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106 Bull. Acad. Vét. France — 2012 - Tome 165 - N°2 http://www.academie-veterinaire-defrance.org/
hypothèses de co-sélection de la résistance, y compris
par l’usage de préparations à base d’ions métalliques (cuivre,
zinc, etc.) (Cavaco et al. 2011). Enfin, ce sont les données molé-
culaires qui montrent que plusieurs gènes de résistance sont très
souvent portés par le même plasmide, voire le même intégron,
au sein d’une même bactérie (Meunier et al. 2010). Lorsque ces
gènes sont chromosomiques, les possibilités de co-sélection exis-
tent également, comme le montrent les souches de Salmonella
Typhimurium DT104 hébergeant l’îlot génomique SGI1
(Salmonella Genomic Island) (Targant et al. 2010).
En outre, la multi-résistance des souches d’E. coli productrices
de BLSE constitue probablement l’enjeu le plus préoccupant.
En effet, chez les bovins, les porcs et les poules et poulets, la
grande majorité des souches d’E. coli résistantes au ceftiofur le
sont également aux tétracyclines (bovins: 99 %, porcs: 77 %,
poules et poulets: 94 %, données RESAPATH). Plus encore,
86 % des souches d’E. coli résistantes au ceftiofur et aux tétra-
cyclines le sont aussi à l’association sulfamide/triméthoprime,
tandis que 88 % des souches d’E. coli résistantes au ceftiofur, à
la tétracycline, à l’association sulfamides/triméthoprime, à la
gentamicine et au florfénicol le sont aussi aux fluoroquinolones.
Ces résultats illustrent à quel point les souches bovines d’E. coli
productrices de BLSE (qui représentent la quasi-totalité de celles
résistantes au ceftiofur) sont très largement multi-résistantes,
et en particulier à des antibiotiques massivement utilisés en
médecine vétérinaire (tétracyclines, sulfamide/triméthoprime).
Une conséquence directe est la possibilité d’entretien et d’ac-
croissement du réservoir de souches d’E. coli BLSE, non seu-
lement par l’usage des C3G/C4G, mais également par celui
d’autres molécules, pour autant peu (ou pas) ciblées dans les dis-
cussions sur les usages.
Dissémination de l’antibiorésistance
Un troisième élément dans la compréhension de l’antibioré-
sistance des bactéries chez l’animal relève de notre connaissance
des mécanismes moléculaires qui la déterminent, et en premier
lieu, le fait que les gènes responsables soient ou non localisés
sur des structures génétiques mobiles. Parmi ces dernières, les
plus connues sont sans aucun doute les plasmides qui se trans-
fèrent aisément entre cellules bactériennes et portent bon
nombre de gènes de résistance, tels que ceux conférant la plu-
part des résistances aux C3/C4G. À ce titre, on peut consta-
ter qu’en France, le gène codant la BLSE la plus répandue chez
l’animal (CTX-M-1) est principalement porté par le même plas-
mide chez E. coli ou Salmonella, que ce soit chez la poule ou la
vache (Madec et al. 2011). De telles données montrent l’exis-
tence d’un réservoir commun de ces éléments génétiques qui
circulent aisément d’une espèce animale à l’autre. Par ailleurs,
d’autres exemples de dissémination de la résistance sont connus,
comme l’expansion clonale illustrée précédemment par
l’exemple de Salmonella Typhimurium DT104 ou l’identifica-
tion récente de quatre grands clones de S. aureus responsables
de la majorité des mammites bovines en région Rhône-Alpes
(Sakwinska et al. 2011).
L’antibiorésistance est partout
Un quatrième message fort est d’admettre qu’aucun réservoir
ne doit être considéré comme dépourvu de bactéries résistantes,
même si, par construction intellectuelle, tout pourrait conduire
à penser le contraire. Par exemple, on pourrait croire n’avoir
aucune chance d’identifier d’entérocoques résistants à la van-
comycine dans des fèces de bovins. Au contraire, nous avons
mis en évidence chez des bovins sains, prélevés à l’abattoir, la
présence du gène vanA conférant un haut niveau de résistance
aux glycopeptides - des antibiotiques d’usage strictement hos-
pitalier - chez des souches d’Enterococcus faecalis et E. faecium
(Haenni et al. 2009). Le terreau d’une sélection de résistance
existe ainsi au sein de tout réservoir, démontrant qu’aucune
logique dans l’usage de tel ou tel antibiotique ne peut exclure
a priori l’amplification d’un phénomène présent, la plupart du
temps à bas-bruit, dans la flore commensale.
Transfert animal-homme
La question du transfert animal-homme de la résistance aux anti-
biotiques constitue probablement le point central du débat.
Comme évoqué plus haut, les passerelles de transmission docu-
mentée à l’homme, de l’antibiorésistance d’origine animale, sont
finalement assez peu nombreuses. L’exposition professionnelle
en est une, et l’épisode du staphylocoque doré résistant à la méti-
cilline (SARM) de type ST398, d’origine porcine, est un
exemple (Witte et al. 2007). La voie alimentaire en est indis-
cutablement une seconde, et les toxi-infections alimentaires
humaines dues à des salmonelles multi-résistantes l’illustrent.
Par contre, dans ces deux exemples, on voit bien que le réser-
voir humain n’a pas été envahi par des souches animales résis-
tantes car à l’échelle populationnelle, ces évènements contri-
buent de façon très faible au débat. Notons aussi que les
céphalosporines de dernière génération ont eu leurs lettres de
noblesse en tant qu’antibiotiques dits « critiques » en médecine
humaine, en raison de leur statut de dernière option théra-
peutique dans le traitement des salmonelloses de l’enfant,
alors que l’écrasante majorité des enzymes de type BLSE chez
l’animal ne se trouve pas chez Salmonella, mais chez E. coli.
Enfin, les exemples de transmission inverse de la résistance, c’est-
à-dire de l’homme à l’animal, existent également. Ils sont, de
façon similaire, liés à un contact étroit de type professionnel
comme dans le cas de la mammite bovine due à un clone épi-
démique hospitalier bien connu en France (Haenni et al.
2011) ou de type familial par l’intermédiaire de l’animal de com-
pagnie (l’essentiel des SARM trouvés chez le chien sont des
clones humains (Haenni et al. in press).
Pour autant, aucun des éléments présentés ci-dessus ne doit
constituer une excuse à l’inaction, et les progressions des taux
d’antibiorésistance dans les réservoirs animaux et humain,
fussent-ils indépendants, doivent impérativement conduire à
une prise de conscience de l’urgence d’une diminution de
l’usage de ces molécules. En revanche, ces éléments visent à
rééquilibrer certains discours, parfois caricaturaux, tendant à
identifier trop facilement des relations causales simplistes.