INTRODUCTION
Le mont Nimba, qui fait partie de la Dorsale guinéenne, se situe au niveau du point triple des frontières entre la Guinée,
le Liberia et la Côte d’Ivoire. Il s’agit d’un ensemble montagneux qui s’étend sur une quarantaine de kilomètres de long,
sa largeur variant de sept àdix kilomètres, et qui s’élève àenviron 1200 mètres au-dessus du piedmont environnant, situé
àune altitude allant de 400 à550 mètres. La forêt dense domine largement dans la région et est pratiquement continue
sur les pentes jusqu’aux alentours de 1000 m, plus haut dans les ravins ; dans le piedmont se situent des milieux herbacés
enclavés, savanes àherbes plus ou moins hautes et prairies basses sur cuirasse latéritique, tandis que la plus grande partie
des régions élevées, tout au moins en GuinéeetenCôte d’Ivoire, est occupée par une prairie d’altitude qui constitue un
milieu naturel des plus remarquables. Au total une diversitéimportante de biotopes sur une superficie restreinte, qui
justifie les recherches entreprises depuis plus de cinquante ans, lesquelles ont fait de cette montagne l’un des points
biologiquement les mieux connus de toute l’Afrique de l’Ouest.
Comme celle des autres groupes d’animaux, la collecte des Acridiens a commencéau mont Nimba et dans les alentours
avec la mission M. Lamotte de février àjuin 1942. De nombreux autres séjours plus ou moins longs de naturalistes pendant
la cinquantaine d’années qui ont suivi ont permis de nouvelles captures de jeunes et d’adultes en tous mois et dans tous
les milieux, àtoutes les altitudes depuis le piedmont jusqu’au sommet du mont Richard-Molard à1752 m. C’est dire que
les quelque 8000 spécimens ainsi recueillis peuvent être considérés comme représentatifs du peuplement de la région.
Deux études ont déjàétéconsacrées aux Acridiens du Nimba dans des mémoires de l’IFAN. La première, due àL.
Chopard (1958) énumérait 80 espèces (dont 9 nouvelles) réparties en 64 genres. La seconde, rédigée comme complé-
mentaire par V. M. Dirsh (1963), traitait de 73 espèces réparties en 61 genres ; l’auteur y signalait en outre que 26 des
espèces mentionnées par Chopard ne figuraient pas dans le nouveau lot examiné, ce qui donnait alors un nombre total de
99 espèces. Aucune nouvelle espèce n’aétédécrite dans cette seconde étude, mais trois des espèces antérieurement
trouvées par Chopard y ont étéplacées en synonymie, tandis qu’une autre a reçu un nom nouveau pour raison
d’homonymie, et que plusieurs autres changements de nomenclature sont intervenus.
Comme 3 espèces nouvelles avaient étédécrites antérieurement du Nimba par Chopard en 1947, et une autre depuis,
par Descamps en 1964, 13 espèces au total se trouvent avoir leur type en provenance de cette localisation.
Depuis 1964, les captures d’Acridiens ont étéparticulièrement nombreuses (plus de 5000), dans une diversitémaximale
de biotopes, ce qui a permis de mieux saisir l’ensemble du peuplement, tandis que je me suis efforcéd’identifier au
maximum les jeunes des récoltes antérieures, en grande partie délaissés par les auteurs des précédentes études, ceci dans
le but de mieux comprendre la dynamique des populations. Pendant cette même période, la connaissance systématique
des Acridiens de l’Ouest africain s’est beaucoup améliorée, avec de nombreuses révisions de genres, pour aboutir àla liste
de 363 espèces réparties en 184 genres présentée en 1997 par Mestre & Chiffaud, qui est prise ici comme cadre
systématique d’ensemble. Une seule autre espèce nouvelle est décrite ici d’après les spécimens en provenance du Nimba,
qui se trouvent maintenant répartis en 79 genres et 110 espèces, compte tenu des nouvelles captures et des réaménage-
ments nécessités par les études qui ont étéeffectuées dans l’intervalle. Àremarquer tout spécialement la création en 1992
par Popov & Fishpool du genre Nimbacris pour y placer l’une des espèces nouvelles créées par Chopard en 1958, et la mise
en synonymie implicite d’une autre de ces espèces nouvelles, déjàprise en compte par Mestre en 1988 et qui est officialisée
dans la présente étude, laquelle s’efforce de faire le point sur les différents aspects de la faune, du peuplement et de la
biologie des Acridiens au Nimba et dans son piedmont, en tenant compte de toutes les données disponibles.
Cependant il ne saurait encore s’agir que d’une approche de toutes ces questions : les points délicats de systématique
n’ont pas étéréglés, mais sont seulement signalésàl’attention ; l’analyse du peuplement est manifestement approximative,
les cycles de vie des différentes espèces présentent encore de nombreuses incertitudes, les régimes alimentaires ne sont que
sommairement envisagés, et quelques espèces restent probablement encore àdécouvrir, surtout en forêt.
Le passage en revue des données de divers ordres relatives aux différentes espèces inventoriées occupe l’essentiel des
pages qui suivent, dans le cadre systématique retenu, puis vient un essai de synthèse du peuplement, qui aborde
l’abondance des espèces, leur répartition suivant les milieux et en fonction de l’altitude, et la diversitédes cycles annuels.
312 ROGER ROY