02
LE FAIT DU JOUR
LUNDI 20 SEPTEMBRE 2010
L'ACTU pages 2 à 16. LE SPORT pages 20 à 26. LE SPORT HIPPIQUE pages 27 à 30. ANNONCES, CARNET pages 31 à 34. JEUX, KENO page 35.
L'AIR DU TEMPS pages 36 à 42. PROGRAMME TÉLÉ page 43. MÉTÉO page 44. INFORMATIONS DÉPARTEMENTALES cahier central.
Ce sont des sites discrets où se
retrouvent des inits ou des
internautes bien orientés. Là,
surlaToile,desislamistesinté-
gristes ou de jeunes musul-
mans en quête d’identité se retrouvent
et échangent derrière des pseudo-
nymes. Ces derniers jours, avec l’enlè-
vement des otagesfrançaisau Nigeret
l’offensive de l’are mauritanienne
contre lAqmi (Al-Qaida au Maghreb
islamique),lescommentairesradicaux
en faveur des « frères au front » se sont
multipliés sur la dizaine de forums ji-
hadistesquiexistentenFrance.
« Le Parisien » - « Aujourd’hui en
France » a exploré ces sites et recen
les discours et les messages à la tona-
lité guerrière qui y fleurissent. Nous
avons choisi de taire les noms afin de
leur éviter toute publicité. Mais le
contenu est éloquent. Outre la diffu-
sion des propos des leaders d’Al-
Qaïda, ils proposent de véritables
consignes de vie. Et surtout, ils consti-
tuent unritable outilderecrutement
terroriste.
De fait, Internet semble désormais
suppléer les imams intégristes des
mosquées traditionnelles. Consé-
quence:lasurveillancedesadeptesdu
« jihad électronique » a été l’un des
facteurs du récent revement du ni-
veau d’alerte, confirme un scialiste
du renseignement. « Le système de
communication repsenté par le Net
constitueunearmeredoutablequifait
échecauxthodestraditionnellesde
ceuxquisontchargésdecombattreces
réseaux », soulignent les chercheurs
BernardGodardetSylvieTaussig*.
EnFrancecommeà létranger,les der-
nières interpellations dans le cadre de
la lutte contre le terrorisme islamiste
comprennent toutes cette dimension
Internet. Le snario de l’isolé qui se
convainc,enseradicalisant surleWeb
ou en y étant recruté, d’un passage à
l’acte meurtrier est devenu le cau-
chemar des services de renseigne-
mentsoccidentaux.
Depuisleprintempsdernier,sixjeunes
âgésde27à35ans,Françaisconvertis
à l’islam, qui appellaient à la « guerre
sainte » sur le site ultraradical qu’ils
animaient, ont été interpels en ban-
lieueparisienneetàMarseille.
PASCALEÉGRÉ
* Dans « les Musulmans en France »,
Fayard,2009.
Internet:nouvelespacede
ENQUÊTE. Des sites diffusent sur Internet des messages d’islamistes radicaux. Ils remplacent les imams ingristes
des mosquées et constituent un outil pour l’enlement des terroristes.
M
OT
Littéralement « effort ». Ce
terme arabe désigne avant tout
l’effort réalisé par le croyant sur la
voie de la soumission à Dieu. Le
« grand jihad » revêt un sens
spirituel : il est le combat intérieur
mené par le musulman sur la voie de
l’islam. Il célèbre le mérite de celui qui
repousse jour par jour les tentations
et les mauvais penchants de son âme.
Le « petit jihad », ou jihad mineur,
désigne la lutte menée par les
musulmans contre les assauts de
leurs ennemis. Il peut être conduit
contre les infidèles (kuffar) ou contre
des factions de musulmans
opposants. Le concept du jihad, en
constante évolution, est donc loin de
se réduire à l’usage qu’en ont fait les
groupes islamistes, qui l’ont repris
pour désigner les attentats qu’ils
organisent, même en pays
musulmans.
Jihad (ou djihad)
Chercheur au Centre d’études et
de recherches internationales
de l’université de Montréal
(Canada) Samir Amghar* est
membre de l’Institut d’études de
l’islam et des sociétés musulmanes
(IISMM).
Internet a donc supplanté
l’imam dans les débats
sur l’islam ?
SAMIR AMGHAR. Oui, Internet est
devenu la principale source d’infor-
mation religieuse mais aussi le prin-
cipal pourvoyeur de radicalité. Ce
n’est plus tant dans les mosquées,
lieux traditionnels du débat mais
aussi du recrutement des jihadistes
avant le 11 septembre 2001, et où les
imams se savent aujourd’hui très
surveillés par les services de rensei-
gnement, que le jeune musulman
français se rend.
Pourquoi un jeune musulman
est-il sensible à un discours
radical ?
Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent
issu de la deuxième ou troisième
génération de l’immigration, est mû
par un double besoin de rupture : à
l’égard de ses parents, dont il consi-
dère l’islam routinier et du fait de sa
quête d’identité. Sa revendication
d’un islam éclairé comporte une
forte dimension protestataire.
Quelles tendances de l’islam
trouve-t-on sur la Toile ?
Toutes. Mais un site sur deux est,
selon moi, de tendance salafiste. Car
le salafisme, mouvance fondamen-
taliste, qui a pour référence les théo-
logiens d’Arabie saoudite, a été le
premier à fonder son mode de pré-
dication et de recrutement de fidèles
sur cet outil. On y distingue deux
tendances : le salafisme jihadiste,
minoritaire, qui prône la violence
comme moyen d’imposer la pri-
mauté de l’islam dans le monde, et
le salafisme quiétiste, qui récuse la
violence terroriste tout en préconi-
sant la distance avec l’Occident
impie et ses valeurs. Cette mou-
vance a supplanté deux autres ten-
dances : les Frères musulmans, dont
l’influence s’exerçait par les cours, la
diffusion de cassettes et DVD et les
conférences ; et le Tabligh qui utili-
sait le porte-à-porte.
PROPOS RECUEILLIS PAR
P.É.
* A paraître : « l’Islam militant
en Europe », Samir Amghar, mars 2011,
Editions Infolio.
« Le Net est le principal
pourvoyeur de radicalité »
SAMIR AMGHAR lSociologue, spécialiste des mouvements salafistes
Samir Amghar estime qu’un site islamique sur deux est de tendance salafiste. (DR.)
L’offre religieuse sur le Net est
devenue foisonnante. « On n’ac-
deplusàsonDieuparl’institu-
tion (l’église, la mosquée…) mais par
la Toile, ce qui permet à chacun de se
bricoler une identité », souligne le
sociologuedesreligions,OlivierBobi-
neau. Il existe une dizaine de sites
islamiques jihadistes francophones.
L’un d’eux revendique toutefois un
total de plus de 600 000 connexions
et plusieurs centaines de visiteurs
chaque jour. Très mouvants, d’une
durée de vie « d’un an ou deux
maximum », la plupart de ces sites
renvoient à d’autres sites « fres » ou
blogs dont la plupart, lorsque l’on
clique sur le lien, sont déjà désactivés.
nUn accès indirect à ces sites.
Olivier Bobineau recense trois voies
d’accèsauxsitesradicaux: lebouche-
à-oreille, les moteurs de recherche
mais aussi l’affichage sauvage, par
exemple autour des gares RER de
banlieue. « Le talent de ces sites radi-
caux est dans la communication, as-
sure-t-il. Plus que le contenu, fon
sur un discours antimoderne et anti-
social simplificateur, c’est l’émotion
que procure le nom, le label, l’éti-
quette. » L’internaute peut ainsi se
jouir, sans même le lire ou être sûr
de la source, du simple fait d’acder
àundiscours deBenLaden,« ennemi
no1del’Occident ».« Trois ingrédients
de la construction identitaire s’y com-
binent, poursuit le sociologue : le
projet (la vision, la conception), l’ad-
versaire (le mécréant, le mauvais mu-
sulman) et le sens (doctrine autant
quedirectionverslesalutouplaisirde
l’échange). »
nLe profil des animateurs. Il s’agit
« souvent des Français musulmans
issus de la deuxième ou troisième
génération, nés et scolarisés en
France, diplômés d’université parlant
plusieurs langues et qui n’arborent
pas les signes de leur religiosité
(barbe,etc.)auquotidien»,expliquele
sociologue Samir Amghar. Concrète-
ment, une petite organisation, réunis-
sant un concepteur, un webmaster et
deuxoutroispersonnes quigèrentles
forums, suffit pour faire fonctionner
un site. Beaucoup sont installés en
Belgique ou en Grande-Bretagne. Si
leurs créateurs considèrent l’anima-
tiondecessitescomme«unmode de
prédication et d’activisme jihadiste »,
la plupart des internautes qui s’y
connectent ne passent pas forcément
à l’action. « Fréquenter un tel site est
une façon de se distinguer. Rares sont
ceux qui basculeraient dans le terro-
risme actif », conclut Samir Amghar.
nDes internautes très prudents.
Ils se savent surveillés et se méfient
des nouveaux inscrits. Lors de leurs
échanges entreinternautes, ilestainsi
souvent question d’exclure tel ou tel
membre. Selon le chercheur Bernard
Godard, les techniques de cryptage
par le biais des logiciels ou de com-
munication dissimulée, type boîte
mail « morte » ou messages-leurres,
permettent ensuite à « l’initié » d’aller
plus loin dans le discours.
P.É
Une nébuleuse foisonnante
L’internaute peut facilement accéder
aux discours de Ben Laden sur la Toile. (DR.)
1 / 1 100%