Le 17 janvier 2017 Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député Premier ministre du Canada Édifice Langevin 80, rue Wellington Ottawa (Ontario) K1A 0A3 Monsieur le Premier Ministre, L’année 2017 s’annonce riche en défis tant pour votre gouvernement que pour les entreprises au Canada. Nous désirons vous présenter les points de vue du conseil d’administration de la Chambre de commerce du Canada sur quatre enjeux de politique publique essentiels, en espérant qu’ils susciteront votre intérêt et vous seront utiles. Les discussions à l’origine de ces points de vue — et des recommandations sur la façon dont la Chambre et votre gouvernement peuvent y donner suite — ont eu lieu au cours de la dernière réunion de notre conseil d’administration. Ces observations font écho aux opinions de gens d’affaires bien informés suivant de près la politique publique ; elles témoignent de la perception d’un large éventail de chefs d’entreprise canadiens concernant les relations du Canada avec les États-Unis, la croissance de notre économie, notre stratégie nationale en matière de commerce international ainsi que la lutte contre les changements climatiques. Les relations du Canada avec les États-Unis Cette discussion s’est tenue — sans surprise — dans le contexte des changements prévus aux politiques américaines sous l’administration Trump. Les membres du conseil d’administration ont d’abord manifesté une certaine inquiétude envers le programme de la nouvelle administration, mais ils y voient également de nombreuses possibilités. Ils ont cerné sans difficulté les domaines potentiellement problématiques. Les engagements du président élu Trump de lever ou d’alléger les mesures de réglementation dans le secteur des combustibles fossiles ainsi que ceux du Canada en matière de tarification du carbone pourraient nous mettre en situation de concurrence défavorable sur le marché américain. La promesse de M. Trump de réduire l’impôt et la réglementation des entreprises américaines, tout en punissant celles qui investissent à l’extérieur des États-Unis, pourrait dissuader les multinationales américaines d’investir à l’étranger et, cela étant, au Canada. La préoccupation de la Chambre concernant ces mesures est amplifiée par de récents rapports indiquant que les États-Unis pourraient imposer une forme de taxe d’ajustement aux frontières. Pareille taxe, qui serait susceptible d’enfreindre les règles de l’Organisation mondiale du commerce, porterait gravement atteinte aux relations d’échange et d’investissement entre nos deux pays. Le renforcement éventuel de la sécurité frontalière par le gouvernement américain est également source de préoccupation, surtout si une menace — une suspicion envers des réfugiés et des immigrants, par exemple — semble provenir du Canada. Notre conseil appuie fermement l’aide humanitaire du gouvernement du Canada visant à réinstaller les réfugiés. Nous exhortons votre gouvernement à bien faire connaître ses efforts de sécurité aux dirigeants américains. Ils doivent comprendre que le gouvernement canadien est tout aussi engagé qu’eux à préserver la sécurité de l’Amérique du Nord et que, à cet égard, le Canada est leur principal partenaire. Les membres de notre conseil d’administration ont dressé une liste des points de divergence qui pourraient s’aggraver si les dirigeants américains s’y attaquent avec plus de fermeté. Cette liste inclut notamment les différends sur la consommation d’eau dans les voies navigables communes, la propriété culturelle canadienne, les limites de transport et le bois d’œuvre. Notons également que, si l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) devait faire l’objet d’une renégociation, le secteur de l’agriculture soumis à la gestion de l’offre serait certainement visé par des intérêts américains et représenterait un enjeu tant économique que politique pour le Canada. Les membres de notre conseil ont également décelé des débouchés importants. Ils ont émis l’hypothèse que, si les États-Unis devaient adopter des politiques d’immigration plus restrictives, le Canada pourrait accueillir les entreprises et les personnes troublées par une telle attitude. En outre, l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (entre autres) place notre pays dans une position enviable pour les investisseurs. Une hausse du dollar américain pourrait attirer les touristes en grand nombre au Canada, et nous avons encouragé le gouvernement