I
Conditions pour une possible refondation
I. Un contexte de crise, des référentiels politiques épuisés : la nécessité
de changer de paradigme de politique publique
Liberté, égalité, fraternité et laïcité, sont les valeurs et principes fondateurs de la
république française. Si ces valeurs ont vocation à protéger et à émanciper, force est de
reconnaître que le modèle français d’intégration tel qu’il s’est développé au milieu des années
80, en même temps que la politique de la ville ou les politiques d’insertion, et qui ont prévalu
jusqu’à présent, peinent à conférer à ces valeurs fondamentales une effectivité, une réalisation
concrète pour l’ensemble des concitoyens particulièrement pour les descendants d’immigrés
coloniaux et postcoloniaux. Ces derniers, bien que français, bien qu’ayant grandi en France,
ayant fait leurs études dans l’école de la république française, développé une activité dans
l’économie française, fondé un foyer sur le sol français, contribué à enrichir culturellement la
société française restent encore, trop souvent, perçus comme des français illégitimes érigeant
ainsi, au sein même de la société française une frontière intérieure symbolique qui rend
difficile, actuellement, toute construction d’une société commune.
L’épuisement des référentiels politiques (intégration, politique de la ville, prévention de
la délinquance, insertion), contemporains de la marche pour l’égalité et contre le racisme de
1983, est lié, selon nous, à la manière de considérer le problème, imputant aux seules classes
populaires la responsabilité de leur non insertion, et aux seuls immigrés et à leurs descendants
la responsabilité de leur supposée non intégration exonérant l’Etat et la société de toute forme
de responsabilité.
Ce n’est qu’à partir de la toute fin des années 90 et du début des années 2000, que le
dévoilement de processus diffus sinon massifs de discrimination ethno-raciale et sa mise sur
agenda du problème public ont permis de sortir de cette construction unilatérale du problème
public laissant jusqu’alors penser qu’il n’était que le problème des publics.
Le contexte actuel de crise sociale, économique, morale y est-il plus favorable ? Alors
que l’on constate chaque jour que les processus de désaffiliation économique, sociale et
civique se croisent et se renforcent ? Qu’ils affectent tout particulièrement les milieux
populaires ? Que les discriminations hier encore signalées aux autorités existantes sont
banalisées par ceux-là même qui les subissent ? Alors que les discours publics et médiatiques
disqualifiant les populations dites Roms, agitant la peur de l’islam, stigmatisant les jeunes des
quartiers populaires, prônant la remise en cause du droit du sol se multiplient et se
banalisent ? On pourrait en douter. Pourtant nous postulons lucidement, raisonnablement, le
contraire. Ce contexte de crise
, précisément, constitue une opportunité historique pour faire
un nouveau pas sur le chemin politique de l’égalité, pour construire un destin commun à la
Il nous semble important de souligner ici que la crise des années 30, en bien des points semblable à celle que la France
connaît aujourd’hui, a conduit, en 1932, au vote, à l’unanimité de l’assemblée nationale, de lois de protection de la main
d’œuvre nationale, discriminantes sur le critère de la nationalité, soutenues conjointement par les syndicats de salariés et le
patronat. Elles étaient, pour nombre d’entre elles, encore effectives, inscrites dans le fonctionnement sociétal, au moment de
la sortie, en mars 2000, de la note n°1 du Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations, Une forme méconnue de
discrimination : les emplois fermés aux étrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques).