Trinité FOCALE

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ANC / FOCALE / 2010-2011
LA FOI EN DIEU TRINITÉ
L’EXPÉRIENCE CHRÉTIENNE
La Trinité, avant d’être un dogme ou un concept, est d’abord une expérience, c’est le cœur
de l’expérience chrétienne.
Dans le NT
Les premiers croyants ont d’abord reconnu Jésus comme Fils de Dieu au sens fort, ils ont
confessé le Christ ressuscité comme Seigneur, c’est à dire qu’ils lui ont donné le titre qu’ils
donnaient à Dieu seul :
« 9 C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est audessus de tout nom, 10 afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la
terre et sous la terre, 11 et que toute langue confesse que le Seigneur, c'est Jésus Christ, à la
gloire de Dieu le Père. » (Philippiens 2, 9-11 TOB)
Après la mort et la résurrection de Jésus, ils ont fait l’expérience de l’Esprit qui les habitait,
qui les poussait à sortir de leurs maisons, à annoncer la Bonne Nouvelle...
On peut relire la finale du discours de Pierre après la Pentecôte :
« 32 Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous tous en sommes témoins. 33 Exalté par la droite
de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et il l'a répandu, comme vous le voyez et
l'entendez. 36 "Que toute la maison d'Israël le sache donc avec certitude : Dieu l'a fait et
Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous aviez crucifié." » (Actes 2, 32-36 TOB)
Etienne, mourant, rempli d’Esprit Saint, invoque Jésus :
« 55 Mais lui, rempli d'Esprit Saint, fixait le ciel: il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à
la droite de Dieu. 56 "Voici, dit-il, que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l'homme
debout à la droite de Dieu." 59 Tandis qu'ils le lapidaient, Etienne prononça cette invocation :
"Seigneur Jésus, reçois mon esprit." 60 Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri :
"Seigneur, ne leur compte pas ce péché." Et sur ces mots il mourut. » (Actes 7, 55-60 TOB)
La première épître aux Corinthiens affirme que nul ne peut confesser que Jésus est Seigneur
si ce n’est par l’Esprit Saint (1 Co 12,3), l’épître aux Romains rappelle que le croyant, conduit par
l’Esprit est fils de Dieu par cet Esprit qui lui permet de s’adresser à Dieu comme Jésus lui-même le
faisait « Abba ! Père ! » :
« En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu: vous n'avez
pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de
vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. » (Romains 8, 14-15 TOB)
On trouve une formule directement trinitaire dans la salutation finale de Paul en 2 Co 13,13 :
« La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint Esprit
soient avec vous tous. »
Les chrétiens ont reconnu que Dieu se manifestait à eux (dans la prière, dans l’Eucharistie,
dans la mission, ...), non plus seulement comme le Dieu d’Israël qui s’est choisi un peuple et lui a
donné une Loi, mais comme celui qui, Père, Fils et Esprit, appelle tous les hommes au salut.
La tradition johannique exprime la préexistence du Christ comme Verbe de Dieu, Parole de
Dieu :
« 1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe
était Dieu. 2 Il était au commencement tourné vers Dieu. 3 Tout fut par lui, et rien de ce qui
fut, ne fut sans lui. 4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,
9
Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.
10
Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu. 12 Mais à ceux
qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
13
Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de
Dieu. 14 Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette
gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père. »
Jésus est le Verbe, la Parole de Dieu, Verbe tourné vers Dieu dès l’origine, Verbe auprès de
Dieu, Verbe lumière et vie, Verbe fait chair.
Voilà une façon de dire la divinité du Christ et du même coup quelque chose de la Trinité : en
Dieu, il y a de la différence par la présence du Verbe personnifié.
Dans la prière
1. La liturgie chrétienne
La liturgie chrétienne des premiers siècles laissait beaucoup de place à l'improvisation. C'est
dans la doxologie (prière à la gloire de Dieu concluant une prière liturgique : gloire au Père, au Fils et
au St Esprit) que se développeront les formules trinitaires
Justin au 2nd siècle : « (le célébrant) ... rend louange et gloire au Père pour toutes choses au
nom du Fils et du St Esprit »1
Hippolyte dans la Tradition apostolique au IIIe siècle : « lors de chaque bénédiction il faut
dire : Gloire à vous, Père et Fils avec le St Esprit dans l’Église d'aujourd'hui et de toujours, dans les
siècles des siècles. Amen. »2
Le Fils et l'Esprit sont mis à égalité avec le Père.
En Orient on trouve la doxologie la plus courante : « Gloire soit au Père, par le Fils, dans le St
Esprit ». C’est à dire qu’avant qu'une doctrine de la Trinité soit établie, la prière chrétienne rendait
gloire au Père, par le Fils, dans l'Esprit. Ce qui signifie qu’il n’y a accès au Père que par (δια, per) le
Fils, dans (εν, in) l’Esprit.
On peut rappeler les 3 « plongeons » de la liturgie ancienne du baptême (la Tradition
apostolique vers 215) :
Le candidat descendra ensuite dans l'eau et le baptiseur lui imposera la main sur la tête, en
disant :
– Crois-tu en Dieu, le Père tout-puissant ?
et celui qui est baptisé répond :
– j'y crois
Qu'il le baptise (= plonge) alors une première fois, sa main posée sur la tête. Puis qu'il dise
– Crois-tu au Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui est né par l'Esprit Saint de la Vierge Marie, est
mort, a été enseveli, est ressuscité des morts, le troisième jour, est monté aux cieux, est assis à la
droite du Père, viendra juger les vivants et les morts ?
Il dira :
– J'y crois
Et on le baptise une seconde fois. Qu'il lui dise de nouveau :
– Crois-tu au Saint-Esprit, en la sainte Église et pour la résurrection de la chair ?
Et le baptisé dira :
–J'y crois
Et on le baptise une troisième fois.
Aujourd’hui, les oraisons de la messe, les formules du baptême, les prières eucharistiques
(avec les épiclèses) manifestent cette foi en Dieu Trinité : on s’adresse au Père, par le Fils, dans
l’Esprit. L’expression de la foi chrétienne dans la liturgie est éminemment trinitaire.
Sauf le « je confesse à Dieu » !!! cf. Bezançon p. 80.
1 Apologie I, 65,3
2Tradition apostolique n°35
-2-
2. Toute prière est trinitaire
On redécouvre aujourd’hui, une prière proprement chrétienne :
- D’abord par la méditation de l’Évangile, nous découvrons le Christ, Parole de Dieu, le
compagnonnage avec Jésus Ressuscité. Voir par exemple l’intérêt actuel de la “lectio divina” : « La
pratique de la lectio divina, lecture priante dans l’Esprit Saint, est capable d’ouvrir au fidèle le trésor
de la Parole de Dieu, et par là de créer la rencontre avec le Christ, Parole divine vivante. » (citation de
Benoit XVI).
- Et le renouveau charismatique a rappelé à toute l’Église la présence agissante de l’Esprit !
- Nous nous adressons à Dieu, Père de Jésus-Christ, et plus seulement au « Dieu éternel et
tout-puissant » ! Pourquoi ne pas dire « Père saint » comme dit Jésus dans sa prière en Jn 17 ?
Remarque : et dans les prières universelles, à qui s’adresse-t-on ? Souvent à un Seigneur
indifférencié …
Il ne s’agit pas de prier la Trinité mais de prier trinitairement le Père par le Fils dans l’Esprit.
On pourrait aller plus loin et affirmer que toute prière, pas nécessairement chrétienne dans
sa forme et ses mots, est trinitaire dans son mouvement.
Paul, dans l’épître aux Romains, affirme que nous prions le Père par l’Esprit qui habite en nos
cœurs3. Ainsi, « toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui est mystérieusement
présent dans le cœur de tout homme4 » en déduit Jean-Paul II. C’est le même Esprit qui est à l’origine
de toute invocation du Dieu Unique. Cette affirmation forte de Jean-Paul II se trouve dans sa
relecture de la rencontre de prière pour la paix à Assise en 1986 :
« Là on a découvert, de manière extraordinaire, la valeur unique qu’a la prière pour la paix
et même que l’on ne peut obtenir la paix sans la prière, et la prière de tous, chacun dans sa
propre identité et dans la recherche de la vérité. C’est en cela qu’il faut voir, à la suite de ce
que nous venons de dire, une autre manifestation admirable de cette unité qui nous lie audelà des différences et des divisions de toutes sortes. Toute prière authentique se trouve
sous l’influence de l’Esprit “qui intercède avec insistance pour nous car nous ne savons que
demander pour prier comme il faut”, mais Lui prie en nous “avec des gémissements
inexprimables et Celui qui scrute les cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit” (Rm 8,26-27).