à accroître son engagement envers la commercialisation du tourisme afin de saisir cette occasion. Nous croyons que le Canada possède encore beaucoup d’amis au Congrès américain et qu’il importe de redoubler d’efforts en vue d’établir des relations avec des gouverneurs d’État et des maires. Le Canada est le principal marché d’exportation de plus de 35 États. Il doit mettre ces relations à profit afin d’envoyer à Washington des messages positifs sur l’importance du Canada. Même la contribution économique des « retraités migrateurs » canadiens devrait être quantifiée et communiquée à la nouvelle administration. Notre initiative très réussie de coopération bilatérale en matière de réglementation a recueilli un certain soutien au sein des milieux d’affaires des deux côtés de la frontière. Nous encourageons votre gouvernement à considérer cette initiative comme un programme pragmatique et non idéologique qui témoigne des progrès tangibles réalisés entre les deux pays. Même si notre Chambre envisage de travailler avec la Chambre de commerce des États-Unis afin de tirer parti des relations pour expliquer l’importance de notre partenariat bilatéral à la nouvelle administration, nous nous préparerons également à une éventuelle renégociation de l’ALENA. Nous avons déjà soutenu une mise à jour de l’ALENA, et nous continuons de croire qu’elle pourrait s’avérer favorable, quoiqu’une telle éventualité ne soit pas une certitude. Cela dépendra en grande partie de la qualité des initiatives commerciales et diplomatiques du Canada. Dans le cadre des discussions entre le Canada et les États-Unis, le gouvernement et le monde des affaires se devront de présenter un front uni. Au fur et à mesure de la divulgation des priorités de la nouvelle administration, la Chambre a l’intention de clamer haut et fort son appui à la position du Canada. Bien sûr, il nous sera plus facile de soutenir votre gouvernement s’il adopte une approche consultative et inclusive en ce qui concerne la gestion des relations avec notre principal partenaire commercial. La Chambre va redoubler ses efforts pour tisser des liens entre les entreprises américaines et canadiennes, ainsi que pour entrer en relation avec des législateurs américains, en collaboration avec des partenaires américains. Nous demanderons également à des Américains crédibles, ayant cultivé des liens avec le Canada, d’agir comme nos « ambassadeurs » commerciaux à Washington. La croissance de notre économie Les membres de notre conseil d’administration reconnaissent que le ralentissement de la croissance constitue le principal problème de nombreux pays dans le monde ; en effet, le vieillissement de la population et la baisse des taux de productivité affaiblissent le rendement économique dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Voici les trois principaux points qui sont ressortis de notre discussion. Premièrement, nous convenons que les dépenses gouvernementales favorisent la croissance, pourvu qu’elles soient consacrées à des infrastructures qui haussent la productivité, soit les routes, les ports, les ponts et les infrastructures numériques facilitant le commerce ou soutenant l’activité économique. Nous encourageons le gouvernement à cibler ses investissements, à faire preuve d’audace et à entreprendre de grands projets de transformation. Bien sûr, le projet d’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan est l’un des plus transformateurs au Canada aujourd’hui. Nous vous félicitons chaleureusement, vous et vos ministres, d’avoir approuvé ce projet, et nous vous offrons notre soutien pour son exécution jusqu’à son achèvement. Trans Mountain illustre les importants investissements d’infrastructures du secteur privé dont le Canada pourra tirer parti si le secteur privé a confiance en nos politiques nationales et en nos processus réglementaires. Il envoie également au monde le signal important que les investissements se poursuivront dans le secteur pétrolier, et ce, même si le Canada se dirige vers une économie sobre en carbone conformément à ses engagements en matière de changements climatiques à la suite de l’Accord de Paris. Deuxièmement, les membres de notre conseil se disent préoccupés par la hausse des déficits. Dans les années à venir, le gouvernement risque de subir des pressions pour accroître ses dépenses, surtout si l’économie ne reprend pas de vigueur. Nous croyons qu’il est essentiel de se doter