NOTRE ÉPOQUE es missiles biologiqu pour détruire le cancer Les redresseurs de gènes La thérapie génique en est encore à ses premiers pas. Michel de Pracontal explique comment elle va révolutionner la médecine de demain n 1968, un jeune médecin frais émoulu de l'université Harvard, le docteur French Anderson, suggéra que l'on pourrait un jour soigner des maladies héréditaires en manipulant des gènes. Le prestigieux « New England Journal of Medicine » refusa son article, jugé « trop spéculatif». Autant dire de la pure science-fiction 1 Aujourd'hui, French Anderson et son collègue Michael Blaese sont mondialement connus pour avoir réalisé la première thérapie génique. Dans leur service du National Institute of Health (NIH) de Bethesda, Maryland, une petite fille de 4 ans reçoit depuis septembre 1990 un traitement basé sur la manipulation de ses propres cellules. La fillette souffre d'un déficit en ADA, une enzyme indispensable à la défense de l'organisme. Sans traitement, elle serait condamnée à vivre en atmosphère stérile, comme un « enfant-bulle ». Une autre équipe de Bethesda, dirigée par le docteur Steven Rosenberg, vient de recourir à la thérapie génique pour traiter deux patients atteints de mélanome malin, le plus meurtrier des cancers de la peau. Rosenberg a manipulé leurs lymphocytes pour les transformer en véritables « lance-missiles » qui vont bombarder de substances anticancéreuses les cellules tumorales. Un enfant sur cent naît avec un gène défectueux hérité d'un de ses parents. Le déficit en ADA — extrêmement rare puisqu'on connaît moins de vingt cas dans le monde — n'est qu'une maladie parmi les milliers résultant de ces défauts génétiques, comme la myopathie, la mucoviscidose ou l'hémophilie. Dans l'avenir, on espère traiter non seulement ces troubles héréditaires, mais aussi des affections acquises, comme le parkinsonisme ou même le sida. Et bien sûr les cancers : « Dans ce domaine, la thérapie génique ouvre une voie très prometteuse, qui peut concerner tous les types de tumeurs, dit le professeur Thomas E 66 LE NOUVEL OBSERVATEUR /NOTREÉPOQUE • Tursz, immunologue à l'Institut GustaveRoussy de Villejuif. Cela va transformer la cancérologie dans une perspective de deux à cinq ans. » Porteuse d'immenses espoirs, la thérapie génique se heurte encore à de nombreuses difficultés, comme l'illustre la course d'obstacles qui a conduit aux deux premières américaines. Normalement, l'ADA est produite dans des cellules du sang issues des « cellules souches » de la moelle. Lorsque le gène qui commande sa fabrication est défectueux, les cellules ne produisent pas d'ADA. On peut y remédier par une greffe de moelle, mais il n'existe pas forcément de donneur compatible. On peut aussi injecter de l'ADA par voie intramusculaire, mais ce traitement doit être renouvelé régulièrement. Le projet initial de French Anderson était d'introduire un gène fonctionnel dans les cellules-souches de la moelle. Grâce à ce gène « greffé », les enfants atteints par la maladie auraient pu fabriquer de PADA tout au long de leur existence, malgré leur défaut héréditaire. En 1986, French Anderson soumet son projet aux autorités du NIH. Mais les données expérimentales ne sont pas convaincantes et le projet est refusé. « Toute thérapie génique met en jeu trois éléments : un gène, une 'navette" pour le transporter et une cellule cible où la navette doit déposer le gène, explique le docteur Pierre Lehn, du département d'hématologie de l'hôpital Saint-Louis. En 1986, on ne disposait pas d'une bonne navette pour atteindre les cellules souches de la moelle. Même aujourd'hui on ne sait encore le faire que chez la souris. » Érench Anderson doit revoir ses ambitions à la baisse. Parallèlement, son collègue Rosenberg a développé une méthode pour cultiver et stimuler les lymphocytes, des globules blancs du sang qui jouent un rôle clé dans la défense immunitaire. On dispose en outre d'une navette très efficace pour transférer un gène dans les, lymphocytes. Cette navette est un rétrovirus, c'est-à-dire un virus du même type que celui du sida mais que l'on neutralise (il s'agit d'un rétrovirus de souris, inoffensif pour l'homme). Michael Blaese et French Anderson ont transposé la technique de Rosenberg au cas de l'ADA. Ils ont prélevé les lymphocytes de leur jeune patiente, les ont cultivés, y ont transféré le gène ADA et les ont réinjectés. En somme, on a fait faire aux lymphocytes le travail de la moelle. Inconvénient : alors que les cellules souches de la moelle produisent des lignées permanentes, les lymphocytes n'ont qu'une durée de vie de quelque mois. Pour conserver ses défenses immunitaires, la fillette devra donc subir régulièrement des injections. La technique des lymphocytes semble mieux adaptée au traitement du cancer. Rosenberg utilise des lymphocytes particuliers, les TIL — pour tumor infiltrating lymphocytes. Ces TIL ont la propriété de s'infiltrer dans les tumeurs, où ils libèrent des substances qui attaquent les cellules cancéreuses, mais à dose trop faible pour combattre efficacement la maladie. Dans un premier temps, Rosenberg a « dopé » les TIL avec une substance qui stimule leur croissance, l'interleukine-2. Encore fallait-il que ces TIL dopés soient capables, une fois réinjectés au patient, de retourner dans la tumeur d'où ils avaient été prélevés. Pour le démontrer, Rosenberg a « tatoué » les TIL avec un gène neutre, qui permettait de suivre les cellules à la trace. L'opération, réalisée avec succès en 1990, préfigurait la thérapie génique. L'étape suivante, qui vient d'être franchie, a consisté à doter les TIL d'un nouvel armement : le gène du TNF — turnor necrosis factor —, une molécule qui attaque les cellules cancéreuses. Le TNF est produit naturellement dans l'organisme, en petite quantité. Il est trop tectique pour qu'on puisse l'injecter à doses pharmacologiques. La manipulation de Rosen-