Nous pouvons en effet retenir que toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint qui
est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme.
C’est ce que l’on a également vu à Assise : l’unité qui provient du fait que tout homme et
toute femme sont capables de prier, c'est-à-dire de se soumettre totalement à Dieu et de se
reconnaître pauvre devant lui. La prière est un des moyens pour réaliser le dessein de Dieu
parmi les hommes (cf. Ad Gentes, 3).5 »
« Tous nos “oui” sont de Lui » disait Christian de Chergé en prêchant une retraite aux
petites sœurs de Jésus au Maroc en 19906. Donc si tous nos “oui” sont pris dans le oui du Fils au
Père, alors tout croyant, tout priant, est ainsi mystérieusement associé au Verbe de Dieu. « Le
croyant – je pense au musulman – qui se tourne ainsi vers Dieu de tout son élan, et qui ne veut plus
que ce que Dieu veut, d'un cœur soumis et libre à la fois, ce croyant est conduit par l'Esprit du Fils à
la place du Fils, même s'il l'ignore. 7 » Tout priant est ainsi uni au Christ intercédant pour l’humanité.
3 Romains 8, 15.
4 Jean-Paul
II, « Discours aux cardinaux et à la curie romaine », op.cit., p. 171. Le pape développe cette
même idée dans son encyclique « Redemptoris Missio », n° 28, Chemins de Dialogue, n° 20, p. 86.
5 Jean-Paul II, « Discours aux cardinaux et à la curie romaine », op.cit., p. 171.
6 Christian de Chergé, Retraite prêchée aux Petites Sœurs de Jésus à Mohammedia, au Maroc du 18 au
25 novembre 1990. Texte inédit.
7 Christian de Chergé, chapitre du 6 juin 1992 (veille de Pentecôte), op.cit., p. 307.
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Même isolé dans ma chambre, priant le Père dans le secret, « j'ai vocation à m'unir au Christ
à travers qui monte toute prière et qui offre au Père, mystérieusement, cette prière de l'islam
comme celle de tout cœur droit. 8 »
La prière nous permet d’incarner, à notre place et à notre mesure, cette unité des croyants
en Christ : « il n’y a plus Grec et Juif, circoncis et incirconcis, barbare, scythe, esclave ou homme
libre », il n’y a plus chrétien ou musulman…, « mais Christ : il est tout et en tous »9.
On peut relire le texte de l’abbé Couturier distribué lors de la séance sur l’Esprit Saint.
Christian Salenson, dans une journée d’études sur la place de la prière à l’ISTR de Marseille le
11 décembre 2010 l’exprimait ainsi :
« La prière n’est pas simplement un cri de l’homme, une tentative qu’il ferait de s’élever vers
la divinité, la manifestation vers un au-delà de ce qui fait sa condition d’homme à travers épreuves et
joies, chagrins et désolations. Elle n’est pas simple démarche de la créature vers le créateur, de
l’homme vers Dieu. Elle est suscitée par l’Esprit ! Elle est donc mouvement divin vers le divin, elle va
de Dieu vers Dieu. L’homme, tout homme, est saisi dans ce mouvement et participe à la vie trinitaire
dès lors que s’éveille en son cœur une prière venu de plus loin que lui.
La théologie chrétienne définit la prière comme étant trinitaire.
- Elle nait de l’Esprit si elle est une prière authentique. L’Esprit se joint à notre esprit et la
suscite sous les formes les plus diverses : qu’il s’agisse de l’expression du désir : « Mon âme a soif de
toi », du gémissement : « de gémissements ineffables », ou de la louange : « sans fin je louerai
Dieu ». Elle nait du plus profond du corps, voilà pourquoi il est recommandé d’entrer dans sa
chambre pour prier dans le secret.
- Elle est prière dans le Christ, « par lui, avec lui, et en lui ». Nous n’entendons pas pour
autant que seuls ceux qui connaissent le Christ et le confessent puissent avoir une prière qui s’élève
vers le Père. D’une part le Christ intercède pour l’ensemble de l’humanité. Les bras ouverts sur la
croix en sont le signe à l’encontre de la restriction de l’ouverture des bras dans les représentations
jansénistes de la croix. D’autre part cette prière dans le Christ a une signification plus profonde
encore. Elle désigne une prière dans laquelle se rencontrent le désir de Dieu et le désir de l’homme.
L’expression du désir de Jésus sur la croix : « j’ai soif » est à la fois expression de l’homme dans son
cri vers le divin et tout autant expression de Dieu dans son cri vers l’homme10.
- Enfin elle est prière adressée au Père. »
8 Christian de Chergé, chapitre du 28 novembre 1989, op.cit., p. 212.
9 Colossiens 3,10-11.
10 Le Christ est Verbe (de Dieu) et Réponse (de l’humanité) comme l’exprime une hymne de la liturgie.
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DES IMAGES DE LA TRINITÉ : IMAGES POÉTIQUES OU ICONOGRAPHIQUES
Temps de silence, lecture des textes distribués, visite des tableaux exposés.
Musique de fond ?
Des images de théologiens
St Grégoire de Naziance (au IVème siècle dans la Turquie actuelle) : « le Père est la source,
son Verbe est le fleuve, l'Esprit est le courant du fleuve ».
St Augustin, évêque d'Hippone (Afrique du Nord, 354-430), disait :
"Effectivement, puisque le Père n'est pas le Fils, ni le Fils le Père, puisque le Saint Esprit qu'on
appelle aussi « don de Dieu » n'est ni le Père, ni le Fils, ils sont trois évidemment... Au demeurant, si
l'on demande : trois quoi ? la parole humaine reste parfaitement à court. On répond bien : trois
personnes, mais c'est moins pour dire cela que pour ne pas rester sans rien dire"11
Ce qui ne l'empêchera pas d'écrire un traité sur la Trinité !
Dans celui-ci, il fait une analogie entre la vie divine et la pensée humaine, en ce que l'esprit
humain est, connaît et aime (c’est l’image psychologique de la Trinité).
En effet, l’esprit humain engendre des pensées, un « verbe » intérieur (objet de ma pensée
quand je pense et que je traduis ma pensée dans des mots), par la volonté ou l’amour.
C'est une analogie pour dire le Père engendrant éternellement le Fils à l'intérieur de la Trinité
dans et par l'Esprit, c'est à dire par amour et dans l'amour. « Le Père serait comme la mémoire
fondamentale de l’être, qui en assure la continuité, le Verbe comme la pensée et l’Esprit comme
l’amour. »12.
« Tu vois la Trinité, si tu vois l’amour éternel, car ils sont trois, celui qui aime, celui qui est
aimé et leur amour. »13
Conséquence : l'intériorité humaine est empreinte du Dieu Trinité, donc plus l'homme entre
en lui-même, plus il s'interroge sur la source qui est divine, plus il rencontre le Dieu « plus intime à
moi-même que le plus intime de moi-même » comme St Augustin le nomme dans ses Confessions.
Reprise d’une vielle image : « Sans nature trinitaire, Dieu demeure soleil séparé et
éblouissant. Il ne devient ni le rayon tourné vers nous, ni l’œil qui perçoit le rayon et qui par lui vit
médiatement du soleil. »14
Des images iconographiques
Trinité de Chantal Bert
La Trinité miséricordieuse, Sr Caritas Müller
Tableau d’Elisabeth Vandevoorde.
Voir tracts et tableaux exposés.
Des images de mystiques
Le Dieu des chrétiens n'est pas un principe abstrait, un concept, mais un Dieu personnel
(même en trois personnes), c'est à dire capable de relations, qui entre en relation avec l'homme et va
jusqu’à s’incarner, qui sanctifie l’humanité. A ce Dieu Trinité, l'homme peut s'adresser, répondre à
son initiative d’amour.
