L`Encyclopédie de Diderot et l`Orient: lecture de la - DOCT-US

L’Encyclopédie de Diderot et l’Orient: lecture de la Bibliothèque
Orientale de d’Hérbelot
Inès Amami
Université de Paris 3
Paris, France
Abstract:
The Muslim world attracts the attention of Europe since the Middle Ages in a double movement
of repulsion and attraction. The prospects are changing in the second half of the 17th century and the knowledge
of Arab and Muslim world tends toward a scientific exploration;
La Bibliothèque Orientale
is the first major work
undertaken in order to contribute to the knowledge of the Eastern world. The
Encyclopaedia
of Diderot draws on
this text a great deal of information about the Orient, Islam and the social and religious organization of the
Eastern world. Even if the
Encyclopaedia
is not an inventory of the Arab-Muslim world as the
Bibliothèque
Orientale
, it uses these historical facts and sociological information by integrating them into a broader reflection
on the history, progress and religion. These two encyclopaedias contribute to the popularization of orientalising
knowledge. By subtracting their reflection in theology, the encyclopaedists are trying synthesis of religious
anthropology, where the East is apprehended outside the opposition Christianity / Islam.
Keywords:
Orient, Encyclopaedia, Diderot, Erudition,
Bibliothèque Orientale
, civilisation, history, Islam,
progress.
Introduction
Notre propos à pour but de mettre en lumière
l’apport de la Bibliothèque Orientale à
l’Encyclopédie de Diderot dans la connaissance
de l’Orient et sa vulgarisation. L’ Orient est
entendu ici comme le monde arabo-musulman
couvrant l’Afrique du nord à l’empire ottoman.
Après une rapide présentation de la Bibliothèque
Orientale, je m’attacherai à étudier son apport
aux articles encyclopédistes sur quatre plans : la
lexicographie, la géographie, l’étude des mœurs
et l’Islam.
Tout d’abord, on peut noter que le
mouvement des études orientalistes (ou
orientalisantes) entraîne à partir du dernier quart
du 17ème siècle une modification de la vision de
l’Orient en rupture avec celle du Moyen-âge, liée
à la foi chrétienne et aux croisades.
Conjointement, l’élargissement des horizons par
les découvertes géographiques, la fréquence des
contacts établis par les diplomates, voyageurs et
missionnaires, participent au changement des
cadres de perception. Lintérêt intellectuel se
déplace de l’antiquité gréco-romaine vers le
monde Oriental et le recours aux textes et la
connaissance des langues orientales devient une
nécessité et modifie profondément la vision de
l’Orient.
En effet, l’orientalisme à l’époque classique
est le lieu d’interdépendance des sciences
humaines en devenir. Il se caractérise par
l’application mécanique des concepts historiques
occidentaux à des réalités orientales et le
recours à des techniques d’érudition élaborées
par les humanistes.
La Bibliothèque Orientale
La
Bibliothèque Orientale
1
d’Hérbelot de
Molainville (14.12.1625/8.12.1695) publiée en
1697 est le premier vaste ouvrage entreprit dans
le but de contribuer à la connaissance du monde
oriental. Il représente l’exemple probant de ce
premier orientalisme islamisant du 17ème siècle
et trouve un écho considérable dans
l’
Encyclopédie
de Diderot2 (17 volumes de textes
et 11 volumes de planches, 1751- 1772).
Publié après sa mort en 1695 sous la
direction d’Antoine Galland, le titre complet de
l'édition de 1777-1779 est :
Bibliothèque orientale, ou Dictionnaire
universel contenant tout ce qui fait connoître les
1Composition des tomes : 1. Avertissement de l'éditeur.
Notice historique de la vie de d'Hérbelot. Observations
importantes sur l'Hégire. Bibliothèques Orientales:
Abakakhan-Balaam.--t. 2. Balas-Gezirat-Kheschk.--t. 3.
Ghebr-Luthfallah.--t. 4. Mabed Ben Khaled-Pour.-t. 5. Rabban-
Tozoun.--t. 6 Tuiuk-Zou Ben Thahamash. Paroles
remarquables des Orientaux. Approbation. Privilège du roi.
