Quentin Ludwig, avec la collaboration de Cyril-Igor Grigorieff Comprendre l’islam © Groupe Eyrolles, 2004 ISBN 2-7081-3510-4 Comprendre l’islam Le jihâd ou djihâd La mise en garde du Dictionnaire mondial de l’islamisme concernant le mot jihâd mérite d’être rapportée : « Le djihâd est un mot victime de l’actualité, et dont la définition présente quelques difficultés. » Ce mot signifie « lutte ». Dans les premières années de l’islam, après l’Hégire, il désigne « l’effort de guerre » devant être entrepris contre les infidèles (kâfirs) pour étendre les territoires islamisés. Cette extension des territoires islamisés est prévue par le Coran et la guerre est donc légale. Dans un premier temps, ce terme désigne donc la « guerre légale ». En réalité, le jihâd était une obligation collective dont la réalisation était placée sous la responsabilité du calife. Selon le Coran, le jihâd — auquel les musulmans doivent leur extraordinaire expansion — n’est jamais accompli tant que le monde entier n’est pas soumis à l’islam. Sans entrer dans les détails, on doit au jihâd la distinction du monde en « Territoires de l’islam » (dâr al-islâm) et « Territoires de guerre » (dâr al-harb) avec lesquels — malgré un état de guerre permanent — on peut conclure des « trêves » (hudna) renouvelables tous les dix ans. On comprend aisément que cette division du monde, si elle nourrit un imaginaire arabe, froisse les non-musulmans. Le jihâd, pour être valable, doit être déclaré par le Calife ou un de ses représentants importants et ne peut être exercé que contre les infidèles (donc jamais contre des musulmans). Il doit aussi être précédé d’une exhortation à la conversion des incroyants. Le dernier jihâd a été déclaré en 1914. Aujourd’hui, de petits corpuscules islamistes déclarent régulièrement le jihâd à l’Occident ou même à des régimes musulmans (qu’ils accusent de 120 mal gouverner) sans que cela ait un sens du point de vue coranique. Dès le VIIIe siècle, en effet, il devint évident que l’expansion musulmane ne pouvait être infinie. Dès lors, la victoire finale sur les infidèles fut repoussée à l’ère eschatologique et le jihâd, en principe, remisé dans les archives guerrières. Le sens premier du terme a cependant été infléchi au cours des siècles : il devient ainsi le « combat contre l’hérésie » ou le « combat pour la défense des territoires ». Jihâd majeur et jihâd mineur Cette « guerre légale » est appelée par l’islam le jihâd mineur (ou « jihâd des corps »). Ce jihâd est bien moins important que le jihâd majeur ou « jihâd des âmes », lequel est un combat contre soimême, contre ses passions. Lorsqu’il parle de jihâd, Mahomet fait souvent référence au jihâd majeur, à cette lutte humaine de tous les instants. On notera également qu’avant l’Hégire (l’expatriation de Mahomet), seul le jihâd majeur (jihâd des âmes) existait ; le jihâd mineur étant né d’une exigence guerrière. π © Eyrolles Pratique La guerre légale Le jihâd contre les gens du Livre et les autres… Le jihâd contre les juifs et les chrétiens s’arrêtait dès qu’ils acceptaient de se soumettre à l’autorité de l’islam et de payer l’impôt de capitation (voir l’article consacré aux dhimmis). Concernant les idolâtres, s’ils refusaient de se convertir à l’islam, ils étaient massacrés ou réduits en esclavage. Djihâd (ou jihâd) islamique Il s’agit d’organisations clandestines ou non qui luttent dans de nombreux pays contre le pouvoir en place (pour l’instauration d’un véritable État islamique) ou contre l’occupant. Il existe plusieurs organisations du même nom n’ayant aucun lien entre elles (Égypte, Palestine, Tunisie). Polémique X π Pour les kharijites, le jihâd est le sixième « pilier de l’islam ».. π Pour les chiites., le jihâd est impossible avant le retour de l’imâm caché, car lui seul a qualité pour déclarer la guerre. Cela n’empêche pas, bien entendu, les États chiites de déclarer la guerre à leurs voisins mais — subtilité — il ne s’agit pas de la guerre légale (jihâd) mais d’une simple guerre (mutakalâ). π Dans le Coran, figurent de nombreux versets divergents concernant le jihâd ; le contenu de ces versets varie en fonction de la position de Mahomet face à ses ennemis. La règle étant que le verset le plus récent abroge le verset le plus © Eyrolles Pratique Versets coraniques ancien (voir l’article consacré à l’abrogation), les musulmans intégristes ne retiennent — sans doute à tort — que les derniers versets qui prônent la « guerre légale » pour la conquête des territoires occupés par les infidèles. π La principale polémique intra-musulma- ne s’articule autour d’une importante question : le jihâd de Mahomet était-il limité à l’Arabie ou au monde entier ? En d’autres mots, Mahomet avait-il conçu l’islam comme universel ou non ? La décision de rendre le jihâd universel n’a été prise par consensus général (ijmâ) que bien après la mort du Prophète. Malheureusement aucune règle dans le Coran ne définit exactement ce qu’est un consensus général. . « Vous qui croyez !, combattez ceux des Infidèles qui sont dans votre voisinage ! Qu'ils trouvent en vous de la dureté ! Sachez qu'Allah est avec les pieux ! » (IX, 124) 121