ESSAIS
DE
SCIENCE
COMPARÉE
L
ASTRONOMIE
ET
LA
VIE
DE
L
HUMANITE
(Suite
et
fin.).
VIE
INTELLECTUELLE.
Détournons
nos
regards
des
horizons
de
la
terre
et
plongeons-
les
dans
les
océans
de
l
espace.
Oublions
s
il
se
peut
nos
préoc
cupations
d
un
jour;
absorbons-nous
dans
la
contemplation
de
ce
grand
spectacle.
Ne
semble-t-il
pas
que,
devant
lui,
les
siècles
de
l
histoire
s
effacent
et
que
nous
donnions
la
main
aux
premiers
âges
du
genre
humain
?
Cette
voûte
étoilée
avec
ses
mille
et
mille
flambeaux
étincelants,
Adam
lui-même
et
Noé
l
ont
vue,
telle
qu
elle
est
toujours
;
telle
l
ont
vue
en
leur
temps
Abraham
et
Moïse,
Melchisédech
et
Job,
David
qui
en
a
chanté
les
merveilles.
Telle
l
ont
vue
les
observateurs
chaldéens
du
haut
de
la
tour
de
Dabylone
et
les
prêtres
égyptiens
de
Thèbes
et
de
Memphis.
Telle
l
ont
vue
Hésiode
et
Homère,
Thalès
et
Pythagore,
Platon
et
Aristote,
le
grand
Hipparque
enfin
et
le
studieux
Ptolémée,
dont
la
science
astronomique
n
a
pas
été
dépassée
chez
les
anciens.
Mais
si
le
ciel
est
comme
immuable,
que
l
esprit
humain
est
changeant!
Ce
spectacle,
toujours
le
même,
de
quels
regards
différents
l
ont
envisagé
les
hommes
que
nous
venons
de
nom
mer,
et
combien
nos
propres
conceptions
sont,
à
leur
tour,
éloi
gnées
des
leurs
!
Il
ne
peut
être
ici
question
de
les
passer
toutes
en
revue.
Beaucoup
sont
étrangères
à
la
science
astronomique,
dont
nous
avons
maintenant
à
considérer
les
rapports
avec
la
vie
intellec
tuelle
de
l
humanité.
Cependant,
pour
mieux
éclairer
notre
sujet
propre,
il
nous
sera
bon
de
jeter
d
abord
un
rapide
coup
d
œil
sur
les
idées
que
le
monde
des
astres
éveilla
dans
l
esprit
humain
antérieurement
à
la
naissance
de
la
science
véritable.
Les
caractères
qui
distinguent
celle-ci
en
seront
mis
en
plus
vive
lumière,
et
nous
apprécierons
mieux
les
conditions
de
sa
marche
et
de
son
progrès.
Nous
pouvons
distinguer
trois
dispositions
d
esprit
princi
pales
au
fond
des
idées
que
les
hommes
se
sont
faites
des
astres
l
astronomie
et
la
vie
de
l
humanité
405
avant
d
y
trouver
l
objet
d
une
science.
La
première,
parfaite
ment
légitime
et
supérieure
même
en
portée
à
l
esprit
scientifi
que,
est
l
esprit
religieux
;
les
deux
autres,
plus
ou
moins
répréhensibles,
sont
l
esprit
superstitieux
et
celui
de
spéculation
arbitraire.
L
esprit
religieux,
sur
lequel
nous
n
avons
plus
à
nous
arrêter,
après
ce
que
nous
en
avons
dit
déjà,
1
se
montre
dans
toute
sa
pureté
chez
le
peuple
juif,
du
moins
dans
ses
livres
inspirés.
En
présence
du
ciel
visible
ce
peuple
n
a
que
deux
grandes
idées,
mais
les
idées
capitales
:
c
est,
d
abord,
que
tous
les
astres
qui
brillent
au
ciel
sont
sortis
du
néant
à
la
voix
de
Dieu
:
ipse
dixit
et
facta
sunt
;
ipse
mandavit
et
creata
sunt
;
c
est,
ensuite,
que
la
nature
et
les
lois
qu
ils
ont
reçues
de
leur
auteur
ont
été
disposées
par
sa
Providence
en
vue
du
bien
de
l
homme
:
pour
éclairer
sa
demeure
et
diriger
ses
pas
;
pour
diviser
sa
vie,
régler
ses
travaux
et
lui
montrer
enfin
mille
images
des
perfections
de
ce
divin
Créateur,
mille
exemples
de
ses
bienfaits.
