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Fiche pédagogique
Texte d’un projet de loi du Dr Philippe Grenier, député de
Pontarlier, présenté à la Chambre des députés en 1897
Résumé des objectifs
- Comprendre les rapports entre la France et ses colonies
- Comprendre des arguments visant à modifier profondément une
politique essentielle du pays (l’engagement de soldats coloniaux est un
tournant important dans la politique de Défense française de l’époque)
- Comprendre le rôle particulier des ressortissants coloniaux dans les
régions du Nord et de l’Est de la France entre 1870 et 1970
- Préciser le contenu de la citoyenneté (est-il suffisant de faire la guerre
pour un pays pour en devenir citoyen et obtenir tous les droits liés à cette
qualité ?)
Publics et disciplines
Collège (Éducation civique thèmes de la nationalité, de la citoyenneté,
de la Défense…) ; 4e (Histoire la France au XIXe siècle et Géographie
les échanges mondiaux) ; 3e (Français l’argumentation) ; Lycée 1re GT
et Terminales (Français – l’argumentation – et Histoire)
Objectifs disciplinaires et éducatifs
En Français, développer la capacité à argumenter, décrypter les raisons de
l’utilisation de certains arguments qui peuvent a priori sembler peu
crédibles de nos jours.
En Histoire, découvrir une période de notre histoire mal connue par le
biais de l’histoire locale ; en comprendre les enjeux ; relier des
phénomènes exceptionnels comme les deux guerres mondiales à des
situations plus pacifiques et pourtant conflictuelles sur le plan de la
politique intérieure (les soldats coloniaux démobilisés qui deviennent des
travailleurs immigrés)
Sur le plan éducatif, développer la capacité de l’élève à comprendre les
individus ou les communautés qui ont vécu une histoire très différente de
la sienne, et avec lesquels il partage l’espace, le travail, les souffrances et
les joies.
Place dans la programmation
* Éducation civique, toutes les classes du collège
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Texte d’un projet de loi du Dr Philippe Grenier, député de Pontarlier, présenté à la Chambre
des députés en 1897
* Histoire 4e « Le XIXe siècle »,
Thèmes « L’évolution politique de la France 1815-1914 » et « Les
colonies »
* Géographie 4e « Des échanges à la dimension du monde »
Thème « Les mobilités humaines »
Dans ce cas, on étudiera les migrations concernant le Nord-Est dans le
long terme : 1870-1970 et jusqu’à nos jours
* Français 3e « Expression écrite »
* Éducation civique, juridique et sociale 2nde, avec les notions
d’intégration, de droits civils et politiques, sociaux et économiques
* Histoire 1re S, ES et L « L’âge industriel et sa civilisation au milieu du
XIXe siècle »
* Éducation civique, juridique et sociale 1re S, ES et L, « Exercice de la
citoyenneté. République et particularisme »
* Éducation civique, juridique et sociale BEP et lycée professionnels
Fiche pédagogique
Texte d’un projet de loi du Dr Philippe Grenier, député de Pontarlier, présenté à la Chambre
des députés en 1897
1. Le texte
Durant les dernières années du XIXe siècle, Philippe Grenier, député du
Doubs (Pontarlier), propose de faire appel aux troupes coloniales pour
compenser l’isolement stratégique de la France face à l’Allemagne. Le 6
mars 1897, il dépose devant la Chambre des députés une proposition de
loi (n° 2324) concernant la Défense nationale. Ph. Grenier remarque que
la position stratégique de la France est, à l’époque, compromise. Elle doit
faire face, seule à l’Ouest, à la Triple-Alliance qui réunit l’Allemagne,
l’Autriche-Hongrie et l’Italie. La France n’est en effet l’alliée que de la
Russie tsariste. À l’époque, les relations avec la Grande-Bretagne sont
extrêmement tendues, à cause de la concurrence des deux empires
coloniaux en Afrique notamment, comme le montrera, en 1898, l’incident
de Fachoda. Dans cette ville du Soudan actuel, située près du Nil, le
capitaine Marchand plante le drapeau français alors que, sous les ordres
de Kitchener, des troupes britanniques, bien plus nombreuses que les
militaires français, remontent le Nil ; les Français, sur les ordres du
ministre Delcassé, se retireront, préparant ainsi l’apaisement ultérieur des
relations franco-britanniques. D’autre part, la mographie française est
alors en crise, et la France est bien moins peuplée que l’Allemagne, à la
guerre contre laquelle tout le pays se prépare pourtant.
L’idée du docteur Grenier est de compenser ces faiblesses stratégique et
démographique par un appel aux troupes coloniales. C’est ce qu’il
développe dans son « exposé des motifs » à sa proposition de loi, dont
voici un extrait.
« Messieurs, la situation actuelle de la France me paraît être d’une gravité
exceptionnelle ; jamais peut-être à aucune période de notre histoire, nous
ne nous sommes trouvés dans un état d’infériorité aussi manifeste vis-à-
vis d’une coalition probable des puissances de l’Europe.
Cette coalition, qui peut la nier ? Elle existe, elle est consacrée par des
traités, elle tient à des convenances personnelles entre souverains, à des
inimitiés avouées de peuples entiers en face de la France. Cette coalition,
organisée dès le temps de paix, deviendra donc une réalité en cas de
guerre ; nous devons dès lors la considérer non pas comme probable ou
possible, mais comme un fait accompli, et raisonner, nous guider et
prendre nos précautions en vue de cette hypothèse.
Une des causes les plus importantes de la situation inférieure de la France
résulte de l’infériorité de sa population et de la faiblesse du coefficient
numérique de sa natalité. […]
L’Allemagne occupe, au centre de l’Europe, une position formidable ;
l’Allemagne s’appuie sur près de 55 millions d’habitants ; la France
compte à peine 39 millions d’habitants ; d’ici peu, la population de
l’Allemagne aura doublé. De plus, l’Allemagne imprègne de sa civilisation,
de ses idées antifrançaises une bonne partie de la Suisse, de l’Autriche et
des Pays-Bas. Il existe, en somme, en Europe, contre le développement
de notre race et de notre influence, une coalition comprenant 80 millions
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Texte d’un projet de loi du Dr Philippe Grenier, député de Pontarlier, présenté à la Chambre
des députés en 1897
d’Allemands unis par des liens fraternels, parlant la même langue, ayant
les mêmes antipathies, réunis par les mêmes liens d’éducation
intellectuelle et d’aspirations morales.
En cas de guerre européenne, cette coalition du peuple germanique
s’appuiera sûrement sur l’amitié italienne et probablement aussi sur les
forces maritimes colossales de l’Angleterre.
Permettez-moi, messieurs, d’insister sur la valeur numérique, sur les
qualités offensives d’une telle masse de soldats et de marins, fort bien
commandés et admirablement bien armés et outillés.
Grâce à Dieu, la France possède encore des amis dans le monde. […]
Si nous sommes alliés au peuple russe en cas de guerre avec la Triple-
Alliance, nous devons prêter attention à un fait des plus importants ; je
veux parler de l’éloignement de la Russie. Nos généraux vous diront aussi
que la mobilisation des forces russes pourrait être assez lente ; mais le
fait capital est la séparation de la France et de l’empire moscovite, tandis
que les peuples attirés dans l’alliance germanique sont au contraire
réunis, concentrés au milieu même de l’Europe ; leurs territoires se
touchent ; leurs armées mobilisées se rejoindront avec la plus grande
facilité pour combattre la France et la Russie isolées et les écraser en
faisant agir leurs forces concentriquement sur l’une ou l’autre de ces deux
puissances. […]
La rité est cruelle à dire ; elle est fondée non pas sur des suppositions
ou sur des hypothèses, mais sur des faits, et les faits parlent d’eux-
mêmes.