d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire, y compris un échéancier ferme pour parvenir à l’équilibre. Une cible budgétaire solide fournirait au gouvernement la discipline requise pour faire des choix difficiles. Troisièmement, notre conseil tient à faire croître la compétitivité des entreprises canadiennes. La réalisation, même très partielle, des promesses qui touchent les taxes du président élu Trump— qui comprennent la baisse des taux d’imposition des sociétés, la pénalisation des importations et l’élimination des règlements — pourrait se traduire par un écart de compétitivité important entre le Canada et les États-Unis. Notre conseil d’administration recommande que votre gouvernement trouve des moyens de réduire la rançon des affaires au Canada. Nous suggérons notamment l’abaissement sélectif des impôts ainsi qu’un examen complet de la réglementation canadienne (comparable à l’ancienne réforme réglementaire de Gordon Campbell en Colombie-Britannique) et la réduction ou l’élimination des règlements qui n’atteignent pas leur objectif. Notre stratégie nationale en matière de commerce international Notre conseil d’administration reconnaît que le monde pourrait s’éloigner des accords commerciaux multilatéraux et que le Canada doit entamer une planification en conséquence. Cependant, les Canadiens ont généralement tiré profit des négociations multilatérales, et nous reconnaissons que notre avantage est considérablement réduit lorsque nous négocions de manière bilatérale avec des partenaires importants. Nous exhortons votre gouvernement à continuer d’appuyer les discussions multilatérales, tout en amorçant des processus bilatéraux avec des pays clés. Nous faisons les recommandations qui suivent visant certaines zones géographiques et certains blocs commerciaux. ALENA : La principale recommandation concernant les menaces planant sur l’accord consiste à éviter une réaction excessive et à demeurer engagé auprès de ses alliés aux États-Unis. La Chambre a déjà demandé une mise à jour de cet accord et, bien que la prudence soit de mise, nous devons être prêts à discuter des modifications à y apporter. À cet égard, nous offrons notre soutien afin que votre gouvernement consulte et inclue les entreprises dans ses plans lors des négociations. Nous vous suggérons notamment de relancer l’initiative de coopération en matière de réglementation entre les États-Unis et le Canada, ce qui pourrait être une façon pratique, populaire et non litigieuse d’amorcer la coopération. AECG : L’accord est très positif, mais il n’est pas encore garanti. Il importe d’en faire la promotion afin de convaincre les pays ou les groupes qui s’y opposent. Le milieu d’affaires canadien est prêt à contribuer à cet effort et à établir un dialogue avec votre gouvernement, qui devrait coordonner la campagne. Asie-Pacifique : Le Canada doit promouvoir activement les accords bilatéraux afin de combler le vide laissé par la disparition probable du Partenariat transpacifique. Chine : Nous devons continuer d’envoyer des signaux favorables à un approfondissement mûrement réfléchi et planifié de nos relations économiques. Cette démarche sera grandement facilitée par la nomination de l’honorable John McCallum comme ambassadeur en Chine. En parallèle, il importe de maintenir et d’appuyer politiquement des initiatives comme le dialogue économique annuel. Étant donné le caractère unique de cette relation et de ses répercussions — positives et négatives – pour les entreprises canadiennes, le gouvernement fédéral devrait créer des comités consultatifs commerciaux représentant des secteurs donnés, de manière à conseiller le Canada et à servir de pont aux entreprises chinoises concernées par cette négociation. Selon notre conseil d’administration, la réussite du pays sur les marchés internationaux repose sur une approche stratégique. Plusieurs influenceurs sont susceptibles de faciliter les échanges commerciaux, y compris les investisseurs étrangers directs, la mise en marché de l’image de marque commerciale du Canada et la promotion du tourisme. Ces efforts devraient être regroupés dans un plan stratégique. Nous exhortons le gouvernement à entreprendre des évaluations économiques dans chaque marché afin d’y repérer les avantages concurrentiels du Canada, puis de faire appel aux intervenants canadiens pertinents du secteur privé et aux provinces ou territoires qui les représentent le mieux. Des missions commerciales