d'un Etat. La dette
souveraine englobe l'ensemble des déficits cumulés de l'Etat, auquel on ajoute l'ensemble des dettes contractées
par les institutions qui en dépendent (les collectivités locales, les établissements publics...). Le financement de la
dette est principalement assuré par le recours à des titres de créances émis par l'Etat sur le marché financier. La
dette souveraine des Etats est surveillée de très près par les agences de notations financières comme Standard &
Poor's ou Moody's.
11 Y. Surel, op. cit.
5
Il y a ensuite les « puissances invisibles des marchés financiers »12. La
démonopolisation
du gouvernement de l’économie a engendré l’émergence
puissante de ces acteurs économiques privés, surtout dans le monde anglo-saxon
(lobbies, experts….).
Il y a aussi ce qu’on appelle le « troisième homme »13, les forces de l’ombre, les
puissances occultes du marché. Les « Think Tanks » (comme Terra Nova, comme
« Machrou3 Touness » de Mehdi Jomaa)), les économistes universitaires ou
conseillers, les organisations internationales qui initient avec plus ou moins de
contraintes les réformes économiques dans les pays.
4. Situation économique de la Tunisie depuis 2011
L’histoire de l’économie
économique14 d’aujourd’hui.
tunisienne
a
donné
naissance à
son
modèle
1. L’histoire des dernières décennies et ses traces. La domination de
l’économie par l’Etat apparaît rapidement dès l’indépendance et perdure. A
partir de la crise des années 80, la Tunisie entre en récession, puis dans
une crise économique grave dès 1982. Les déficits publics sont importants,
d’où une augmentation rapide de la dette extérieure (65,9% en 1986). Cette
masse d’emprunt public va étouffer l’investissement national, qui va
régresser. Ayant d’énormes difficultés à payer sa dette extérieure, la Tunisie
va (par le biais du P.A.S. de 1986) prendre des mesures de libéralisation de
son économie . Il s’agit notamment de réduire les tarifs douaniers à
l’importation, de mettre en œuvre la TVA, dévaluer la monnaie et privatiser
les entreprises publiques. Cela entraînera une hausse de la productivité
moyenne et il y aura une reprise durable de la croissance économique.
2. Le dernier tournant. Le processus de mondialisation touche la Tunisie.
Le pays, au point de vue politique et décisionnel, voit ce mouvement
comme une sorte de fatalité qui le dépasse, un « ordre naturel » auquel il
ne peut échapper. Elle doit intégrer l’économie mondiale ou mourir. C’est
pour cette raison qu’à partir de 1997, on entre dans un autre cycle de
12 Ibidem.
13 Ibidem.
14 Modèle économique (ou modèle de développement) : ensemble de politiques socioéconomiques qui
règlementent la création et la distribution de richesses dans un pays donné.
6
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réformes structurelles : le pays
économique forcée.
doit à
présent s’adapter à
l’ouverture
Cette politique de libéralisation aura des résultats mitigés, notamment avec la
déstructuration du tissu économique fragile et en grande partie basé sur les PME,
peu préparées à la concurrence. L’opposition des secteurs économiques off shore
aux secteurs économiques on shore s’accentue. Les premiers sont des secteurs
concurrentiels et ouverts vers l’extérieur — et bénéficiant
de
généreux
privilèges fiscaux— et les secteurs fragilisés par un processus d’ouverture auquel ils
n’ont pas été préparés, notamment dans le secteur du textile (50 % des exportations
nationales en 2004), les seconds sont des secteurs de l’économie locale.
De plus, la Tunisie n’a pas favorisé l’investissement productif et la création
d’emplois.
Les déséquilibres macro économiques seront maîtrisés en quelques années mais à
quel modèle économique cela a-t-il donné naissance ?
Pour Béatrice Hibou15, en Tunisie, le caractère central de l’Etat dans la
construction d’une économie de marché est flagrant. Le libéralisme a mis en
place un système hybride : l’Etat est omniprésent , d’autant plus que les acteurs
privés se sont habitués dès le départ à cette
présence. « Derrière la
déconstruction d’un ordre apparent, la demande d’Etat est encore
très
16
puissante » .
3. Perspectives d’avenir
La note stratégique pour 2016-2020, qui sera la base théorique du XIIIè Plan,
reconnaît un environnement et social instable : croissance économique faible,
chômage élevé, déséquilibres financiers, inégalités régionales….
L’Etat doit poursuivre son rôle stratégique (Justice sociale, infrastructures…) mais
le secteur privé est indispensable pour créer des emplois.
Il faut surtout créer un cadre stratégique à moyen terme durant la période de
transition démocratique. 2015 et 2016 ont vu l’édiction d’un certain nombre de textes
juridiques importants qui concernent l’économie ; des réformes structurelles ont été
initiées, concernant les divers secteurs (financier, bancaire, emploi…).
L’objet de ce cours est d’analyser les politiques économiques relatives à certains de
ces secteurs.
15 Le libéralisme
politique 2006-4.
16 Ibidem.
7
réformiste, ou
comment
perpétuer
l’étatisme tunisien. Revue
L’économie
8
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