PIERRE VIRET ET LA DIFFUSION DE LA RÉFORME
toutes les hérésies chrétiennes présentant des similitudes avec
I'islam 22.
Quelques rares fois, Viret suit lui-aussi cette interprétation.
Dans le De la uraie et fau.sse religion, il présente ainsi Mahomet
comme un ancien chrétien23 et dans la préface des Actes des urais
successeurs de Jesus Christ (7554), il affirme que les musulmans sont
des apostats de l'ancienne É,glise chrétienne, au même titre que les
n papistes o 24.
Le plus souvent, Viret décrit toutefois l'islam comme une reli-
gion nouvelle, composée volontairement par Mahomet à partir
d'éléments tirés du judaTsme, du christianisme, du paganisme et
d'autres éléments de son invention. Viret compare l'islam à un
patchwork, dans son langage uune loy et religion ramassee et com-
posee de toutes ces pieces cousues ensembleu25 ott encore à un
potage composé de plusieurs seuces auquel du poison aurait été
qouté.26. Viret relate que Mahomet aurait eu trois maîtres: deux
chrétiens hérétiques (l'Arien Sergius et le Nestorien Jean) et un juif
nthalmudisteo, desquels il aurait tiré une partie des préceptes de
l'islam27.
22. Théodore Bibliander, nApologia pro editione Alcoranio, in Machametis Saracenorum
principis, op. cit.,155O, t. l, c3"-p6', traduction française: Théodore Bibliander, Le Coran à
la Renaissance: plaidoyer pour une traducîion, Henri Lamarque (introd., t¡ad. er notes), Tou-
louse: Presses universitaires du Mi¡ail, 2OO7. Potlr la catégorisation de I'islam comme r¡rre
hérésie par Bibliander, cf. en particulier les pp. 62-68 et76-92.
23. PieneYiret, De k wø1te etfaasse religion, op. cit, pp. 450-451: nCar ils [= les musul-
malsJ ne font point de difûculté, de confesser que Jesus Christ soit nay d'une vierge, et que
la vierge Marie I'ait conceu et enfanté, demeurant tousjours vierge, pourtant que Mahumet
le confesse ouvertement en son Alcoran, qui est leur loy. Car pource qu'il a esté Chrestien,
et qu'il a apris cela des sainctes Esc¡itu¡es, il ne I'a osé nier. Et ce riest pas de merveille, si
Mahumet gui a quelque fois esté instruit en la religìon Chrestienne, et qui en a beaucoup
emprunté de pieces, pour bastir et mieus colorer sa fausse religion [. . .]. o
24 . Pierre Yiret, Des aaes des arais successeurs dz Jesus Cltrist et de ses apostres, et dcs apostats de
lEglise papale 1. . ./, Genève: Jean Girard, 1554, f. A IV'-": n Car qui sont les Juiß il'aujour-
d'hu¡ sinon des apostats de l'ancienne Eglise d'Israel ? Et les Türcs semblablement qui sont
ils, sinon des apostats de I'ancienne Eglise Chrestienne, su)¡vans la doctrine de Mahumet,
leur prophete, qúi en est issu, comme les Papistes suivent la doctrine et les traditions du
Pape, qui est aussi issu de la mesme Eglise, au lieu de suivre la docuine deJesus Ch¡ist?u
25. Pierre Vi¡et, L'Interinfaitpar dialogues, Lyon: [Claude Senneron], 1565, p.32.
26. PierreYirer, Disputations chrestiennes, op. cit., vol. 2, pp. 47-48: u [...] Mahomet, qui
n'a suivy entierement, ne celle [= la loij des Juifz, ne celle des Payens, ne celle des Chrés-
tiens: mais en a composé une, prenant de toutes icelles ensemble ce qu'il luy a pleu, et en a
faict un potage, meslé de toutes saulses, et corrompu de toutes poisons, qui gastent telle-
ment tout ce qu'y pouvoit estre de bon, qu il n'y est rien demouré, que le pur venin de
toutes erreurs et heresies. o
27 - PterreYiret, L'Interim, op. cit., pp. 37-38. Pou:. une étude actuelle du contexte histo-
rique, littéraire et théologique de la naissance de l'islam, cf. les travaux d'Angelika Neu-
wirth, notamment: Der Koran ak Text der Spätantihe: ein ruropäischer Zugang, Berlin: Verlag
der'lTeltreligionen, 2010 et Angelika Neuwirth et al. (éds), The Qur'ãn7n iontext: Historical
and Literary Inuestigations into the Qur'ãnic Milieu, Leyde: Brill, 2010.