peuvent ensuite être conçues sur mesure pour chaque marché, fortes du soutien des gouvernements et des milieux d’affaires. L’on pourrait envisager d’autres possibilités relativement aux avantages géographiques du Canada, y compris nos frontières longeant trois océans, notre accès privilégié aux marchés nord-américains et européens, ainsi que l’ouverture du passage du Nord-Ouest, où le Canada a besoin d’affirmer fermement sa présence. Les recommandations proposées par la Chambre dans le rapport intitulé Un point tournant : Comment rétablir notre succès commercial sur les marchés étrangers (mai 2014) pourraient constituer la base d’une nouvelle stratégie. La lutte contre les changements climatiques La Chambre estime que les changements climatiques représentent une grave menace économique et sociale pour le Canada et le reste du monde. Notre réseau de plus de 450 chambres de commerce soutient la tarification du carbone depuis 2011, et nous appuyons la haute priorité que votre gouvernement accorde au problème des changements climatiques. Cependant, nous reconnaissons également que des mesures visant à protéger la compétitivité économique du Canada doivent être au cœur de la conception des politiques sur les changements climatiques et de la façon dont nous opérons la transition vers une économie faible en carbone. Il importe de trouver le juste équilibre entre l’économie et l’environnement, sous peine de nous retrouver dans une position très désavantageuse sur les marchés mondiaux. Des politiques qui rejettent les émissions et les emplois à l’extérieur du Canada ne font rien pour l’environnement mondial et peuvent s’avérer désastreuses pour les entreprises canadiennes. Le réseau de la Chambre estime que les politiques gouvernementales de lutte contre les changements climatiques ne peuvent être efficaces que si le secteur privé est au cœur de leur conception et de leur exécution. Plusieurs thèmes sont revenus tout au long de notre discussion sur les changements climatiques, dont la nécessité de prendre les mesures suivantes : • mettre en œuvre une modélisation économique transparente et détaillée des coûts des politiques sur le carbone ; • éviter une approche sectorielle pour la réduction des émissions et privilégier plutôt des approches holistiques qui examinent les modes de collaboration possibles entre les différents secteurs et pays, et ce, en vue de faciliter la transition vers une économie sobre en carbone ; • investir les recettes des régimes de tarification du carbone dans une réduction d’impôt qui augmente la compétitivité des entreprises ou dans les stratégies d’innovation les plus prometteuses contre les changements climatiques, dont notamment des investissements propres à écarter les risques des technologies vertes perturbatrices. Notre conseil a souligné les liens entre le programme du Canada relatif aux changements climatiques et le programme d’innovation de votre gouvernement. En fin de compte, la réussite d’une stratégie de transition ne peut pas reposer uniquement sur la hausse du coût du carbone. Il est essentiel de fournir des solutions de rechange à prix compétitif ; seules de nouvelles technologies peuvent répondre à ce besoin. Les lois et le cadre réglementaire du Canada doivent être en mesure de suivre le rythme accéléré de l’évolution technologique et des changements de comportement des consommateurs. Les innovations technologiques nécessaires à l’adaptation aux changements climatiques et à l’élimination du carbone des grandes économies proviendront du secteur privé. Monsieur le Premier Ministre, nous espérons que vous trouverez ces suggestions utiles. À titre d’organisme représentant les petites, moyennes et grandes entreprises d’un océan à l’autre, nous avons hâte de collaborer avec votre gouvernement et vos fonctionnaires sur ces questions et sur d’autres enjeux importants pour les familles canadiennes. Au nom du conseil d’administration et des membres de la Chambre de commerce du Canada, nous tenons à vous exprimer tous nos vœux de succès en 2017. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre très haute considération. Duncan Wilson Président du conseil Perrin Beatty Président et chef de la direction c.c. : Conseil d’administration de la Chambre de commerce du Canada L’hon. William Morneau L’hon. Navdeep Bains L’hon. Chrystia Freeland L’hon. François-Philippe Champagne L’hon. Catherine McKenna L’hon. Scott Brison L’hon. James Carr