reflexions sur la science moderne et la morale

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Annales FLSH N° 19 (2015)
REFLEXIONS SUR LA SCIENCE MODERNE ET LA
MORALE PERSPECTIVES ANTHROPOLOGIQUE
ET ETHIQUE
Par
BONGILO BOENDY1 et
BEKEKA LIKANE2
ABSTRACT :
« Essay on modern science and moral: Anthropological and ethical
perspectives”.
The present work is an essay on modern science and moral. It
tempts to tackle the moral crisis to the technical civilization which
more and more alienates man.
This is easily observed in the fact that man overpowered by
science technology and political organization, is in conflict with
himself and with society.
Viewed under this aspect and immoral, illicit and thus
unacceptable, both in individual and in societal, each action which is
to be directed to unity which is liberty of universal reason.
In fact, the instrumentalization of modernity in service of
efficiency and material progress seems to be not sufficient even
though it leads to abundance, but without ensuring humanization of
man.
0. INTRODUCTION
Le problème éthique ou moral est incontournable à l’homme et
à la société. Ceci se remarque par le fait que sans morale, il n’existe
pas de société véritablement humaine, pas de progrès scientifique
véritable ni durable. La question morale ne concerne que l’homme
en tant que personne dotée de conscience et de raison pour connaitre
et choisir ce qui convient. En toutes ses actions, il a les facultés de
savoir et d’agir selon ses désirs et finalités. En son agir, il sait
distinguer le vrai et le faux, l’utile de l’inutile, l’essentiel de
l’accessoire, le bien du mal.
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2
Professeur à l’Université de Kisangani
Assistant à l’Université d’Ikela
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Annales FLSH N° 19 (2015)
Comme on le voit, seul l’individu se veut moral, c’est-à-dire
universel dans son action morale. Vue sous cet angle, est immorale,
illicite et donc inadmissible tant sur le plan de l’individu que de la
société, toute action qui n’est pas dirigée vers cette unité qu’est la
liberté de la raison universelle. Est inadmissible, toute action dont
l’intention vise autre chose que la réalisation de cette liberté
raisonnable dans le monde de l’individu empirique. En d’autres
mots, est inadmissible toute action dont « la maxime est celle de
l’être particulier du désir, de l’intérêt individuel et qui traite l’être
infini et raisonnable comme seulement fini, le transformant ainsi en
instrument et objet » (E.WEIL, 1969, pp.56-57)..
En fait, ce qui intéresse l’individu, ce n’est pas une théorie des
morales, ni un système des règles positives considéré comme un
système parmi d’autres ; ce qu’il veut, c’est une morale qui soit
valable seulement pour telle ou telle communauté, mais valable
universellement. A la suite de RUSS, la morale renchérit,
BONGILO « reste un effort dans la recherche qui nous conduit vers
la sagesse et le bien » (BONGILO BOENDY, J. F., N°16, 2012,
p.206). La sagesse, cette culture cumulée qui donne à l’homme la
connaissance de mener une vie ordonnée conduit à la recherche du
bien acceptable par tous.
Dans le cadre de cette réflexion, le problème posé est
considéré sous l’aspect éthique. Car le problème éthique surgit
justement parce que l’homme gagné par la science, la technique et
l’organisation politique est en conflit avec lui-même et avec la
société. C’est ainsi qu’il faut dégager les rapports entre individu et
société pour comprendre de façon critique le problème, car la vie de
la personne est indiscutablement tache personnelle et engagement
communautaire.
Cet essai tente de cerner la crise morale occasionnée par la
civilisation technique qui aliène davantage l’homme.
Pour mieux la saisir, ce texte se focalise sur trois points
essentiels : Nous aborderons tour à tour la négation du sujet moral, la
valeur éthique du travail, et enfin la problématique actuelle de la
bioéthique vis-à-vis de la science moderne.
I. LA NEGATION DU SUJET MORAL
Pour appréhender davantage la civilisation technique, nous
nous inspirons « des principes directeurs tels qu’ils sont véhiculés
dans la société moderne par le philosophe Eric WEIL (Op.cit,
p.57)». Mais le premier constat qu’il fait sur la civilisation technique
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moderne est que celle-ci considère la négation du sujet moral comme
un de ses postulats. En effet, dans le projet même qu’elle poursuit, la
civilisation technique omet d’envisager autrement l’homme que
comme un prolétaire (ouvrier).
I.1. Caractéristiques de la société moderne
I.1.1. La société moderne est matérialiste
En principe, pour toute société moderne, toute la vie sociale,
c’est-à-dire l’organisation aussi bien du travail social que des
institutions sociales ne dépend ni des facteurs spirituels, ni des
facteurs historiques (traditionnels) mais uniquement des facteurs
matériels à savoir la richesse sociale, l’état des techniques et la
forme de son organisation. En d’autres termes, la vie dans la société
moderne dépend essentiellement des facteurs qui peuvent permettre
à cette société de combler les besoins matériels de l’ensemble de sa
population.
I.1.2. La société moderne est calculatrice
Parmi les concepts qui caractérisent la société moderne, la
domination systématique de la nature est peut être celui qui exprime
le mieux la modernité de cette société. En effet, toute l’activité de la
société moderne ne vise qu’un seul but : rendre plus systématique et
donc plus efficace la domination de l’homme sur la nature. Pour une
meilleure appréhension de la société moderne considérée comme
calculatrice le problème résulte de ses rapports avec la nature
extérieure, car, toute société cherche à transformer ce qu’elle y
trouve afin de satisfaire les besoins primordiaux de ses membres. Or,
si cette transformation est commune à toute société, même à celle de
type traditionnel, il existerait dans ce processus un moment ou la
société chercherait non seulement à lutter de façon statique et
défensive (E.WEIL, 1956. MOLES et A.NOIRAY, 1972, pp.654697) contre la nature mais, aussi à modifier de façon permanente ses
procédés de transformation. Ce qui rend cette lutte agressive. Il est
certain que ce que vise la société par cette transformation de ses
méthodes de travail est essentiellement l’efficacité.
