BLAISE DROZ
Canards et autres palmipèdes
représentent une bonne partie
des animaux exotiques que l’on
peut rencontrer en Suisse. Plu-
sieurs d’entre-eux s’y reprodui-
sent et sont présents depuis si
longtemps qu’ils passent pour
des espèces indigènes.
Comment ne pas citer en pre-
mier lieu le cygne tuberculé?
Oiseau majestueux et embléma-
tique des lacs et des grandes ri-
vières à cours lent, il est origi-
naire d’Europe du Nord-Est et
d’Asie paléarctique.
Il a été introduit dans la plu-
part des pays européens dont la
Suisse entre le 16e et le 19e siè-
cle. Parce qu’aucun dégât à la
faune locale ne semble lui être
imputable, il est largement ac-
cepté et même chéri par la po-
pulation. Aussi, aucune autorité
n’envisagerait son éradication.
Gare aux hybrides
On trouve aussi dans les parcs
et petits jardins zoologiques de
Suisse, des quantités d’espèces
de canards exotiques. Canard
mandarin, carolin, musqué et
tant d’autres. La plupart d’entre
eux ne menacent pas les espè-
ces indigènes mais attention, ce
n’est pas le cas de tous.
L’érismature rousse est un ca-
nard plongeur originaire d’Amé-
rique du Nord. Il a été importé
en Angleterre en 1948 comme
animal d’ornement et à partir de
1960, des cas de reproduction
dans la nature ont été avérés.
Progressivement, cette espèce
s’est répandue en Europe, no-
tamment en Espagne, en Scan-
dinavie mais aussi en Suisse.
Concurrence déloyale
«L’érismature rousse représente
un réel problème en Espagne, où
elle concurrence de manière ex-
trêmement sévère l’érismature à
tête blanche, une espèce du Sud
de l’Europe et considérée comme
l’un des oiseaux les plus rares et
les plus menacés qui soient», ex-
plique l’ornithologue Lionel
Maumary, co-auteur du livre de
référence «Les oiseaux de
Suisse».
«L’érismature à tête blanche
n’est plus dans notre pays qu’un
hôte occasionnel, mais des don-
nées anciennes démontrent
qu’elle y a été davantage pré-
sente», ajoute l’inspecteur de la
faune du canton de Genève
Gottlieb Dändliker.
L’espèce invasive venue des
Amériques est plus agressive.
Elle concurrence l’espèce locale
pour la recherche de nourriture
et surtout les mâles supplan-
tent les indigènes dont ils fé-
condent les femelles en engen-
drant des hybrides fertiles.
Gottlieb Daendliker explique
que «le mâle de l’érismature
rousse domine celui de l’érisma-
ture à tête blanche pour la con-
quête des femelles parce que ce
dernier le confond avec les imma-
tures de son espèce et qu’ainsi il
ne s’oppose pas à ses intrusions
sur son territoire.»
Selon lui, cette particularité
fait de l’érismature rousse
l’une des espèces invasives les
plus redoutables et il a décidé
de lui livrer une chasse sans
merci.
«Dès qu’un individu est signalé
dans le canton de Genève, il est
recherché et abattu. Nous appli-
quons la tolérance zéro à son en-
contre et je souhaite que mes col-
lègues des autres cantons
montrent la même intransi-
geance», fait-il remarquer
Un plan d’action international
du Conseil de l’Europe souhaite
d’ailleurs son élimination com-
plète.
Efforts mal dosés
Du point de vue de Gottlieb
Daendliker, il est dommage que
des efforts intenses soient par-
fois déployés pour éliminer une
autre espèce: le tadorne casar-
ca. Il est menacé dans son aire
de répartition du sud-est euro-
péen, notamment en Bulgarie
et semble être en voie d’expan-
sion vers l’Europe occidentale
où il trouve de nouveaux habi-
tats.
«Les individus qui nichent en
Suisse, sont souvent échappés de
captivité, je l’admets, mais ils ne
le sont pas forcément tous. Il faut
faire la distinction entre une es-
pèce menaçante venue d’un autre
continent et une espèce euro-
péenne qui se déplace naturelle-
ment.»
L’érismature rousse est un danger permanent pour l’érismature à tête blanche.
LIONEL MAUMARY
●
«
Le mâle de l’érismature rousse
domine celui de l’érismature à
tête blanche pour la conquête
des femelles.»