2 Encyclopédie et Dictionnaire raisonné publié par une société
de Gens de Lettres, Le Breton, Neuchâtel, 1751-1772.
36 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
peuples de l'Orient. Leurs histoires et traditions,
tant fabuleuses que véritables, leurs religions et
leurs sectes, leurs gouvernemens, politique, loix,
mœurs, coutumes et les révolutions de leurs
empires, les arts et les sciences, la théologie,
médecine, mythologie, magie, physique, morale,
mathématiques, histoire naturelle, chronologie,
géographie, observations astronomiques,
grammaire et rhétorique, les vies de leurs saints,
philosophes, docteurs, poëtes, historiens,
capitaines, et de tous ceux qui se sont rendus
illustres par leur vertu, leur sçavoir ou leurs
actions ; des jugemens critiques et des extraits
de leurs livres écrits en arabe, persan ou turc,
sur toutes sortes de matières et de professions,
par Mr d'Herbelot
.
La
Bibliothèque
Orientale fut rééditée à
Maestricht (1776), à la Haye (4 volumes, 1777-
1799), puis à Paris (6 volumes, 1781-1783).
Barthélémy D'Hérbelot a aussi rédigé une
Anthologie Orientale
, et un
Dictionnaire arabe,
persan, turc et latin
qui n’ont pas été édités3.
En 1661, il est nommé secrétaire et
interprète de langues orientales de Louis XIV et
en 1692, il devient professeur au Collège de
France, où il est titulaire de la chaire de
syriaque.
La spécificité de La
Bibliothèque Orientale
d’Hérbelot4 réside dans le fait que l’auteur se
fonde principalement sur des récits de voyageurs
musulmans5. Il écarte de ses sources les
relations jésuites dont l’objectivité est largement
contestée et s’impose l’obligation de mesurer la
distance qui sépare les relations de voyage
même les plus récentes de la réalité des faits.
Cet ouvrage contenant 6 tomes exprime une
volonté de vulgarisation des connaissances
orientales. Il est conçu en 2 parties : l’une
historique et bibliographique et l’autre
comprenant des textes orientaux qui éclairent la
première partie. Il contient un index
alphabétique des auteurs orientaux et ouvrages
cités.
De plus, la préface de Antoine Galland expose
la méthode et les motivations de d’Hérbelot :
3Richard, Francis, «
le dictionnaire de d’Hérbelot
» dans
Istanbul et les langues Orientales, actes du colloque organisé
par l’IFEA et l’INALCO à l’occasion du bicentenaire de l’école
des langues Orientales, Istanbul 29-31 Mai 1995, édité par F.
Hitzel, l’harmattan, 1997, Paris. Varia Turcica, 540 p.
4Herbelot (d’), Barthélemy,
Bibliothèque Orientale
, avec un
supplément par C. Visdelou et A. Galland, Maëstricht, 1776-
1780, in-folio, 2 tomes en 1 vol.
5Laurens, H.,
Aux sources de l’Orientalisme, la Bibliothèque
Orientale d’Herbelot
, Maisonneuve et Larose, Paris, 1978.
Avec cette application fatigante, mais
agréable, M.D’Hérbelot apprit ce qui jusque alors
avait été caché aux Européens. Mais il ne voulut
pas profiter lui seul de toutes les rares
découvertes qu’il avait faites, & pour rendre
compte au public & à la postérité du bon emploi
qu’il avait fait de son temps, il résolut de leur en
faire part.
6
Sa méthode7 consiste à dépouiller les textes
des savants, à interroger les voyageurs venant
des pays arabes et à consulter les catalogues de
manuscrits dans les plus importantes
bibliothèques. Sa documentation est puisée dans
des textes encore manuscrits; il indique la côte
précise des ouvrages consultés à la bibliothèque
du roi à la fin de chaque entrée pour permettre
au lecteur d’approfondir ses connaissances par
un retour direct à la source. Galland décrit le
travail de D’Hérbelot comme suit :
Monsieur D’Hérbelot qui possédait déjà les
langues Hébraïques, Chaldaïque & Syriaque, qu’il
avait jointes à la Latine & à la Grecque, deux
Langues qui parmi nous suffisent communément
pour mériter le titre d’Homme de Lettres, apprit
premièrement à fond, les langues Arabiques,
Persienne & Turque, comment le fondement & la
baie du grand projet qu’il avait formé, de s’ouvrir
le chemin pour arriver à la connaissance de
l’Histoire, des Lois, des Coutumes, des Mœurs,
des Religions, ou des Sectes tant Chrétiennes,
que Mahométanes, de tous les peuples dispersés
dans les trois parties de notre Contient qui les
parlent.