Ainsi, parlant de la transformation de l’idée de liberté dans la
société moderne, industrielle, A. MOLES et André NOIRAY ont
écrit : « le pouvoir sur le monde est la nouvelle dimension de notre
liberté. Celle-ci a cessé d’être ce libre arbitre, pouvoir de choix
abstrait sur lequel dissertaient les métaphysiciens, elle est de moins
en moins ce droit d’user et d’abuser par lequel on caractérisait
autrefois la sphère personnelle de l’homme. Elle se mesure
aujourd’hui, très pragmatiquement, en unités d’espace, de temps,
d’énergie, elle s’exprime en termes de puissance, de vitesse, de
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précision, de rendement… » (A. MOLES et A. NOIRAY, op.cit.,
p.655). Ces auteurs cités ci-haut estiment que l’idée vague de
progrès (vers quoi ?, Pour qui ?) est remplacée par l’axiome
concret : ce que la machine fait mal aujourd’hui, elle le fera bien
demain. Ce qui implique l’idée d’une perfectibilité indéfinie des
entreprises humaines. Dans le même ordre d’idée, il y a lieu de
signaler la perspective nouvelle de l’idée de nature. Loin d’être cette
réalité intangible séparée de l’homme, la nature est aujourd’hui
perçue comme le milieu, l’environnement dans le quel se déroulent
la vie et les activités de l’homme qui, aujourd’hui a comme
principale ambition de réaliser ses rêves, ses mythes d’hier par
l’asservissement de la nature à sa loi. De ce fait, grâce à la science,
l’homme réalise progressivement ce qui, hier n’était que mythe :
« Icare est le mythe de l’aviation, Babel est le mythe de la machine à
traduire, Prométhée celui de l’énergie atomique, Golem est le mythe
de la Cybernétique » (TSHIBANGU WA MULUMBA, 1978,
p.319-329).
Toutes ces réalisations d’ordre scientifique et technique ont
créée un impact tel que la société moderne est devenue calculatrice
dans le sens qu’elle vise dans toutes ses actions et son organisation,
c’est-à-dire dans le rendement social, à une plus grande efficacité.
I.1.3. La société moderne est mécanisée
Pour mieux situer l’aspect mécaniste, il faut partir de ce que la
société moderne cherche à atteindre. On l’a dit, ce qu’elle vise, c’est
l’efficacité dans sa domination sur la nature. Si en tant que
calculatrice, la société moderne vise le même but, en tant que
mécaniste, elle cherche par quel processus elle peut parvenir à cette
maximisation de sa victoire sur la violence de la nature.
Comme tout groupe humain, la société moderne a ses
problèmes. On pouvait mentionner le problème des loisirs, celui de
la libération de la société, de la violence de la nature, celui de la
division du travail, celui enfin de la coexistence des facteurs
historiques et modernes dans la société actuelle.
Alors que, pour résoudre ces problèmes, les communautés «
traditionnelles » s’appuient sur des données et des valeurs de leur
univers essentiellement magico-religieux, la société moderne essaie
quant à elle d’intégrer ces problèmes dans sa recherche des voies et
moyens en vue de parvenir à une plus grande domination de la
nature.
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Du coup, tous les problèmes qui ne peuvent pas relever du
mécanisme du travail social apparaissent comme illégitimes et sont,
de ce fait, considérés comme des faux problèmes. Car ils ne
permettent pas aux hommes de la société moderne de mieux vivre,
c’est-à-dire, d’être à l’abri de la violence.
Des lors, on peut dire que ce qui intéresse la société moderne
en tant que mécaniste, en principe, ce n’est pas la recherche d’une
finalité qui serait pour ainsi dire inscrite dans le travail humain, mais
c’est le résultat à obtenir tel qu’il est par la rationalité même du
travail sociale.
I.2. L’individu et la société
I.2.1. De l’individu comme combattant
Vivant dans une société dont nous venons de brosser les
principes implicites, l’individu en subit en quelque sorte les contre
coups : il se trouve comme renchérit E.WEIL, « en face d’un
mécanisme (d’un système de lois) auquel il est soumis et sur lequel
en même temps il s’appui pour acquérir une place dans la société »
(E. WEIL, p76).
En fait, face à la violence de la nature, la société moderne a
réussie à organiser des forces dont elle dispose, afin que, par le
travail collectif de ses membres, elle parvienne à vaincre la
résistance de la nature et par conséquent, à procurer à la majorité de
la société ce dont elle a besoin pour vivre pour durer. On voit dès
lors se dessiner la place et le rôle que doit jouer l’homme comme
individu dans le mécanisme social.
En effet, vivant dans la société, l’individu se trouve, comme on
dit, prêt dans le mécanisme social. C’est ici qu’il se découvre vivre
et s’exprime comme individu. Pour ce faire, il doit chercher à
connaitre, non sous leur forme théorique mais sous leur aspect
technique, les lois du fonctionnement de ce mécanisme. Car seule
cette connaissance peut lui permettre d’agir sur les anciens
mécanismes.
