Réussite : vers la performance des élèves
Quelles étaient vos représentations sur les
élèves de Bac pro avant l’expérimentation ?
Jean-François Jaudon : " Je n'avais pas de représen-
tation précise, si ce n’est que nous connaissons des
élèves assez similaires en séries technologiques,
même s'il faut se garder de généraliser car le public
des séries technologiques est très varié. J’imaginais
donc des élèves de séries technologiques avec un
niveau de français plus faible. "
Olivier Fontaine : " Partant du constat que les différen-
ces entre les élèves des séries générales et ceux des
séries technologiques sont de degré (de compétences,
notamment et surtout, dans l’expression écrite !) et non
de nature, il m’apparaissait comme évident et néces-
saire d’étendre l’enseignement de la philosophie aux
bacs pros, moyennant un renoncement à certains «
impératifs », ou supposés tels, de l’enseignement de la
philosophie dans les autres séries (recours aux textes
des grands auteurs, passage obligé par les exercices
canoniques de la dissertation ou de l’explication de
texte….). Cela supposait également un peu d’innova-
tion en matière d’outils pédagogiques afin de pouvoir
capter l’attention des élèves et les inciter à donner le
meilleur de ce qu’ils peuvent faire (étant ce qu’ils sont,
dans les conditions où ils sont !). "
Quelles étaient vos représentations sur
les capacités de vos élèves à recevoir un
enseignement de philosophie ?
Valérie Morin : " Les élèves étaient demandeurs. Ils
sont en effet dans un lycée qui comporte une partie
Lycée Général, et ils ont très vite fait la comparaison
avec leurs camarades, se demandant pourquoi, eux,
n’avaient pas accès à cet enseignement. Ils y voient
une différence de niveau qui leur paraît à la fois injuste
et péjorative (ils se sentent lésés et dévalués de ne
pas avoir les mêmes enseignements alors qu’ils sont
en « bac »). D’un point de vue plus pragmatique, ils
manifestent à l'oral au moins des capacités de réflexion
identiques aux élèves de cursus général ou technique ;
mais le passage à l’écrit reste handicapant. "
Catherine Infray : " Les élèves avaient des difficultés
d’abstraction mais, pour la classe d’Industries graphi-
ques notamment, une curiosité qui permettait d’espérer
un intérêt pour la discipline. "
Comment avez-vous perçu le travail en
binôme sur un objet commun d’étude ?
Quelles modalités avez-vous choisies pour
mettre en place cette nouvelle pratique ?
Jean-François Jaudon et Valérie Morin : " Nous avons
choisi de considérer l’enseignement de philosophie
comme un complément aux études faites en cours de
lettres. À partir du travail et d’un support choisi par le
professeur de lettres, le cours de philosophie venait
apporter une réflexion problématique, à partir du même
support, et avait pour but de fournir des concepts clairs
aux élèves afin qu’ils puissent les réinvestir dans leurs
travaux en français. Ainsi, la professeure de lettres
travaillant sur la téléréalité, les élèves ont visionné The
Truman show, film de Peter Weir. Le professeur de phi-
losophie a construit des séances autour de la question
: Le Truman show est-il immoral ? Le but était de définir
les notions de morale, de liberté et de bonheur, afin
que les élèves acquièrent des outils conceptuels leurs
permettant de construire des arguments. Le professeur
de lettres, à la suite de chaque séance de philosophie,
a organisé une scène (autour de l’étude d’un texte
ou simplement par une reprise écrite) permettant aux
élèves de réinvestir les apports du cours de philoso-
phie. La philosophie se montre alors un complément
conceptuel du Français autour d’un support commun.
Le fait de partir d’une situation concrète a permis la
rationalisation et surtout une meilleure perception de
l’abstraction des idées développées. "
Olivier Fontaine : " Le travail en binôme m’est apparu
comme fournissant un cadre riche, tant du point de vue
de ce qui a été effectué, que du point de vue des pos-
sibilités non encore exploitées : mise en place d’une
« culture commune » entre les élèves et leur profes-
seur de lettres-histoire présent pendant les séances
de philosophie (avec toutes les possibilités de rappels
aux éléments traités pendant les séances qui s’offrent
ainsi et à l’enseignant et aux élèves pour réfléchir à et
discuter de thèmes propres aux lettres ou à l’histoire) ;
réinvestissement de certains éléments conceptuels
philosophiques dans des productions en lettres (ainsi
un travail effectué dans le cadre du cours de français
sur la Controverse de Valladolid a permis de mettre en
évidence une mobilisation non négligeable d’éléments
philosophiques, capacité d’argumentation ou concepts,
de la part de la majorité des élèves). L’évaluation des
effets des séances de philosophie a donc été effectuée
pour l’essentiel par le professeur de lettres-histoire (si
l’on excepte le questionnaire de questions philosophi-
ques générales portant sur les principaux thèmes abor-
dés pendant les séances, qui a été soumis aux élèves,
avec un résultat moyennement probant du fait pour
l’essentiel de leurs difficultés à l’écrit). "
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