GOTTLIEB DÄNDLIKER INSPECTEUR DE LA FAUNE DU CANTON DE GENÈVE
DU LUNDI 15 AU VENDREDI 19 JUILLET, RETROUVEZ:
Tempête dans la biodiversité
Pas tous vilains, les petits canards
La longue marche du chacal doré
Pas drôle, la grenouille rieuse
La face noire de l’écureuil gris
SÉRIE D’ÉTÉ Chacal doré, raton laveur, ragondin, tortue,
coccinelle asiatique, écrevisse tueuse, autant d’espèces
qui envahissent nos régions avec un impact non négligeable
sur l’environnement.
LES ANIMAUX VENUS D’AILLEURS 2/5
Nature en mutation
14 LE NOUVELLISTE MARDI 16 JUILLET 2013
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PALMIPÈDES Recensés depuis fort longtemps en Suisse, certains cygnes
et canards sont souvent pris à tort pour des espèces indigènes.
Pas tous vilains, ces petits canards
HÔTE DES MANGEOIRES
De dé-
cembre 2001 à juillet 2002, deux bulbuls
Orphée – magnifique espèce du Sud-Est
asiatique – ont été observés à Saint-
Imier dans le quartier proche de l’hôpital
où l’un d’eux a régulièrement fréquenté
une mangeoire dans le jardin d’une villa.
Le chirurgien Nicolas Chapuis est le pre-
mier à l’avoir signalé à la centrale orni-
thologique romande. Aujourd’hui, il ex-
plique que «ce cas était limpide. L’oiseau
s’est échappé de chez un particulier qui ten-
tait en vain de le reprendre.» Ce mâle aurait
ensuite été brièvement rejoint par une
femelle.
Cette espèce exotique a été observée à
d’autres reprises en Suisse où elle s’est re-
produite au moins une fois. C’était à
Muttenz (BL) en 1982 selon le livre «Les
oiseaux de Suisse» publié par la Station
ornithologique de Sempach.
MAGNIFIQUEMENT COLORÉ
Le
bulbul Orphée est un oiseau magnifique-
ment coloré et en outre un formidable
chanteur, d’où son nom. Il est très prisé
des ornithophiles, en Asie d’abord mais
également dans le reste du monde. De la
taille de nos petits passereaux, il a le
corps tacheté de brun, de blanc, de noir
et de rouge. Il arbore une crête noire fine
et longue très caractéristique. Dans son
habitat naturel, notamment en Thaï-
lande, il est fréquemment observé dans
des zones ouvertes colonisées par de
nombreuses graminées dont il con-
somme les graines, un peu comme les
chardonnerets de chez nous. Il se ren-
contre en montagne jusqu’à 1800 mètres
d’altitude. Rien n’indique que cette es-
pèce ait la moindre chance de s’implanter
en Suisse.
Quand Orphée charmait les Imériens
Le bulbul Orphée, une espèce asiatique très prisée des ornithophiles autant pour la beauté
de son plumage que celle de son ramage.
SP
VISITEURS D’HIVER
A l’inverse du cygne tuberculé qui a été intro-
duit dans toute l’Europe de l’Ouest, deux espèces de cygnes, beaucoup
plus discrètes apparaissent occasionnellement en Suisse en qualité de
visiteurs d’hiver, le très rare cygne de Bewick et le cygne chanteur. La
majorité des observations se font sur les rives du lac de Constance,
mais aussi de ceux de Bienne, de Neuchâtel et du Léman. On peut aus-
si les rencontrer le long des grandes rivières comme l’Aar, la Thielle et
la Broye. Leur arrivée chez nous est surtout liée aux grands froids qui
accablent la toundra sibérienne d’où ils sont originaires. Ces deux es-
pèces se ressemblent beaucoup et se distinguent du cygne tuberculé par
leur bec jaune et noir. Entre-eux, on les distingue surtout parce que le
cygne de Bewick a un cou plus court que le cygne chanteur.
ÀLAGRUÈRE
De rares apparitions estivales sont connues, comme
celle d’un couple de cygnes chanteurs à l’étang de la Gruère en 2012
signalée par le Tramelot Stephano Ehrensperger. Selon lui, ils au-
raient tenté de nicher avant de se rabattre sur Biaufond où le déran-
gement est moindre. Une information qui laisse Lionel Maumary
sceptique.«A ce jour, aucune nidification de cette espèce n’a jamais été con-
firmée en Suisse et même les observations estivales comme celles-ci sont ex-
ceptionnelles», assure l’ornithologue.
Chassés par le froid