De ce qui précède, il ressort que tout individu occupe dans la
société moderne une place bien déterminée. Celle-ci s’exprime par le
rôle qu’il y occupe, celui de combattant, c’est-à-dire d’une force
brute ou intelligente utilisable par la société dans sa lutte contre la
violence de la nature. Comme individu, l’homme est donc conscient
que pour la société, ce n’est pas ce qu’il est lui-même, c’est-à-dire
son individualité qu’il intéresse. Il sait aussi qu’il ne peut participer
aux bénéfices du travail collectif que dans la mesure où il aura
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contribué au succès de la lutte contre la nature. Eric WEIL
écrit : « la valeur de l’individu n’est pas déterminée par ce qu’il est à
ses propres yeux ou aux yeux de ceux qui le connaissent et
l’apprécient pour ses qualités irremplaçables, mais par ce qu’il fait »
(E.WEIL, 1971, p.270.). Dés lors, on comprend pourquoi il essaie
de vivre en conséquence en se considérant comme une force dans le
processus de la production sociale.
En effet, que ce soit dans les systèmes libéral ou dirigiste, le
travail social apparait toujours du point de vue de l’individu, comme
résultat de la pression sociale. La société comme mécanisme agit sur
l’individu pour que celui-ci, surmontant sa particularité, participe à
l’organisation du travail social, c’est-à-dire comme on dit, pour qu’il
se mette en valeur, qu’il se fasse objet dont la société peut se servir
en vue d’un résultat. C’est pourquoi ceux qui résistent sont ceux qui
se conforment aux exigences du travail, c’est-à-dire qui acceptent de
devenir force du travail, force matérielle au service de la production
des biens et des services dont la société a besoin pour vivre de
manière durable.
On le voit, dans la société moderne, l’homme comme individu
se découvre en tant que force utile ou inutile au bon déroulement du
mécanisme social. Ce qui revient à dire que c’est l’individu qui
donne au mécanisme du travail social soit de fonctionner et
d’accroitre ainsi sa domination sur la nature extérieure, soit de
s’arrêter et de disparaitre comme mécanisme.
S’il est vrai que seuls les individus inadaptés perdent la tête et
sont éliminés, suivant quelles règles les individus agissent-ils les uns
par rapport aux autres dans ce mécanisme?
I.2.2. De l’émulation comme règle de conduite
Dans la société telle que nous venons de le décrire, les rapports
entre les individus se caractérisent par une compétition devenue en
quelque sorte la règle qui dirige leurs comportements. Mais
comment nait cette compétition ? Théoriquement, dans la course à la
quelle se livrent les individus, il existe au point de départ une égalité
des chances dans la mesure où tout le monde est capable d’occuper
n’importe quelle place dans la société, pourvu qu’il possède des
qualités requises pour exercer cette fonction.
Dans la réalité cependant, il existe toujours des facteurs nés du
hasard, facteurs plus ou moins naturels, indépendants de la volonté
des individus concernés. Parmi ces facteurs qui explique déjà à ce
niveau originaire, « les fortes inégalités entre individus, on pourrait
mentionner le fait pour un individu d’être propriétaire des machines
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ou d’argent, le fait d’appartenir à une famille ou un groupe dirigeant,
le fait de posséder les capacités physiques ou intellectuelles que
d’autre n’ont pas » (E.WEIL, p.78).
Pour s’assurer que les places les plus importantes sont
occupées par les plus aptes, la société a insisté à instituer un procédé
appelé « la sélection ». Grâce à celle-ci, elle espère être en mesure
d’éliminer les individus incapables afin que la majorité des places
importantes soient occupées par des hommes compétents.
Ainsi donc, dans la société moderne, le succès revient
généralement au plus méritants, c’est-à-dire à ceux qui s’imposent.
Dans tous les cas, c’est en tant que « calculateur que l’individu tire
sa valeur, c’est en tant qu’article utile », c’est en tant que
« marchandise » ayant son prix qu’il se taille une place dans la
société.
II. Valeur éthique du travail
2.1. Insatisfaction de l’individu prolétaire
Comme on l’a vu, la société moderne, ne poursuit qu’un but:
Créer un climat tel que les individus, abandonnant leurs
individualités deviennent « objets utilisables » pour et dans la
société.
Or, toute société en tant que particulière est historique ? En
tant qu’historique, elle est déterminée par les facteurs historiques.
D’autre part, l’action de l’individu obéit à un sacré traditionnel
(prestige, bonheur, grandeur, etc.) c’est-à-dire à un sentiment qui fait
de lui ce qu’il est pour lui-même, son individualité. De fait, sans le
sacré traditionnel, que serait la vie de l’individu dans la société sinon
une vie dans l’ennui, dans le vide ou n’aurait plus à penser ni à vivre
une vie intime et sensée. Quelle est en fait la situation que vivaient
les individus dans les sociétés les plus avancées techniquement si ce
n’est celle caractérisée par les insatisfactions. Ceci se manifeste
notamment par le nombre de suicidaires, des névroses, des
couvertures à des fausses religions, des alcooliques, des
morphinomanes, des criminels sans motif… Ce qui provoque ainsi
cette insatisfaction de l’individu, c’est le fait que, la « société, de par
son principe, exige que l’individualité de l’individu disparaisse »
(E.WEIL, p.95).
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Or, puisque cette société elle-même n’est pas totalement
rationnelle, l’individu garde encore en lui sa personnalité et peut
vivre son individualité historique. D’où le conflit qui oppose
l’individu, ce conflit peut ébranler l’équilibre social.
Ainsi donc, puisque la société moderne se définit dans la lutte
avec la nature, l’individu en tant que membre de cette société se sent
libéré de cette violence de la nature. Mais cette libération ne lui
permet pas de poser, et encore moins de répondre à la question qui
pour lui, est essentielle, à savoir la question du sens.