C’est l’expérience de Dieu qu’ont de nombreux mystiques.
Voir textes. 11 St Augustin De Trinitate 5,9,10 BA 15,449
12 Georges TAVARD La Trinité Cerf 1991 page 42
13: St Augustin De Trinitate 8,12-14
14 André DUMAS Dieu Trine et Un Initiation à la pratique de la théologie tome *** page 751
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DES AFFIRMATIONS THÉOLOGIQUES
Affirmations de la Tradition
Les premiers écrivains chrétiens
A partir du moment où Jésus a été reconnu comme Verbe préexistant et Seigneur (cf. Jn 1,
Ph 2, Col 2...), que l’Esprit lui-même a été reconnu comme Seigneur, il fallait non pas abandonner le
monothéisme biblique, mais le comprendre autrement.
La première accusation portée contre les chrétiens était celle d’athéisme puisqu’ils refusaient
de rendre un culte aux dieux de la cité. Les écrivains chrétiens du 2nd siècle ont eu à cœur de faire
connaître leur croyance pour ne pas passer pour une secte. Ainsi Justin s’exprime-t-il en justifiant,
maladroitement, le monothéisme chrétien. Pour lutter contre les spéculations “gnostiques” (prônant, entre autres, l’opposition entre un
dieu bon et un dieu mauvais, c'est-à-dire une pensée dualiste), Irénée de Lyon explicite la foi
proprement chrétienne, affirmant sa filiation à l’égard de la révélation reçue par Israël et en même
temps la singularité chrétienne. On peut remarquer les prépositions : le Père, le seul à être appelé Dieu, est au-dessus ; le Fils
est appelé Verbe, ce Verbe est créateur (Dieu crée par sa Parole), il est avec toutes choses, avec
nous ; et l’Esprit c’est celui qui nous façonne à la ressemblance de Dieu (dans un autre texte, Irénée
parle des deux mains du Père dans la création et le salut), et nous fait enfants de Dieu (référence à
Rm 8).
Le lien entre le l’Esprit et le Verbe : l’Esprit montre le Verbe, le désigne (cf. 1 Co 12 : c’est par
l’Esprit qu’on peut dire Jésus est Seigneur), et le Verbe articule l’Esprit, il lui permet de parler par les
prophètes en particulier.
Ce Verbe est sauveur par son incarnation. Le salut de l’homme est donc d’accéder à la gloire
de Dieu, « enlacé par l’Esprit de Dieu ». Le concile de Constantinople
Ce Dieu adoré par les chrétiens a donc un Fils, il administre l’univers par “ses deux mains”
que sont le Fils et l’Esprit, on parle de “Trinité économique” pour exprimer l’œuvre de la Trinité dans
le monde, deux “ministres” pouvant administrer un royaume sans diminuer le pouvoir de
l’empereur.
D’autres chrétiens tiennent à sauvegarder la “monarchie divine”. S’opposent donc les
tenants de “l’économie” et ceux de la “monarchie”. C’est une réflexion philosophique qui va tenter
d’exprimer comment un seul Dieu peut être en lui-même Père, Fils et Saint Esprit sans rien enlever à
sa divinité.
Pour dire un même Dieu qui est Père, Fils et Esprit, non seulement pour nous, mais en luimême, les Pères de l’Église ont utilisé le vocabulaire philosophique grec disponible et petit à petit
l’ont fixé. C’est celui qui est utilisé pour dire aussi l’humanité et la divinité du Christ.
→ Le concile de Constantinople en 553 dira que le Père, le Fils et le Saint Esprit sont une
seule nature (phusis) ou essence (ousia), une trinité consubstantielle (triada homoousion), une seule
divinité en trois hypostases ou personnes (prosopon). La nature dit ce qui est commun, la divinité, et
les personnes ce qui est différent. Rappelons que le Fils est une seule personne en deux natures, ce
qui a été fixé après bien des querelles au concile de Chalcédoine en 451.
-6-
L’héritage de la Tradition
a) Difficulté avec l’utilisation du mot « personne ».
