l’école et le monde du travail
XVIIe colloque de l’afirse section portugaise
Annie Vinokur
« Education et travail: le grand chambardement »
des frontières nationales sont très limités. Par conséquent la possibilité de dégager des
profits croissants réside dans le modèle keyneso-fordiste, c'est-à-dire dans une production
de masse qui trouve son débouché dans la consommation de masse nationale, i.e. des
travailleurs eux-mêmes. Il fallait à nouveau faire appel à l’Etat pour mettre en œuvre les
conditions nécessaires. A la consommation de masse d'abord: à ce moment là, les
secteurs précapitalistes ont disparu dans les pays développés. On ne peut plus faire
supporter par ces secteurs traditionnels la reproduction hors travail de la main d’œuvre. Par
conséquent il va falloir internaliser cette reproduction; c'est la fonction de l’Etat-providence
d'assurer aux salariés des sécurités au moins égales à celles anciennes de la propriété et
des droits d'usage. Ces nouvelles sécurités du salariat seront les systèmes de couverture
sociale (couvrant les risques famille, chômage, maladie, vieillesse), le droit du travail,
l'institutionnalisation des conventions collectives assurant ex ante le partage des gains de
productivité entre les revenus du travail et du capital. Du côté de la production de masse,
il faut aussi faire appel au politique, en raison de l'intense pénurie de main d’œuvre
qualifiée. Et comme il y a aussi pénurie de main d’œuvre non qualifiée, les jeunes qui
sortent de l’école obligatoire trouvent immédiatement un travail salarié convenablement
payé. Pour inciter les jeunes à poursuivre leurs études, il faut d’une part que l’éducation soit
gratuite, et de l'autre que les perspectives d’emploi ultérieur soient satisfaisantes et sûres.
Les employeurs ont ainsi intérêt à contribuer collectivement, par la fiscalité, au
développement de l'instruction scolaire. Simultanément, dans la mesure où ils s’efforcent de
conserver la main d’œuvre rare qu’ils ont pu embaucher (emploi à vie, rémunération à
l'ancienneté, revenus différés, etc.), ils ont intérêt à financer individuellement son
adaptation sur le tas à l'emploi. Ces conditions sont évidemment très favorables à
l'apparition d'une très forte demande d’éducation.
C'est l'époque où les économistes du "capital humain" de l'Ecole de Chicago promeuvent
l'instruction scolaire au statut de principal facteur de la croissance économique. En 1961,
au congrès de Washington, l’OCDE – actuellement chantre du néolibéralisme – propose
au monde entier comme exemple en matière de politique d’éducation la France et l’URSS,
pour leur financement public de l’enseignement à tous les niveaux et pour leur planification
centralisée de l’éducation. C'est l' "explosion scolaire" dans tous les pays, qui débouche à
partir des années 1970 sur une surproduction globale de diplômés par rapport aux
besoins immédiats des capitaux.