Il manque toutes les années 120 000 conscrits à la France ; en calculant
le nombre de conscrits fournis par le contingent allemand, on voit que […]
vis-à-vis de l’Allemagne seule, notre infériorité numérique sera donc, si
l’on additionne seulement les huit ou dix dernières classes de soldats
instruits, de 1 200 000 hommes ; vis-à-vis de la Triple-Alliance, cette
infériorité sera de plus de 5 millions d’hommes. […]
Nous avons dépensé depuis beaucoup d’années des sommes considérables
dans nos colonies ; nous y avons versé sans compter notre argent, nos
forces, le sang de nos soldats ; l’heure est venue la France doit savoir
tirer parti des colonies qui sont le prolongement au-delà des mers du
territoire, de l’influence et de la force vitale de la patrie. Il est difficile de
demander beaucoup d’argent à nos colonies, mais nous pouvons leur
demander des soldats aguerris, intrépides et d’excellents cavaliers.
Messieurs, en appliquant à nos colonies d’outre-mer les lois relatives au
recrutement en usage en France, non seulement vous augmenterez d’un
tiers les forces vives de la France, mais vous travaillerez à étendre
l’influence de la civilisation chez des peuples aujourd’hui stationnaires au
point de vue du progrès. […]
Puisse l’influence de la patrie française, fortifiée par l’adoption des
mesures que je vous propose, appuyée sur des peuples jeunes, de
tempérament guerrier, aptes à recevoir notre science et nos idées de
progrès, puisse cette influence continuer sur la terre la lutte entreprise en
vue de la Fraternité, de la Liberté et de la Justice ! »
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Texte d’un projet de loi du Dr Philippe Grenier, député de Pontarlier, présenté à la Chambre
des députés en 1897
2. Le contexte
A/ Le député Philippe Grenier
Philippe Grenier est un personnage hors du commun dans la vie franc-
comtoise. Il s’était converti à l’islam quelques années avant d’être élu
député de Pontarlier. Il s’opposait à la consommation d’alcool pour des
raisons médicales… dans une ville renommée pour ses distilleries ! Malgré
ces caractéristiques surprenantes dans la France de l’époque, il fut élu
député en 1896.
Le député
En tant qu’élu du peuple, le docteur Grenier prend la parole à plusieurs
reprises à l’Assemblée nationale, en particulier pour proposer de créer une
armée coloniale grâce aux populations d’Algérie, de Tunisie, du Sénégal,
de ce que l’on appelait alors le Soudan français (qui correspond à peu près
à l’actuel Mali), et d’Indochine. De même, il intervient pour fendre les
musulmans des possessions coloniales françaises il est le seul député
musulman de la Chambre. Il demande pour eux des secours, des écoles,
des fournitures de graines pour les semailles… Il s’occupe aussi d’hygiène,
de transports, de soulager la pauvreté de certains des concitoyens de
l’arrondissement de Pontarlier. La plupart de ses propositions ne
rencontrent pas l’appui de la majorité des députés. Mais sa principale
intervention concerne « l’armée coloniale », comme l’illustre sa
proposition de loi concernant la Défense nationale (voir l’extrait de texte
cité dans cette fiche).
En 1898, lors des élections législatives générales, Ph. Grenier tire le bilan
de ses interventions à la Chambre durant son mandat de député :
« Aussitôt après mon arrivée au Parlement, préoccupé de l’augmentation
considérable de la population allemande et de la faiblesse croissante de
nos contingents, qui sont toutes les années inférieurs de 150 000 hommes
aux contingents allemands, j’ai déposé un important projet de loi, ayant
pour but l’utilisation dans une large mesure des contingents indigènes de
nos colonies, la création de quatre nouveaux Corps d’Armée en Algérie,
Tunisie, au Soudan et au Tonkin, et l’application des lois de recrutement à
tous nos indigènes. » Lors de ces élections, Ph. Grenier n’arrive que
troisième, et Maurice Ordinaire l’emporte. En 1902, Ph. Grenier est à
nouveau battu. Sa carrière politique s’arrête là, et il se consacre avec un
dévouement certain à sa tâche de médecin, soignant notamment les gens
pauvres gratuitement, et allant même jusqu’à leur acheter lui-même les
médicaments qu’il leur ordonnait. Il meurt le 25 mars 1944.
Philippe Godard
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