LA PHILOSOPHIE
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opinions toutes faites et des préjugés communs. Le philosophe s’oppose au philodoxe –
– celui qui affectionne l’opinion sans aucunement chercher à la problématiser.
Il est des esprits naïfs qui discutent vainement de la prétendue inutilité de la philosophie.
Rappelons pour eux cette question de dissertation proposée au baccalauréat : À quoi sert la
philosophie ?, pain bénit pour le correcteur. Il discrimine en effet très facilement entre les
copies qui prétendent lui expliquer que la philosophie ne sert à rien, constituerait une perte
de temps pour l’élève durant son année de Terminale, serait inutile, etc. – note entre 0 et 5 ou
6 – celles qui s’efforcent de le persuader que la philosophie est un élément indispensable de
la culture générale ou de la formation de l’esprit, et celles dont les auteurs sont capables de
reconnaître le préjugé utilitariste qui se donne ici : ce qui sert à, ce qui est utile, est par
définition un savoir-faire ou une technique, ce que n’est pas la philosophie, pour telle et telle
raison, etc. Seules ces dernières copies seraient dignes d’obtenir la moyenne, mais le
professeur de philosophie est bien contraint de s’adapter au public qui lui est confié, et qu’il
n’a pas choisi, qui ne s’empresse pas de lui-même, etc.
Si on tient vraiment à assigner un but à la philosophie, on peut dire qu’elle est, non pas utile,
mais indispensable pour pouvoir rompre avec les préjugés communs, s’engager résolument
dans la réflexion et dans l’étude. Michel-Eugène Chevreul, célèbre professeur de chimie du
XIXe siècle, se définissait à plus de quatre-vingt ans
comme le plus vieil étudiant de France,
titre qu’on ne peut que lui envier. Une telle pensée est indispensable à la réévaluation des
représentations communes, avec ses enjeux existentiels : décisions morales, choix politiques.
Apprendre à voir plus clair dans sa propre pensée, tel est l’enjeu de la réflexion
philosophique.
La philosophie ne renoncerait pas pour autant à la conquête de la sagesse, ou du savoir
absolu, au sens de Hegel, savoir divin. Elle appellerait l’homme à se diviniser lui-même via
le développement de l’esprit relatif vers l’esprit absolu, contre toutes ces religions
débilitantes faisant de l’homme, et surtout de la femme, d’éternels mineurs, voire des
esclaves, les inféodant à des divinités le plus souvent sémitiques et de provenance culturelle
archaïque, exigeant le prix du sang, des infidèles, des juifs, des chrétiens, des yézidis –
regardés dans les superstitions musulmanes comme de prétendus « adorateurs du diable » –,
des incroyants ou des polythéistes, etc., suivant le cas. Car les problèmes qu’elle pose ne
concernent pas seulement la vie sociale, mais aussi le sens ultime de l’existence, la destinée
de l’humanité, ou la réalité profonde de l’Univers et de la vie.
Les Grecs ont su inventer la philosophie en refusant de laisser la pensée enfermée dans le
carcan des dogmes religieux, ce dont aucun autre peuple de l’Antiquité n’a été capable. Au
Moyen Âge, on prétendait faire de la philosophie la servante de la théologie, ancilla
theologiae. Aujourd’hui, c’est la théologie elle-même qui est devenue philosophique.
Comme on le voit, la philosophie ne se laisse pas subordonner à ce qui n’est pas elle. Son
but, elle ne peut le trouver qu’en elle-même, ou dans le vrai.
Philosophie et raison
Si certains progrès de la raison ont pu se faire indépendamment de la philosophie, des
progrès techniques par exemple, ou dans le domaine des mœurs, on doit cependant
considérer l’importance de l’esprit philosophique dans le développement des sociétés.
On peut retrouver dans toutes les cultures de l’Antiquité l’ébauche d’une philosophie
rudimentaire masquée par les croyances religieuses, que ce soit en Égypte, au Proche Orient,
en Inde ou en Chine par exemple. Mais seuls les anciens Grecs ont été à l’origine de ce que
les historiens ont qualifié de « miracle de la raison ». Ne reconnaissant d’autre autorité
qu’elle, ils inventèrent tout à la fois la philosophie et les sciences, la démocratie, la liberté, le
droit naturel, les arts libéraux. Sans l’influence de la philosophie moderne ou de celle des
Lumières (die Aufklärung), quantité de changements historiques d’importance qu’on peut à
Il est mort à 102 ans.