2.2. Valeur éthique du travail
Il ne s’agit pas pour nous, de brosser les diverses conceptions
du travail qui se dégagent à travers l’histoire, mais on peut retenir les
deux suivantes qui nous paraissent déterminantes.
Avant d’évoquer la signification éthique du travail, nous
parlons d’abord de sa définition selon Henri ARVON.
2.2.1. Définition du travail
Dans le contexte de la société moderne, la perception du sens
du travail dans ses rapports tant avec la nature qu’avec l’homme et la
société s’avère importante pour comprendre la problématique
actuelle créée par l’individu-travailleur dans la perspective de l’après
société industrielle.
Henri ARVON donne du travail trois aspects différents qui,
loin de s’exclure, se complètent :
 Le Travail est « l’effort musculaire qui provoque la fatigue et
l’épuisement » (H.ARVON, 1969, p.44.). vu sous cet angle, le
travail humain ne serait différent du travail animal.
 Le Travail humain « est effort volontaire conscient et réfléchi »
(H.ARVON, 1969, p.45.). En effet, ce qui distingue le travail
humain du travail animal est qu’il n’est pas guidé par les
instincts ; il est un acte qui résulte de la liberté. Il est un acte
humain : il est pensé (réfléchi) avant d’être réalisé.
 Le Travail humain est « effort créateur ». Sa tache la plus noble
consiste à promouvoir un sens de l’homme en agrandissant la
réalité humaine (H.ARVON, 1969, p.48.). C’est la définition
enrichie du travail. Elle est dynamique, elle implique à la fois la
dimension matérielle et spirituelle du travail humain.
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2.2.2. Travail comme entreprise prométhéenne
Le but à atteindre ici, c’est de maitriser le monde, grâce à la
connaissance des lois naturelles en vue d’une libération matérielle de
l’homme. C’est dans cette optique du travail que se situe la
civilisation technique pour laquelle le travail vise la satisfaction des
besoins matériels de l’homme. Il se fait malheureusement que
l’aspect technique du travail (machine) a créé avec la société
industrielle, un tel risque pour l’humanité de l’homme qu’au lieu
d’être un moyen au service de l’homme, la machine met l’homme à
son service : la machine devient en quelque sorte la fin d’elle-même
et aliène l’homme.
2.2.3. Travail comme effort théorique à la manière d’Hercule
(H.ARVON, 1969, p.7)
Ici, le travail a pour finalité de permettre à l’homme « de
dépasser la nature, en substituant à l’ordre des choses tyranniques un
monde de l’esprit où règne la liberté » (H.ARVON, 1969, p.8.),
c’est-à-dire un monde où petit à petit l’homme parvient à une
libération spirituelle de son être. C’est vers cette nouvelle vision du
travail que se dirige la société post industrielle.
II.3. Signification éthique du travail
Le but du travailleur reste la pure satisfaction de ses besoins
matériels, le travail ne représente qu’un des sens, à savoir son sens
matériel au service de l’être carentiel de l’homme.
Il arrive qu’au-delà de son aspect instrumental, le travail
présente un sens plus profond du point de vue de la morale. En
d’autres termes, qu’il se découvre recéler une valeur éthique. C’est
pourquoi un homme qui, non content d’être simplement un ouvrier
au service de la production dont la société a besoin, de se reconnaitre
comme une personnalité, une individualité qui se doit de participer,
de façon consciente, au progrès du monde de travail que celui-ci
reçoit une valeur éthique.
Dés lors, tout en se voulant être un processus de chosification,
d’instrumentalisation de l’homme dans la mesure où celui-ci comme
individu travailleur se définit essentiellement comme un ouvrier, un
producteur, le travail ouvre l’homme, par sa rationalité, à une
nouvelle perception de soi et de la société.
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En effet, par le travail, l’homme découvre autrui (fut-il
compagnon dans la même galère : Cf. SARTRE) dont il doit tenir
compte. Par là, il participe à l’œuvre commune de construction, de
transformation et de domination de la nature.
De plus, par le travail, l’homme ordonne son individualité en
fonction des impératifs du travail : il s’ouvre ainsi à une certaine
moralisation. U. DHONDT exprime en ces termes le lien étroit qui
existe entre le monde du travail et le procès de moralisation : « Le
monde du travail en tant que tel, dit-il, c’est-à-dire comme fonction
de la raison calculatrice qui exerce, en société, sa domination sur la
nature extérieure, n’est pas étranger à l’univers de la moralité »
(U.DHONDT, p.503).
Comme on a vu, dans ses rapports avec l’homme, le travail
confère une dignité à l’homme en concourant à son épanouissement.
En effet, le travail fait participer l’homme à l’œuvre de
création. Ce qui non seulement, rend l’homme noble, mais aussi
donne une dimension proprement humaine au travail lui-même qui
cesse ainsi d’être tourné vers le monde en tant que tel, mais le monde
à créer.
Ainsi donc en plus de son sens premier, celui d’être
l’expression de la lutte sociale, contre la nature extérieure afin de
rendre celle-ci moins hostile, le travail reçoit de nouvelles
dimensions, celles d’être le lieu de la rencontre d’autrui, celle d’être
ce qui donne à l’homme d’adopter une attitude convenable lui
permettant une heureuse insertion dans le processus de production
sociale. C’est sans doute entre autre la réflexion sur ces dimensions
qui dévoilent manifestement le changement de perspectives sur le
travail humain et partant sur l’homme lui-même qui a donné lieu à
une approche de l’homme (et ses droits) dans ses rapports tant avec
le monde qu’avec la société.
