É D I T O R I A L Le conduit auditif externe est-il un méat ? ● F. Legent* l est curieux de constater le double langage anatomique concernant l’organe qui relie le pavillon de l’oreille à la membrane tympanique. Dans son Traité de l’organe de l’ouïe, paru en 1731, Joseph Duverney écrivait : “Ce qu’on appelle le trou de l’oreille est un conduit dont la conque est comme le vestibule et qui mène à une membrane qu’on appelle tambour. Ce conduit est en partie cartilagineux, en partie osseux”. Dès lors, la littérature française dénomma conduit auditif externe cet organe qui fut appelé en Allemagne Gehörgang, en Angleterre auditory meatus, en Espagne conducto auditovo et en Italie meato uditivo. Aussi comprend-on la volonté d’anatomistes de la fin du XIXe siècle de réaliser une nomenclature permettant d’uniformiser le langage des termes anatomiques. C’est ainsi que parut en 1895 la première nomenclature anatomique appelée Basle Nomina Anatomica (BNA), rédigée essentiellement par des anatomistes allemands. Elle dénommait notre conduit meatus acusticus externus. En pratique, cette BNA ne fut pas adoptée par les anatomistes français. Au cours des décennies suivantes, des anatomistes allemands et anglais révisèrent la BNA, avec une nouvelle nomenclature parue en 1933 sous la dénomination de Birmingham Revision, et de Jena Nomina Anatomica (JNA) en 1936. Mais il fallut attendre 1955 pour qu’un comité international réalise et publie à Paris une véritable nomenclature internationale anatomique, connue depuis sous le nom de PNA. En fait, les modifications apportées par cette PNA par rapport à la BNA du siècle précédent n’ont pas concerné l’oreille. Le conduit auditif externe était toujours officiellement appelé par les anatomistes meatus acusticus externus. Quant aux otologistes francophones, ils continuèrent pour la plupart à ignorer cette dénomination, réservant le terme de méat au conduit fibrocartilagineux et non à l’ensemble du conduit. Il en fut de même pour les cliniciens de langue anglaise qui, en grande majorité, l’appellent external auditory canal. I * 33, rue Russeil, 44000 Nantes. Ainsi, la mayonnaise n’a pas pris, anatomistes et cliniciens campant superbement sur leurs positions. Certes, certains cliniciens font des efforts, et citent, souvent entre parenthèses, le meatus acusticus. Pour connaître les usages des cliniciens, il suffit d’interroger des bases de données sur Internet. On constate, par exemple, que Healthgate fournit 238 références pour external ear meatus et 1 001 références pour external ear canal concernant la littérature de 1989 à 1999. PubMed donne des pourcentages encore plus importants en faveur de “canal” comparativement au “méat”, avec un rapport de 1 à 8. On peut dès lors se demander s’il ne serait pas temps d’avoir une nomenclature sinon unique, du moins harmonisée. Faut-il que les cliniciens se convertissent à la nomenclature anatomique officielle, ou les anatomistes doivent-ils modifier leur nomenclature en fonction des usages des cliniciens ? Pour répondre à cette question, on doit d’abord s’interroger sur la signification d’un méat. Il est curieux de constater que les anatomistes réservent ce terme uniquement à l’oreille et aux fosses nasales, le méat urétral s’étant transformé en ostium. Littré, en 1877, définissait ainsi le méat : “Terme d’anatomie. Conduit. Le méat auditif. Méat urinaire, l’orifice de l’urèthre”. On n’est guère plus avancé. En fait, la terminologie dépend du concept que l’on a de la partie désignée. Si ce conduit auditif externe n’est qu’une entrée pour l’oreille moyenne, on peut effectivement conserver le terme de méat. Mais si l’on voit dans le conduit auditif externe osseux un véritable organe avec sa physiologie propre, il est logique de distinguer son entrée par un terme précis. C’est en fait la position qu’ont adoptée les otologistes depuis fort longtemps. Pour eux, le terme de “méatoplastie” ne prête pas à équivoque et signifie “modelage de la partie fibro-cartilagineuse du conduit”. Les cliniciens n’ont donc pas à se culpabiliser lorsqu’ils oublient la nomenclature anatomique internationale pour désigner le conduit auditif externe. Quant aux anatomistes, ils ont déjà montré à plusieurs reprises qu’une nomenclature pouvait évoluer... ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 256 - octobre 2000 3