*
*
*
L
esprit
que
nous
avons
nommé
superstitieux
est
une
perver
sion
de
l
esprit
religieux
par
les
passions
humaines,
et
il
enfante
deux
grandes
erreurs
:
l
adoration
des
astres
et
l
astrologie.
Les
peuples
primitifs
vivaient
plus
près
que
nous
de
la
nature
et,
en
Orient
surtout,
la
voûte
des
cieux
avec
ses
milliers
de
flambeaux
devint
le
livre
de
leurs
veilles
;
mais
leur
esprit
s
y
égara
en
des
rêves
étranges.
Quand
la
révélation
primitive
se
fut
obscurcie,
l
éblouissante
beauté
des
astres,
rehaussée
par
la
transparence
des
nuits
orientales,
frappa
les
hommes
d
un
ver
tige
idolâtrique
;
et
la
séduction
fut
d
autant
plus
vive
que
ces
mondes
lumineux
paraissaient,
déplus,
animés.
Dès
l
origine,
on
suivit
avec
étonnement
les
deux
sortes
de
mouvements
qu
ils
offrent
à
nos
regards
:
l
un
simple
et
majestueux,
qui
leur
est
commun
à
tous,
fait,
chaque
jour,
décrire
aux
étoiles
fixes
un
cercle
plus
parfait
qu
aucun
de
ceux
que
la
main
de
l
homme
peut
tracer
;
l
autre,
propre
à
quelques
astres
seulement,
est
d
apparence
plus
mystérieuse.
Ces
astres
errants,
ces
planètes,
au
nombre
desquelles
on
compta
d
abord,
non
point
la
terre
comme
aujourd
hui,
mais
bien
ses
deux
grands
luminaires,
le
soleil
et
la
lune,
participent
sans
doute
au
mouvement
diurne
1.
Le
Canada-Français
de
juillet
1888.
406
SCIENCE
COMPARÉE
de
la
sphère
;
ils
se
lèvent
à
l
orient
et
se
couchent
à
l
occident
;
cependant,
au
lieu
de
suivre
entièrement
la
course
des
étoiles
fixes,
ils
se
déplacent
lentement
à
travers
les
constellations
;
le
soleil
et
la
lune
semblent
faire
ainsi,
pas
à
pa3,
en
sens
contraire
du
mouvement
diurne,
le
tour
entier
du
ciel,
le
premier
en
un
an,
la
seconde
en
un
mois.
Quant
aux
planètes
proprement
dites,
leur
marche,
beaucoup
plus
compliquée,
semblerait
au
premier
abord
échapper
à
toute
règle.
On
remarque
pourtant
bientôt
qu
elle
se
renferme
toujours
dans
une
bande
étroite
du
ciel,
large
seulement
de
huit
degrés
de
part
et
d
autre
de
l
orbite
annuelle
du
soleil
;
c
est
le
zodiaque.
Sur
cette
zône,
comme
sur
une
route
éthérée,
les
planètes
avancent,
s
arrêtent,
reculent,
s
arrê
tent
de
nouveau
et
reprennent
leur
marche
en
avant
;
leurs
pas
sont
inégaux
;
elles
tracent
des
lignes
sinueuses,
des
festons
et
des
boucles,
mais
sans
jamais
sortir
de
la
largeur
du
zodiaque.
Nous
savons
de
plus
aujourd
hui
qu
une loi
précise
et
rigoureuse
y
règle
leur
marche
;
et
si
les
astronomes
de
l
antiquité
restè
rent
bien
loin
d
en
découvrir
la
formule,
ils
durent
au
moins
pressentir
l
existence
de
la
loi,
car
ils
avaient
reconnu
le
carac
tère
essentiellement
périodique
de
ces
mouvements
si
complexes.
Mais
l
imagination
populaire
ne
trouva
dans
leurs
apparences
qu
une
amorce
à
des
rêveries
superstitieuses,
et
de
bonne
heure
elle
engendra
le
culte
idolâtrique
des
astres.