Le mot « personne » aujourd’hui évoque une réalité individuelle, une conscience, un sujet,
une autonomie, la responsabilité de ses actes, etc. Le risque alors est de se représenter Dieu en trois
consciences distinctes, trois centres d’action, bref en trois individus…
b) Deux lectures du Credo :
Tradition “latine”
Je crois en un seul Dieu :
Affirmation
Insistances
Risques et hérésies
Tradition “grecque”
Je crois en
Le Père,
un seul Dieu, le Père
Le Fils
et en un seul Seigneur Jésus-Christ
Le Saint-Esprit
et au Saint Esprit
- La ressemblance (la nature
commune)
- Souligner l’égalité du Père et du
Fils.
Faire de Dieu une sorte de
quatrième personne préalable
Modalisme : un seul Dieu sous
différentes apparences
Père
- La distinction des personnes
- Le Père est l’unique source.
Concevoir le Fils et l’Esprit comme
inférieurs au Père
Trithéisme : trois dieux sous une
apparence d’unité
Père
Fils
Schémas possibles
Fils
Esprit
Esprit
c) La querelle du filioque.
Photius, en 867, dans son encyclique La mystagogie du Saint Esprit, accuse le pape Nicolas Ier
d’hérésie et rompt toute communion avec lui.
De quoi s’agit-il ? En 589, le concile de Tolède, en Espagne, concile où les Goths et les
Wisigoths renonçaient à l’arianisme, introduisit le fameux filioque : l’Esprit procède ex patre
filioque15. C’est donc pour souligner l’égalité du Père et du Fils, pour affirmer la divinité du Christ,
qu’on a introduit cette expression. Les intentions de ce concile étaient parfaitement “orthodoxes”.
Finalement, dans tout l’empire de Charlemagne, la formule a été utilisée dans le chant du
Credo en latin.
Les théologiens francs attaquent le concile de Constantinople qui affirmait « le Saint Esprit
procède du Père par le Fils ». Les occidentaux pensaient que le filioque était d’origine à Nicée. Les
francs rejettent donc la formule « du Père par le Fils », sous prétexte que le « par » donnerait un
statut de créature au St Esprit (la référence biblique est Jn 1,3 : tout fut par lui…). Lors d’un concile à
Aix la Chapelle, Théodulphe d’Orléans développe la théologie du filioque sur la base de la théologie
15 Denzinger 470
-7-
de St Augustin dans le De Trinitate. Pour Augustin, l’unité est dans la substance divine, le St Esprit
est le lien d’amour entre le Père et le Fils, les personnes divines sont des relations en Dieu. L’Esprit
Saint est le don de Dieu. Augustin utilise la formule filioque dans le cadre du don du St Esprit : le St
Esprit comme don provient du Père et du Fils (ce qui est biblique).
La théologie grecque des pères cappadociens a un autre point de départ : la personne, la
distinction. Pour eux, ce n’est pas la substance qui fait l’unité. Basile voulait lutter contre le
modalisme ou sabellianisme. Il parle donc de la monarchie du Père, le Père est la seule source, le seul
principe de la vie divine. Les pères grecs soulignent l’importance des personnes, c’est la personne du
Père qui est source de la nature divine du Fils et de celle de l’Esprit. Alors que pour les occidentaux,
tout procède de la nature divine. Cf. tableau des 2 lectures du Credo.
Photius attaque donc la théologie du filioque développée par l’Occident en y voyant l’hérésie
du sabellianisme (confusion des 3 personnes, ici du Père et du Fils). Photius cite aussi les pères latins
et les papes (Léon III qui avait couronné Charlemagne avait interdit le filioque dans le chant du Credo
par les moines latins lors de la messe). Pour Photius, le St Esprit procède du Père seul, il ne parle pas
des relations entre le Fils et l’Esprit.
Pendant longtemps, on a utilisé seulement l’argumentation de Photius. Mais au début du
e
XIII avec la prise de Constantinople par les latins (lors de la 4ème croisade), les empereurs étant en
exil à Nicée, on a une volonté de rapprochement. On souligne alors le lien entre le Fils et l’Esprit, non
seulement après la résurrection, mais dans l’éternité. On reprend l’ancienne formule de la
procession du St Esprit du Père par le Fils, le Père étant bien la seule source, mais soulignant un lien
entre le Fils et l’Esprit.