Pour cela, il lut un grand nombre de livres
écrits dans chacune des trois Langues, qu’il
trouva dans la bibliothèque du roi, ou dans celle
de florence ou qu’il possédait lui-même par
l’acquisition qu’il en avait faite. Or pour remplir
la curiosité, il était nécessaire qu’il prit partir de
se rendre ces trois Langues familières, parce que
les Auteurs Arabes parlant mieux des
affaires de
leur Nation, que les Persans & les Turcs ; &
ceux-ci de leurs propres, avec plus de
connaissance que les Arabes, il n’y avait pas
d’autres voies par où il pût arriver plus surement
à la vérité de leur Histoire & à la connaissance
certaine qu’il cherchait de tout ce qui les
regardait
8
6
Discours pour servir de Préface
, A. Galland dans la
Bibliothèque Orientale
7 Henry Laurens.
Aux sources de l'Orientalisme: la
Bibliothèque Orientale de Barthélemy d'Hérbelot,
Paris, G. P.
Maisonneuve et Larose, 1978. 102 p.
8
Discours pour servir de préface
, A. Galland
Ştiinţe socio-umane 37
D’ailleurs, D’Alembert a lui aussi conscience
de la nécessité de l’approfondissement de la
connaissance des langues orientales
Les Langues Orientales, j’entends parler de
l’Arabe, du Persan, & du Turc, furent négligées
en Europe à un tel point que personne ne s’était
avisé d’en faire aucune étude. (…) Voila donc
une branche d’érudition, toute neuve, trop
négligée jusqu’à nous, & bien digne d’exercer
nos savants
9
La
Bibliothèque Orientale
constitue donc une
des principales sources des encyclopédistes sur
la langue et la civilisation arabo-musulmane. Ils
y puisent un grand nombre d’informations sur
l’Islam mais aussi sur l’organisation sociale et
religieuse du monde oriental.
La lexicologie
D’un point de vue lexicologie, la
Bibliothèque
d’Herbelot enrichit le vocabulaire de nouveaux
termes désignant l’Orient et l’Oriental et
constitue un tournant dans la connaissance de
la civilisation arabo-musulmane. Il introduit de
nouveaux termes et utilise une transcription de
l’orthographe orientale. Cet usage des langues
orientales permet de faciliter leur apprentissage
et d’inclure une part d’exotisme dans ces récits.
Au sujet des termes « Islam » et
« mahométisme », le chevalier de Jaucourt note
à l’article
Islam
10
:
c'est M. d'Hérbelot qui a introduit ces mots
dans notre langue, & ils méritaient d'être
adoptés. Islam vient du verbe salama, se
résigner à la volonté de Dieu, & à ce que
Mahomet a révélé de sa part, dont le contenu se
trouve dans le livre nommé Coran, c'est - à -
dire, le livre par excellence
L’
Encyclopédie
contient de nombreux usages
du terme ‘Islam’. Diderot, de Jaucourt et l’abbé
Mallet utilisent à la fois les termes ‘Islamisme’,
‘musulmanisme’, ‘mahométisme’, ‘Islam’ et
‘mahométans’, ‘musulmans’ sans distinction
particulière que l’usage.
Dans ce même article
Islam
, de Jaucourt
affirme qu’« Islam ou Islamisme, est la même
chose que le Musulmanisme ou le
Mahométisme ». L’essentiel de la théologie
musulmane et l’histoire de l’empire ottoman est
9
Ibid.
10
Islam
, (Hist. Turq.), De Jaucourt, tome 8.
contenu dans l’entrée
Mahométisme
.