Sa
diffusion,
si
générale
dans
la
haute
antiquité,
fait
ressortir
avec
un
éclat
vrai
ment
surnaturel
la
distinction
si
nette,
si
précise,
si
absolue
que
le
langage
de
la
Bible,
de
la
première
à
la
dernière
ligne,
main
tient,
sans
jamais
hésiter,
entre
le
Créateur
et
la
créature,
entre
Dieu
et
son
œuvre,
tirée
du
néant
par
la
vertu
de
sa
parole,
esclave
de
sa
loi,
qu
elle
accomplit
avec
une
fidélité
invariable
et
passive.
Partout
ailleurs
que
chez
les
Juifs,
et
chez
eux-
mêmes
dès
qu
ils
cessaient
d
être
fidèles
à
Dieu,
la
pure
notion
de
son
Etre
tout
spirituel
s
obscurcissait
d
épais
nuages
;
l
homme
pourtant,
se
sentant
toujours
dominé
par
une
puissance
supé
rieure,
dans
le
trouble
de
son
cœur,
il
courait
l
adorer
en
des
êtres
visibles
;
ceux-là
devaient
surtout
l
attirer
qui
le
frappaient,
entre
tous,
par
des
caractères
plus
éclatants
de
splendeur,
de
fécondité.
A
ce
titre
le
soleil
méritait
de
passer
pour
le
dieu
de
l
univers
:
il
fut
le
roi
du
ciel,
et
la
lune
en
fut
la
reine
;
les
innombrables
phalanges
des
étoiles
furent
celles
de
ses
armées.
1
1.
Les
armées
célestes,
dans
le
langage
biblique,
désignent
très
souvent
la
multitude
des
astres
et
les
prophètes
s
élèvent
contre
le
culte
impie
que
leur
rendaient
les
peuples
païens,
v.
g.
:
qui
adorant
super
tecta
militiam
cœli.
Soph.,
1.
l
astronomie
et
la
vie
de
l
humanité
407
Les
égyptologues
modernes
nous
disent,
à
la
vérité,
qu
avant
de
devenir
le
grand
dieu
de
ce
pays,
le
èoleil
n
y
fut
d
abord
célébré
que
comme
un
symbole
du
Dieu
véritable,
et
que
des
idées
religieuses
d
une
certaine
élévation
s
y
perpétuèrent
long
temps
dans
les
classes
plus
cultivées.
Nous
voyons
même
un
auteur
inspiré,
celui
du
livre
de
la
Sagesse,
qui,
selon
toute
appa
rence,
écrivait
à
Alexandrie,
vers
le
deuxième
siècle
avant
l
ère
chrétienne,
parler
avec
une
indulgence
relative
de
l
adoration
des
astres
et
des
puissances
de
la
nature
:
Ceux
qui
s
y
livrent
sont
moins
condamnables,
dit-il,
que
ceux
qui
se
prosternent
devant
l
œuvre
de
leurs
propres
mains.
Ils
s
égarent,
à
coup
sûr,
mais
peut-être
en
cherchant
Dieu,
en
le
cherchant
parmi
ses
œuvres.
Cependant
la
vraie
notion
de
la
divinité
une
fois
obscurcie
et
livrée
aux
caprices
de
l
imagination
humaine,
il
n
était
plus
de
point
fixe
dans
la
religion,
et
le
culte
des
astres
fut
entraîné
comme
les
autres
à
des
aberrations
monstrueuses.
Les
expres
sions
manquent
pour
dire
de
quels
excès
d
infamie
et
d
atrocité
il
fut
souillé,
par
exemple,
chez
les
peuples
chananéens.
Evidemment
ces
aveugles
fureurs
n
avaient
plus
même
un
point
de
contact
avec
la
science
des
astres.
Quant
à
l
autre
superstition
dont
nous
voulons
dire
quelques
mots,
l
astrologie,
elle
affecta
toujours
de
s
y
rattacher
;
mais
ce
ne
fut
jamais
que
comme
une
végétation
parasite.
Le
nom
qui
lui
est
devenu
propre
était
à
l
origine
celui
même
de
l
astronomie.
Quand
il
fut
restreint
à
un
sens
spécial
on
l
entendit
de
l
art,
réel
ou
prétendu,
de
tirer
de
l
étude
des
astres
des
prévisions
et
des
prédictions
sur
les
événements
futurs
;
aujourd
hui
il
ne
désigne
plus
que
la
partie
absolument
chimé
rique
de
cet
art
;
pour
sa
partie
sérieuse
elle
rentre
dans
l
astro
nomie
comme
une
de
ses
branches
ou
de
ses
applications.
