Le blasphème reste un délit dans une cinquantaine d’Etats
Luis Lema
Le débat est relancé par les événements en France. Le Code pénal suisse continue de
mentionner cette «offense» aux croyances religieuses
Le Palestinien Waleed al-Husseini a enragé, dimanche, en scrutant la ligne d’hommes
politiques qui menait la gigantesque manifestation à Paris pour la défense de la démocratie et
de la liberté d’expression. Non pas tant à cause de la présence du premier ministre israélien,
Benyamin Netanyahou, et d’autres personnalités israéliennes émanant de la droite dure. Mais
plutôt en voyant, pas loin, le visage impassible de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité
palestinienne.
Al-Husseini, 25 ans, a reçu il y a peu l’asile politique en France. En 2010, il est devenu le
premier Palestinien musulman à avoir été accusé de blasphème contre l’islam. En se
proclamant ouvertement athée et en contestant l’autorité des imams, il a déjà goûté à la prison
pendant dix mois, une expérience dont il vient de tirer un joli livre*. En son absence, les
tribunaux palestiniens l’ont sanctionné d’une peine d’emprisonnement de 7 ans et demi
supplémentaire.
Le jeune homme explique: «L’Autorité palestinienne se proclame laïque, mais elle craint
d’être débordée par le Hamas, et elle est prisonnière d’un climat plus général. Elle n’ose plus
s’écarter d’une obéissance totale aux dogmes religieux.» Il soupire: «Un Arabe qui se
proclame athée aujourd’hui est victime à la fois de la dictature politique et de l’emprise des
religieux.»
Cette histoire particulière vient s’inscrire dans un contexte plus large, mis en lumière par la
dernière une de Charlie Hebdo, sur laquelle figure la caricature de Mahomet: à l’échelle de la
planète, ce sont 47 pays qui punissent le blasphème. Dans le monde musulman, cela entraîne
parfois la peine de mort, et ce délit s’accompagne aussi de lois condamnant l’apostasie.
En France, le blasphème a été jeté aux oubliettes depuis la Révolution. Mais il continue de
perdurer dans certains pays européens, comme l’Italie, l’Allemagne, la Grèce, le Danemark,
l’Irlande, la Pologne ou la Russie. Même si le mot ne figure pas en toutes lettres dans le Code
pénal suisse, son article 261 est explicite, puisqu’il vise à sanctionner d’une peine allant
jusqu’à «180 jours-amendes» celui qui «publiquement et de façon vile aura offensé ou bafoué
les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu».
Les tribunaux suisses n’ont pas eu recours à ce vieil article depuis des décennies. De la même
manière, certains Etats américains (Massachusetts, Michigan…) continuent en théorie de
considérer le blasphème comme un délit. Mais une décision de juges locaux en ce sens se
heurterait sans coup férir aux lois fédérales des Etats-Unis dans un pays où la liberté
d’expression a atteint un degré de sacralité aussi important que la religion aux yeux des
croyants.
A Genève, cette question n’en finit pas d’occuper le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Les Etats regroupés au sein de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) reviennent
régulièrement à la charge, munis du concept de la défense contre «la diffamation des
religions». Un principe qui n’est pas contesté en soi par les Occidentaux, mais dans lequel ils