Contrairement à la
Bibliothèque Orientale
qui
systématise le recours à l’orthographe orientale,
l’
Encyclopédie
distribue l’essentiel de ses
informations sous les entrées équivalentes (ex:
Islam
et
Mahométisme
). Ces deux articles sont
reliés à deux branches de connaissance
différentes : histoire turque et histoire des
religions du monde. L’introduction du désignant
histoire des religions du monde
matérialise la
naissance de l’anthropologie religieuse comme
discipline11 et domaine de savoir à part entière.
Les entrées d’orthographe orientale ont une
fonction foncièrement terminologique et
lexicographique et permettent d’introduire de
nouveaux vocables. Mais, elles ne contiennent
pas l’essentiel de la réflexion des
encyclopédistes, concentrée dans l’entrée
équivalente en orthographe française, conforme
à l’usage.
En revanche, l’orthographe orientale est
parfois mise de coté au profit de l’usage. C’est le
cas de l’article
Bairam
de l’abbé Mallet qui
désigne une fête orientale célébrant la fin du
jeûne du mois de Ramadan. L’abbé reprend et
compile la
Bibliothèque Orientale
et le
Dictionnaire de Trévoux
12
comme suit :
‘Bairam’ dans l’
Encyclopédie
: Bairam, s. m.
(Hist. mod.)
nom donné à la grande fête
annuelle des Mahométans. Voyez Fête, &c.
Quelques Auteurs écrivent ce mot plus
conformément à l'orthographe Orientale beïram;
c'est originairement un mot Turc, qui signifie à la
lettre un jour de fête, ou une solennité. C'est la
pâque des Turcs.
13
Beiram dans la
Bibliothèque Orientale
:
Beiram, mot Turc qui signifie fête solennelle.
(…) On l’appelle communément la Pâque des
turcs, & passe dans l’opinion du vulgaire pour
leur plus grande fête, & pour le grand beïram.
Le
Dictionnaire de Trévoux
réunit les
différentes orthographes sous la même entrée et
reprend la même définition :
Beiram, Bairam, ou bayram
, termes de
relation.
Mot turc qui signifie fête solennelle (…)
les musulmans n’ont que deux beïrams; (…) on
l’appelle communément la Pâque des turcs ; &
11
L’Encyclopédie et la création des disciplines
, Martine
Groult, CNRS éditions, 2003.
12 Dictionnaire de Trévoux 1704-1771.
13
Bairam
, (histoire moderne), Mallet; Encyclopédie, tome 2.
38 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
dans l’opinion du vulgaire, elle passe pour leur
plus grande fête, & pour le plus grand beïram.
14
L’abbé Mallet compile ici ces deux ouvrages
qu’il cite en italique à la fin de l’article. Cette
utilisation de l’orthographe française dénote à la
fois une volonté de fixer dans la langue
commune de nouveaux termes ainsi qu’une
tendance à dénigrer les coutumes orientales en
favorisant des termes multiples pour un même
idiome et en entretenant un flou sémantique.
A l’article
Babel Mandel
15 consacré aux portes
de l’enfer dans l’Islam, Diderot tire sa définition
de l’entrée
Bab El
Mandeb
de la
Bibliothèque
Orientale
« qu’on nomme vulgairement babel
mandel 16». Il valorise l’orthographe française et
inscrit l’
Encyclopédie
dans la lignée des
dictionnaires monolingues. La terminologie reste
malgré tout imprécise. Elle oscille entre l’usage
et le terme oriental et l’on sait que l’
Encyclopédie
ne deviendra réellement un dictionnaire de
langue qu’à partir du tome 3.
En revanche, à l’entrée
Aschariouns ou
Aschariens
17, Diderot juxtapose les deux
orthographes orientale et française du mot et
concentre ainsi les informations sur cette école
de théologiens musulmans dans le même article.
Cette économie du mot participe à une
amélioration du sens et à un enrichissement de
la lexicographie. Le procédé de translittération
est peu à peu introduit dans les textes français
permettant la vulgarisation et une large diffusion
de termes introduits initialement par la langue
arabe.
L’article
Samachi
illustre cette relative
confusion qui règne dans la terminologie et la
connaissance de l’orthographe orientale :
les Persans & les Arméniens écrivent
Schamakhi; ville de Perse, capitale du Shirvan.