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Le réforrnateur e>(pose divers facteurs qui, selon lui, ont permis à la
religion musulmane de bien s'établir. Outre I'attractivité de son mes-
sage composite sur les persónnes faisar¡t partie des différentes reli-
gions préo(istantes, des circonstances culturelles et politiques auraient
ioué un rôle important. Au mornent de la naissance de I'islam, les
'bonor, /zttres etatent presque déuuites et I'ignorance généralisée aurait
également favorisé la réception de cette nouvelle religion28. De plus,
des divisions interns secouaient le pouvoir temporel de l'Ernpire
ainsi que les différentes religions, et ces divisions affaiblissaient les
capacites de résistance face à cette nouvelle religion, Pour soutenir
celle-ci, Mahomet riaurait pas hésité à joindre le glaive temporel au
gluve spirituel et il I'aurait entourée, selon Viret, de quatre ,.forte-
resses>, interdisant aux musulmans de discuter de religion avec des
personnes voulant critiquer I'islam2e. Dans le premier ouvrage viré-
tien où Mahomet est mentionné, le De k difermce qui est entre les
saperstitions et idola*ies 1../ purblié en 1542, soit un an avafrt le
recueil de Bibliander, Viret rapporte que Mahomet aurait interdit aux
ecclésiastiques de révéler le conte¡ru du Coran aux lalques, et défendu
à quiconque nétait pas <prêtre" de débatffe de religion. Ceme
manière de procéder est mise en ¡rarallèle par Viret avec les chuchote-
ments des prêtres catholiques au moment de la messe et avec leur
usage du latin, langage incompréhensible pour le peuple, et opposée
au commandement du Christ de diffirser la doctrine évangélique le
plus largement possible3o.
PIERRE VIRET ET L'ISLAM
28. Ibi¿., pp. 32-34. La mêrne idée est développée dans l'þologia de lfhéodore Biblian-
der, Le Coran à la Renaissance, o1t. cit , p. 104"
29. PierreYiret, LTnterint, op. cit., p.37: "- Tite. Qui sont ces fo¡teresses? - David. La
premiere est, qu'il commande qu'on tue tous ceux qui contrediront à son Alcoran, et qu'on
mefte en servitude ceux qui ne voud¡ont suyvre sa religion. I-a seconde, qu il defend d'en dis-
puter âvec ceux qui sont d'autre secte et religion, afin gu'on ne descouvre la lourde ignorance,
èt les gros et lou¡s erreu¡s et abus qui y soni La troisieme, qu il defend de croire à pðint d'au-
tres qu'à ceux de sa secte et religion. La quatrieme, que les siens se separent totalernent des
autres, et qu'ils leur disent pour toute raison: Vi en ta lo¡ et rne laisse vivre en la mienne. Cela
vaut âutant coÍrne s'il disoit: Cornbatez par opiniastreté et obstination pour maintenir vosre
loy et religion, et rioyez raison quelconquè, ne èhose qu'on vous puisse piopose.r au contrai¡e.,
30. [Pierre Viret], Dr k difermce qui eil enne lzs superstitions et ìdnhtries des anciens genilz ø
payens, a hs enettn et abus qui sont etttre ieux qui shppelltnt chrestiens; et dz k uraye møniere dhonnorer
Dieu, la Wrge Marie, a lzs Sainctz, [Genève]: [Jean Girard], 1542, F. R4'": nMahomer defend
soubz peine de la vie, que nul ne soit si osé ne si hard¡ de parler ne de disputer de sa loy, fors
que ses prestres et religierx, commis et deputez à cela. Et le Pape pareillement, soubz peine d'*-
communicarion, defend et interdict, de li¡e le ca¡ron de la messe, et les parolles sacrmentales, à
autre qu'à ses prestres et moynes, auxquelz encore e$ comrnandé, de les reciter si bas, que nul
en puisse entendre un seul mot.n Cf égalem.ent ibi¿., F. 52'-53'. Au XfV" siède,'Vi'ycliffavait
été le prernier à indiquer ce parallèle supposé enue ecclésiastiques musulmans et catholiqua
voulant exclure les l¿'cs de la discrxsion de certains dogmes religieux. CC Victor Segesvary, op.
cit., pp. 55-57 . Nous ignorons si Vi¡et s'est inspiré directement de '$7ycliff pour cette idée.