Dans la même logique, Jean-François BONGILO pense que les
idées ont évolué et l’homme, aujourd’hui, n’est pas que comme
ouvrier ou prolétaire comme l’a pensé Karl MARX dans la
civilisation technique, il y a plus d’un siècle. Il renchérit à ces
propos : « la modernité instrumentale » (BONGILO BOENDY, J.F.,
2012, pp.219-224) bien que vise la transformation du monde sans
beaucoup se soucier des dimensions humaine et spirituelle de
l’homme, mais, cette modernité consiste aussi à rendre l’homme plus
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humain par l’amélioration des conditions de la vie, en tenant compte
de la dimension spirituelle de l’homme.
Dans le mythe de sysiphe de CAMUS, dont prométhée est
héros, constante encore BONGILO, bien que l’homme est invité à
fournir sans cesse un effort, mais doit savoir qu’il ne parviendra pas
à éliminer la souffrance et les contradictions absurde de la vie. Ce
qui nous intéresse, c’est que toute action tant physique
qu’intellectuelle doit être orientée vers le bien de l’homme et la
communauté, donc elle doit être morale. D’où la dimension de
complémentarité entre la modernité et la morale stigmatisé par
BONGILO. Cependant, la modernité et la morale se rencontrent dans
le cas où l’action libératrice favorise l’émergence des valeurs telles
que le multiculturalisme, la coexistence pacifique, la démocratie, le
changement qualitatif et l’annihilation de toute tentative à
l’hégémonie.
Pour transcender les clivages et les oppositions entre la morale
et la modernité et même les différentes conceptions morales entre
elles, Charles TAYLOR, sous la plume d’A. TOURAINE (A.
TOURAINE, cité par BONGILO BOENDY, 1992, p.273), rassemble
en un seul concept de « moralité moderne » les principes de respect
des droits de l’homme, la notion d’une vie pleine, complète et
autonome aussi que la dignité de chacun dans la vie publique.
Enfin, pour que le travail confère la dignité à l’homme, il faut
qu’il soit guidé par l’action morale en vue de la transformation et de
la production efficace de l’homme.
III. LA PROBLEMATIQUE ACTUELLE DE LA BIOETHIQUE
Nous nous proposons d’aborder dans ce dernier point, les
questions relatives aux progrès scientifique et technologique atteint
par l’homme aujourd’hui et à la technique moderne :
 Le chercheur (le scientifique) est-il autorisé au nom de la science,
de l’intérêt collectif, du bien de la majorité, de se servir comme
objet ou moyen d’un savoir, d’un autre homme (cobaye) ou d’un
patient pour un essai thérapeutique ou une intervention
chirurgicale? Cette question en appelle une autre.
 Quel est le rôle de l’Etat ou, de façon générale, des instances
morales dans la protection de l’intégrité et de la dignité de la
personne humaine face aux risques des manipulations
technologiques modernes ?
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Pour approcher ces questions, nous tentons de définir la
bioéthique et enfin réfléchir sur la bioéthique et nous.
3.1.1. Qu’est-ce la bioéthique
Mot vraisemblablement dû à POTTER (F. ISAMBERT, 1983,
p. 83-89) en 1971, la bioéthique ou comme l’appelle le comité
consultatif nationale d’éthique, est l’éthique des sciences de la vie et
de la santé ou plus simplement l’éthique biomédicale. Elle n’est pas
une science nouvelle, mais elle est plutôt une manière de penser et de
vivre notre culture marquée globalement par la science, et en
particulier par les sciences de la vie. Il s’agit pour l’homme en fait
d’un effort de réflexion renouvelé sur les enjeux du pouvoir
scientifique en général et plus particulièrement dans le domaine
biologique afin d’être en mesure de se penser lui-même et d’orienter
la gestion de ce pouvoir vers la promotion de la vie telle qu’elle est
vécue. En tant que telle, la bioéthique inclue les préoccupations de
l’éthique médicale traditionnelle tout en dépassant dans la mesure où
elle intègre dans sa réflexion interdisciplinaire, les problèmes actuels
liés à la naissance, à la vie et à la mort.
Sur le plan Africain, la problématique de la bioéthique n’est
pas prise en compte tant au niveau de l’Etat que des philosophes,
théologiens et juristes. Dans la plupart des cas, le médecin, le
chercheur jouit d’une liberté telle qu’il arrive rarement qu’un procès
soit intenté contre lui suite à un décès provoqué par erreur médicale
ou à une mal formation due à un traitement irrespectueux et la
dignité du patient (KALONGO MBIKAYI, 1982, p. 264). La haute
considération dont jouit le médecin dans la société africaine en
général et congolaise en particulier où il est considéré comme le
sauveur, comme celui qui vient réhabiliter une vie diminuée par la
maladie justifie sans doute son arrogance. Tout lui est permis : Il
peut vouloir comme il peut refuser de soigner, même lorsqu’il se
trouve devant un cas de force majeure (cas d’une victime d’accident
indigent amené en urgence). Il peut administrer tel ou tel
médicament à des doses parfois mortelles, procéder à telle ou telle
oblation non indispensable sans qu’il soit inquiété ni poursuivi. Il
faut dire que la plupart des cas, ces situations sont les résultats de
l’ignorance de leurs droits de la part du patient et de son entourage.
D’où l’importance des instances appelées non seulement à
réglementer la pratique médicale, mais aussi à veiller à ce que dans
les rapports entre le médecin et son patient, seul le respect de la
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dignité de ce dernier puisse guider tout effort tendant à régénérer la
force d’une vie diminuée par les effets de la maladie.