Nos auteurs ne s'accordent point sur
l'orthographe de ce mot; car les uns écrivent
Samachi, les autres, en plus grand nombre,
Scamachie, d'autres, schumachie, & d'Hérbelot
Schoumacki; cette différente orthographe, fort
commune en géographie, a trompé la mémoire
de la
Martinière, qui conséquemment sans en
avertir, a fait trois articles différens de cette ville,
dont nous parlerons sous le seul mot de
Scamachie
.
18
14
Beiram, Bairam, ou bayram
, termes de relation, Trévoux,
tome 1.
15
Babel Mandel
(Géographie moderne), Diderot tome 2.
16 Bab- Al mandeb, Bibliothèque Orientale, vol. 1.
17
Aschariouns ou Aschariens
, (Histoire mod.), Diderot, tome
1.
18
Samachi
, (
Géog. mod
.), Jaucourt tome 16.
Ici, de Jaucourt n’accorde pas un crédit total
à la
Bibliothèque Orientale
et la confronte aux
autres ouvrages sans pour autant prendre parti.
Parfois l
Encyclopédie
renvoie explicitement à
l’entrée équivalente de la
Bibliothèque Orientale
.
C’est le cas de l’article
Enfer
19 où l’abbé Mallet
traite de la représentation de l’enfer dans la
théologie Islamique et renvoie à l’entrée
Gehenem
pour plus de précisions sur le sujet. Il
introduit le terme oriental par une transcription
phonétique et donne au texte un coté exotique.
Lidée de l’enfer musulman obtient une
connotation d’étrangeté et de singularité.
Il arrive aussi que le recours à la Bibliothèque
soit passé sous silence. C’est le cas de l’article
Aga
20 où l’abbé Mallet reprend l’entrée du même
mot d’Hérbelot et copie sa définition sans y faire
allusion.
De plus, une des particularités de l’ouvrage
de D’Hérbelot est l’introduction de passages en
langue arabe et de maximes ou de vers de
poésie orientale. Ces éléments tentent de palier
au caractère pesant du texte en lui donnant une
coloration exotique. L’abbé Bignon, secrétaire de
la Bibliothèque du Roi, avait fait fondre les
caractères orientaux et arabes pour l’imprimerie.
Mais ces caractères sont totalement absents du
Dictionnaire Raisonné contrairement à ceux de
l’alphabet grec. Il n’existe aucune note
manuscrite nous permettant de statuer sur le
souhait des éditeurs de l’
Encyclopédie
d’intégrer
ou non ces nouveaux caractères dans le corps
de texte. Nous pensons que cette carence ne
résulte pas d’une omission mais bien d’un choix
de faire prévaloir la langue française en réalisant
principalement un dictionnaire monolingue. Le
manque de spécialistes dans ce domaine tenté
par l’aventure encyclopédique et la question du
coût financier peuvent aussi expliquer cette
carence.
Concernant la prononciation des termes
orientaux, l’
Encyclopédie
ne fait pas preuve du
même souci de rigueur que la
Bibliothèque
Orientale
et le
Dictionnaire de Trévoux
.
L’absence d’indications phonétiques dans les
articles consacrés à l’introduction de nouveaux
vocables orientaux prouve que le processus
didactique des langues orientales de
l’
Encyclopédie
n’a pas été pensé dans sa totalité.
D’Alembert est conscient des lacunes et du
travail qu’il reste encore à effectuer dans le
domaine des langues orientales :
Il est vrai que dans l’état présent de notre
littérature, le peu de secours que l’on a pour
19
Enfer
, (théologie), Mallet, tome 5.
20
Aga
(histoire moderne), Mallet, tome 1.
Ştiinţe socio-umane 39
l’étude des langues orientales, doit rendre cette
étude beaucoup plus longue, & que les premiers
savants qui s’y appliqueront s’y consumeront
peut-être toute leur vie ; mais leur travail sera
utile à leurs successeurs; les dictionnaires, les
grammaires, les traductions se multiplieront & se
perfectionneront peut à peu, & la facilité de
s’instruire dans ces langues augmentera avec le
temps.
21
Il est vrai que l’importance de l’orthographe
et de la phonétique avait déjà été mise en avant
par Galland dans la préface de la
Bibliothèque
Orientale
:
Touchant l’Orthographe des mots Arabes,
Persans,& Turcs, on est obligé d’en dire quelque
chose, non pas pour l’amour de ceux qui savent
ces Langues, parce qu’il leur sera facile de
l’observer, mais pour faire plaisir à ceux qui ne
les savent pas, afin qu’ils prononcent ces mots
de la manière qu’ils doivent être prononcés.