C
est
ainsi
que
le
chef-d
œuvre
de
la
mécanique
céleste,
celui
des
Laplace
et
des
Leverrier,
est
de
dresser,
pour
la
série
des
années
et
des
siècles
futurs,
ces
tables
numériques
assignant
d
avance,
avec
précision,
la
position
qui
sera
occupée,
à
telle
date
déter
minée;
par
chacun
des
astres
du
système
solaire.
Les
prêtres
de
l
ancienne
Egypte
étaient
bien
loin
de
cette
science,
mais
ils
en
possédaient
pourtant
les
premiers
rudi
ments.
Ils
observaient
avec
leurs
gnomons
les
longueurs
varia
bles
de
l
ombre
du
soleil,
déterminaient
le
moment
de
l
équi-
408
SCIENCE
COMPARÉE
noxe
et
les
limites
des
saisons,
annonçaient,
sans
doute
en
conséquence
de
ces
observations,
les
crues
si
régulières
du
fleuve
qui
fait
la
merveilleuse
fécondité
du
pays
;
ils
présageaient
encore,
avec
plus
ou
moins
d
exactitude,
les
époques
des
éclipses
de
lune.
Toute
primitive
que
fût
leur
science,
elle
attirait
donc
aux
astronomes
de
l
Egypte
une
considération
méritée
;
ils
durent
être
tentés
d
exploiter
par
d
autres
divinations
le
crédit
qu
ils
lui
devaient.
Illusion
ou
pur
artifice,
à
ce
qu
on
appela
au
moyen
âge
l
astrologie
naturelle,
ils
allièrent
de
bonne
heure
l
astrologie
dite
judiciaire
parce
qu
elle
avait
pour
objet
de
tirer,
de
l
observation
des
astres,
des
jugements
prophétiques
sur
des
faits
d
un
tout
autre
ordre
et
notamment
sur
les
destinées
humaines.
Avec
les
progrès
de
l
art,
tirer
l
horoscope
d
un
homme,
d
après
l
aspect
des
astres
au
moment
de
sa
naissance,
devint
une
opération
classique.
L
astrologue
devait,
avant
tout,
tenir
compte
du
signe
du
Zodiaque
qui
se
levait
sur
l
horizon
en
ce
moment
décisif.
Les
planètes
visibles
avaient
aussi
leur-
influence,
surtout
si
quelqu
une
d
entre
elles
se
trouvait
en
même
temps
dans
le
signe
fatidique.
Par
la
combinaison
de
toutes
ces
données,
on
prédisait
hardiment
les
inclinations,
le
tempérament,
la
carrière
future
de
l
enfant
qui
venait
de
naître;
on
pouvait
d
ailleurs
s
y
reprendre
plus
d
une
fois
au
cours
de
la
vie.
Les
horoscopes,
comme
les
oracles
de
l
antiquité,
étaient
assez
vagues,
assez
ambigus,
pour
se
trouver
justifiés
en
quelque
chose
par
des
événements
complexes,
et
quand
le
désaccord
était
trop
flagrant,
on
pouvait
le
rejeter
sur
une
faute
de
l
astrologue
plutôt
que
sur
les
principes
de
son
art
:
le
préjugé
commun
les
rendait
inattaquables.
L
un
des
traits
les
plus
étonnants
dans
l
histoire
de
cet
art
occulte,
c
est
la
rigueur
apparente
et
la
méthode
superstitieuse
avec
lesquelles
il
en
vint
à
se
formuler.
Le
nombre
et
la
com
plication
des
règles
par
lesquelles
il
se
rattachait
aux
phénp-
mènes
astronomiques
en
faisaient
un
sujet
d
études
laborieuses
;
ils
en
purent
voiler
le
vide
aux
yeux
de
certains
esprits,
enthou
siastes
et
confus.
Ainsi
s
expliquerait-on
que
quelques-uns
de
ses
plus
fameux
adeptes,
jusqu
en
des
temps
voisins
du
nôtre,
aient
paru
s
y
attacher
avec
une
conviction
sincère
:
ils
n
en
auraient
été
que
les
premières
dupes.
Quant
à
la
crédulité
publique
elle
ne
s
explique
que
trop
aisé
ment
par
l
insatiable
curiosité
de
l
esprit
humain
et
par
l
avidité
maladive
qui
nous
entraîne
vers
le
fruit
défendu.
Ce
que
nous
pouvons
acquérir
de
lumière
par
le
travail,
nous
n
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