De leur côté, les moralistes ne peuvent que se sentir interpeler
par des situations de conflits que vivent certains médecins entre le
devoir de sauver la vie et les motivations matérielles ou
scientifiques, ils doivent aussi intervenir pour aider certains et leurs
familles confrontées à des attitudes coupables sur le plan moral et
déontologique de beaucoup des médecins et leurs auxiliaires.
3.2. La bioéthique et Nous
Une réflexion sur la science en général montre que celle-ci se
constitue en un pouvoir. De plus, dans ses manifestations actuelles,
elle avance plus vite que l’homme appelé à la maitriser afin qu’elle
serve à son bonheur. D’où les risques qu’elle présente pour l’homme
lorsqu’elle n’est pas maitrisée. Plus précisément dans les domaines
des sciences de la vie et de la santé, personne n’ignore aujourd’hui
les risques de dérapage moraux
auxquels peuvent mener des
situations de concurrence intellectuelle entre chercheurs (cas des
chercheurs sur le SIDA : l’Américain Dr GALLO et le France Dr
ZAGURY) ou entre grandes firmes pharmaceutiques. De même,
l’Association de la recherche médicale avec l’industrie
pharmaceutique peut mener
les médecins à prescrire des
médicaments en fonction de la rentabilité de tel ou tel produit
(A.LANGLOIS, 1988, p. 177). La course qui se remarque aujourd’hui
entre chercheurs sur le SIDA, la percée des sciences de reproduction
et de la génétique (procréation artificiel, la congélation des
embryons, le bricolage ou les tentatives de manipulation gènes),
posent aux chercheurs le problème crucial des « finalités des limites
de leur activité » (A.LANGLOIS, 1988, p. 178).
Du point de vue éthique, l’intérêt d’une réflexion sur la
recherche biomédicale réside dans le fait qu’elle permet, avec
l’affirmation implicite de droit de l’homme, d’échapper au danger
du relativisme moral résultant du conflit des valeurs. En effet, si pour
le chercheur, ce qui importe c’est le résultat de l’expérimentation
dans le sens d’une meilleure connaissance de la maladie et des
procédés thérapeutique ; pour la moralité et spécialement pour
l’éthique sociale, il estime que le devoir de l’Etat est la protection
des droits des individus dans la mesure où ces droits n’entravent pas
le bien commun, le point de départ de la réflexion est le bien de la
personne humaine, le respect de son intégrité et de ses droits.
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Pour que représente l’homme et que nous appelons dignité
humaine, il est bon de partir du philosophe Allemand E. Kant. Celuici, parlant de l’homme et de sa dignité ; écrivait : « agis de telle
sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans
la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen » (E. KANT, 1977, p. 150).
L’homme est une valeur. Comme tel, il représente une dignité.
Celle-ci est présente en moi comme en autrui. Elle exige un respect
qui est pratique. L’homme que nous sommes nous-mêmes, voilà
l’homme que sont aussi les autres. Nous sommes toujours plus riches
que ce que les autres peuvent dire sur nous. Nous sommes toujours à
la fois présence et transcendance. De même, l’homme que nous
regardons, le malade dont nous examinons le corps n’est pas
réductible à son corps. Il est plus que ce corps que nous palpons, fin
de qualités impersonnelles que possède n’importe quel autre
individu. Il est comme nous, une valeur intrinsèque : il est en tant
qu’homme, une dignité qui, en tant que telle, attend légitimement de
nous le respect des droits inaliénables attachés à sa personne.
Cela étant, est-il moralement licite, dans le seul but de faire
avancer la connaissance théorique de la maladie, d’utiliser, avec ou
sans leur consentement, des individus sains ou malades? Au nom de
quoi refuser au couple qui le désir d’avoir le type d’enfant (sexe,
intelligence …) que les nouvelles techniques de reproduction
peuvent lui offrir ? Au nom de quoi refuser à un individu une mort
anticipée, qu’il s’agisse d’une euthanasie passive ou active, surtout
celle-ci est perçue par l’intéressé comme une auto-délivrance? N’aije pas le droit de choisir ma mort ? Le médecin a- t-il le droit de
provoquer la mort, même si jusqu’à présent le code de déontologie
médicale le lui interdit, son rôle en tant que médecin étant justement
de lutter contre la mort ? Il est difficile de donner des réponses
satisfaisante et définitive à ces genres de questions. C’est justement
le rôle dévolu aux avis sur des cas concrets ou généralement vécus.
Néanmoins, pour plus de clarté dans les tentatives des réponses, on
pourrait synthétiser les diverses questions évoquées plus haut sous
trois rubriques.
3.2.1. Questions sur le début de la vie.
On pourrait réfléchir sur les pratiques ci-après destinées à
vaincre la stérilité.
 L’insémination artificielle : c’est une procédure de procréation
médicalement assistée (PMA), appliquée en cas de stérilité
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d’origine masculine. Cette technique consiste à introduire dans le
corps d’une femme au moment de l’évolution les spermes
déposés dans une banque par le mari (en prévision d’une maladie
compromettant la fertilité d’une mort prolongée- cas des
militaires) soit par un donneur anonyme. Cette technique pose des
problèmes psychiques tant pour les parents et pour l’enfant. Estce un droit pour un tel enfant de connaître ses origines ?