Aujourd’hui, la querelle du filioque n’est plus qu’une question d’accent théologique, mais
plus un point d’achoppement entre catholiques romains et orthodoxes.
Le CECEF a proposé une nouvelle traduction du Credo de Nicée – Constantinople en français
qui fasse droit à ces différences de sensibilité et d’accent. Cf. texte distribué lors de la première
séance.
Des expressions théologiques contemporaines
Le christianisme est-il un monothéisme dissident ?
Ainsi s’interroge Joseph Moingt dans un article paru dans la revue Chemins de dialogue. Il
conclut « pour ma part, je conclus qu’on ne peut pas enfermer le christianisme dans le concept du
monothéisme, sous peine de rendre inexplicable la genèse de l’humanisme occidental ». Suite sur
photocopie L’auto-communication de Dieu
d) Un axiome fondamental : « Dieu tel qu’il se donne est Dieu tel qu’il est »
« La Trinité qui se manifeste dans l’économie du salut est la Trinité immanente, et
réciproquement » depuis Karl Rahner.
Dit plus simplement par Jean-Noël Bezançon : « Dieu tel qu’il se donne est Dieu tel qu’il est ».
e) L’auto-communication de Dieu (K. RAHNER)
Pour comprendre la Trinité, il faut donc chercher quelle est notre expérience du salut, notre
foi, notre relation à Dieu, en d’autres termes comment Dieu se donne à nous.
« Le Père se donne à nous comme père. Il doit se donner une expression, et c’est son Fils,
qui n’est autre que la révélation, sous la forme d’une personne, de ce qu’il est lui-même ; et que le
Père et le Fils en s’affirmant dans l’amour, se communiquent sous le signe d’un accueil aimant, c’est
-8-
à dire de l’Esprit Saint. Dieu se comporte vis-à-vis de nous de façon trinitaire, et ce comportement,
est cette vie trinitaire elle-même ».
C’est Dieu lui-même qui nous permet d’accueillir ce don dans l’amour, de reconnaître Jésus
comme Seigneur (cf. 1 Co 12,3), de dire « Abba, Père » (cf. Rm 8,15), c’est l’expérience de l’Esprit.
« En d’autres termes, le Père, le Verbe (le Fils), et l’Esprit, quelle que soit l’immense
indigence d’un tel vocabulaire, désignent, selon l’intelligence qu’a d’elle-même l’expérience de la foi,
une vraie différence, une double façon que Dieu a de réaliser la communication de lui-même qu’il a
voulu pour nous. »
D’où quelques façons de dire la Trinité :
Première façon : Le Père, c’est l’origine indéfinissable et l’unité en qui tout prend sa
source. Sa « Parole » n’est autre que sa propre expression projetée au cœur de l’histoire. Et quant à
l’Esprit, il représente la tension de l’histoire vers une communion directe avec sa fin suprême qui est
en même temps sa source première, le Père.
Deuxième façon : Il y a place, au sein du Dieu un et identique, pour une distinction réelle,
du fait qu’il est à la fois et nécessairement quelqu’un qui n’a pas d’origine et qui se donne lui-même
(et c’est le Père) ; quelqu’un qui est l’expression, selon la catégorie de vérité, de ce don (et c’est le
Fils) ; quelqu’un qui est ce Don lui-même, reçu et accueilli dans l’amour (et c’est l’Esprit) : et c’est par
ces distinctions que Dieu est un Être capable de se communiquer librement ad extra.
Conséquences
La théologie de la Trinité rappelle avec force la venue de Dieu parmi les hommes (Incarnation
du Verbe) et son habitation (par l’Esprit) dans le cœur de l’homme. Elle affirme la plénitude de la
divinité à chacun des trois grands mouvements par lesquels Dieu lance le monde, s’incarne dans le
monde et sanctifie lui-même le monde. Et cela a des conséquences sur notre conception du monde !
Voir texte Duquoc. -9-
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