Géographie
Sur le plan de la connaissance géographique
de l’Orient, les encyclopédistes puisent chez
d’Hérbelot certaines informations sur la
localisation des villes. On sait que la
cartographie ne se constituera comme science
qu’au 19ème siècle et que le savoir
géographique reste assez flou22. Ces précisions
de géographie mathématique et de géographie
descriptive sont le plus utilisées dans les articles
du chevalier de Jaucourt. Il consacre plusieurs
courtes entrées à des villes d’Arabie, de Perse ou
d’Inde peu connues. C’est le cas des articles
Ghilan
23,
Hadhramout
24 et
Lahor
25 qui
enrichissent le vocabulaire géographique et
participent à une meilleure connaissance de
cette partie du monde. La description du monde
connu est basée sur les récits de voyages et les
itinéraires terrestres et maritimes qui apportent
un contenu au cadre spatial donné par la
géographie mathématique. Linnovation du
18ème siècle est la nouvelle branche de la
géographie, la géographie physique, qui permet
l’établissement de cartes plus précises et lie
l’étude du relief, des coordonnées de navigation
(méridiens et parallèles) à celle du climat. Les
21 Erudition, (Philosoph. & Litt.), D’Alembert, tome 5.
22 « L’article géographie dans l’Encyclopédie » dans
L’Encyclopédie et ses lectures
, colloque d’Alençon.
23
Ghilan
, (Géographie), de Jaucourt, tome 8.
24
Hadhramout
, (Géographie), de Jaucourt, tome 8.
25
Lahor
, (Géographie) de Jaucourt, tome 9.
articles de géographie tentent de fixer la
localisation du plus grand nombre de lieux en
confrontant les sources d’informations et
d’apporter une visibilité plus importante du
monde.
Au sujet de la ville de Hawas en Perse, de
Jaucourt rectifie les différentes orthographes et
les coordonnées géographiques en confrontant
les informations :
Cette ville est la même qu'Ahuas de M.
d'Herbelot, & qu'Haviza, de l'historien de Timur-
Bec. Sa longitude, suivant Tavernier, est à 75d.
40'. latitude 33d. 15'. mais la lat. de Tavernier
n'est pas exacte; Nassir- Eddin, & Vlug- Beig
suivis par M. de Lisle, mettent de 31d.
26
Dans le domaine de la Géographie, la
Bibliothèque Orientale fournit peu d’informations
utiles à la connaissance géographique et
physique de cette partie du monde. La mutation
de cette discipline en recherche rend le contenu
des entrées d’Herbelot quelque peu obsolète et
inexploitable. Les rédacteurs y préfèrent les
indications des navigateurs et des voyageurs qui
ayant fait eux même l’expérience de ces routes
maritimes et terrestres, sont plus crédibles dans
ce domaine.
Néanmoins, il est certain que ces deux
ouvrages encyclopédiques procèdent du même
intérêt pour l’Orient et le monde arabo-
musulman. Cette intertextualité révèle la force
de l’engouement du public et des savants pour
cette contrée éloignée. Sortie des cabinets
d’érudits, l’étude de l’Orient se vulgarise et se
généralise. L’étude des langues fait place à celle
des mœurs et de la société.
Les mœurs
Sur le plan de la connaissance des mœurs et
de l’organisation de la civilisation orientale, la
Bibliothèque Orientale
n’est pas d’un recours
systématique. Les encyclopédistes confrontent et
opposent les sources diverses afin de rendre
compte de la réalité de la civilisation orientale de
la façon la plus précise.
D’une part, l’étude de l’Encyclopédie révèle
l’apport de la
Bibliothèque Orientale
sur le plan
de la connaissance civilisationnelle. Les Lumières
introduisent une vision théandrique du monde
centrée sur l’Homme. L’apparition de la
philosophie de la nature a pour aboutissement
l’éveil d’une philosophie de la culture dont le
26
Hawas
, (Géographie) de Jaucourt, tome 8.
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