 Fécondation in vitro : Il s’agit d’une technique à la quelle on fait
appel en cas de stérilité de la femme. Elle a été utilisée pour la
première fois en 1978 avec la naissance en Angleterre de Louise
BROWN. Cette technique est appelée « technique de la fivete »
(J.C. BESANCENEY, 1991, p. 79). Elle consiste à mettre en
contact, un ovule prélevé sur la femme avec des spermatozoïdes
du mari dans un embryon, dans l’utérus maternel ; cette technique
pose le problème du sort des embryons qui n’ont pas été
implantés ; sans doute, l’on peut estimer que l’embryon, le fœtus,
ne doit pas bénéficier de la même dignité que celle de l’être
humain actualisé. Cependant, il reste que le problème persiste
aussi longtemps que la réponse finale tarde à venir sur la question
de savoir si l’embryon qui est une personne humaine potentielle
doit jouir du respect dû à l’être humain.
De plus, qu’elle est la place qui convient de réserver à une
mère de substitution (une mère porteuse)? Que pense de façon
générale et sur le plan de la réflexion anthropologique du sens que
cette pratique peut avoir pour l’homme que nous sommes et pour
l’humanité, surtout celle à venir (de filiation) ? Outre, les deux
pratiques examinées ci-haut, on peut encore réfléchir sur
l’eugénisme, ce vieux rêve, (réalisé par les nazis) consistant à
fabriquer les surdoués et des races pures (races aryenne) à l’aide des
spermes (des prix Nobels) garde en banques ou des hommes purs.
On peut aussi méditer sur des questions relatives à l’avortement
provoqué (volontaire). A ce sujet, quelle que soit la raison qui peut
pousser à un tel acte, qu’il s’agisse d’un avortement thérapeutique ou
non, étant donné qu’il est question d’interrompre une vie humaine, la
décision qui y mène doit être bien murie.
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1.2.2. Questions liées à la mort
On peut réfléchir sur :
3.2.2.1. Le sens de la mort
Généralement et surtout en Afrique, le souhait de la majorité
est que la mort intervient à un âge avancé sans beaucoup de
souffrances, que l’homme puisse s’éteindre en présence de sa
famille, enfants et proches parents.
Aujourd’hui, non seulement beaucoup meurent loin de leurs
familles, il existe des critères qu’ils font appel à des techniques
modernes pour déterminer la mort. La plus récente est l’arrêt de
l’activité cérébrale constaté au moyen d’électro- encéphalogramme.
3.2.2.2. Le pouvoir de retarder la fin
De nos jours que jamais, la médecine peut prolonger la survie
artificielle. Cela se fait à travers ce qu’on appelle l’acharnement
thérapeutique. Il consiste, de la part du médecin, à continuer à
soigner un malade dont il est certain qu’il ne guérira pas, et pour cela
d’utiliser des techniques invasives, entrainant toujours un inconfort,
parfois une souffrance, pour prolonger de quelques jours, voire de
quelques heures, une vie qui va de toute manière se terminer
incessamment. Cette pratique pose des questions du genre que
voici : faut-il absolument comme le dit J.C. BESANCENEY, opérer
une maladie très âgée qui s’est cassé le col de fémur, alors qu’elle
n’a plus que quelques jours à vivre ? Peut être, en effet va-t-elle
vivre quelques jours de plus, peut-être ainsi va-t-elle mourir à la
suite de l’opération ou encore de réanimation?
La réponse à ces types des questions ne semble pas aller de soi.
L’on sait cependant que contre l’acharnement thérapeutique,
certaines personnes, notamment celles qui, à la suite de Michel LEL
LANDA (France) se sont regroupées autour de l’Association pour le
droit de mourir dans la dignité (A.D.M.D.) fondée en avril 1980,
répondaient en faisant une véritable apologie du suicide, d’une mort
anticipée considérée comme digne (notamment pour les malades
condamnés) et humaine. Henri Caillavet résume cette position en se
terme : « il ya deux façons d’aborder la mort, la maitriser ou la subir.
En cela, le suicide conscient est l’acte unique authentique de la
liberté de l’homme » (H.CAILLAVET, 1987, cité par
p.
VERSPIREN, op ; cité., p. 171.).
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Aujourd’hui, objectif de l’Association pour le droit de mourir
dans la dignité a été transformée récemment pour devenir : « que
soit prise en compte une déclaration du patient stipulant
notamment : je refuse d’être maintenu en réanimation et je demande
qu’on s’abstienne de prolonger abusivement ma vie par des
techniques artificielles (acharnement thérapeutique) » (Cité par J.C.
Besanceney, Op. Cit ., P.36.).
En rapport avec le pouvoir acquis par la science de retarder la
mort, on peut se poser une autre question relative à la pratique
extrêmement couteuse devenue courante de nos jours appelée la
transplantation des organes (le cœur, les poumons, les reins, le foie,
le pancréas, l’intestin grêle). Peut-on, en tenant compte de ce qui se
fait aujourd’hui, autoriser moralement la commercialisation du corps
humain ou des ces organes ? On sait à ce sujet qu’en France, il s’est
permis de donner avec obligation de gratuité, il est par contre interdit
de vendre quelque chose de son corps.
III.2.2.3. Le pouvoir de hâter la mort
Ce pouvoir se fait soit par euthanasie active en donnant un
produit qui accélère la fin soit par euthanasie passive en se refusant
de donner des médicaments et par là à hâter la mort par défaut
d’action thérapeutique. Il est difficile, comme nous l’avons dit plus
haut, de répondre globalement à cette situation. Néanmoins, le
médecin qui sait, de par sa formation, que son rôle est avant tout de
gérer l’espoir, doit savoir que sa mission n’est pas de tuer, par l’une
ou l’autre des pratiques décrites ci-dessus. Bien au contraire, de peur
d’être accusé de criminel pour non assistance à personne en danger,
il est tenu, par son serment, de lutter contre la maladie jusqu'à
l’épuisement de ses moyens.
3.2.3. L’expérimentation
L’expérimentation peut porter sur des sujets proches de la mort
(mort cérébrale ou malade en état végétatif chronique), tout comme
sur des volontaires sains, notamment pour tester certains
médicaments. Si dans le premier cas, il est difficile d’avoir le
consentement des intéressés, dans le second, le consentement libre
et informé s’impose. Dans tous les cas, pour le C.C.N.E., l’intérêt du
patient prime sur toute autre considération.
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Néanmoins, si le bénéfice attendu pour la collectivité est
important et que l’inconvénient pour les malades est tout à fait
mineur, l’essai pourra être envisagé à titre exceptionnel (Cité par
A.LANGLOIS, 1988, p. 184). Cette question est on le sait, délicate.
Dans une émission d’Antenne II de la télévision Française intitulée
« les dossiers de l’écran » du 17 octobre 1989 consacré à ce sujet,
plusieurs spécialistes théologiens, philosophes, médecins, juristes,
etc. et des malades ont eu l’occasion de s’exprimer.
Pour les malades d’abord, devant la souffrance, il n’ya que deux
issues qui peuvent les soulager : ou la guérison ou la mort. Le
médecin estime que sa mission essentielle est de guérir : il n’a pas le
droit de mettre fin à la vie de quelqu’un. Aussi longtemps que le
malade est à l’hôpital, il doit recevoir les soins qu’exige son état,
notamment en cas de besoin par l’utilisation de la respiration
artificielle.
En philosophe-théologien, le Révérend Paul VALADIER
rejette la conception doloriste pour la quelle la souffrance est
rédemptrice. Pour lui, la douleur n’a pas de valeur positive.
L’homme doit lutter contre la douleur, car celle-ci n’est pas
naturelle, vis-à-vis du droit de mourir et de l’euthanasie, il estime
que la personne humaine n’a pas le droit, mais le devoir de mourir
(P.VALADIER, 1990, p. 20).
Quoiqu’il en soit, deux préoccupations restent dominantes dans
l’approche des questions de bioéthique :
 Il est bon de tenir compte, comme le souhaite l’A.D.M.D., de ce
que veut l’individu malade. Le consentement libre et informé du
patient implique la confidentialité des rapports entre lui et le
personnel soignant.
 Que le patient accepte ou pas d’être soigné, il est nécessaire de
l’accompagner. Ainsi donc, sans oublier de se référer à la
demande du malade qui est essentielle, il est important pour le
médecin ou l’assistant social d’accompagner le malade. Dans tous
les cas, en penseur chrétien, le R.P. Paul VALADIER estime que
la souffrance fait partie du plan de Dieu. Aussi, il n’appartient pas
à l’homme de faire quelque chose qui l’éloigne définitivement de
Dieu.
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CONCLUSION
Les pages qui précèdent présentent la morale comme poumon
de la société et de l’homme. Ceci se remarque par le fait que sans
morale, il n’existe pas de société véritablement humaine, pas de
progrès scientifique véritable ni durable.
Cet essai a tenté de cerner la crise morale occasionnée par la
civilisation technique (science moderne) qui aliène davantage
l’homme. Et le problème éthique surgit justement ici parce que
l’homme gagné par la science, la technique et l’organisation
politique est en conflit avec lui-même et avec la société. Vue sous
cet angle, est immorale, illicite et donc inadmissible tant sur le plan
de l’individu que de la société, toute action qui n’est pas dirigée vers
cette unité qu’est la liberté de la raison universelle.
Dans ces mêmes pages, la civilisation technique se veut
instrumentale. En effet, l’instrumentalisation de la modernité au
service de l’efficacité et du progrès matériel s’avère, aux yeux de
BONGILO BOENDY, insuffisante quand bien même elle ouvre la
voie à l’abondance sans souvent assurer l’humanisation des
personnes (BONGILO BOENDY, J.F., a.c. ,P.220). C’est pourquoi, se
limiter à l’idée de la vie, de l’intérêt d’une quelconque communauté
et de l’entreprise ainsi qu’à la consommation reste contraire à l’idée
morale. Bien que ce premier constat de la modernité comme
instrumentalisation, celle-ci (modernité) consiste aussi à rendre
l’homme plus humain par l’amélioration des conditions de la vie, en
tenant compte de la dimension spirituelle de l’homme.
Mais la question essentielle que pose la bioéthique devant le
pouvoir qu’acquiert de jour en jour la science, est justement celle de
savoir « comment articuler de mieux en mieux science et société, de
façon que les scientifiques ne deviennent pas les seuls décideurs de
l’avenir de l’homme » ? La réponse à une telle question ne relève pas
de telle ou telle personne en tant qu’individu, elle relève de toute la
société. Car la vie en société ne doit pas être le résultat de
l’impérialisme scientifique et technologique dont les revers sont trop
bien connus. C’est en fonction de certaines valeurs fondamentales
qui permettent de réglementer le bien vivre commun que doivent
finalement être organisé la science, la technique et finalement la vie
en société.
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Pour résoudre la question relative à l’opposition entre l’idée de
modernité et celle de la morale, il est exigé de favoriser l’émergence
du sujet comme conscience, volonté, effort et responsabilité. Nous
sommes convaincus qu’avec l’impact appelé à provoquer de plus en
plus les retombées technologiques de la science moderne dans la vie
des hommes en Afrique, la science et la technique ont déjà suscité
des interrogations d’ordre éthique. Ce qui pousse les instances
morales et les hommes de science à réfléchir ensemble afin
d’apporter des réponses capables de soulager les inquiétudes
existentielles de l’homme.
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
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